Le crime paie
Lunatic
("Hostile Hip-Hop vol. 1", 1996)
Loin du duo double-face qui composera un premier album équilibré façon yin-yang, Lunatic est alors composé de deux moitiés jumelles, chacune plus inquiétante que l'autre. Ali déterre la hache ? Booba enterre la colombe. C'est ici que le mythe commence, et c'est ici qu'il reviendra sans cesse se nourrir : tant de phases du 'Crime paie' ont été réutilisées par la suite, y compris par Booba et Ali, qu'elles appartiennent autant à l'insconscient du rap français qu'à ce morceau.
"Au départ, 'Le crime paie' devait être posé sur l'instru de 'Pucc Fiction'. Il s'avère que Lunatic venait de quitter La Cliqua. Ils ont intégré l'écurie Time Bomb juste après. Quand ils ont enregistré la première version du 'Crime paie', ils étaient contents. Juste derrière, La Cliqua a sorti son EP. Il y avait notamment ce solo de Daddy Lord C avec un piano lancinant fort bien travaillé par Lumumba. Du coup les Lunatic sont revenus nous voir en disant "C'est pas possible, ils ont fait un morceau super fort, il y a pas moyen que nous, on revienne derrière avec un morceau moins patate que ça !". OK, d'accord. Ils sont repassés chez moi, dans le 77, à Lognes. On s'est enfermé toute la journée dans ma chambre à chercher des samples. Des heures et des heures. On ne trouvait rien. Alors on a mangé un bon plat de riz [rires]. Comme tout ça était un peu lourd, j'en ai eu marre de chercher alors je me suis posé tranquillement dans le canapé.
Booba, lui, s'intéressait beaucoup aux samples, il m'a dit "Si tu veux, je te remplace". Comme il connaissait mes disques, je l'ai laissé faire. Et d'un coup, il tombe sur ce sample… On est tous resté bouche bée. Il me dit "OK, c'est ça qu'il faut". Pas de soucis. Je prends le sample, je le travaille, je fais deux, trois manip' dessus. Et ils sont repartis avec. Autant, pour trouver le sample, ça a été difficile, autant au niveau du bouclage ça a été assez rapide. Le studio, c'était toute une ambiance... Le titre s'est fait sans se prendre la tête. Les mecs étaient vachement centrés sur Boot Camp Click, Smith-N-Wessun, etc. Booba était au courant de tout, et on avait su que le fait de porter des dents en or pouvait déformer la prononciation des mots. En studio, il en a donc longtemps porté pour avoir cette espèce de cheveu sur la langue. Je ne sais pas si Ali en portait aussi, mais Booba avait déjà ce côté ricain et il s'en servait beaucoup quand il posait. Mais attention, même sans ça, c'est quelqu'un qui était fort – dès qu'on l'a vu, on savait qu'il allait devenir ce qu'il est aujourd'hui."
"Il faut rendre à Ali, Booba et Time Bomb ce qui leur appartient. J’étais encore journaliste pour L'Affiche lorsque 'Le crime paie' est sorti, en 1996. J’avais suivi la mise en place de la compile "Hostile" dont le morceau est issu, et je croyais très fort à l’impact que produirait ce morceau. Jusqu’alors, le thème de la rue avait été décliné en long en large et en travers, et pourtant personne n’avait encore parlé de la rue comme eux. Leurs flows étaient nouveaux, leur écriture était nouvelle, leur combinaison était inédite : bref, ce morceau portait en lui les germes d’une révolution. Ça sentait la nouvelle ère, c’est comme si nous passions d’un coup de la préhistoire à l’an 2000. Moi je les suivais, et je me disais "C’est pas possible, ces mecs ne peuvent pas ne pas exploser" ! C’est une certitude que j’ai rarement eu pour d’autres artistes – en rap, je citerais peut-être Lino -, et qui s’est confirmée dès l’année suivante avec 'Les vrais savent' sur "L.432"… Quoi qu’il en soit, plusieurs versions de ce titre existaient, mais c’est finalement celle de la compile qui est restée.
Je me souviens d’un concert à l’Elysée Montmartre, toute la salle connaissait le morceau par cœur… Chose plus rare pour nous qui étions habitués aux buzz parisiano-parisiens, le morceau fonctionnait aussi dans les salles de province. C’est vite devenu un hymne… Ensuite le temps et l’histoire du groupe ont fait leur effet. Le morceau est devenu culte et semble l’être encore apparemment ! Pour ma part, lorsque je le réécoute, je ressens certes une certaine nostalgie par rapport à une époque qui s’est éloignée, et en même temps je me dis que la page est tournée. Nous avons chacun pris le parti d’aller de l’avant."
"La version originale du 'Crime Paie' a été enregistrée pendant la conception du premier album de Lunatic et, comme cet album, je l'avais produite et réalisée. Ce titre était prévu pour les "Cool Sessions 2" bien avant Hostile et l'aventure Time Bomb. On avait enregistré le morceau dans ma chambre et fait le mix au studio Plus XXX. Le refrain original était chanté par moi même. Enfin, un extrait du titre original : "Je désarme, toutes les grandes gueules je les calme alors fais comme Dany Dan marche avec une lame. Dans le quartier les frères ont le même emploi..."
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