L'enfant seul
Oxmo Puccino
("Opéra Puccino", 1998)
En 1998, Oxmo déroule ses rimes amères pour rendre hommage aux enfances meurtries. Les adjectifs manquent pour qualifier la beauté sobre du texte de Mr. Puccino et celle du beat de DJ Sek. En tout cas, ce classement le prouve : les auditeurs s'y sont vus comme dans une flaque d'eau malgré la tronche pas toujours gaie du reflet. Ils ne furent pas les seuls touchés : un an plus tard, le morceau rythmait le long-métrage "Petits frères" du réalisateur français Jacques Doillon.
Mars : "Cet album, on l'a fait sans pression. On a tout simplement essayé de s'amuser, et quand tu fais de la musique en t'amusant tout en restant professionnel, sans tricher, les gens le ressentent. Ce que je retiendrai toujours de 'L'Enfant seul', c'est le jour de l'enregistrement au studio Polygone, à Toulouse. Au moment de poser, Oxmo avait besoin de rentrer dans la vibe, pour amener tout le contenu. Alors on a éteint la lumière, et il a posé dans le noir, avec des bougies autour de lui. Ça, c'est un moment fort que je garde en moi. C'est bien d'avoir un son qui tue, mais quand tu n'as pas l'artiste qu'il faut, la voix qu'il faut, tu ne peux pas remplir le morceau. Aujourd'hui, tout le monde veut que la musique soit à fond. Mais la musique a beau être forte, si l'artiste n'apporte pas les 50% manquants, le morceau ne servira à rien. C'est aussi pour ça qu'aujourd'hui, il n'y a plus autant de classiques."
Sek : "Mon seul regret, c'est que 'L'enfant seul' ne soit pas devenu un vrai single dans le bon sens du terme – pas un truc grillé genre "Ouais, on va danser" – mais un single comme une reconnaissance, au-delà du rap. Oxmo était un auteur qui commençait à faire son nid. Au-delà d'être un bon conteur d'histoire, un bon rimeur en freestyle, c'est un mec qui avait de la profondeur. Ça ne tient qu'à moi, mais 'L'enfant seul' est LE morceau qui aurait pu déchirer. Ça aurait pu devenir un titre aussi attachant qu'une chanson de Jacques Brel."
"Je vais vous dire quelque chose que je n'ai jamais dit. On est en 1997 avant la rupture du crew Time Bomb. A l'époque, Mars et Sek faisaient des sons et les proposaient à ceux qui étaient le plus avancés ou le plus prêts. Ils avaient, entre autres, fait la prod de "L'enfant seul". J'avais complètement craqué dessus et dit à Cassidy : "Tu vas voir, je vais faire un morceau de fou sur cette musique". Mais Hill G et Cassidy ne voulaient pas la laisser. Du coup, qu'est-ce que j'ai fait ? J'ai trouvé le sample de "Hill Street Blues" avec ce fameux piano et j'ai fait faire une prod par Sek avec. Quand il leur a fait écouter, ils ont pété un câble et on a échangé les instrus.
Ils avaient posé un morceau sur la prod de 'L'enfant seul' qui, je pense, n'est jamais sorti. C'est un titre qui était resté au stade de maquette et ça m'étonnerait qu'il se retrouve sur internet ou sur le prochain projet de Sek. En tout cas, ils avaient fait quelque chose d'excellent et il fallait que je les dépasse. J'ai cherché et je me suis dit que j'allais faire un morceau sur l'enfance. L'instru est envoûtant et c'était facile d'écrire dessus.
Abcdrduson : Récemment, DJ Sek nous disait qu'il croyait beaucoup en ce titre et qu'il regrettait qu'il n'ait pas fait figure de premier single. Il aurait aimé que le morceau porte beaucoup plus l'album...
O : Tout le monde a des regrets. Moi aussi j'en ai sur mes disques. Malgré tout, le morceau a une très belle histoire et on me le demande encore sur scène aujourd'hui. Finalement, je pense qu'on ne pouvait pas lui souhaiter un meilleur sort. Son succès était vraiment incertain. D'ailleurs, ça a été le deuxième single et ça n'a pas forcément porté l'album parce que la chanson existait d'elle-même. Donc, je n'ai aucun regret vis-à-vis de 'L'enfant seul'. Le clip est très beau, la chanson est ce qu'elle est, je la joue encore sur scène... Il n'y a rien à regretter."