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En 1991, Brad « Scarface » Jordan ne vit pas encore vraiment de la musique. Pour l’Amérique, Houston et le rap du sud sont toujours considérés comme la cinquième roue du carrosse. Et le gros succès indépendant de Grip It ! On That Other Level, premier album hardcore et séminal de son groupe les Geto Boys (à l’époque composé de Willie D, Bushwick Bill, DJ Ready Red, et Scarface donc), ne suffit pas à changer la donne. Il est toujours coincé quelque part entre la rue et le studio, avec la ferme intention de quitter la première pour s’installer définitivement dans le second. Alors qu’il est en pleine écriture de son premier album solo, Scarface fait écouter quelques-unes de ses compositions à James « J-Prince » Smith, avec qui il travaille en parallèle sur le deuxième album des Geto Boys. Grand manitou du label Rap-A-Lot, J-Prince va à son tour jouer ces morceaux chez Priority Records. Sauf que là, les mecs deviennent fous en entendant l’un d’eux. Comme ils ont déjà ouvert le budget pour l’album du groupe, James a alors l’idée d’inviter Willie D et Bushwick Bill sur le titre en question. Construit autour d’une boucle du « Hung Up On My Baby » d’Isaac Hayes, empli de la paranoïa latente de son interprète principal, « Mind Playing Tricks On Me » allait devenir l’un des plus grands morceaux de rap jamais composé.

Horrifique, halluciné, schizophrène, « Mind Playing Tricks On Me » est de la trempe des classiques absolus. De ceux qui finissent forcément dans le top 10 de n’importe quel amateur un peu éclairé. En instigateur du morceau, Scarface se retrouve à poser sur les premier et troisième couplets. Les images qu’il renvoie, parfaitement psychotiques, sont celles d’un tueur en qûete de repentir : réalité altérée, visions cauchemardesques et rédemption impossible malgré les diverses pensées suicidaires qui viennent tourmenter l’être. Quant à Willie, il est hanté par les cadavres laissés derrière lui, devenus autant de monstres carpenteriens lancés à ses trousses. Enfin, en pleine descente un soir d’Halloween, Bushwick délire au point de s’éclater les poings sur le bitume, croyant tabasser un quidam qui le suivait. Peu de titres sont allés aussi loin dans la représentation visuelle des troubles de l’esprit, et l’influence de celui-ci sera colossale. De Outkast à Freddie Gibbs, de UGK à The Clipse en passant par Biggie Smalls, il a été samplé et cité en long, en large et en travers. Pour faire simple : aucun rappeur d’ici ou d’ailleurs n’a jamais parlé de folie ni de paranoïa sans devoir quelque chose à Scarface ou à ce morceau.

Bien sûr, un titre aussi exceptionnel soit-il n’a jamais suffit à faire un bon album et il va s’agir d’œuvrer pour la suite. DJ Red, pas très ravi de la façon dont l’argent est partagé (en fait, personne ne l’était, mais c’est une autre histoire), quitte le groupe en cours de route et laisse ses trois compères poursuivre le projet. Équipe soudée certes, les Geto Boys sont avant tout une somme d’individualités créée par J-Prince et le label Rap-A-Lot. Preuve en est : la facilité avec laquelle le groupe se déforme et reforme au fil des années, passant du sextuor au duo et comptant au total pas moins de neuf membres différents. Et cela se ressent largement sur disque : parmi les quatorze pistes qui composent We Can’t Be Stopped, neuf sont en fait des solos. Heureusement, ici, c’est le noyau dur du crew qui est à l’ouvrage, et chaque rappeur complète idéalement la panoplie de l’autre. S’ils ne retrouveront à aucun moment la magie de « Mind Playing Tricks On Me » (il faudra pour cela attendre 1996 et le mémorable « Time Taker » sur Resurrection), ils vont bâtir un album d‘une efficacité confondante, sur lequel le temps n’a décidément pas d’emprise.

Avec trois morceaux solos par artiste et seulement trois morceaux communs, We Can’t Be Stopped aurait pu n’être qu’une mauvaise compilation Rap-A-Lot. Il n‘en est rien, tant l’alchimie entre les trois MC’s crève l’écran. Rappeur total, Scarface est le leader naturel du groupe. Il a la voix. Il a la diction. Il a la plume. Et il a surtout des choses à raconter, entre ses histoires de dealers, ses années en hôpital psychiatrique, ses humeurs dépressives et autres tentatives de suicide. Charismatique au possible, Brad Jordan est un personnage à part. Le croque-mitaine de Houston. Une légende en devenir, qui insuffle aux Geto Boys sa paranoïa et sa folie larvées avant qu’elles n’éclatent définitivement dans ses futurs albums solos. Pour le reste, il empile les cadavres dans « Another Nigger in the Morgue », se fait leader du marché de la poudre dans « Gotta Let Your Nuts Hang » et décompresse en donnant quelques coups de reins dans « Quickie ». Voilà qui résume d’ailleurs plutôt bien les activités favorites du trio.

« Aucun rappeur n’a jamais parlé de folie ni de paranoïa sans devoir quelque chose à Scarface »

Si Willie D n’a pas l’épaisseur d’un Scarface, il a pour lui une force d’interprétation qui en laisserait plus d’un sur le carreau. Le mec est un tueur, qui rappe comme il fait « lire ses Nike » à ses adversaires. Il faut l’entendre bouffer le micro sur « Homie Don’t Play That » et plier en deux mouvements les trois temps de l’instrumental (et quelques mecs au passage). Sa prestance trouve son égale dans la virulence de ses propos, qu’il s’agisse de remettre la gente féminine sur un pied d’égalité (« Bitches act like they handicapped, want me to open doors, pull out chair… » dans « I’m Not A Gentleman ») ou de rendre à César ce qui appartient à César (« I sold a lot of records and a lot of people know me, now where is my goddamn trophy ? » dans « Trophy »). Enfin, du haut de ses 1m15, Bushwick Bill est sans doute le plus effronté de la bande. Un peu dingue sur les bords si l’on en croit les déclarations de ses pairs, il n’a pas les qualités d’écriture ou d’interprétation de ses acolytes (ce sont d’ailleurs eux qui écrivent ses textes), mais compense par la démesure de sa folie et l’originalité de son personnage. Il donne ses lettres de noblesse à l’horrorcore avec « Chuckie » inspiré du film du même nom, lance un réquisitoire contre le service militaire obligatoire (quelque peu anachronique compte tenu de la fin de la conscription en 1973) dans « Fuck A War » et donne du plaisir sans compter sur « The Other Level », hymne à l’amour à plusieurs aussi drôle que salace.

Alors finalement, que reste t-il des Geto Boys en tant que groupe ? Le morceau-titre, qui réintroduit les trois lascars et fait le point sur les tentatives de censure dont ils ont été victimes par le passé ; « Ain’t With Being Broke », sur le besoin de produire des billets verts par tous les moyens nécessaires (« I tried to do the right things major, but that didn’t put no food on the table ») ; et « Mind Playing Tricks On Me » bien sûr, dont l’immense succès permit au disque d’atteindre le platine moins d’un an après sa sortie. Autrement dit pas grand-chose. Et pourtant, la cohérence de l’ensemble n‘est jamais prise en défaut. D’abord parce que Scarface, Bushwick et Willie D, même quand ils ne rappent pas ensemble, ont l’intelligence d’aborder des thèmes similaires : le sexe, la drogue, l’argent, la pauvreté, la violence, l’oppression, sans oublier la tension, le stress et la méfiance qui vont avec. Ensuite parce qu’ils délivrent leurs textes dans un langage commun : un argot féroce, outrageant, dépravé, parfois aux limites du grotesque, suffisant pour renvoyer les N.W.A à la pouponnière. Enfin parce que la production est entre les mains d’une équipe de choc : Tony Randle, John Bido et N.O. Joe, qui réalisent un travail d’orfèvre. Les samples soul et funk sont piochés parmi les têtes habituelles de l’époque : Funkadelic, Zapp & Roger, Sly & The Family Stone… mais les boucles en ressortent plus sombres, plus dures, sèches comme des coups de feu. A l’image des paroles, aucun son n’est avenant. Il flotte de la première à la dernière piste un parfum de psychose, une touche d’aliénation qui, quelque part, n’appartient qu’à Houston, Texas.

Si les Geto Boys étaient déjà bien connus à l’époque pour leurs propos misogynes, violents, psychotropes et pornographiques particulièrement hardcore, We Can’t Be Stopped est l’album qui grava cette image dans l’inconscient collectif. L’histoire de la pochette constitue à elle seule un monument. En pleine embrouille avec sa copine, Bushwick se fait tirer dans l’œil dans la confusion (une autre version, dont Scarface est convaincu, est que la copine en question lui aurait volontairement tiré dans le visage). Le lendemain, le reste du groupe, leur manager Big Chief et Cliff on-ne-sait-pas-trop-ce-qu-il-fait Budget sont à l’hôpital. Ni une ni deux, Bill est transporté dans le hall dans un brancard qui n’est même pas le sien, Chief lui fait retirer son bandage et Cliff prend la photographie. Malgré, plus tard, les regrets évoqués par Bushwick et Scarface, le résultat est là : l’image choque par sa violence et son instantanéité. Elle contribue à la légende des Geto Boys en assurant définitivement leur street credibility, et devient l’une des plus célèbres du paysage du rap américain. Non sans illustrer parfaitement la force brute de l’album et son titre sans équivoque : rien n’arrête Face, Bill et Willie. Surtout pas une bastos dans la caboche.

« Scarface, le film est sorti, puis il a vrillé l’esprit de beaucoup de monde et moi y compris. Tu venais voir chez moi, on te disait ‘Entra, entra, Pana. Bienvenue chez Tony Montana‘ » – Akhenaton, métèque, mat et cubain. L’histoire est connue. Scarface sort aux États-Unis le 9 décembre 1983, récolte une pluie de mauvaises critiques et choque toute une génération de cinéastes et de rappeurs, d’Antoine Fuqua à Mathieu Kassovitz, de Sen Dog à Akhenaton. Trente ans plus tard, Tony Montana est une icône et le métrage de Brian De Palma un film culte, dont l’influence sur la musique, le cinéma et la pop culture n’a toujours pas cessé de s’étendre. Fulgurantes, l’ascension et la chute d’Al Pacino vont fasciner le mouvement hip-hop. Tour à tour, son personnage y sera décrit comme le modèle absolu du gangster impitoyable (mais non dénué d’un certain sens de l’honneur), et comme un dangereux psychopathe à l’influence néfaste sur qui n’est pas capable de s’arrêter à la 24ème image du film. Pour fêter les trente ans du métrage et dans l’optique de présenter un panel de ses références présentes dans l’univers hip-hop, on s’est attelés à réaliser une sélection de trente morceaux, répartis dans six catégories distinctes. Un nombre qui est loin d’être exhaustif, et qui de toute façon ne saurait l’être devant les centaines et les centaines d’occurrences qui ont traversé le rap, des années 80’s à aujourd’hui, de la France aux Etats-Unis. Car d’insertions de dialogues en références textuelles, d’imitations de première classe en samples musicaux, l’héritage est immense. En voici notre échantillon. Mauvais garçon, chaud devant.

Samples de dialogues américains « Say hello to my little friend! »

Geto Boys - « Trigga Happy Nigga » (1989)

De dialogues tirés de Scarface, le premier album des (vrais) Geto Boys en est truffé. À vrai dire, il est même fort probable que les rappeurs texans soient les premiers à avoir repris des répliques du film pour les insérer dans un morceau. Ici, pas question de faire dans la dentelle. Majoritairement issus de la fin du métrage, lorsque Pacino deal avec une montagne de poudreuse, une méga chiée de craches-pruneaux et prononce plus de « fuck » en une minute qu’une minute ne peut en contenir, les extraits choisis ne sont que pure violence physique et verbale. Ça tombe bien, ça colle au propos. Tony n’avait peut-être pas de Nike aux pieds, mais des culs, ça, il en bottait.

Scarface - « Mr. Scarface » (1991)

Quand on s’appelle Scarface, il paraît forcément un tantinet difficile de ne pas citer à foison le film dont on tire son nom d’artiste. Et que ce soit en solo ou en compagnie de ses compères, le leader des Geto Boys aura revisité à plus d‘une reprise le classique de Brian De Palma. L’ouverture de son premier album solo, avec sa petite tuerie racontée sur l’air de « L’araignée Gypsie », donnait le ton. L’insert de Tony Montana venant juste après met fin à tout doute possible : Mr. Scarface Is Back sera chargé de plomb et saupoudré de blanche, porté par une parole ferme et un manche d’acier. S’en suivront, au cours de sa carrière, des références à ne plus savoir qu’en faire. Entre autres : un second album intitulé The World Is Yours et un huitième, Balls And My Word, reprenant en guise de visuel la célèbre affiche noire et blanche du film.

Raekwon ft. Ghostface Killah - « Criminology » (1995)

Qui d’autre que Tony et son nez enfariné pour devenir l’emblème de la vague cocaïno-mafioso-rap qui déferle sur la east coast au milieu des années 90’s ? On serait tenté de répondre pas grand-monde. Et si Only Built 4 Cuban Linx… tire la plus grande partie de ses références filmiques du The Killer de John Woo, l’extrait de l’embrouille téléphonique Sosa/Montana placé en introduction de « Criminology » est resté dans les mémoires. L’insertion de l’instru – plus martial tu meurs – de RZA sur le sample tient du génie. Tellement qu’en revoyant le film après coup, la réplique, telle qu’elle, paraît en comparaison bien fade. Et Ghost, dans son hélico, de regarder la concurrence se balancer au bout d’une corde.

Kool G Rap ft. Nas - « Fast Life » (1995)

En 1992, Live And Let Die éclate à la face de la côte est et devient officiellement le premier acte de la scène cocaïne rap qui va sévir à New-York durant le milieu des années 90’s. De retour trois ans après, sans DJ Polo cette fois, le rappeur préféré de ton rappeur préféré se flanque de ton rappeur préféré (tout le monde suit ?) le temps d’un morceau sur le grand chelem : chicas, champagne et frime. Le titre est introduit par les rêves de grandeur de Montana Tony et Kool G Rap terriblement bien – pour ne pas déroger à la règle. Quant à Nas, il entame à son contact sa mutation post-Illmatic, s’apprêtant à passer du petit truand Nasty Nas au grand bandit Nas Escobar.

Common - « Stolen Moments pt. III » (1997)

Morceau divisé en trois parties sur le troisième album de Common, (le souvent oublié One Day It’ll All Make Sense), « Stolen Moments » raconte comment le rappeur chicagoan, de retour chez lui après un concert épuisant, retrouve sa maison dévastée et dévalisée. Commence alors une enquête que n’aurait pas reniée Edgar Allan Poe, dans laquelle les suspects, indices et autres mobiles défilent jusqu’au dénouement final raconté à travers deux samples de films. L’un est issu de Scarface (l’exécution de Frank Lopez), l’autre de King of New-York. Parce qu’il n’y a pas que Scarface dans la vie, et qu’il y aurait aussi énormément à dire sur l’influence qu’a eu le chef d’œuvre d’Abel Ferrara sur le hip-hop, et inversement.

Samples de dialogues français « La vie de rêve ! »

Akhenaton - « Métèque et Mat » (1995)

De l’épopée spatiale de Georges Lucas jusqu’aux westerns spaghetti de Sergio Leone en passant par le Viêtnam de Stone ou de Coppola, Akhenaton aura injecté dans son rap un nombre incalculable de références cinématographiques en tous genres. Mais c’est définitivement le film de De Palma qui habite l’esprit du légendaire Métèque et Mat, mettant en parallèle les cultures italienne et hispanique, aux maux similaires. Entre deux interludes samplés, Chill avouera d’ailleurs volontiers que Scarface lui a retourné le cerveau. Ou quand le Tony cubain nourri au poulpe et au capitalisme vendeur de rêve devient, le temps d’un disque, un italo-américain introspectif et soucieux de ses racines, parti réclamer ses pépettes aux Assedic avec des skills de Street Fighter en guise de lance-grenade.

IAM - « Nés sous la même étoile » (1997)

Un paquet de cartes. Un berceau dans une cage d’acier, un cyclo, quelques beignes, un peu de plonge, délit de faciès, un peu de ventes, deux vieux manteaux en guise de montants, de la poussière dans le cœur et dans les poches, c’est le compte en banque. La vie de merde. On redistribue. Un paquet de cartes. Un berceau dans une cage dorée, une BMW, Laure Manaudou, 300 pages sous Word, 75€ l’entrée avec champagne, Alexandra Ledermann, goûtons à la poudreuse, du baume au cœur et dans les poches, c’est la couleur. La vie de rêve.

Stomy Bugsy ft. Doc Gynéco - « Oyé Sapapaya » (1998)

Parmi tous les rappeurs français traumatisés par Scarface, Stomy Bugsy occupe la première place, au calme. Bon déjà, le type se prend totalement pour un gangster, donc forcément ça aide. Ensuite, c’est un baisé de films de mafieux en tous genres, qui a réinjecté peu ou prou l’intégralité des œuvres de Scorsese et de Coppola père dans sa discographie. Reste que Mysto la mixomatose a un mérite : il est l’un des rares à avoir véritablement exploité le potentiel comique de Scarface, souvent cantonné à sa dimension dramatique alors que le film contient quand même de quoi bien se taper les cuisses. La moitié playboy du Ministère AMER ira ainsi jusqu’à chantonner un « Oyé sapapaya » en guise de refrain, rappelant au passage à quel point il est imparable dans le rôle du chaud lapin de service prêt à tout pour serrer. Même à tirer la langue à la fille façon Manny Ribera.

Bouchées Doubles - « 24″ (2004)

Certes, ce morceau du duo du Havre aurait peut-être davantage sa place dans un article sur le rap et Fight Club. Brav et Tiers-Monde y relatent des faits connus de tous : la galère, les tours, le bitume et la vacuité du tout… Mais le titre a le mérite de dégager un parallèle inédit entre le film de Fincher et celui de De Palma, desquels il sample deux passages cultes, à la réflexion sociale forte de sens. Si tout, a priori, sépare Tony Montana de Tyler Durden, les deux personnages se retrouvent volontiers sur l’idée de contourner à tout prix un système qui ne leur convient pas. Le morceau montre aussi que ces quatre mots, « la vie de rêve » (dont c’est la troisième occurrence dans cet article), ont durablement imprimé l’inconscient du rap français.

Rocca - « Trafic » (2004)

Après le virtuose « Le Zedou » de Busta Flex, Rocca s’essaye à sa manière à la mise en parallèle de la rime et de la came. « Trafic » est interprété en français sur une mixtape du groupe hispanique Très Coronas, formé par Rocca au début du nouveau millénaire, et est habilement introduit par un dialogue entre Manny et Tony Montana déversant sa haine sur la Colombie. Pays dont deux (les seuls restants aujourd’hui) des trois membres du groupe sont originaires. Et l’ex-MC de La Cliqua de dérouler sa métaphore filée avec la verve qu’on lui connaît, jusqu’à un nouveau sample vocal bien placé qui n’est aujourd’hui pas sans faire un joli clin d’œil au futur succès du groupe.

Instrumentaux « It’s all in the eyes, chico »

Scarface - « Intro » (1994)

Nouvel exemple de l’utilisation de Scarface par Scarface, bien plus subtile que celle déjà évoquée et qui ouvrait le premier album solo du leader des Geto Boys. Il s’agit ici de deux samples musicaux, placés en ouverture et fermeture de The Diary. Deux pages blanches purement instrumentales qui se révèlent remarquables de justesse et d’intensité. Agrémentés de quelques notes de piano, les thèmes de Tony – menaçante intro – et de Gina & Elvira – sublime final – se répondent parfaitement, encadrant avec pudeur et passion l’album qui restera le chef-d’œuvre de son auteur.

Mobb Deep - « G.O.D. Pt. III » (1996)

Loin du soleil et des plages de Miami, peu d’albums suintent autant la crasse et la noirceur des rues de New-York que le troisième opus de Mobb Deep. Autant inspiré de la saga du Parrain – autre grand rôle de Pacino – que de Scarface, le titre réutilise ici les premières notes patibulaires du thème de Tony par Giorgio Moroder. Comme tous les morceaux de Hell On Earth, il profite de la science des boucles courtes et imparables d’Havoc. En ressort un instrumental anxiogène et sombre à souhait, à même de rendre compte de l’humeur un brin mafieuse des tenanciers de Queensbridge. Et comme on ne change pas une équipe qui gagne, Havoc et Prodigy remettront ça trois ans après (de façon bien plus gaie) en compagnie de Nas sur « It’s Mine », qui reprend cette fois le thème d’ouverture du film.

Fonky Family - « Loin du compte (1999) » (1999)

Le succès de Scarface et son immense influence sur la culture hip-hop ne tient pas tant dans la violence de son propos que dans l’esprit de conquête qui habite Tony Montana, dont l’ascension fulgurante devient un véritable mythe. Dans le film, elle est explicitement mise en scène lors du célèbre entracte voyant les billets sales se multiplier sur la musique de Paul Engemann. Très habilement, c’est ce thème que va sampler la Fonky Family pour le morceau phare du premier volume de leurs hors-série, à l’heure où le groupe, déjà au sommet, compte bien ne pas s’arrêter en si bon chemin. Sept ans plus tard, la FF samplera à nouveau un morceau de la B.O. de Scarface (cette fois-ci « Gina & Elvira’s Theme ») pour « Tout ce qu’on a », l’un des meilleurs morceaux de leur ultime mais fade album Marginale Musique.

Immortal Technique - « Peruvian Cocaïne » (2003)

Posse-cut mythique, « Peruvian Cocaine » raconte le cheminement basique du trafic de drogue, depuis le travailleur du champ de coca jusqu’à celui qui va se faire arrêter pour la vente du sachet, en passant par les politicards et autres caïds intermédiaires avec grosse berline et grande villa, qui ne touchent évidemment à rien sauf aux biftons. Narré depuis les points de vue de différents intervenants, le récit est habilement introduit par un dialogue de Scarface et se termine de la même manière par un célèbre extrait de New Jack City. Mais c’est définitivement son instrumental de génie, samplant le morceau entrainant et sautillant (donc en parfaite opposition avec ce qui est raconté) entendu à l’arrivée de Tony Montana en Bolivie, qui fait de ce titre l’un des meilleurs produits que le rap a jamais concocté à partir du film de De Palma.

Rick Ross - « Push It » (2006)

Fraichement débarqué de son bateau à banane, Tony s’est vite mis en tête de mettre son grain de farine dans le trafic de dope de Miami Beach. Rick Ross a débarqué dans le rap un peu de la même façon, avec une idée très claire : pousser sa chance et devenir le big boss. En guise d’ouverture à un premier album intitulé Port of Miami, le titre, le sample, le clip et le récit – histoire au long cours d’un dealer notoire – de « Push It » sont finalement aussi prévisibles qu’ils sont habilement amenés. Reste que cette chronique fantasmée, qui démarre avec l’achat du premier bloc de coke et se termine aux côtés de filles de joie d’Europe de l’Est, faisait à l’époque office de joli plan de carrière. Aujourd’hui, force est de constater qu’il a plutôt bien été exécuté.

Références textuelles américaines « Never get high on your own supply… »

Nas - « The World is Yours » (1994)

Affiché sur un dirigeable au moment de l’ascension d’Al Pacino, puis sur la sculpture surplombant un bassin ensanglanté au moment de sa chute, « The World Is Yours » constitue un excellent résumé de Scarface en une phrase. En reprenant ce slogan pour le faire sien, Nas réalisait déjà un coup de maitre. Mais son véritable génie sera de ne jamais tomber dans la référence facile. Si le prodige de Queensbrige s’approprie la devise de Tony Montana, c’est pour mieux en extraire toute la symbolique dans un morceau aux atours introspectifs, entre hommage aux amis disparus, vente de petits sachets en bas des blocks et réflexion quant au prénom de sa future fille. Et surtout, cette devise, il la partage.

Notorious B.I.G. - « Ten Crack Commandments » (1997)

Biggie Small est un génie. Six mots d’une simplicité confondante lui suffisent à faire ce clin d’œil, au moins aussi gros que lui, qui te dit : « oui homie, je sais que tu as kiffé le film autant que moi » . Il devient ce pote de longue date avec lequel tu as maté Scarface un milliard de fois, en en reprenant toutes les phrases cultes, en rêvant de vos futures vies de pachas dans un manoir tapissé de moquette rouge. En plus, le bougre est de bon conseil. « Ten Crack Commandments » ou « The Art of Crack » ou « Drug Dealing for Dummies », c’est dix règles simples pour t’apprendre à tenir ton coin de rue, étendre ton business et prospérer tranquille au soleil comme Frank Lopez. Loin des planches de bois, des barreaux en fer et surtout de ta production.

Big Punisher - « You Ain’t a Killer » (1998)

Les rappeurs hispaniques entretiennent souvent un lien particulier, plus encore que les autres, avec Scarface. Cubain d’origine, Sen Dog par exemple sera aperçu réellement fasciné dans un documentaire analysant l’influence du film, et ira même jusqu’à prêter sa voix à l’occasion de la sortie du jeu vidéo. Le porto ricain Big Punisher, lui, se contentera de références éparses au personnage joué par Al Pacino dans ce monument qu’est Capital Punishment. Le disque est le recueil d’egotrips débités façon M-16 et d’une ascension fulgurante, jusqu’à l’accession à la « glamour life, like my man Tony Montana«  . Mais c’est aussi un formidable répertoire d’histoires de drogues et de contes de rues, ceux dans lesquels le regard sert plus à se jauger qu’à se draguer. Que des regards froids, y’a pas de yeux doux.

Jay-Z - « Ignorant Shit » (2007)

Souvent oublié dans l’œuvre imposante de Jay-Z, American Gangster est pourtant son dernier grand album en date. Son affiliation avec le cinéma est évidente, puisque le disque emprunte son titre, ses thèmes et son esthétique au film de Ridley Scott paru la même année (qui d’ailleurs compte RZA, T.I. et Common dans son casting). Pourtant, d’une façon assez extraordinaire et aussi très révélatrice, le disque compte quasiment plus de références à Tony Montana qu’à Frank Lucas, ex-parrain d’Harlem campé par Denzel Washington. Et c’est lorsqu’il s’emploie à citer une énième fois le métrage de De Palma que Jay-Z est le plus pertinent. En mettant en parallèle Scarface le film et Scarface le rappeur (qui fut l’un des premiers à parler de la vente de drogue dans ses textes), il dédouane et le rap et le cinéma de toute leur soi-disante mauvaise influence sur la jeunesse. Le poids des mots, le choc des images.

La Coka Nostra - « Fuck Tony Montana » (2009)

Avec ses allures de gang parfaitement impitoyable, La Coka Nostra semble n’avoir été créée que pour calmer tous ces petits branleurs d’Henry Lee Lucas, Danny Rolling et autres Charles Manson. S’il y en a bien un qui ne s’inquiète pas de savoir si ses lyrics peuvent ou non avoir une mauvaise influence sur son auditoire, c’est Ill Bill. Inouïe de violence et d’inhumanité, son entrée sur « Fuck Tony Montana » est un putain de Magnum chargé braqué sur la veuve et l’orphelin. Al Pacino et ce qu’il pouvait avoir de bon sens passent tous les deux à la moulinette : pas de quartiers, aucune pitié. Tony est un cubain fragile qui n’a ni le manche ni les couilles de faire ce qu’il faut pour tenir son business.

Références textuelles françaises « Même quand je mens c’est vrai »

Afro Jazz - « Pas vu pas pris (Le vice) » (1997)

Souvent oublié quand il s’agit d’évoquer les disques de la période faste 1995-1998, Afrocalypse est pourtant un album de première classe, porté par les flows débordant de puissance de Jokno, Jahyze et Robo et leur bagout inimitable. Il profite en plus d’une incroyable pelletée de connexions américaines, incluant un featuring mythique avec le Sale Vieux Bâtard lui-même et des productions signées Buckwild, Diamond D et les Beatminerz. Rien que ça. Et pour couronner le tout, il a l’originalité d’évoquer Scarface sous un angle inédit : celui de l’amitié entre Tony et Manny, vite bousillée par la paranoïa du premier, sa sœur Gina amoureuse du second et du sniff-sniff play jusqu’à plus de narines. « Je serai ton Montana et tu seras mon Manny » , c’est aussi ce qu’a dit Oxmo à Booba avant d’enregistrer Pucc Fiction. Ou, en tout cas, on a envie de le croire.

Oxmo Puccino - « Pucc Fiction » (1997)

Moins black que mafioso, plus Smoke que Jon, Tony Montana n’en demeure pas moins l’idéal du gangster façon Time Bomb, le plongeon final dans la fontaine en moins. « J’finirai pas comme Scarface, percé de partout blazé dans la coke en criant fuck you motherfucker » , clamait le Black Popeye dans un refrain aujourd’hui passé à la postérité. Avec la virtuosité qui le caractérise lorsqu’il se met à raconter d’improbables histoires de truands, Oxmo bute des fils de stups, mange des cornflakes devant LCI, manque de se faire trouer la peau par un petit singe et sauve la Chine de la dépopulation. Booba lui, alors relégué au rôle du fidèle Manny (qui l’eut cru aujourd’hui ?!), roulait déjà en Land Cruiser. Mais pas encore comme une vieille.

Rocca - « La bonne connexion » (1997)

Premier solo et grand classique de Rocca, Entre Deux Mondes ne doit pas seulement son titre aux origines colombiennes de son auteur. Approfondie dans plusieurs morceaux, la frontière entre le réel et le fictif est une thématique centrale de l’album. Quand le MC de la Cliqua en vient à citer Scarface, il s’agit donc davantage de critiquer la vacuité du mode de vie de son personnage principal que d’en faire l’éloge. Dans une quête constante de démystification, Rocca renvoie le métrage au rayon du simple divertissement, quand il est pour petits wacks et petites frappes une vraie source d’inspiration. Et accessoirement, en citant juste après l’autre collaboration culte De Palma/Pacino, rappelle que la rédemption, ça ne s’achète pas comme un dvd. Ça se paye comme la redevance télé. Rendez-vous dans dix ans pour les trente ans de L’Impasse.

Booba - « On m’a dit » (2002)

Il y a deux sortes de rappeurs : ceux qui seront à jamais séduits par la violence de Scarface et l’escalade vertigineuse de son personnage, et ceux qui le dénigrent pour la mauvaise influence que cette escalade peut exercer sur les plus jeunes et vulnérables. Entre Tony et Manny, entre raison et fascination, le rap critique autant la violence au cinéma qu’il se l’injecte à haute dose. En bon paradoxe ambulant, Booba est l’un des artistes les plus représentatifs de cette tendance : il se déresponsabilise volontiers de la violence de ses propres propos pour mieux rejeter la faute sur l’industrie cinématographique, sans pour autant s’interdire d’ouvrir son troisième album par « sous coke comme Tony M, tes balles je me les enfile« . Rien à foutre, c’est qu’un puzzle de mots et de pensées.

Kaaris - « Je bibi » (2013)

Troisième projet de K double A, Or Noir a provoqué un véritable séisme. D’un pas plus qu’assuré, le sevranais s’engouffre à (gros) tour de bras dans l’hyper-violence, occupant désormais une place anciennement vacante dans le rap français : celle du moissonneur-batteur. Dans Scarface, il y a une phrase prononcée par Michelle Pfeiffer qui résume à merveille le style Kaaris : « il n’y a d’excès que dans l’excès ».  En pleine ascension, dans toute la démesure qui est la sienne, rien d’étonnant donc à ce que le rappeur aux « quelques grammes par jour dans le pif » en vienne à citer les règles énoncées dans le petit guide pratique du bicraveur par Frank Lopez, ce gros chazer. On imagine bien Kaaris, mauvais garçon comme Tony mais en pire, lui baiser sa mère, sa femme et peut-être la mère de sa femme avant de lui coller la gueule au fond du cul avec son gros doigt de pied. Juste comme ça.

Imitations « Mauvais garçon, chaud devant ! »

EPMD - « You Had Too Much to Drink » (1988)

Si l’album qui le porte reste une pièce maîtresse du rap de la fin des années 80’s, il faut avouer que le morceau tient davantage de la grosse blague qu’autre chose et ne restera pas dans les plus hauts faits d’armes d’Eric & Parrish. Pas bien loin du coma éthylique, nos deux dollars makers prennent le volant après une soirée mouvementée, avant de se faire immanquablement serrer par des keufs en embuscade dans un buisson. S’ensuivra un cocasse échange verbal à propos de l’Alaska, de vêtements chauds et du meilleur avocat de Brentwood. Tant mieux, parce que quand tes clients s’arrêtent au vert pour démarrer au rouge, il faut être costaud pour convaincre un jury qu’ils n’auraient pas mieux fait de prendre un taxi.

Public Enemy - « Welcome to the Terrordome » (1990)

Morceau revendicatif dans le pur style Public Enemy (comprendre d’une puissance textuelle et musicale brute incomparable), « Welcome to the Terrordome » avait pour but de remettre les pendules à l’heure suite à certaines déclarations peu élégantes de Professor Griff (le « Ministre de l’Information » du groupe, viré à la suite de cet incident avant d’être réintégré plus tard) à l’encontre de la communauté juive. Naturellement, Chuck D réaffirme alors avec véracité l’intégrité et le juste combat de Public Enemy à tous ceux qui en douteraient. Flavor Flav, en hype man de première classe, fout son petit zizou dans la brèche et imite brillamment le Tony paranoïaque de Scarface, pour appuyer son comparse. À ce moment précis, ses aiguilles indiquaient dix heures dix.

Jay-Z - « Can’t Knock the Hustle » (1996)

La rencontre entre Omar et Tony est l’un des moments clés de Scarface, l’instant qui va décider de l’ascension fulgurante d’Al Pacino. Ici, c’est Pain in da Ass, AKA le doubleur officiel de Pacino pour Jay-Z (il récidive sur « Brooklyn’s Finest » avec un extrait de Carlito’s Way) qui se charge de l’imitation. En choisissant de lui faire réciter ce passage (un tantinet modifié pour l’occasion) en ouverture de « Can’t Knock the Hustle », donc de son premier disque, Jigga montre trois choses. Premièrement qu’il a, déjà à ce moment là, peut-être regardé le film plus de fois qu’il n’a vendu d’albums dans sa carrière. Et ça fait beaucoup. Deuxièmement, qu’il avait bien l’intention de faire de Reasonable Doubt la scène pivot du film de sa propre vie, et le premier pas dans la construction de son empire. Troisièmement ? Qu’il savait parfaitement où il allait, lui.

Stomy Bugsy - « Même quand je mens c’est vrai ! » (1996)

On l’a dit, Stomy Bugsy est numéro Un sur Scarface. Son premier album solo, au titre sans équivoque, est un vibrant hommage aux grands classiques de films de gangsters, qui déborde de références en tous genres et d’imitations toutes plus mémorables les unes que les autres. On a choisi celle-ci pour deux raisons. La première : elle consacre brillamment Stomy en Don Juan du ghetto et coureur de jupons invétéré. La seconde : il va bien falloir décider un jour qui de Rohff ou Stomy Bugsy est le meilleur imitateur français de Tony Montana ever. On vous laisse le soin de trancher à l’écoute de cet extrait et de celui qui suit.

Rohff - Interview Buzzdefou (2013)

Quand on parle de rap et de Scarface le film, il y a Rohff et il y a les autres. L’une des ses 94 400 références textuelles, le morceau « La résurrection », sa présence dans le jeu vidéo sorti sur PS2… Le vitriot maîtrise réellement son sujet, et on aurait bien pu choisir n’importe quelle occurrence. Mais il faut avouer que pas grand chose ne fait le poids face à ses imitations de Tony Montana. Et comme il y en a à la pelle, on a simplement choisi de ressortir la dernière en date. Malheureusement, ça se passe lors d’une interview pour Buzzdefou (…bon), durant laquelle Rohff brille de cet accent hispano-mafioso-marlon-brando aiguisé à la tronçonneuse que l’on connaît bien. Non, ce ne sera même pas le point culminant de cet ahurissant monologue de 13 minutes. Et encore là, personne n’était dispo pour un ping-pong. Il n’y a pas à dire, on préfère Rohff quand il parle musique.

En 1998, le monde faisait connaissance avec le type le plus cool jamais imaginé : le Big Lebowski, alias « The Dude« . Par un hasard cosmique, au même moment, quelque part à Houston, dans les studios de Rap-A-Lot, un autre Dude préparait lui aussi son entrée sur scène. Le monde sans doute n’était pas prêt à assimiler autant de nonchalance et de je-m’en-foutisme béat d’un seul coup, car si Jeff Lebowski est devenu un personnage culte, Devin, lui, n’a jamais acquis la célébrité qu’il méritait. Il n’a jamais explosé, malgré sa présence remarquée sur « Fuck You » de Dr. Dre. Respecté par ses confrères, adoré par les amateurs éclairés, il a mené et mène encore une discrète mais honorable carrière, jalonnée d’albums sympathiques et même de quelques classiques, dont ce premier solo, monument du rap laidback.

Devin, c’est le rappeur attachant par excellence, un type dans lequel on se reconnaît et avec qui on voudrait être pote. Il se présente tout entier, sans tabous d’image, sans pokerface sur la pochette, mais en train de fumer aux toilettes en lisant son journal, pépère. À l’opposé de la silhouette lointaine du rappeur super-héros, figure mythologique de la rue, Devin c’est monsieur tout-le-monde, un mec qui aime planer avec ses amis, à parler de filles et de plan foireux jusqu’à pas d’heure. Sourire goguenard, yeux plissés, il a toujours une bonne vanne ou une anecdote grivoise à raconter. Il enrobe ses récits d’une lenteur caramélisée, avec un flow qui touche à la nonchalance ultime. Son phrasé atypique, idéal pour le story-telling, semble presque parlé même s’il tombe toujours dans les temps. Dans la grande tradition du rap chanté de Houston (de Pimp C à Big Moe en passant par Z-Ro et Chamillionaire), Devin pousse régulièrement la chansonnette, aussi bien sur les refrains qu’en plein milieu de couplets. Le Dude est un maître dans cet art classieux et profondément soul. Ses vocalises surviennent le plus naturellement du monde, sans affectation dramatique ni roucoulades exagérées, juste avec le plaisir d’envoyer du style.

L’album, en dépeignant le quotidien sans fard d’un loser qui le vit bien, célèbre la paresse, la morale flottante et la douce irresponsabilité. Devin multiplie les histoires truculentes, dont il est plus souvent la victime que le héros. Il bourre ses morceaux de deux denrées plutôt rares dans le rap : l’humour et, plus rare encore, l’auto-dérision. Au fond, entre cette tendance à rire de soi et son attrait pour les soirées enfumées, Devin est le père spirituel de rappeurs très éloignés, tant sur le plan musical que géographique : Curren$y et Orelsan. Dans l’univers du Dude, la vie se résume à des râteaux, des cuites, des filles de peu, des jours qui s’écoulent indifféremment. Quoi qu’il arrive, Devin ne s’en fait pas, il verra ça plus tard. Sur « Boo Boo’n », peut-être le meilleur morceau de l’album, c’est un peu de cette sagesse terre-à-terre qu’il nous dispense. Derrière l’ambiance asiatique, la mystique impénétrable et les lampions rouges de l’instru, le message est le suivant : ne t’énerve pas, laisse tomber ton plan débile et attends-moi pendant que je pose une pêche. Et sur le moment, ces paroles semblent les plus sensées qu’on ait entendues depuis longtemps.

Ce disque fait l’effet d’une bière après une journée interminable. Le même relâchement de pression, instantané, salvateur, qui a lieu au décapsulage d’une canette lorsqu’on s’écroule sur son canapé, se produit à l’écoute de cet album. Le sourire monte irrésistiblement aux lèvres au son des mélodies guillerettes et des basses débonnaires de ces morceaux. L’ensemble est posé, mais pas soporifique, bien que l’album se prête à merveille, et peut-être plus que n’importe quel autre, au traitement screwed and chopped (la version réalisée par DJ Michael Watts est un classique absolu du genre). Bien sûr cette ambiance d’épicurisme moderne est on ne peut plus légère et Devin s’en justifie, à sa manière, au détour d’un couplet : « I smoke weed, I drink brew / That’s all I rap about because it’s all I do« . Et si le rappeur donne l’impression de ne se soucier de rien, il n’empêche que la structure musicale de l’album est très bien pensée. La légende de Houston, Scarface, a mis la main à la pâte et co-produit plusieurs pistes en plus de figurer parmi les invités. Les productions sont plutôt aériennes, mais lestées par des basses touffues. Les notes rares, apparemment désordonnées comme les pas de la boxe ivre, se répondent par échos distordus et résonnent comme des coups d’enclume dans un cerveau déshydraté. L’alchimie entre ces instrus et le style unique de Devin atteint des sommets sur des morceaux comme « Do What You Wanna Do » ou « Show Em » et son histoire de filles frivoles mais pas aussi belles que prévu. C’est cela l’essence de Devin the Dude : des rimes libidineuses, des vapeurs herbacées de gin et des refrains sinueux comme de la fumée. Hormis un ou deux morceaux quelconques, il n’y a pas grand chose à reprocher à cet album qui a supporté sans mal le passage des années. La magie opère encore aujourd’hui : on lance la lecture, on se laisse porter par les basses, moelleuses et enveloppantes comme des édredons, et l’état de bien-être de Devin est à portée de main.

C’est la deuxième fois qu’il nous fait le coup. Déjà pour la promotion de Made fin 2007, la légende du Sud annonçait sa retraite après une glorieuse carrière de plus de vingt années et presque autant d’albums. Scarface est une exception, un des rares MCs à être aussi pertinent en 1988 qu’en 2008. La constance et la qualité de ses albums sont à décourager n’importe quel rookie aux dents longues. Modèle d’intégrité, le membre des Geto Boys a toujours eu cette plume sombre et implacable, interprétée par cette voix rocailleuse et profonde. Un conteur aguerri de l’histoire de la rue avec un grand H, le genre de récit écrit à la lueur d’une bougie dans une chambre plongée dans le noir pendant que ton esprit te joue des tours. Pionnier du Gangsta Rap, Scarface est leur parrain à tous, de 2pac à Beanie Sigel. Une véritable institution qui tire sa révérence en deux temps.

« The streets always been my daddy
And mommy is the county jail
I’m a soldier and I’m about my mil
I ain’t tryin’ to do right
I’m already livin’ in hell
Cuz I’m a gangsta. »

On ne peut pas réellement dissocier Made de Emeritus. L’ambiance générale est la même, les sujets se recoupent et se complètent comme un double album réussi. Musicalement, Face travaille sur différentes couleurs avec, bien sûr ,son associé de la première heure N.O Joe mais surtout Nottz très en forme, Illmind ou Jake One qui donne ce côté soul seventies collant parfaitement à sa carrure. Alors que Made était plutôt sudiste et très live dans l’interprétation, Emeritus est plus brut et condensé. Les basses sont rondes, les rimes carrées mais le tout s’assemble avec harmonie. Scarface emporte l’auditeur dans son univers, sombre et dur où se croisent balances, jalousie, suspicions et remords. Il réussit là où beaucoup échouent, faire dans le rap mature mais pas moralisateur. Tous ses thèmes de prédilection sont ici développés comme la rédemption, le code de la rue, l’amitié, la mort, le respect ou la trahison. Comme un résumé de sa discographie, Emeritus dresse un large panorama de la condition humaine, plutôt dépressif certes mais encapsulé dans une forme impeccable.

« Up early in the mornin, wakened by the sound of my cell phone
Donny Hathaway sangin on the ringtone
It was a homie that I went to school with
Tellin me life wasn’t shit to fool with
These young niggaz steady dyin over dumb shit
Fast money for your soul, now you’re done with
You hear the gun click {*BLAM*}
… blood stains on the walls and carpet »

Pour l’épauler dans son dernier voyage, Scarface a invité quelques passagers, surtout pour transcender son discours sur des refrains chantés parfois reggae (‘High Powered’), parfois très soul (Bilal sur le politisé ‘Can’t get right’). Mais les plus réussis reflètent simplement l’âme du Sud comme sur ‘Soldier Story’ avec Z-Ro et sa voix d’arraché. En terme de rap, il convie juste les meilleurs de son secteur, sa famille comme Bun B ou The Product mais aussi le toujours parfait Weezy sur l’explosif ‘Forget about me’ et les trop rares Slim Thug et K-rino sur ‘Who are they’. L’alchimie est toujours réussie, Scarface prouvant qu’il reste techniquement plus qu’au niveau actuel et que son statut de légende est loin d’être surfait. Son implication est complète, rendant l’atmosphère intimiste, un album de délivrance sur lequel on revient souvent, comme un livre de chevet.

« I can breathe into the hood, make it feel my pain
And even though they try to change me, I remain the same
And even if I did have that chrome-plated grill on my shit
I come from out the motherfuckin bricks
Now, never forget, where I come from, son
I’m respected in these motherfuckin streets I run »

En retirant un ou deux morceaux moins percutants et en y ajoutant les meilleurs extraits de Made, on obtient un des albums les plus complets du rap en 2008. Pas de marketing ou de publicité mensongère, Scarface touche au cœur et à l’âme directement dans la plus pure tradition du Sud. Ses propos sur la vie de rue et sa façon de la raconter sur ‘It’s not a game’ ou ‘Redemption song’ restent toujours une référence sans starification ou glamour, juste une réalité violente emprunte de vengeance et de paranoïa. La présence d’un morceau sexuel comme ‘High note’ rappelle ses meilleurs tracks sur le sujet comme ‘Fuck Faces’ et ‘In & Out’ avec la fine équipe Devin & $hort. A côté, on frôle le classique quand il revendique clairement son statut de vétéran sur des titres comme le très prenant ‘Still Here’ ou le brutal et basique ‘Emeritus’ qui termine l’album avec une virulence attachée, sans refrain ni concession. On y aperçoit un homme passionné de musique qui vit dans son temps mais ne se sent plus à sa place dans ce Rap Game. Déçu sans être aigri, juste pas vraiment concerné. Voici peut être la dernière vision que laissera Scarface, son héritage avisé et détaché, son testament intègre et constant, son baroud d’honneur avec pertes et fracas.

L’humour et le rap. On dirait que ça n’a jamais vraiment fonctionné ensemble, que les mots ne sonnent pas, qu’ils se détestent ou font semblant de s’ignorer, laissant à quelques uns le bénéfice du doute. Devin the Dude est un des humbles bénéficiaires. Depuis ses débuts avec les Coughee Brothaz et le Odd Squad, il cultive un art pour raconter des histoires justes, pertinentes et drôles. Moins branleur qu’un Slick Rick, aussi déjanté qu’un Redman et plus sobre qu’un Biz Markie, Devin traîne sa silhouette longiligne et sa face de cartoon à travers ses ambiances de sud poisseux. Les sujets sont toujours les mêmes : le sexe, la weed, le style de vie, les femmes, l’alcool, la philosophie sous beuh, les relations humaines, les paradis artificiels et surtout… le sexe. Rien de très nouveau sous le soleil, dirons-nous, mais là où Devin se démarque, c’est dans sa façon de faire. Un style décontracté, laid back, posé comme un chat de gouttière ronronnant sur un toit brûlant du sale sud, surveillant du coin d’un oeil malicieux les chattes qui traversent la rue. Ca ne passe pas inaperçu. J Prince et Scarface ne s’y trompent pas, et en 1994 sort sur le célèbre et dangereux Rap-a-Lot Records le premier et seul album du Odd Squad Fadanuf Fa Erybody!!, le groupe de Devin the Dude avec Jugg Mugg et Rob Quest aka Blind Rob (après Geto Boys et le nain Bushwick Bill, J Prince continue dans la discrimination positive en signant un groupe avec un aveugle). L’album est très bon, lorgnant plus du côté de la Native Tongue ou des Pharcyde que des gangsters de Houston. Scarface dira d’ailleurs de cet opus qu’il est la meilleure sortie à ce jour sur Rap-a-Lot. Il invitera Devin sur son projet My Homies ainsi que dans son groupe Facemob. Fort de cette visibilité, le premier album de Devin sort en 1998, The Dude, petit bijou de drôleries, de soul & funk archicollante, d’histoires bien senties et de bagoût qui laisse le sourire aux lèvres, jusqu’à la pochette où Devin pose sur ses cabinets en pleine commission.

Devin a bien dû faire un demi million d’apparitions depuis (j’exagère à peine). De ses voisins texans UGK aux De la Soul, de Hi-Tek à Jay-Z et R-Kelly, de Dr.Dre (sur 2001, excusez du peu!) à J-Zone, Devin continue son parcours atypique, plus ou moins inconnu du grand public mais présent sur de nombreux succès comme sur les albums les plus indépendants. Il ne perce jamais réellement malgré ses apparitions toutes plus sulfureuses les unes que les autres et trois albums de bonne facture dont le classique et pourtant méconnu Just Tryin to Live, sur lequel on peut retrouver Dr.Dre, Nas, Xzibit, Dj Premier ou Raphael Saadiq. Un must du genre. En 2007, Devin sort donc son quatrième album, Waitin’ to inhale, et à la vue de la cover, on se dit que rien n’a changé.

Devin the Dude, c’est un peu le mec que tu croises tous les jours en bas de chez toi, qui fait des blagues chez l’épicier, qui a toujours des anecdotes épicées sur des sujets plus que communs et te fait passer le quotidien usé pour une partie de franche rigolade tout en placant des réfléxions assez sérieuses mais cachées avec une culture hip-hop irréprochable. Ce nouvel album est donc une synthèse de tout cet univers. Toujours produit par son équipe, Domo, les Coughee Brothaz ou encore Mike Dean qui forgent le son vraiment sudiste avec des instrumentations très live, très chaudes de guitares enivrantes, de claviers bleutés et d’ambiances feutrées. On entre dans cet album comme dans une agréable léthargie qui s’étale sur chaque piste, se développe et nous empêche d’appuyer sur avance rapide. Le mélange de storytelling et de traits humoristiques se dilue lentement, tranquillement entre les prostituées de ‘She want that money’, les canons d’antan devenues grosses baleines sur ‘She useta be’, les réflexions à contre courant du bling bling, presque gripsou sur ‘Almighty dollar’, les femmes adultérines de ‘Somebody else’s wife’, la rupture sur ‘No longer needed here’ ou le style de vie d’un MC décortiqué sur le très bon ‘What a job’ avec les couplets parfaitement accordés de Snoop Dogg et Andre 3000 des Outkast. Une guitare entêtante, une ballade lancinante, un hit pour l’été. ‘We work nights, we some vampires / Niggas gather round the beat like a campfire / Singin’ folk songs, but not no Kumbaya my Lord / You download it for free, we get charged back for it

La plupart des morceaux de Waitin to inhale parlent de la relation de Devin avec les femmes. Le combo ‘Broccoli & cheese’, ‘Hope I don’t get sick a dis’ et ‘Cutcha up’ dévoile une relation simple et complexe à la fois. Tantôt fidèle, tantôt volage, Devin hésite, comparant son appendice à un légume frais (‘Girl this dick is so clean / It’ll probably go good with your broccoli and cheese) ou une fille trop jeune à de la weed, marchant sur un fil dans une controverse Rkellyenne, invitant à l’enivrement des sens sous substances, espérant ne jamais perdre le goût de ses relations charnelles et efficaces, s’embarquant dans des descriptions érotiques dignes des meilleurs poèmes de Serge Lama. ‘Just because’ sonne comme une reprise trash de ‘I need love’ de LL Cool J, remplie de sarcasmes et de tortures très détaillés ‘If we could sail across the sea, just you and me, in a boat / I’d throw your ass overboard and just look at you float / I’ll glue your eyes wide open, have you roped in the kitchen /Take a picture of my nuts, so you can see what ‘cha missin’!‘ Juste à cause de ce qu’est l’amour, Devin devient la rencontre improbable entre un early-Eminem et un Johnny Guitar Watson moderne. Car Devin expose la soul qui est en lui dès qu’il en a l’occasion, laissant une large place à des petites vocalises très à propos, des refrains sussurés toujours de bon goût qui marquent toute la particularité de sa musique. Même quand le sujet devient sérieux comme cette sombre histoire de jeune fille modèle qui tourne mal, narrée avec brio par un trio de choc: Lil’Weezy, Bun B des UGK et Devin. Les envolées de violons sur le refrain emportent cette combinaison vers le top du storytelling : deuxième single de l’album.

Devin est sûrement le meilleur raconteur d’histoires depuis Slick Rick, embarquant l’auditeur dans des contes scabreux, modernes, épicuriens au possible avec une incorrection déconcertante, une facilité agaçante et un plaisir partagé. Waitin’ to Inhale est une réussite à écouter de bout en bout pour partager ces moments de rires volés, de sensations chapardées et de satisfaction gênée. Mention spéciale pour l’ingé son, qui pendant trois interludes, cherche auprès des services de renseignement à trouver le ‘Boom’. Fou rire assuré.

Unanimement respecté par ses pairs, Scarface fait aujourd’hui figure de patriarche dans l’industrie du rap. A l’heure où la street credibility joue aux vases communicants avec le succès de masse, le massif texan n’en finit plus de faire carrière, fort d’une discographie riche de six albums avec les Geto Boys et autant de solos. Passé des rues de Houston au fauteuil confortable de président de Def Jam South, c’est sous la bannière de l’empire de Lyor Cohen, mais toujours en collaboration avec le patron de Rap-A-Lot Records, James Prince, que sort son septième album, The Fix. Hors Norme et hors mode, Brad Jordan (pour l’état civil) réalise un album de facture classique, mais solide et plutôt rafraîchissant.

Grosse pointure méconnue –The Fix n’a été « que » disque d’or aux États-Unis – Face se démarque de ses homologues par sa personnalité intègre et brute de décoffrage, à l’image du premier extrait de l’album, ‘On my block’, titre ghetto jusqu’à l’os, qui reprend avec classe le sample de ‘World Famous’ (MOP). Un choix de single étonnant et détonnant à la vue de la forte présence sur l’album de la bête noire des puristes et la muse des programmateurs radios : le refrain chanté. Faith Evans et surtout Kelly Price viennent en effet apporter un juste contrepoids à la voix caverneuse de Face, notamment sur le magnifique ‘What can I do’, preuve ultime qu’il est encore possible de réaliser un crossover sans commettre de turnover. Avec une puissance vocale tétanisante et une émotion non feinte, Face évoque sur un ton grave et solennel des sujets universels -la mort, la vie, l’amour, la haine- avec conviction et aura : « Down the park, I hear the sirens, just screamin’ away / And then the unevitable happens, the end of them days / As sad as it sounds, but that’s the price we all gotta pay / And the whole world knows God giveth, will taketh away / I live and I learn, I sit and watch my cigarette burn / Down to the ash, it remindes me of the now and the passed / I say a little prayer, ’cause eventually I’ll stand in the path / Of the souls and dark rows that lead to rest« .

Hormis les omniprésents Neptunes, qui dénotent avec une production de circonstance (‘Someday’) hors de propos en plein milieu de l’album, les producteurs de The Fix ont su s’accorder à la personnalité de Scarface sans le trahir. On pense souvent à 2 Pac ( disciple de Scarface) et All eyez on me en écoutant sa voix de baryton posée sur des compositions fouillées au service d’une vibe contagieuse et férocement efficace -mention spéciale à ‘Keep me down’ aux accents country et gangsta, produit par Nottz. Mais tout le professionnalisme des producteurs invités ne parvient pas à réduire au silence la déflagration causée par l’équipe Roc-A-Fella dans ‘Guess who’s back’ : Jay-Z et Beanie Sigel viennent épauler Face Mob pour délivrer l’incontestable bombe de l’album sur une production monumentale et traumatisante de Kanye West, dont on ne vantera jamais assez la maestria et le sens de l’échantillonnage, également démontré dans ‘In cold blood’. Son travail fait d’ailleurs des émules : le premier titre de l’album, Safe et son sample de Gladys Knight, produit par China Black, ressemble à s’y méprendre aux beats soulful de l’ancien protégé de No ID. Un ton en dessous, mais néanmoins excellentes, les collaborations de Face avec Nas (‘In between us’) et WC (‘I ain’t the one’) marquent aussi les esprits grâce à la vista des rappeurs et la puissance très G.Funk des instrus.

Sans être le classique annoncé (qui a dit 5 mics ?), The Fix est un album de haute tenue, grâce à l’incroyable magnétisme de Scarface et la solidité des productions, plutôt en rupture avec les formules actuelles. Le défaut majeur vient peut-être d’un tracklisting déséquilibré, qui sépare l’album en deux parts distinctes : l’une très « street » et rugueuse, et l’autre plus R&B et mélodieuse. D’aucun se forceront à choisir leur camp inutilement au vue des qualités mutuelles des deux parties, qui auraient gagnées à être imbriquées moins grossièrement. Entre introspection, mysticisme et sacralisation de la rue, Scarface fascine, et son septième solo constitue un bon point d’ancrage pour découvrir ou redécouvrir ce personnage complexe, torturé et terriblement charismatique.