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En plus de cinq ans de rap « professionnel » et plus de quinze ans de passion, YL a sorti six projets qui lui ont permis d’être rapidement identifié dans la sphère du rap français et reconnu par un public qu’il nommera les Vaillants – la Vaillance. Considéré par ses pairs, le rappeur marseillais enchaîne les collaborations et se fait un nom avec Nyx et Érèbe / Æther et Héméra notamment. Bloqué dans son élan par le covid, YL profitera de cette période pour se rapprocher de ses vaillants, fortifier sa fan base et s’éloigner des maisons de disques. C’est avec un album assez intimiste et introspectif (Yamine) qu’il fera son retour après le covid suffisamment bien accueilli par le public.
Sur LARLAR (Part. 1), YL fait abstraction du cahier des charges de l’industrie et s’octroie le droit de rapper ce qu’il veut comme il veut. Jeune et loin d’être essoufflé, le rappeur marseillais tend à faire de sa carrière un exemple de ténacité. Sans éternels regrets, c’est toujours de bon cœur que l’HLM rezidant d’Air-Bel dépeint son parcours presque sans ratures. Imperméable au torrent d’épreuves, la gemme des quartiers sud s’est aguerrie et a étoffé son art fidèle à elle-même.
Son dernier entretien avec l’Abcdr du Son date de la sortie de sa première mixtape, Confidences. De l’eau a coulé sous les ponts, certains sont restés, certains sont montés, d’autres sont descendus du train. YL reste présent sur le champ de bataille, plus confiant que jamais, déterminé à devenir le meilleur de lui-même.
Abcdr du Son : En 2018, l’Abcdr du Son te recevait pour ta première mixtape Confidences, Manue écrivait que tu n’étais pas encore légendaire comme Zidane mais déterminé comme Mahrez. Cinq ans après, tu te définirais comment ?
YL : On n’a pas atteint le stade de Zidane mais aujourd’hui, je me définis en Benzema alors. [rires]
A : Le ballon d’or du peuple.
YL : T’as capté ! Je pensais aussi sportivement par rapport au rap, je ne suis pas devenu une légende comme Zidane mais c’est en cours comme Benzema.
A : Tu souhaitais voir un peu plus d’anciens et de jeunes rappeurs ensemble, qu’ils soient marseillais ou parisiens. Tu l’as fait avec la série de freestyles Marseille All-Stars, ça a été fait avec les projets 13’Organisé et Le Classico Organisé, qu’en as-tu pensé ?
YL : Je pense que le message est passé. Moi j’avais essayé avec Marseille All-Stars, c’était à mon niveau, c’était assez underground. Après ça a été fait à une plus grande échelle par un artiste qui pouvait le faire, qui était plus mainstream que moi. De toute façon, sur Marseille, il y en avait deux ou trois qui pouvaient le faire : Jul, peut être un Alonzo ou un SCH. En tout cas, il aurait fallu quelqu’un qui mette tout le monde d’accord. Ça s’est fait. Malheureusement, je n’étais pas sur le premier opus pour des raisons que j’ai déjà évoquées en interview. Ma mentalité n’a pas changé, elle n’a fait qu’évoluer donc j’étais très content d’être sur le deuxième opus.
A : Tu as toujours tendu la main aux rappeurs plus jeunes que toi, ISK et MIG par exemple, c’est important pour toi ?
YL : Oui clairement. Ce n’est pas vraiment une main tendue, c’est plus une invitation à combattre. Un featuring c’est un combat. J’aspire à être à l’image d’un Rim’K qui peut te ramener un artiste hyper mainstream, hyper connu avec une grosse discographie et un jeune artiste sur le même projet. Je trouve que ça fait quand même partie d’une certaine composante de force. Je ne te mens pas, c’est pour se tester aussi. Parce que les jeunes, ils sont chauds et si tu ne combats pas, tu seras dépassé. [rires]
A : Tu fais partie de ces rappeurs face auxquels on est toujours choqués quand on apprend l’âge, parce que tu es plutôt jeune avec une discographie bien remplie. Tu te vois vieillir dans le rap ?
YL : Oui, j’ai encore la dalle. Je pense que je ne me suis pas encore tout prouvé à moi-même. J’ai une certaine réputation de rappeur sous-côté que j’aimerais bien régler parce que ma team le réclame depuis longtemps.
A : Est-ce que tu te considères vraiment comme un rappeur sous-côté ?
YL : Moi, non. Je pense et j’ai la conviction que j’ai exactement ce que je mérite. Si je ne suis pas content de mes scores, je n’ai qu’à retourner m’entraîner, c’est ce que je fais d’ailleurs. J’ai compris que c’était une forme d’amour. Les gens qui me suivent depuis le début aimeraient juste me voir plus haut parce que pour eux je suis le meilleur et ça me flatte. Je vais essayer de répondre à cette revendication du peuple.
A : Depuis Confidences, il ne s’est jamais passé deux années sans que tu sortes un projet. Comment fais-tu pour être aussi productif ?
YL : La réponse est claire et nette. Je bosse avec des personnes qui sont prêtes à sacrifier autant de temps que moi. Que ce soit les beatmakers qui bossent avec moi ou mon staff, on est dans un délire où on bosse beaucoup. On n’est pas sous les trente-cinq heures. Il n’y a pas de secret pour ça. Surtout que je prends mon temps pour écrire, c’est encore plus dangereux.
A : Oui, à la vitesse à laquelle la musique est consommée…
YL : Exactement ! Mais je mets un point d’honneur à être satisfait d’un projet d’abord avant de le sortir. Jamais de ma vie sur tous les projets que j’ai sortis, je n’ai cédé à la pression des deadlines. Le projet sort quand il doit sortir, quand il est prêt, sinon le plat n’est pas bon.
« J’aspire à être à l’image d’un Rim’K qui peut te ramener un artiste hyper mainstream, hyper connu avec une grosse discographie et un jeune artiste sur le même projet. »
A : Comment as-tu vécu l’après Nyx et Érèbe / Æther et Héméra ? Une période intense dans laquelle tu t’étais investi dans un gros concept.
YL : En tant qu’artiste, je l’ai assez mal vécu. Tu n’es pas content quand ton message n’est pas passé. J’étais retourné cash en studio pour éviter la perte de confiance. Mais aujourd’hui je suis vraiment très très fier de ce projet, on a plus de soixante-dix milles ventes, il a été certifié disque d’or en faisant son chemin sans promo. Il compte plus de trois singles d’or je crois. Pour la plupart, c’est des solos. Je suis vraiment très très fier de ce projet. C’est un truc qui me conforte dans l’idée que quand la musique est bonne, elle est bonne et un jour on se la prend.
A : Il n’y a que de la bonne ou de la mauvaise musique !
YL : Voilà exactement ! C’est comme les humains ! [rires]
A : Il me semble que c’est après cela que s’arrête l’aventure avec Bylka Prod. Qu’en est-il aujourd’hui, avec qui travailles-tu ?
YL : Je pars de chez Def Jam aussi, je n’ai plus de maisons de disques. Je me suis staffé moi-même au niveau de mon label, au niveau de mon marketing, au niveau de ces choses-là. Je suis assez staffé pour bosser comme si j’étais signé en artiste. Ça a pris du temps. Producteur c’est un autre métier, j’ai dû apprendre sur le tas.
A : Est-ce que c’est bandant d’être indépendant ?
YL : En tant qu’artiste, bien sûr. Plus personne ne te briefe, tu clippes le morceau que tu veux. J’ai toujours été libre dans mes propos mais tu sais, parfois ta maison de disques va te dire quel morceau est un tube alors que toi tu n’es pas forcément d’accord. Il y a cette liberté en plus. Financièrement, c’est mieux aussi, il suffit de faire le calcul. Un dernier côté qui est très important pour moi. Au moins là tes victoires tu les fêtes tout seul parce que tes défaites tu les assumes tout seul quoi qu’il arrive. On va inciter les jeunes à partir en indé ! [rires]
A : Est-ce que la maison de disques a déjà eu raison sur ses choix ?
YL : Oui bien sûr. Tu as affaire à des humains qui bossent très bien. En l’occurrence à l’époque, j’avais une cheffe de projet qui était vraiment très très motivée, qui avait de très très bonnes idées. Je suis assez ouvert, je ne suis pas dans un délire où je reste fermé. Le contraire existe aussi. Parfois tu es plus à même de connaître ta musique ou les gens qui sont autour de toi, ton premier public. Plutôt que telle personne qui est sur dix-huit projets en même temps et qui finalement ne sait pas vraiment de quoi elle parle.
A : Tu as joué dans la deuxième saison de la série Validé, est-ce que tu as apprécié l’exercice ?
YL : Ouais c’était trop cool, j’étais une reusta sur grand écran !
A : Mais t’es une reusta dans la vraie vie aussi ! [rires]
YL : Ouais mais après tu sais c’est un gros truc pour nous ! Moi j’ai montré ça à ma mère directement, elle a pleuré quand je suis mort parce que je l’avais trop bien joué. Je ne pensais pas que j’étais capable de si bien mourir. [rires]
A : Tu appréhendais un petit peu le jeu d’acteur ?
YL : Dans nos clips, on met déjà un petit peu de jeu mais sur des choses que l’on connaît. Je n’ai pas de formation d’acteur, je n’aurai pas pu te jouer un rôle dont je ne connais pas la vie. Demain, tu me demandes de jouer un cuisinier, je ne connais pas le jargon. Mais en l’occurrence, le rôle que l’on m’a demandé de jouer, c’est le rôle du gérant du tieks. On en a vu des centaines, on connaît leur jargon et on y participe. Au jargon hein ! En gros, je pense que j’aurai eu des difficultés si on m’avait fait jouer un rôle dont je ne connais pas l’environnement et encore je l’aurai peut-être bien joué.
A : Ce n’est pas quelque chose qui te fait peur en tout cas.
YL : Franchement non. Comme je t’ai dit, il y a déjà un petit peu de jeu dans nos clips. À partir du moment où tu n’es pas impressionné par la caméra, ce n’est pas grand-chose, il faut juste dépasser sa timidité.
A : Tu reviens avec LARLAR (Part. 1). Qu’est-ce que représente ce titre ?
YL : Mon dernier projet s’appelle Yamine [sorti en février 2022, NDLR]. Les sons étaient très intimistes, j’ai raconté une bonne partie de ma vie, de mon enfance. On a essayé de donner quelque chose de cohérent. Même la cover est très intimiste. J’ai une autre facette de moi qui s’appelle Larlar qui est tout aussi familial, dans d’autres trucs aussi. Les morceaux qui sont dedans ressemblent beaucoup à Larlar. À la série de freestyles Larlar aussi parce que je me suis fait plaisir au niveau du rap. Je pense que Larlar est à YL ce que Slim Shady est à Eminem sans présomption. Tranquille les gars, je n’ai pas dit que j’étais Eminem, ne me tuez pas ! [rires]
A : Est-ce que l’album a été entièrement conçu à Marseille ? Avec quels compositeurs as-tu travaillé ?
YL : Je travaille beaucoup avec un compositeur belge qui s’appelle Young King. Ça fait un moment que je bosse avec lui, tu peux le retrouver à la prod de « Tata Fatima » [issu de l’album Yamine, NDLR]. À l’heure qu’il est, je suis en Belgique avec lui. À Paris, j’ai bossé avec des beatmakers connus qui ont déjà placé comme RJacks et Masta et des beatmakers moins connus comme Ryuk. Je suis un vadrouilleur, je prends ma valise, mon Mac, mon micro, ma carte son et c’est parti !
A : Dans « Comme avant », tu dis : « Plus rien n’est comme avant, pour un rien ça sort un billet pour un canon sur ta tempe. » Tu penses que la violence était moins présente avant ?
YL : Peut-être qu’elle était présente sous une autre forme et que je ne captais pas. Quand je parle avec les grands, ils me disent « chacun son époque, nous aussi c’était chaud. » Je ne sais pas si la société est devenue plus violente. En tout cas moi je suis choqué par la violence de mon époque et de ma société et je ne suis pas tenu de faire un comparatif. Mais quand je te dis comme avant, peut-être que je ne la captais pas parce que j’étais enfant et que je ne vivais qu’à base de mangas et de bonbons. Je vis toujours à base de mangas, les bonbons j’ai calmé. [rires] C’est une retranscription de la violence de mon époque.
A : Tu parles souvent de tes contradictions dans tes morceaux. Est-ce que tu penses être dans une course poursuite infinie avec tes démons ?
YL : Le combat a commencé depuis que je suis mentalement pubère, genre dix-sept, dix-huit ans, cette prise de conscience où tu te rends compte que tu commences à devenir un homme. Je pense que le combat c’est le temps que je suis sur Terre. C’est quotidien. Ça passe par tout. Je peux avoir des problèmes qui font que j’ai pas envie de sourire mais de me forcer à sourire à la première personne que je vois quand je sors de chez moi ça peut être un combat. Je pense que j’ai les mêmes addictions que beaucoup de français, c’est un combat aussi. Donc oui, c’est quelque chose d’infini.
A : Musicalement, la drill prend plus de place que dans Yamine. C’est un style que t’avais envie de développer ?
YL : Sous une autre forme, moins sombre, plus lumineuse, plus mélodieuse. Celle-ci m’attrape plus. Par exemple, le morceau « Bagdad » que j’avais fait avec ASHE 22, il est drill, il est sombre. Mais moi, des autres prods du même type, ça ne m’intéressait pas donc je suis sorti de la drill, je suis retourné à mes trucs à moi, de la trap, du boom-bap, de la mélodie, ce que tu veux. Je suis revenu dedans avec une drill plus mélodieuse, un peu plus Dave, un peu plus Central Cee. Il y a de jolies guitares, de beaux instruments, ça m’a parlé tout de suite.
« Je pense que Larlar est à YL ce que Slim Shady est à Eminem sans présomption. »
A : Dans « LARLAR 9 (Encore) » tu dis : « Y a de la place pour tout le monde mais tout le monde veut sa place au soleil, c’est tellement sombre ce qu’il se passe au sommet. » Est-ce que la réussite assombrit les cœurs ?
YL : Pas forcément. Je suis convaincu qu’il y a des êtres humains qui arrivent à bien gérer. Mais ça peut être source d’assombrissement. Pour moi la musique est un milieu où tu ne dois pas être influençable, il faut être fort mentalement. Si ce n’est pas le cas, ça peut te nuire. Si la musique te rend mauvais, c’est que t’étais déjà mauvais à la base. Tu peux avoir des moments de doute par rapport à la vie en général, pas que pour la musique. Tout le monde peut être sujet à ça. Je ne veux pas faire le mec imperméable mais le bon côté d’être sous-côté, c’est qu’on est un peu de notre côté, il y a plein de choses qui ne nous atteignent pas. J’ai eu l’occasion de rencontrer des vrais bonhommes dans ce métier-là, des vrais humains. Après je reste imperméable, je reste focus sur mes projets.
A : Il y a une alchimie forte avec Kofs sur « Opps ». Comment s’est conçu le morceau ?
YL : À la base, je voulais deux morceaux, on les a fait. Il y a un morceau comme « Hayati » [issu de l’album Yamine, NDLR] qui bouge un peu à la marseillaise. Mais moi je tenais au fait qu’on puisse faire un morceau comme deux vrais rappeurs de notre quartier, comme on le faisait avant. Donc on a voté et c’est « Opps » qui a gagné ! [rires]
A : Vous n’avez jamais pensé à un projet en commun ?
YL : On y a tous pensé. Je ne veux pas te faire de fausse joie. Kofs en ce moment est beaucoup dans le cinéma. On en parlait la dernière fois, même lui sur son album, il a pris du retard parce qu’il tourne à gauche à droite. Si on se retrouve à devoir partir sur ce genre de projet, je suis un homme je tiens ma parole on devra le livrer donc pour le moment je ne sais pas. Il y a des rappeurs avec qui j’ai une alchimie même si ils ne sont pas de chez moi. Je te donne un exemple : le jeune ISK. J’ai une alchimie de fou avec lui. À chaque fois qu’on a fait un morceau, c’était une dinguerie. Même les morceaux qui n’ont pas pété sont des dingueries à retardement, les gens vont se les prendre.
A : Donc il y a un projet en commun avec ISK dans la boîte ?
YL : Peut-être. Non je te dis la vérité, il n’est pas dans la boîte. Mais ça peut arriver à tout moment. Je reste ouvert. Et toi Kais [prénom d’ISK, NDLR] qu’est-ce que t’en dis ? [rires]
A : Vous venez tous les deux d’Air Bel, terre du rap marseillais assez forte. Est-ce qu’il y a une mentalité unique ?
YL : Oui clairement, je pense que tu as pu le remarquer. On est un peu le 9.1 de Marseille du fait de notre position géographique. On est au sud, il y a beaucoup de rappeurs. Je ne suis pas le plus conséquent. Il y a Naps, Kofs, Veazy qui a beaucoup traîné chez nous, Houari du Ghetto Phénomène, Jul qui est pas loin de chez nous qui avait son groupe avec un gars de notre quartier. Ces dernières années, on est assez conséquents. C’est pour ça que le 9.1 est la bonne comparaison.
A : Avec Sadek, j’ai l’impression que quand vous vous retrouvez, vous avez envie de faire la fête alors que vous êtes deux gros kickeurs. « Papicha » et « Stahraf » en featuring avec Heuss L’Enfoiré sont des morceaux très dansants. Comment se déroule une session studio entre vous deux ?
YL : On a fait deux titres dont un où ça kickait très très fort mais c’est le morceau festif qui nous a le plus parlé ! [rires] La dernière fois que j’étais en studio avec Sadek, c’était sur Paname pour régler les voix. C’était très carré. Sadek est sur quinze piges de carrière, il est arrivé, il a fait ce qu’il avait à faire. Mais pour le choix du son, on laisse la musique parler. Le deuxième titre que l’on a fait va peut-être figurer sur une compilation. Tu auras l’occasion de vérifier à quel point on a kické bien sombre !
A : On aime ça ici !
YL : C’est carré ! [rires] Mais il faut les deux mon frère. T’es là avec une petite papicha, tu veux lui mettre du sombre ou tu préfères passer une soirée un peu lumineuse, un peu festive ? Aujourd’hui, le rap est mainstream, c’est la nouvelle variet’. On donne à manger à tout le monde. Mais je ne te mens pas, je suis un peu un rat de la cité. La première fois que je suis allé en boîte de nuit, c’était en showcase. Nous, c’est comme DA Uzi : « Soirée des cités » ! [issu de l’album Architecte sorti en avril 2020, NDLR] [rires]
« On est un peu le 9.1 de Marseille du fait de notre position géographique. »
A : Dans ta musique tu cites souvent des figures historiques comme Mohamed Boudiaf, Houari Boumédiène, un de tes morceaux exclusifs porte le titre de « Thomas Sankara ». Qu’est-ce que représentent ces icônes pour toi et comment elles t’inspirent ?
YL : Si tu remarques bien, ça fait partie de mon style depuis le début. Parfois je remonte même jusqu’à l’antiquité. Là en l’occurrence, c’est des figures du siècle passé, le vingtième siècle, à l’époque des premières indépendances africaines. Tout dépend de ce que je veux illustrer par la punchline. Par exemple, si je veux illustrer l’intelligence et le courage politique : Thomas Sankara. Si je pars sur une prod énervée en mode découpage musical : Gengis Khan. Pour moi, c’est une figure de style de trouver la bonne figure historique qui va avec ta punchline.
A : Dans « LARLAR 8 (Ma 6-T A Cracker) » je te cite : « J’descends des vrais, des hommes qui ont manifesté à Sétif. » Qu’est-ce que cela a provoqué en toi ?
YL : L’éveil d’une certaine conscience politique et de la recherche historique parce que l’on apprend pas tout à l’école malheureusement. Il faut varier ses sources d’apprentissage.
A : « J’nique le game en indé’, en famille comme les Peaky Blinders. » Tu te reconnais dans quel personnage de la série ?
YL : Tommy, mais il n’a pas de cœur. J’aurais plus été un mélange d’Arthur et Tommy. Arthur, il a quand même un cœur, c’est un être humain mais je pense qu’on a tous été choqués par le personnage de Tommy Shelby.
A : Qui dit LARLAR (Part. 1) dit LARLAR (Part. 2) ?
YL : Oui. S’il y a deux forces, forcément elles s’opposent. C’est le yin et le yang. Je peux juste te dire que la deuxième partie répond bien à la première ! [rires]
A : Quelle est la suite pour toi ?
YL : Beaucoup de projets. J’ai vraiment énormément de projets musicaux, j’ai une dalle indescriptible. Jusqu’ici je n’ai pas eu l’occasion de faire une vraie tournée. Mes premières dates à l’époque de Confidences et Nyx & Érèbe, je les ai interrompues pour des histoires contractuelles. Quand j’ai pu ressortir des projets, on était en période de covid. Malheureusement, je n’ai toujours pas bien rencontré mon public. Ça va être la priorité en 2024 : aller rencontrer les vaillants. Ce sera ma première tournée ininterrompue parce que je faisais une date à Paris, une date à Marseille, une date à Quimper, après ça s’arrêtait pendant un an et demi parce que j’avais des histoires à régler, après c’était le covid donc des dates annulées.
A : Est-ce que le covid t’as beaucoup impacté ?
YL : C’est drôle ce que je vais te dire mais le premier confinement m’a fait du bien. Par rapport à la mixtape Vaillants, on était très connectés avec ma team sur les réseaux sociaux au point qu’ils ont même choisi les morceaux de la mixtape. Le deuxième a été beaucoup plus compliqué, on a eu beaucoup de perturbations comme dans pas mal de secteurs.
A : Après toutes ces péripéties, tu es en paix aujourd’hui ?
YL : Je suis un peu plus construit, un peu plus en paix. Je n’ai pas atteint le stade de Gandhi non plus. Je suis toujours un jeune dynamique d’un certain milieu social avec tout ce que ça implique. Je suis concentré sur mes projets. Le seul sentiment que je peux te retranscrire c’est la hâte ! J’ai hâte que ça sorte, j’ai hâte d’aller en tournée, j’ai hâte de combattre ! Je me suis entraîné dur !
Le succès de 13 Organisé et le triomphe au niveau national de Jul et SCH ont-t-ils conduit à multiplier les signatures de jeunes artistes marseillais ? Pas vraiment, mais l’un d’entre eux tire son épingle du jeu : So La Zone. Encouragé en détention par son « grand-frère » / producteur à se lancer plus sérieusement dans la musique, puis introduit par Soolking, il attire l’œil d’Henri Jamet (directeur d’AllPoints), qui voit en lui un style à part. Après le succès de « La Rue m’a eu », le jeune du porche de la Casté s’apprête, en janvier, à sortir son premier album. L’Abcdr revient avec lui sur ses débuts dans la musique, la création du label Ghetto Child Music en détention, son goût pour les guitares et les difficultés à rapper l’intime.
Abcdr du Son : Dans « Pare-balles », tu dis « il y a deux ans je faisais des freestyles dans une cellule. » Tu n’avais pas rappé avant ça ?
So La Zone : Si, mais c’était des freestyles d’enfant, pour passer le temps. Je suis né en 1999, le premier freestyle, j’ai dû le faire vers 2012, il n’avait pas de titre, je n’étais pas dans les temps et tout c’était n’importe quoi. [Rires] Le rap c’est parti d’un délire. Je ne me serais jamais imaginé là. J’écrivais dans mon coin, pour m’évader : si j’étais énervé, j’écrivais un texte pour me calmer. Je gardais un texte pendant six mois et je le ressortais, toujours le même. C’est vraiment en cellule que c’est devenu sérieux.
A : Tu t’es toujours appelé So La Zone ? Parce que tu as dû voir les blagues qu’on fait sur un autre rappeur qui s’appelle So La Lune, genre les auditeurs de So La Zone vendent à ceux de So La Lune…
SLZ : Oui il y avait même une image avec deux routes, une vers l’enfer et une vers le paradis, So La Zone et So La Lune. [Rires] Mais ça a toujours été So, le diminutif de mon prénom, et petit à petit on a ajouté « La Zone. » En fait ce n’est même pas un nom que j’ai choisi, on me l’a donné. C’est mon surnom.

(Bon en vrai, So La Lune c’est pas non plus la joie)
A : Comment ça se passe quand on rappe en cellule ? J’ai toujours cru que c’était un peu un mythe…
SLZ : Je ne vais pas te dire que je préférais, mais limite c’était mieux – pour ça en tout cas. Être en prison ça m’incitait à rapper avec plus de hargne, et faire plus de recherche dans l’écriture. J’avais tout mon temps, donc je pouvais me consacrer qu’à ça. Ce n’est pas un mythe les rappeurs qui écrivent en cellule, je ne suis pas le seul : Maes, ZKR, Sicario 78, ce sont des artistes qui l’ont fait. Rohff a écrit son album à Fresnes il me semble. En détention, il n’y a que toi, tu n’es jamais dérangé à droite à gauche, franchement la cellule pour écrire c’est un délire.
A : Dans le titre « Dans la cellule », tu dis « ma mère écoutait Balavoine sur une cassette violette. » C’est un vrai souvenir ?
SLZ : Oui ! Elle mettait la cassette dans sa Saxo, il fallait la retourner pour tout écouter. C’est fou, parce que je ne suis pas si vieux par rapport à d’autres ! Je n’ai pas été marqué que par Balavoine, Cabrel aussi m’a tarpin marqué. Mais je ne vais pas te dire ma préférée, déjà je t’ai dit Cabrel ça va me casser mon délire. Encore aujourd’hui ça m’arrive de chanter avec ma daronne. [Rires] C’est son époque en fait. Eminem aussi, elle m’a fait tremper dans ça. Ladjoint un jour d’ailleurs m’avait cramé : il m’a dit « oh t’aimes trop les guitares toi, tu écoutais Eminem quand tu étais petit ? »

A : Il l’a vu par les guitares ? Genre comme au début de « Lose Yourself » ?
SLZ : Oui, moi, pour une prod, il me faut toujours trois trucs: guitares, piano, violon. Ladjoint m’a grillé par rapport à mes goûts d’instru, et ma manière de rapper. Et c’est vrai, toute mon enfance je me suis tué à Eminem, parce que ma mère l’écoutait. 8 mile, j’ai dû le voir dix fois. Tout ce qui a un rapport avec le rap d’ailleurs, au ciné ou quoi, je suis plutôt renseigné.
A : C’est vrai que tu as un truc avec les instruments de musique, tu as un son qui s’appelle « Flûte ou guitare », un autre « Violon », à un moment tu dis « ça parle de guitare mais c’est des trompettes »…
SLZ : J’aime bien ces jeux de mots. À Marseille, on dit tu es une trompette pour dire que tu es une quiche quoi, les guitares ce sont les armes, etc. J’ai beaucoup joué sur ça, d’ailleurs au début l’album je voulais l’appeler Instruments. Parce qu’il y a des instruments dans la rue, et dans la musique. Mais c’était trop compliqué. Ça a été un putain de débat cette histoire, parce que je suis quelqu’un de très tête dure, et mon grand-frère il est pire que moi. [Rires] Quand je dis mon frère, je parle de mon producteur, avec qui j’étais en prison. C’est lui qui a eu un déclic. Il m’entendait faire mes freestyles d’en-haut, il n’arrêtait pas de me dire « arrête de crier, arrête de crier. » Lui il était au téléphone, il gérait des trucs importants et moi je faisais des freestyles. [Rires] C’est simple, tu as vu la scène dans Validé avec Bosh et Mastar, où il lui dit « tu rappes bien » ? C’est la même, sauf que j’étais en bas et lui en haut. Un jour, il me dit de descendre en promenade. Je me dis, ça y est, des problèmes, la bagarre. [Sourire] Et en fait, pas du tout : dans la semaine on a fait le label et on a signé un contrat ! Il a géré les papiers et j’ai trouvé le nom : Ghetto Child Music [à prononcer à la française]. Pour tout te dire, il a été créé en tickets PCS – la monnaie de la prison. Mais depuis, j’ai vraiment appris un truc : écouter les gens. Parfois, je kiffe un son mais je refuse de le sortir parce que les autres ne l’aiment pas. Quand j’ai essayé d’en faire qu’à ma tête, ça n’a pas souvent marché. Donc j’ai appris à faire confiance. Quand il m’a conseillé de l’appeler La rue m’a eu, je l’ai suivi. Parce que c’est plus près de la vérité, on comprend l’idée direct, il suffit de me voir. Instruments, c’était trop tiré par les cheveux.
A : Ladjoint a produit une grosse partie de tes sons, comment tu l’as rencontré ?
SLZ : En fait, je cassais les pieds à mon frère en lui demandant : « c’est qui « Skenawin [il imite le tag de Ladjoint] au début des instrus ? » Il m’a emmené le voir. C’est en allant au studio de Ladjoint que j’ai rappé pour la première fois avec un métronome. Ça a été d’une très grande aide pour construire les morceaux. Parce que parfois, je mets tellement de cœur à l’ouvrage, d’énergie, que je voulais trouver une technique pour me canaliser et rester bien dans les temps. Le métronome, ça a été l’astuce : Ladjoint me l’a mis une fois, deux fois, puis c’est devenu une habitude. Parce que je veux que le son sorte nickel, qu’il n’y ait pas une seule faute de frappe. Je l’utilise toujours à l’heure actuelle.
A : Tu vas faire comment pour tes premières scènes ?
SLZ : Dis-toi que j’ai déjà fait des scènes. Je sortais de prison, je n’avais pas un seul son sur YouTube, rien, que des freestyles Insta et là mon grand-frère m’envoie au Castellival ! [NDLR : festival gratuit organisé en plein cœur de la Castellane. L’Abcdr en parlait pour l’année 2019]. Je suis quand même monté sur scène, j’ai fait « Traceur », c’était cool. Mais évidemment, je ne peux pas garder le métronome sur scène. Jusqu’à présent je n’ai pas fait de gros concerts, je rappais sur mes sons, donc ça passe. Si je passe le cap supérieur… Il faut savoir être honnête dans la vie, je ne sais pas encore comment ça va se passer.
« Parfois, je mets tellement de cœur à l’ouvrage, d’énergie, que je voulais trouver une technique pour me canaliser et rester bien dans les temps. Le métronome, ça a été l’astuce. »
A : Le son que tu as fait sur la BO du film des Déguns, c’est Ladjoint aussi ?
SLZ : Oui je l’ai suivi. En général, il met les premières bases, les basses, puis je lui suggère mes idées progressivement, on travaille à deux. Sur celui-là, c’est lui qui a pris les directives parce que j’étais un peu perdu. On avait des contraintes pour ce titre : on devait parler de nos vies, un peu en positif, sans dire de gros mots parce que ça devait s’adresser à un très grand public pour le film… C’est compliqué pour moi de faire ce genre de sons. Mais c’est ça le travail : tu ne peux pas évoluer si tu ne te mets pas des contraintes. Il faut savoir se mettre un peu des bâtons dans les roues pour progresser.
A : Tu dis que c’est plus dur pour toi de faire des sons plus positifs, dans l’EP tu as des sons quand même un peu plus dansants, il y a même une prod un peu 2step pour le feat avec Bylk et Veazy.
SLZ : C’est un son dansant, mais qui se distingue du reste du rap marseillais, ce n’est pas un type-beat Jul. On a demandé le featuring, parce qu’évidemment, c’est des gars que j’écoutais plus jeune, Ghetto Phénomène. Et Veazy je le connaissais personnellement, via mon gars NIC – d’ailleurs NIC, s’il se concentrait sur la musique, il arracherait tout. Bref. Veazy, NIC et moi on avait déjà fait des sons vite fait, en mode calés, en fumette. Donc pour enregistrer ensemble, ça a glissé. Et même, je ne suis pas quelqu’un d’arrogant, qui prend de la place de base ; si tu viens me voir en studio ou ailleurs, c’est limite les autres qui me demandent de parler. Donc pas de souci en featuring, ou en travaillant avec d’autres beatmakers. À part Ladjoint, je travaille aussi avec Belo – qui est ingé mais aussi beatmaker, Wysko, et sûrement d’autres pour la suite.
A : C’est sur quel type de prod que tu te sens le mieux, où tu te dis « là, je fais du So La Zone » ?
SLZ : Les prods old-school. Pas forcément accélérées d’ailleurs, je ne suis pas trop dans le délire rap marseillais actuel en vrai, je suis plus dans le délire des anciens. Niro, SCH [il voit ma tête]… SCH attends c’est un ancien l’air de rien ! En fait, il maîtrise les deux, sons à l’ancienne et sons nouveaux. Je l’écoute beaucoup, avec Niro, parce qu’ils n’ont pas le même rapport au vécu. Mais ils ont un don. Niro, c’est le meilleur rappeur français pour moi. Ce serait eux, mes featurings de rêve – le rêve du rêve, ce serait les deux en même temps sur le son. Mais ça ne sera pas tout de suite, encore deux ou trois ans, sinon l’un comme l’autre, ils vont m’attraper et me secouer dans le son. [Rires]
A : Tu commences par plusieurs séries de freestyles, dont l’une qui marchera bien, « Rentre dans le porche. » Cette manière de commencer par des freestyles avant de faire des sons ouverts, c’est une trajectoire récurrente chez les rappeurs marseillais (et pas que)…
SLZ : Le porche, oui, c’est un lieu de mon quartier, où je traînais souvent, un peu à l’abri des regards, d’où le nom de la série de freestyles. Tu ne peux pas arriver avec un son paisible. C’est impossible. C’est comme si à l’heure actuelle, j’envoyais un son de gadjis. Ça me ridiculiserait. Pour avoir une carrière de rappeur, il faut d’abord construire son image, montrer qu’on est là, déterminé, qu’on en veut, et ensuite on peut se permettre l’ouverture. Une fois que tu as une fanbase bien constituée, qui t’accepte comme tu es. Et encore, même après mes freestyles, il y a des sons que tout le monde n’a pas acceptés. « Dans le game » par exemple, ça a été dur. Parce qu’on est arrivés trop vite avec ça. Les gens me clashaient genre « qu’est-ce que tu nous fais là » – clasher, c’est un bien grand mot, mais c’était genre : « reste dans le rap. » On est donc revenus avec du vrai So La Zone, et j’ai fini par trouver une faille : une faille dans laquelle je peux m’ouvrir, tout en restant dans la rue. « La rue m’a eu », je pense que c’est un son où j’ai réussi à tenir cet équilibre. Je raconte la réalité, la rue, mais pourtant, musicalement, c’est ouvert : ma mère le chante ! « Pushka » aussi. Sur celui-là, Graya m’a aidé sur la mélo, il est fort sur ça.
« Pour avoir une carrière de rappeur, il faut d’abord construire son image, montrer qu’on est là, déterminé, qu’on en veut, et ensuite on peut se permettre l’ouverture. »
A : Tu peux revenir justement sur la conception de ce son, « La rue m’a eu » ?
SLZ : C’est un son que j’avais fait sur un coup de tête, l’ingé l’avait zappé. Et mon frère me l’a ressorti un an après. Encore lui ! [Rire] À ce moment-là, la guitare c’est moi qui l’avais demandée à Ladjoint – maintenant, il me connaît, même à distance quand je veux un son il va me mettre de la guitare. Je suis très content de ce son, mais celui dont je suis le plus fier pour l’instant c’est « Dans la ville. » Parce que j’ai tout géré pour celui-là, de l’écriture au clip. J’ai géré les caméramans, l’ouverture des quartiers, des charbons, en appelant des contacts, le montage aussi, de A à Z. C’est le clip dans lequel j’ai mis le plus de cœur. C’est dans ce sens que c’est le morceau dont je suis le plus fier ; mais mon préféré musicalement, c’est « Pare-balles ».
A : Quand est-ce que tu signes le contrat de distribution chez AllPoints, et qu’est-ce qui fait selon toi qu’on te repère ?
SLZ : On l’a signé récemment là, en 2023. En vrai, c’est parce que je suis moi-même. Les gens aiment aussi bien dire que je pue la rue, c’est un petit peu vrai, je suis cramé, avec ma dégaine et tout, mais je ne vais pas le revendiquer. Le fait que je ne mente pas aussi dans mes sons, c’est la stricte réalité. Enfin, il y a des choses, ce n’est pas forcément à moi qu’elles me sont arrivées, mais ça peut être la vie de mes frères. C’est soit moi, soit mes frères. On a réussi à se démarquer parce qu’on a montré qu’on était déterminés. On a mis deux ans avant de faire un feat, avec TK. On n’a pas spécialement démarché côté niveau maisons de disque, on a juste montré qu’on avait faim. Mais tout ça, c’est mon grand-frère qui gère, c’est lui la tête. Moi je m’éparpille. Lui, il a les idées : il m’a dit de bien m’occuper de mes réseaux aussi. Si tu remarques bien, je suis très proche de ma communauté : je prends le temps de leur répondre tous les jours, sur Snap par exemple [il montre son téléphone] : regarde, il n’y pas beaucoup de messages auxquels je ne réponds pas. C’est quelque chose que je compte garder, même avec plus d’audience. Tous les dimanches, je fais des dédicaces par exemple. C’est ma journée dédicace.
A : Est-ce que tu penses que le succès de Jul, SCH ces dernières années ont joué ? Quelques années auparavant, le rap marseillais était plutôt mis à l’écart…
SLZ : Non, parce qu’on est toujours mis à l’écart pour moi, les Marseillais. On parlait de ça avec TK hier ou avant-hier, regarde juste à Sevran combien de rappeurs sont signés et tarpin connus : Maes, Kalash Criminel, les gars de 13 Block, Da Uzi, Kaaris… Rien que ça ! À Paris, tous les petits jeunes en pleine expansion sont signés, même si c’est un petit contrat. Marseille, on n’a pas cette chance-là.
« NIC, s’il se concentrait sur la musique, il arracherait tout. »
A : Il y a un feat qui m’a marqué, c’est « Violon »…
SLZ : Avec Vlospa ? Lui-aussi, c’est grâce à mon grand-frère. C’est lui qui a commencé à me faire écouter cet artiste. En fait, c’est un So La Zone grec ; et personne n’avait encore fait dans le rap français un featuring avec un Grec. J’avais la pression sur ce son, il fallait que je donne tout. Donc j’ai tenu à jouer avec les références à la mythologie et l’histoire grecques. J’ai eu l’idée d’ouvrir le son sur un dialogue du film 300, avec Leonidas, j’étais à fond. Le jour où on a écrit, j’avais fait le vicieux. Renaud, le petit-frère, le bras droit de Ladjoint dont je suis très proche, c’est un gars qui a tout le temps la tête dans les livres. Avant d’enregistrer le feat, je lui ai demandé de m’envoyer douze références grecques. Il m’a parlé d’Aphrodite et de Pénélope, de Socrate, j’ai rajouté ce que j’avais appris au collège sur le cheval de Troie. Cette histoire m’avait pas mal marqué en vrai, c’est un vice de bâtard ce qu’ils ont fait ce jour-là les Grecs… [Rire]
A : YL faisait ça aussi, une comparaison un peu entre son vécu de jeune de quartier et les mythes grecs. Il rappait « mon petit-frère a mis en cloque ta petite sœur, je vais le venger comme le Prince Hector », ça faisait référence à la guerre de Troie aussi, comme à une embrouille qui peut exister ici…
SLZ : Tu sais ce que c’est la différence entre ces gens et moi ? C’est qu’eux, ils ouvrent les livres. Moi c’est un problème que j’ai, ça. Je n’ouvre pas les livres. Tout ce que j’ai appris, je l’ai appris en écoutant : des discussions à gauche, à droite, dans des débats. Si j’entends un truc qui me parle, je vais me renseigner ; si je ne comprends pas un mot, je n’ai pas peur de demander ce que ça veut dire. J’apprends des choses tous les jours, et avec les débats qu’on a fait en prison, je suis capable de te parler de tout et de rien. Mais ceux qui arrivent à ouvrir les livres ont un avantage. Moi c’est ça me tue, j’y arrive pas. Parfois je me dis que si j’avais réussi à le faire, j’aurais encore plus d’identité que ce que j’ai déjà dans la musique. Que ce soit au niveau culturel, au niveau du lexique, je serais encore un niveau au-dessus. Mais c’est trop dur les livres, je ne suis pas du tout patient, c’est ça depuis mon adolescence. Même un film… Tu vois pas là déjà, je tiens pas en place, je bouge les jambes et tout ?
A : Mais tu arrives à te concentrer suffisamment longtemps pour écrire un son ?
SLZ : Il y a des sons que je vais écrire en trente minutes en entier, comme « La rue m’a eu », et parfois, quatre phrases que je vais écrire en six jours. Mais les meilleurs sont ceux sur lesquels je reviens. Ceux que je peux peaufiner, améliorer petit à petit, comme « Pare-balles » ou « Dans la ville » parce que c’est une vraie histoire que je raconte.
A : Il y a un thème qui revient souvent, c’est la froideur, le côté « cœur fissuré. » Est-ce que c’est dans cet état d’esprit que tu rappes ?
SLZ : En fait, je suis vraiment comme ça. Là c’est une interview, mais en vrai… Je t’ai dit, si je suis quelque part où je ne connais personne, je ne parle même pas. Je suis tarpin froid. Mon regard peut vite changer, aussi. Avec les gens que j’aime bien, je suis normal, mais en temps normal, c’est très dur pour moi de m’ouvrir. Si je n’ai pas le choix, comme là en interview, je vais m’ouvrir, mais je vais toujours faire attention.
A : Ce côté très froid des rapports humains, on le retrouve aussi dans la manière dont les femmes apparaissent dans ta musique. Elles-aussi elles sont sans sentiments, elles se vendent, elles trompent…
SLZ : Je vais te dire un truc direct, j’ai été autant déçu par les hommes que par les femmes. Que ce soit ça amicalement, amoureusement, dans la famille, j’ai été trahi partout. Donc je me dis maintenant : pas de sentiment, besoin de personne. Et je ne te mens pas, c’est bien mieux comme ça. Comme ça, tu n’as pas de compte à rendre. Je suis très solitaire. Ce qui peut énerver les gens des fois, c’est que je passe trois jours complets avec eux, puis plus de nouvelles. Mais je n’y arrive pas, il faut que je sois seul, j’ai besoin de la solitude. Ce qui est bien pour écrire mais… ça dépend, des fois, c’est bien aussi de rencontrer des gens, de parler avec eux, tu peux tomber sur un mot, une nouvelle façon de dire les choses qui vont te faire rapper un truc différemment.
« C’est très dur pour moi de m’ouvrir. »
A : Il y a un côté précis, détaillé dans ta musique, comme tu dis, elle colle à la réalité. Par exemple, dans « GAV », on entend ton nom à l’état civil. Comment tu gères ça, la frontière entre la vie réelle et la musique ?
SLZ : Déjà, je fais attention de ne pas exposer les autres. Moi, on me voit, mais pas les autres – à l’exception de mon petit-frère, il a la même tête que moi, on s’en est même servi et c’est son petit kiff. Mais sinon, tu verras, je n’affiche pas ma vie privée, ni ma mère, c’est très rare que je montre chez moi. Même au quotidien, je sors de l’immeuble capuché, je rentre pareil, alors que je suis dans un quartier où je connais tout le monde. Mais c’est vrai que dans le rap, il y a des trucs à dire et d’autres à ne pas dire. On a fait le texte de remerciements pour l’album, il y a des noms que j’ai fait sauter. Parce qu’il y a des gens, personne n’a à savoir qu’ils ont un lien avec moi, c’est leur vie privée. Il y a des couplets voire des sons que j’ai commencé à écrire où j’estimais que je déclarais trop de trucs, que j’ai effacés entièrement. Puis je reviens en arrière, et je réécris. Un son où je me livre complètement, je n’ai pas encore réussi à le faire. Je voulais le faire sur l’instru d’Eminem là [probablement celle de « Lose Yourself », NDLR], un peu dans le style du dernier son de Rémy où il parle de Mac Tyer, mais à chaque fois que j’essaye, je bloque au bout de deux phrases. Si tu remarques bien, quand je raconte ma vie… Je raconte surtout les conneries, ce qu’on a fait, comment on a réussi à se relever. Mais je ne vais pas parler des choses vraiment personnelles. Par exemple, j’ai fait un son pour ma petite sœur : je l’ai envoyé à elle, et c’est tout, il ne sortira jamais.
A : L’autre grand thème qui traverse ta musique, c’est le thème d’ascension sociale, « de la cellule au château. »
SLZ : C’est la vérité, c’est mon but. Quand je dis un « château », ça peut être une putain de baraque dans un autre pays. C’est le symbole de la réussite. Avec l’album qui sort au début de l’année prochaine, c’est une nouvelle page qui se tourne. Il y a un méchant concept. Que je dois encore à mon grand-frère ! [Rires] Pour la suite, j’espère pouvoir faire un son avec une violoniste, qui vient souvent ici [le restaurant où nous sommes, derrière le Vieux Port de Marseille], un ami à moi pianiste de la Castellane et un ingé son ami à Graya, qui est guitariste. Mon but serait de faire un trio pour un son, voire faire un clip, avec ces trois musiciens, ces trois instruments indispensables à ma musique. Par contre pour ce morceau, je n’aurai pas le choix : il faudra cette fois que je me livre vraiment !
KOFS a récupéré du personnage de Réda – le « méchant » de Chouf – le charisme sombre, de la variet – qu’il écoute selon ses dires encore plus que le rap français – la « voix à Garou » et de son clippeur Comm, fatigué des « clips de cité », la veste en cuir et l’univers gothico-complotiste. Quelques accusations de satanisme plus tard, le rappeur sort un album étonnamment diversifié, mais sans le moindre travestissement. La musique et la religion, les femmes et les armes, la violence et les valeurs : KOFS affronte les contradictions aussi brutalement que les prods. « Mon plus grand péché cette année c’est mon album », l’intro annonce, frontale, la couleur. Et l’homme est le même dans la vie comme sur disque, nulle esquive, ni condescendance ni mépris envers la personne qu’il a en face de lui. Au fur et à mesure de la rencontre avec Foued Nabba se dégage un mélange de gamberge et de spontanéité. Et surtout, une profonde humanité, qui donnerait presque tort à tout le propos pessimiste de son album.
Images
Abcdr du son: Je voulais commencer par le moment Chouf dans ta carrière. Au début tu ne devais faire que la BO du film, puis tu as obtenu le rôle de Réda, l’un des rôles principaux, douze jours avant le tournage paraît-il…
KOFS : Karim Dridi m’appelle effectivement pour la BO et le jour où on enregistre au studio, il me dit : « pourquoi tu ne participes pas au casting ? » Je ne suis pas bête, j’y vais. J’avais faim, je voulais absolument jouer. Karim a kiffé direct ma manière de faire, il me faisait passer des castings avec des mecs, je ne vais pas donner de noms, mais c’était des stars pour moi. Et un jour, il avait sélectionné huit personnes, il fait une réunion dans un théâtre et annonce que personne n’est sûr de rester dans le film. Je suis le seul qui suis resté.
A: Il dit en effet dans une interview que l’acteur qui devait jouer Réda, Ali Bougheraba [comédien et metteur en scène marseillais, NDLR] te demandait même des conseils.
K: Alors, il ne faut pas que ce soit mal interprété : c’est vrai, mais moi aussi je lui demandais des conseils. J’étais super content quand je suis arrivé et qu’il jouait ce personnage, je devais alors jouer son bras droit, et j’étais dans l’état d’esprit : chacun son rôle. Mais quand je jouais ce rôle de bras droit, Rachid, c’est comme si… j’avais enfilé un costume trop serré. Je n’arrivais pas à jouer comme je voulais. Je n’arrivais pas à être « sous » lui. Dès qu’ils m’ont fait passer de Rachid [joué finalement par Oussagaza, un autre rappeur d’Air Bel, NDLR] à Réda, je me sentais beaucoup mieux. Mais il faut savoir que j’ai beaucoup appris de lui, j’aimais beaucoup le regarder jouer Réda pour ensuite le réinterpréter à ma façon. Sauf qu’aux yeux de Karim, j’amenais quelque chose de plus crédible.
A: Tu as pensé quoi du film en définitive ?
K: Mais il est extraordinaire. Je ne m’y attendais pas. La première fois que je l’ai vu, c’était au festival de Cannes et j’ai réalisé à quel point le travail avait payé, et ce grâce à Karim. On m’avait déjà dit : « Karim ce n’est pas le plus gentil, mais dans le travail, c’est le plus fort. » J’ai compris de quoi il parlait par la suite. À un moment donné, il a son caractère, mais on ne peut rien lui reprocher en termes de taf. Ses acteurs, il les aime pendant le tournage. C’est plus qu’un réalisateur, il va te manager, rentrer dans ton cerveau… Si on a tous bien joué dans Chouf, crois-moi, c’est grâce à lui. Il a un truc dans le cinéma que j’aime beaucoup, parce que j’ai la même chose dans la musique, qui est qu’il ne baisse jamais son froc. Je l’ai déjà vu dans un festival refuser de passer son film parce que l’équipe ne voulait pas qu’il monte le son à un moment du film, l’intro avec la chanson de Casey. C’était tellement un ouf qu’il le montait lui-même dans la salle, pendant la projection. Après c’est peut-être ça qui le plombe dans le cinéma, le fait qu’il s’en batte les couilles.
A: C’est le prix de l’intégrité ! Dans quelle mesure cette expérience au cinéma a joué sur ton rap ensuite ?
K: Ça m’a permis de plus m’assumer, cinématographiquement parlant. Dans la musique, que tu le veuilles ou non, il y a de plus en plus de cinéma, avec les clips. Ça m’a fait me dire : ça reste des images, du cinéma justement, donc si j’ai envie de clipper dans un cimetière, dans une église, je le fais. Parce que quand on vient de quartier, on a des limites dans nos têtes : il ne faudrait pas rentrer ou clipper dans ces endroits. Le fait d’être passé par le cinéma m’a fait aller au-delà de ces limites.
A: C’est vrai qu’il y a ces dernières années dans tes clips cet imaginaire visuel des films d’horreurs, dans « Paradis » par exemple, ça vient de Comm ou de toi ?
K: Je sortais du cinéma, j’ai essayé de faire des clips plus classiques et ça ne collait pas. On m’a alors présenté Comm, qui est aujourd’hui mon clippeur. On partageait la même vision des choses : je voulais poursuivre ma lancée « cinéma », et Comm en avait marre des clips « cité. » C’est trop facile pour moi aujourd’hui de rapper avec trente personnes derrière. Il m’a carrément donné une liste de films et de livres à lire : je devais regarder Constantine et lire Le Prince de Machiavel.
Comm : L’idée avec Le Prince c’était de le placer dans un état d’esprit où il s’assume. Qu’il se conditionne en mode tueur. Même s’il vient du cinéma, dans le rap tu ne peux pas inventer complètement un personnage, tu ne peux que grossir des traits. Je lui ai fait lire Machiavel pour qu’il prenne entièrement parti dans ce qu’il fait. Le problème dans le rap aujourd’hui c’est que les artistes deviennent souvent des parodies d’eux-mêmes. KOFS m’a dit : je vis dans le quartier, je ne vais pas répéter dans mes clips ce que je dis déjà dans ma musique. C’est cette répétition qui est parodique. Il fallait donc trouver un imaginaire qui permette de mieux comprendre sa musique tout en étant un peu en décalage.
A: Il y a eu le virage Sofiane avec la série #JeSuisPasséChezSo, où il a redonné une visibilité, au niveau « national », à ce type de clips dont vous vouliez vous éloigner.
K: Mais lui, il l’a ramené à l’extrême, et il l’a bien fait ! Elle est importante cette idée d’extrême. Sofiane a été une des causes : il le fait très bien, pourquoi le faire aussi ? Et il est humainement comme ça, il est dans le partage. Moi je ne suis pas dans le mélange. Sofiane est très sociable : quand il arrive avec douze milles personnes autour de lui, ce n’est pas hypocrite. D’ailleurs si ça a marché pour lui, c’est parce qu’il est comme ça. Si tu t’inventes, ça ne marche pas. Pour moi, c’était pareil, on a essayé d’apporter un nouvel extrême. Un mois après, on clippe « Paradis » dans des endroits que je trouve cinématographiquement trop beaux – les églises obscures, les tombes sous le soleil. Le soir-même de sa sortie, Comm me dit : « j’ai déjà la vision pour le deuxième. Au troisième, on se fait contacter par des maisons de disque. » C’est ce qu’il s’est passé par A+B.
A: Le deuxième c’est « Maître Cohen », et on voit Marteau [personnage de Chouf joué par Zine Darar, NDLR] et Oussagaza, un autre rappeur-acteur d’Air Bel puisque vous étiez ensemble dans le groupe 11.43.
K: C’est vrai, après tu sais comment c’est dans la musique, aucun groupe ne tient. J’avais une vision des choses différente des leurs, j’ai décidé de faire ma musique seul. Ils n’auraient peut-être pas assumé mon bad buzz. Parce que quand j’ai lancé mon premier clip, tout le monde a dit « c’est un bad buzz », avec accusations de satanisme etc. Donc nous sommes toujours en bons termes, mais rapper en groupe, je le faisais depuis mes quatorze ans, j’avais besoin d’autre chose.
Air Bel
A: Aujourd’hui vous avez pris des virages musicaux très différents pour ceux qu’on connaît [Naps, Sidouh, Sahim, Oussagaza, YL etc., NDLR] alors que vous venez tous du même endroit. Air Bel ferait presque penser à des quartiers comme le Pont de Sèvres à une époque, avec une concentration dense de rappeurs au mètre carré. Comment tu expliques ça ?
K: En fait, le rap à Marseille a été divisé en trois périodes et trois secteurs. Le centre ville pour IAM, la FF ; puis les quartiers nord avec Black Marché, Kalif etc., mais ça ne prenait pas tant que ça. Puis il y a eu la clé JuL. Quand il arrive, il prend la relève des quartiers nord, et dirige le regard vers le sud. On ne fait pas du tout la même musique, mais je n’oublie pas que la caméra tournée vers nous, les quartiers sud, c’est lui qui l’a ramenée en premier. Pour en revenir à Air Bel, on est un quartier où il y a beaucoup de talents tout simplement parce qu’on a travaillé pendant longtemps. Comme des chiens. Naps et moi, on a négligé nos vies pour ça.
A: Vous disiez même 11.43, « onze crois-en toi. »
K: Oui, c’était le message. Et regarde aujourd’hui ça a fini onze « croix-retournée-sataniste » dans mes clips. [Rires] Il n’y a pas que le rap d’ailleurs, il y avait le foot aussi, avec Yannick Sagbo [attaquant international ivoirien, formé au Sporting Club d’Air Bel, NDLR], son grand-frère, Guy Demel… Et Patrick Fiori au début. [Qui a fait un featuring avec Soprano « Chez nous (Plan d’Aou, Air Bel) » NDLR] À Air Bel, on était un concentré d’artistes, mais jamais dans la lumière. Le déclic c’est JuL, le premier à péter dans les quartiers sud.
A: Ça fait plaisir de l’entendre. Mais dans la période quartiers nord, tu as zappé mais c’était Psy4 surtout !
K: Je l’ai pas zappé, c’est qu’eux c’était encore plus chaud parce qu’ils ont existé en même temps que la FF. Je croyais même que c’était des mecs du centre ville quand j’étais jeune. Et tu ne peux pas les situer, parce que Soprano, Alonzo ils existent toujours. Vincenzo aussi, dans un autre domaine et qu’on ne cite pas assez. Vincenzo je le kiffe, mais le monde de la musique est dur. Si tu ne te mets pas dans certains codes, les gens ne le suivent pas. Il a voulu rester lui-même et ils n’ont pas suivi. Il a été un peu méprisé.
A: Un peu comme Menzo de la FF, dans un autre style.
K: [Brusquement] Menzo ? Tu veux que je te dise un truc ? Menzo c’est le meilleur. Quand j’étais jeune et jusqu’à maintenant quand j’écoute les projets de la FF, si je te dis que pour moi c’est le plus fort ?
A: … Tu es le premier que j’entends dire ça.
K: Je sais. Désolé. Mais Menzo, il rappait ma vie. Trop bien. Menzo à Marseille c’était… une dinguerie. Encore aujourd’hui, je l’ai croisé sur un chantier récemment, et je n’ai pas eu la gamberge de lui dire. J’aurais dû. En vrai, tu vas me dire Luciano, je l’ai dit quand j’étais plus jeune, mais c’était parce que je voulais faire comme tout le monde. On va pas se mentir. [Il sourit à Lars-N] Mon ingé son a envie de me cracher dessus là. [Rires] Sat et Don Cho, je les kiffe tous, mais le fait que tout le monde disait que Menzo était le plus nul, ça m’a encore plus donné envie de dire que c’était mon préféré.
A: Pour revenir à Psy4, je pensais à un son comme « Secrétaire » où tu as la même énergie qu’un Alonzo qui rappe, l’humour aussi, tu ouvres le morceau avec « Je suis devenu obèse avec des miettes », je me demandais si c’était une influence pour ta musique.
K: Pour les miettes, c’est parce qu’elles sont trop souvent méprisées. C’est une réponse à ces gens, leur dire : « nous on a construit des repas avec des miettes, des festins même. » Avec presque rien. Et pour Alonzo : ce n’est pas pour la musique, c’est pour la vie. Depuis que je suis dans le rap on va dire… « Confirmé dans la street » c’est lui qui m’a présenté avec le son « Trakeur » sur Capo dei Capi. Même mon manager m’a découvert avec ça. C’est beau ! On reste souvent tous les deux, on va en studio ensemble, donc il est possible que musicalement parlant, ça se ressemble. Si je ressemble à mon frère, tant mieux. C’est pas comme si tu m’avais dit que je ressemblais au facteur. C’est logique, c’est touchant.
Violence, vécu, voix
A: Pour parler de ton album, mais toujours de cinéma, tu l’appelles V, tu connais V pour Vendetta, notamment la tirade où il se présente avec une allitération en v ?
K: Je vais te dire un vrai truc. J’annonce la sortie de mon album, avec la pochette. Et là Zaka [Zaka 2054, producteur marseillais, chef de projet d’Alonzo, NDLR] nous envoie la tirade, en disant « oh, bien joué ! » Je la montre à Comm puisqu’on a trouvé le titre ensemble : on a halluciné, parce qu’on n’avait jamais vu ce film. Il a vieilli un peu, mais avec le temps, j’ai kiffé cette tirade. C’est le même concept ici. Pour la pochette de Fifou, on a pris deux personnes qu’on a immolées pour avoir cet effet de feu et former un V avec leurs bras. Ce n’est pas moi, je n’ai pas voulu prendre le risque. [Rires] On voulait un titre global, et, surtout, se différencier. Je crois que ce qu’on déteste le plus avec Comm, c’est de faire comme les autres. Quand il m’a proposé « V », je me suis dit : je n’ai jamais vu un titre d’album avec une lettre, donc j’ai accepté.
Comm : On ne voulait pas un mot qui ferme l’album dans une seule direction – du genre « Violence » qui est un des morceaux, il y a trop d’émotions différentes sur l’album, il fallait un titre plus ouvert. La violence, la vengeance, la rancœur, les valeurs : quand tu vois la cover, tu peux t’attendre à ce que tout soit traité, et tu ne sais pas exactement comment.
A: Le refrain de « Violence », le premier titre dévoilé de l’album, joue complètement avec les représentations qu’on a des rappeurs comme gens violents justement.
K: Quand nous, on porte une kalash dans un clip, c’est vu comme de la violence, quand c’est Tony Montana qui s’en met plein le nez dans un film, c’est de l’art. Mais nous, on se revendique vrais. Donc à un moment donné, il ne faut pas te plaindre. À longueur de journée tu dis « oui on vend la pure, oui on les fume », pourquoi tu veux que ce soit pris comme un film ? C’est un film dans ce cas-là. Je vais te donner mon avis personnel : si je sors la kalash plus souvent, c’est que j’ai eu une vie qui m’a fait le faire. Je rappe mon vécu c’est tout. Tu vas parler à n’importe quel rappeur il te dira pareil : dans ce cas-là, pourquoi tu viens te plaindre, si c’est ton vécu ? Tu dis que c’est ta vie et tu veux qu’on le prenne pour un film. Moi je ne me plains pas. On me dit que je suis violent, je dis : oui je suis violent. On me dit que je suis un vendeur de drogue, je dis : oui je suis un vendeur de drogue. Je le dis dans ma musique !
« On me dit que je suis violent, je dis : oui je suis violent. On me dit que je suis un vendeur de drogue, je dis : oui je suis un vendeur de drogue. Je le dis dans ma musique ! »
A: Tu as dit dans une interview que tu écris avant d’entendre la musique, que c’est surtout ton vécu qui déclenche ton écriture, pas la prod, c’est ça ?
K: Non tu comprends rien toi. [Rires] Ce que je voulais dire, c’était que les punchlines que j’estime les plus fortes, ce sont celles que j’ai déjà dans la tête. Mes formules les plus percutantes je ne les trouve jamais en studio. Par contre, je peux être en train parler avec Comm et Lars-N et d’un coup : je la prononce, je leur dis. Je ne la note même pas, elle était en moi, elle le reste. Par exemple quand je dis dans « Eau froide » : « je me méfie des gens comme toi j’oublie pas que la vodka a la couleur de l’eau », je savais que j’allais le dire. Je l’ai compris en voyant de la vodka, en me disant « même couleur, c’est traître » et j’ai fait le lien. Une autre qui m’est venue comme ça c’est « Quand vous me dites les meilleurs partent les premiers dois-je comprendre que le Seigneur est mauvais ? » Cette phrase-là, elle m’a régalée parce que j’ai confirmé les affirmations des haters qui me prennent pour un sataniste. J’ai juste posé une question ! C’est vous qui dites ça, est-ce que vous sous-entendez que Dieu est mauvais alors ? Cette question est une réponse en même temps : évidemment que non, Dieu n’est pas mauvais. Alors arrêtez avec cette interprétation de merde. C’est ça que je voulais dire sur Rapélite : ce sont des phrases que j’ai déjà dans la tête, qui me sont venues ailleurs de la musique.
A: L’album frappe surtout par l’évolution qu’il marque avec tes précédents projets, il y a une très forte diversification du flow, des sonorités. Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
K: En fait, cette musique-là, je savais déjà la faire. Mais dans ce milieu, il faut savoir qu’il y a un phénomène de « fausse progression. » J’explique : quand tu es dans le rap, même les mecs qui savent chanter, ils vont commencer par rapper des trucs hardcore. Parce que le rap vient de la rue, donc tu dois commencer par la rue. Tu regardes le Soprano de Street Skillz, il n’y a personne qui kicke comme lui. Alonzo, pareil, avant qu’il arrive à « Papa allô. » Ce cheminement est obligatoire, sinon tu es un rappeur à buzz. Faire des morceaux plus ouverts, commerciaux comme ils disent, je savais le faire, mais il y a un temps pour tout. D’abord, on se met en mode violence. Puis pour cet album, je voulais surprendre en prenant le contre-pied. Mais, c’est important : je ne voulais pas me travestir malgré cette ouverture.
A: Oui, le risque de la diversification, ce n’est pas aussi de perdre son originalité, dans un rap qui a parfois tendance à s’uniformiser ? Quand tu dis « moins d’ennemis que de remix de Bella Ciao ». [Rires]
K: Non, je reste moi-même, par les images, les thèmes, ma manière de le dire.
A: Et ta voix ? « J’ai volé la voix à Garou » tu dis, c’est à cause de cette voix si particulière qu’il n’y a que Lars-N qui peut t’enregistrer ?
K : Oui c’est à cause de ma voix, très grave. Même des gars que je payais quatre ou cinq fois plus que lui, qui étaient reconnus par tout le monde du rap, ils n’arrivaient pas à m’enregistrer aussi bien que Lars-N. Il n’y a que lui qui arrive à taper dans ce que je veux exactement : garder un rendu assez brut, mais avec quelques effets, qui jouent beaucoup. Et il est réceptif, il a des idées. Quand j’enregistre un morceau, je fais la réalisation finale avec Comm, mais la base c’est avec Lars-N. Je commence à écrire quatre mesures, et si ça pue la merde il va me dire laisse tomber. Direct.
A: C’est vrai que dans ton album, même si tu en avais utilisé avant, il y a beaucoup d’auto-tune surtout sur les refrains, avec ta voix ça doit être une galère pour les ingés.
K: Exact. L’auto-tune c’est fait pour les voix douces. Et les gens qui chantent faux surtout. Or j’ai certaines notions en chant, je chante juste, ce qui fait que tu ne l’entends pas parfois, ça m’handicape pour les effets que je veux obtenir. Mais ça, c’était avant Lars-N. Maintenant l’auto-tune je le drive, c’est un jouet. Par contre dans d’autres studios, chez Kore par exemple quand on a enregistré « 9 milli » [featuring avec Sadek sur la BO de Taxi 5, NLDR] j’ai galéré. Il s’est dit « KOFS, l’auto-tune il ne sait pas l’utiliser », là où Lars-N sait gérer une foule de petits détails, comme mettre le son plus fort à des moments, etc. Kore est plus habitué à produire des rappeurs qui ont la voix douce. Sauf Lacrim qui a la voix très rauque, et qu’il gère super bien d’ailleurs. Je ne sais pas pourquoi moi il n’y arrive pas du coup. Peut-être que je suis ingérable. [Rires]
A: Tu dis que tu as des bases en chant, tu as pris des cours ?
K: Je suis autodidacte, j’ai des bases dans le sens où j’arrive à tenir des notes sans auto-tune, dans le grave hein, je ne monte jamais dans l’aigu. Il faut savoir qu’à l’origine je suis d’une génération de rap qui n’avait pas cet instrument. Donc à un moment donné de ma carrière, j’ai dû faire sans – tu caches un peu les défauts avec la reverb et certains effets, mais c’est tout. J’ai appris sur le tas, tu es obligé au début, tu n’as pas de studio. L’exemple que j’ai souvent en tête, c’est Soprano : c’est le premier à avoir assumé d’introduire du chant dans le rap. Au début, tout le monde le critiquait, en associant le chant à du « commercial. » Aujourd’hui tout est commercial, mais avant il y avait beaucoup cette idée que si tu chantes, t’es « commercial », tu te rappelles ? Il a assumé, il a continué, et ce que tout le monde fait aujourd’hui, il l’a fait il y a des années.
A: En plus il l’a fait à un moment où ce n’était pas du tout légitime parce que c’était vu comme un truc de meuf de chanter.
K: De ouf. Il a assumé. Quand tu sais ce que tu es de toutes façons, tu t’en fous. Je pense que j’aurais fait comme lui.
« Un DZ bosniaque »
A: C’est marrant, SCH sa référence c’est l’Italie, toi c’est plutôt les pays de l’Est. Dès « Eau froide » tu as une phrase pas mal : « Frère je ne comprends pas dis-moi ce qu’on a tous à sucer Poutine. »
K: Je trouvais qu’il revenait énormément dans les morceaux de rap. Les rappeurs en parlaient comme si c’était leur gars, alors qu’ils ne connaissaient R à la politique. « Oui Poutine, c’est un vrai » etc. Mais les gars vous ne savez pas ce qu’il a fait ! En fait je pense que ça vient de l’époque où dans les quartiers, on détestait tous Sarko. Poutine l’avait défoncé à ce moment, ça nous a fait tous plaisir. Après ce côté lâche je n’aime pas forcément, parce que ça reste le président de leur pays.
A: Ouais bon après Sarko…
K: Oui qu’il aille niquer tous ses morts, mais ça reste notre pays quand même, on ne peut pas être Français quand on veut. Mais bref, je trouvais que ça revenait beaucoup dans le rap « ouais j’ai la kalash à Poutine » etc. Même moi je l’ai dit. D’ailleurs je ne rappe pas « qu’est-ce que vous avez tous à sucer Poutine », mais qu’est-ce qu’on a tous. Je m’inclus.
A: Une autre référence à la Russie, c’est un titre qui porte un nom aux consonances de l’est, « Koschtowski. » À Marseille il y a un commerçant qui s’appelle Nicolas Koschtowski et tu répètes plusieurs fois dans l’album « je suis avec Nico, je suis avec Stéphane. » Tu parles d’eux ?
K: Mais toi t’es une tueuse. [Rires] Je suis choqué. Ce sont ces deux personnes-là qui m’ont vu naître, j’ai grandi avec eux, dormi avec eux, mangé avec eux, voyagé avec eux. C’est ma deuxième famille. J’ai une première famille algérienne, une deuxième russe. Nicolas et Stéphane ce sont les garçons de cette famille, j’étais obligé de… En fait, c’est plus qu’une dédicace, c’est ma façon d’être, c’est ce qui m’a inspiré, ce sont des gens avec qui je suis souvent, c’est normal qu’ils soient présents dans l’album.
A: Un des meilleurs titres est fondé aussi sur une référence à l’Est, c’est « Elena. » Tu peux revenir sur l’écriture de ce morceau ?
K: « Elena », contrairement à ce qu’on peut croire, je l’ai écrit super rapidement, enregistré en deux-deux. Je voulais parler d’une meuf dans la forme, et d’une arme dans le fond. Au début je joue beaucoup sur les deux lectures. « La première fois que je t’ai vue c’était dans une cave », avec tout l’imaginaire) on pense surtout qu’il s’agit d’une meuf – j’ai dû un peu forcer d’ailleurs l’écriture. Puis on comprend petit à petit que je parle d’une arme. Comm et Lars-N ont validé direct. En fait je te dis que je l’ai écrit très vite, mais j’ai dû travailler. Si tu fais attention il y a des placements super tendus, et je dois tenir pour garder une ligne directrice, ne rien manquer.
A: Il y a un autre morceau intéressant c’est « Je saigne » et qui fait penser à une version actualisée de « La Lettre » de Shurik’n.
K: Moi aussi. Dis clairement que je le pompe ! [Rires] Non ça peut faire penser en termes de thème c’est vrai. Mais je n’aurais jamais cette prétention-là. Parce que « La Lettre » de Shurik’n, c’est quelque chose. C’est… Il ne faut pas comparer Kofs et Shurik’n ! Ce morceau, je l’ai conçu à une période où beaucoup de choses me revenaient de mon père. Que ce soit des anniversaires, des conversations avec ma mère, des remarques avec mes frères et sœurs « tu te rappelles quand papa faisait ça. » Donc quand j’arrivais au studio, j’étais dans une certaine ambiance. Même si je rigolais avec tout le monde, je pensais encore à mon père. J’aime écrire seul en plus. Ce moment-là, ça a glissé, parce que j’avais envie de dire tellement de choses. Premier couplet, j’écris que ce que mon père m’a transmis ; deuxième, je ne voulais pas faire la même chose, j’ai fait une transition et j’écris ce que je dirais au petit. Ce titre, je ne voulais pas le mettre dans l’album au début.
A: Pourquoi ?
K: Parce que je suis fou. Donc Comm m’a dit d’arrêter d’être fou. D’ailleurs, la plupart des morceaux qui ressortent de l’album, ce sont ceux que je ne voulais pas mettre à l’origine. S’il y a de la merde c’est moi, s’il y a des bons titres c’est lui. [Rires]
« Après Chouf j’ai connu une descente. Je me suis juré que tous les gens qui m’auront laissé en chien à ce moment, j’allais les faire payer. »
A: Il y a la référence aux Koschtowski et aussi, sur « Alicante » notamment, à Maurice, tu peux nous parler de lui ?
K: Maurice, c’est une personne qui m’a tendu la main aussi. C’est entre guillemets, mon sauveur. Quant tu es au quartier, que personne ne te calcule, parce que tu n’as ni les fonds ni le buzz, lui était là. Il m’a dit « t’as rien ? Avec moi tu vas avoir. Mais tu vas travailler comme jamais. » Il m’emmène au studio, me présente à Lars-N. Pour faire clair, les dépannages c’est lui, « je me couche à Air Bel je me lève à Venise », c’est grâce à lui. Tu sais, je n’en ai jamais parlé, mais après Chouf j’ai connu une descente. Amicalement parlant, c’était très dur. Quand j’ai connu cette chute, je me suis juré que tous les gens qui m’auront laissé en chien à ce moment, tôt ou tard j’allais les faire payer. Comment, je ne savais pas. Maurice m’a prêté de l’argent le temps de signer, un studio, un endroit où dormir si tu veux savoir, où manger. Tout ce qui a fait que j’ai pu me relever, la tête haute.
A: C’est vrai qu’on le ressent dans l’album que tu as eu un moment de… gamberge, avant de repartir.
K: L’album c’était ça l’idée : vous avez vu, je me suis relevé. Mais je suis comme ça dans tout ce que je fais. Quoique je fasse, je gagne beaucoup, puis je me retrouve en chien. Je fais un film, je finis au festival de Cannes ; puis je retombe. Mais quand tu es en chien et jeune, tu pardonnes. Quand tu commences à grandir, tu les regardes revenir – il faut savoir qu’ils reviennent – et tu ne pardonnes plus. Mes amis m’ont lâché en l’espace de deux mois. Je n’avais plus rien. Mais j’ai vu les vrais visages, j’ai pu faire le tri, et aujourd’hui n’être entouré que de bonnes personnes, qui veulent mon bien. Ça se ressent dans l’album. J’ai été déçu. Et j’en ai déçus, j’en ai conscience : dans l’outro je dis « je t’ai trahi ne m’en veux pas je ne suis qu’un homme. » On est des serpents nous. On se faufile. Aujourd’hui je fais de la musique, demain tu me verras filmer sur un plateau télé, je ferais des clips avec Comm s’il faut. Je me relève, coûte que coûte. Pas le choix.
A: Ce point de vue critique sur les proches, on le retrouve dans ton discours sur la prison dans l’album. Tu as une vision très noire de l’être humain.
K: Parce que l’être humain est noir. Et ingrat.
A: À un moment tu regrettes même « dommage qu’on ne soit pas tous solidaires comme les Kabyles. »
K: Ma sœur habite en Kabylie, j’y suis allé déjà deux ou trois fois. J’ai vu leur fonctionnement. Ici, quand un Algérien meurt, la famille doit payer pour le rapatriement. Sept, huit milles euros. Tu me dis que j’ai une vision sombre, comment tu veux que je sois joyeux dans un monde où on fait de l’argent sur un mort. Où un billet d’avion pour un mort est plus cher que pour un vivant. À partir de là, j’ai toutes les raisons d’être pessimiste. Mais les Kabyles, quand il y a un mort, ils font une liste où chacun donne deux euros : la famille du mec qui est mort ne paye rien. Cette solidarité, je kiffe, malheureusement on ne la retrouve pas partout. Je l’ai vu d’ailleurs chez un autre peuple : les Bosniaques. Moi je suis un DZ bosniaque ! Je te jure. Ils s’entraident beaucoup, ne se laissent jamais tomber – pas tous, il y a toujours des exceptions, hein, mais je kiffe.
Caractère
A: Il n’y a qu’un seul featuring dans l’album, « Caractère », et il paraît logique puisque c’est avec SCH, suite à ton apparition à la fin du clip de « Otto. »
K: Il est d’Aubagne, je suis d’Air Bel. On est à dix minutes en voiture. On vient des mêmes endroits, on a donc la même gamberge. L’univers, la façon de parler nous relie. En vrai pour un mec de cité, c’est toujours le même scénario : tu grandis, tu vois que l’école ce n’est… enfin, on te fait comprendre que l’école ce n’est pas fait pour toi, tu sors, tu vois des gens faire de l’argent, puis garde à vue etc. Je voulais ce feat parce que je répète, j’aime les gens qui se mélangent mais pas avec tout et n’importe quoi. Je ne me mélange pas pour le buzz. Je ne ramène que SCH parce que c’est cohérent ! Je ne vais pas dire à Soprano « frérot tape-moi un refrain », même si c’est un gars de Marseille et que ça va me faire plus de ventes. Je ne voulais pas tromper mon public.
A: « Cohérent » c’est aussi le mot que nous a dit SCH à ton propos lorsque nous l’avons interviewé il y a un mois.
K: C’est le but, d’être cohérent, musicalement comme dans la vie. Parce qu’on est comme ça dans la vie aussi : là tu me vois arriver, je ne vais pas me saper en cramé des cités puis en gothique. Quoique je mets des vestes en cuir parfois [Rires] et je kiffe les gothiques, ils sont solidaires entre eux aussi, parce qu’ils sont exclus et pas bien vus, avec leur dégaine, leur délire bizarre. J’aime bien quand c’est à part de toutes façons.
A: Et cette cohérence entre la vie et l’art, ce n’est propre qu’au rap ? Le travail d’acteur, ce n’est pas justement de pouvoir sortir complètement de ce qu’on est ?
K: Oui, ce n’est que pour le rap. Demain dans le cinéma je pourrais différencier. Je ne suis pas « français » dans ma tête, dans le sens où je n’ai pas toutes ces catégories, ce n’est pas parce que j’ai fait la caillera que je ferais la caillera partout. Je me connais, je n’ai jamais trahi personne, j’irais jouer un schmit s’il le faut. En tant qu’acteur, on est amené selon le personnage à développer des parties de soi qu’on ne connaît même pas. En musique, si tu es un rappeur qui a construit un personnage depuis le début, tu peux faire ce que tu veux. Mais moi, je suis de ceux qui prétendent dire la vérité. Je n’ai pas d’autre choix que la cohérence.