Hardcore
Ideal J
("Le combat continue", 1998)
Un soir à Toulon, au temps du FN. Dix amigos squattent l'appart de l'homme que tous appellent Guy Georges. Le volume de la chaîne monte à mesure que les litres de Pastis descendent. En boucle, la prod Armageddon de Delta, la retenue sadique de Kery, les backs rocailleux des collègues, dans l'ampli comme dans la pièce... Soudain, un lourd bruit de bris semble provenir du plancher. Coup de sonnette. El Poivro, le voisin du dessous. Teigneux. Dans sa main droite, son plafonnier... C'était aussi ça, l'effet 'Hardcore'.
"Brian "JR EWING/OENO" avait réalisé cette vidéo de malade sur format VHS distribuée gratuitement. Le concept était réalisé à l’aide d’un montage fait d’une succession d’images violentes tirées de films et de reportages télés qui collaient parfaitement au morceau. Cette vidéo a été et est toujours considérée comme culte. Lorsque Skyrock a rentré le morceau en playlist, il fallait un clip "officiel" pour la télé. Seulement voilà, la vidéo que Brian avait réalisée aurait coûté trop cher en droits d’images et était surtout trop violente pour M6. Quoi que l’on fasse, nous savions que le clip ne serait pas diffusé en journée à cause des lyrics, mais il fallait pourtant trouver une idée forte. Brian m’a donc demandé de me charger de cette tâche...
A l’époque, je coréalisais mes clips avec Xavier De Nauw, nous formions un collectif du nom de REALEYEZ. Je suis arrivé vers Xavier avec l’idée que si demain il y avait une troisième guerre mondiale dans laquelle la France serait impliquée, l’armée française serait sans doute représentée par des jeunes soldats de la France actuelle, à savoir des jeunes issus de l’immigration. Les membres de la Mafia K’1 fry pouvaient donc tous se retrouver sur le devant des lignes. Mon idée était aussi de recréer un climat de révolution type 1968 dans Paris avec des ambiances de barricades, seuls contre tous. 'Hardcore' dénonçant tous les méfaits du système politique dans le monde, ça collait bien au sujet. Mais par manque de moyens nous nous sommes retrouvés a simplifier le concept. Donc c’était parti pour la troisième guerre mondiale dans les tranchées.
Nous voulions souligner le tout par des images et des symboles forts. Un matin, Xavier arrive avec un exemplaire de Libération sous le bras et me le jette sur le bureau en disant "Regarde ce truc de ouf, ça colle carrément au concept !". Il y avait un article sur l’histoire du dernier tirailleur Sénégalais vivant – on parle ici de la première guerre mondiale de 14/18 – qui, malheureusement, venait à 104 ans de décéder le lendemain de sa décoration de la légion d’honneur [lire l'article]. Cet homme, Abdoulaye N’Diaye, s’était battu pour la France et notre pays ne l’avait jamais reconnu. Il vivait dans son village au Sénégal, sans doute frustré comme beaucoup de n’avoir jamais eu la reconnaissance qui lui était due... Au final, la France finit par lui remettre la Légion d’Honneur et, certainement enfin satisfait, cet homme est parti avec comme derniers mots : “C’est à vous d’apprécier à sa juste valeur ce que j’ai fait”. De là, on a eu une sorte de déclic qui nous a poussé à rechercher toutes les images fortes liées, ou non, à l’histoire de l’homme “noir”. On s’est alors dit qu’il serait fort de créer un lien entre ce poilu de 1914 et notre armée de la Mafia K’1fry. Comme si cet homme redorait son uniforme pour venir prêter main forte aux petits jeunes [rires].
Enfin un soir, nous regardions le film sur Larry Flynt, le créateur du magazine Hustler. Le mec a fini handicapé dans un fauteuil roulant, jugé par l’Amérique bien pensante. Pour provoquer l’opinion, il est arrivé à son jugement avec un casque militaire et un gilet pare-balles sous lequel il portait un t-shirt où il était inscrit "I WISH I WAS BLACK". Xavier a eu l’idée de faire la même chose avec Kery et de lui faire porter un t-shirt : “ I WISH I WAS WHITE”.
Nous avons récolté une banque d’idées basées sur des concepts forts que nous avons monté bout à bout. Kery s’est facilement prêté au jeu et je dois dire que cette expérience reste inoubliable. 100 gars de la Mafia Africaine dont des guests comme Oxmo Puccino ou encore Doudou Masta, le tout dans une ambiance d’après combat et de fumigènes rouges... Sans prétention aucune, c'était un bon clip de rap français !"
"Souvent, les morceaux emblématiques arrivent malgré eux. On n'a pas fait 'Hardcore' en pensant que ça allait devenir le premier single du "Combat Continue". On n'a pas imaginé l'impact éventuel que le morceau pourrait avoir, en bien comme en mal. Il m'a semblé que la polémique a eu lieu après coup, plus suite aux interviews données par Kery qu'à cause du morceau lui-même.
Pour resituer, "Le Combat Continue" est un album qui a été enregistré avec assez peu de moyens par rapport aux albums qui sortaient dans des majors à l'époque. On a eu assez peu de temps pour réagir. Moi, j'étais à droite à gauche, occupé à faire d'autres productions, notamment pour le 113. Kery avait pris l'habitude d'écrire les morceaux longtemps à l'avance. Quand on a commencé, Kery écrivait chez lui, moi je faisais les musiques chez moi et on se retrouvait ensuite en studio pour enregistrer et produire les titres. Sur "Le Combat Continue", il s'est passé autre chose : Kery voulait écrire en studio, Ça créait une ambiance particulière : tu es dans l'urgence tout le temps. L'heure tourne, le compteur des studios aussi, sachant qu'à l'époque, une séance en studio valait abusément cher. Un morceau du 113 s'appelle 'Dans l'urgence', et bien ça y ressemblait assez, à l'urgence. Tu es au pied du mur, il y a une deadline, il faut rendre l'album. Kery se nourrissait de cette ambiance "fil du rasoir" pour faire ce disque. Moi, j'avais plein d'instrus d'avance. Kery avait eu cette idée de faire un morceau où chaque début de phrase commencerait par "Hardcore". C'est l'un des rares titres qu'il a écrit chez lui. Il l'a terminé avec nous tous au studio.
Après, c'est la poule et l'œuf : je ne sais pas si c'est la musique de Delta qui a inspiré le thème de Kery ou l'inverse. Je crois que Delta lui avait laissé un DAT avec trois ou quatre instrus et il y avait 'Hardcore' dans le lot. Je me souviens qu'il était venu vider des instrus au tout début de la production de l'album, et après on n'a plus réussi à le joindre. On ne l'a plus vu. Du coup, c'est nous qui avons terminé la chanson aux Studios de la Seine, à la Bastille. Nous avions géré la construction du morceau, tous les effets et les breaks… Je m'en rappelle bien, c'était dans le studio A. On a enregistré et mixé dans la foulée. Au final, sur les 14 morceaux, j'en ai produit dix. Mais s'il y a une impression de familiarité sur tous les instrus du "Combat Continue", c'est à mon avis dû à Kery James. C'est ses choix qui ont donné toute leur cohérence aux instrus, même ceux que je n'ai pas produits."