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Formation tentaculaire composée de La Squadra (Rocca et Daddy Lord C), du Coup d’État Phonique (Kohndo anciennement Doc Odnok, Egosyst, Raphaël et Lumumba) ainsi que des hommes de l’ombre Chimiste, Jelahee et JR Ewing, La Cliqua fait partie de ces collectifs qui déboulent sans crier gare au milieu des années 90. Alors que Solaar, IAM et NTM règnent sur l’hexagone elle s’apprête, avec la complicité de Time Bomb et du Beat de Boul, à redistribuer les cartes. Le premier EP du groupe, le bien nommé Conçu pour durer, va largement contribuer à cette nouvelle donne. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Les inspirations ne sont plus Public Enemy ou Big Daddy Kane mais plutôt le Wu-Tang et le Boot Camp Click. La technique prend le pas sur un contenu qui n’est plus thématisé mais qui revendique son appartenance à la rue, la raconte sous un angle quasi-documentaire. La texture sonore, poussiéreuse et crépitante, emprunte à Buckwild, Lord Finesse, Da Beatminerz. Le rap français est entré dans une nouvelle dimension.
En sept titres, Conçu pour durer déploie autant le talent d’un collectif que celui de ses individualités. Et même si Daddy Lord C a été le premier à dégainer un an plus tôt avec « Freaky Flow », c’est ici Rocca qui s’offre la part du lion. Magistral exercice de style, « Comme une sarbacane » est la carte de visite parfaite pour le rappeur colombien : flow élastique, métaphore filée de la rue décrite comme une jungle dense et impitoyable, argo espagnol et ambiance forêt tropicale sur un beat suffocant de Chimiste. À bien des égards, ce premier morceau solo de Rocca annonçait la couleur de son Entre deux mondes.
Tandis que Daddy Lord C débute une carrière de boxeur professionnel et que Egosyst quitte le groupe, La Cliqua est mise un temps entre parenthèses. Rocca profite alors du succès de « Comme une sarbacane » et de « Le hip-hop mon royaume », sorti sur la compilation d’Arsenal Records, Le Vrai hip-hop, pour se lancer en solo. Enregistré en moins d’un mois avec Lumumba, Gallegos (Jelahee) et Chimiste, Entre deux mondes, qui sort le 9 avril 1997, est un album réalisé dans l’urgence donc. Paradoxalement, il est aussi l’un des plus riches de son époque. Rocca, avec la naïveté de ses 21 ans mais une hauteur de vue certaine, y décline de nombreux thèmes, notamment celui foisonnant de la frontière, sujet central du disque : celle entre Paris et Bogota bien sûr, mais aussi celle entre la fiction et la réalité, entre l’authentique et le faussaire, entre le légal et l’illégal, entre l’être et le paraître.
Entre deux mondes peut aussi être considéré comme le premier (et le seul ?) véritable LP de La Cliqua. À l’exception d’Egosyst donc, tous les membres sont invités le temps d’un morceau (Kohndo sur « Mot pour mot », Daddy Lord Clark sur « En dehors des lois », Raphaël sur « Sous un grand ciel gris… ») et tous se retrouvent pour la suite du mythique « Rap Contact ». Quant à Chimiste, Gallagos et surtout Lumumba, ils signent une production luxuriante qui puise ses racines chez DJ Premier, Havoc et les producteurs du D.I.T.C. À la fois austère (« La bonne connexion », « Aux frontières du réel ») et diaphane (« Les jeunes de l’univers », « Artifices »), la partition musicale évoque tout autant le bitume mouillé et la grisaille du XVIIIe arrondissement de Paris que ses abords plus luxueux et son ouverture sur le monde. La couverture de l’album, où le visage de Rocca associé à un symbole précolombien observe en plongée une capitale française noyée dans l’obscurité, est l’illustration parfaite de ce clair-obscur musical, et de cet entre-deux qui régit le disque. Deux ans plus tard, La Cliqua sortira un album éponyme, amputée également de Kohndo qui ne se reconnait plus dans la direction prise par le groupe. Rugueux, âpre et agressif, La Cliqua sera un précipité de rap de rue, où toute l’énergie des trois rappeurs est employée à en louer l’authenticité pour mieux détruire les faussaires de l’asphalte. Ce chant du cygne estropié, pour jouissif et impressionnant qu’il soit, perd en amplitude ce qu’il gagne en force de frappe. À ce titre, Entre deux mondes demeure le projet le plus abouti, riche et représentatif de La Cliqua. Retour, en quelques morceaux choisis, sur l’une des plus belles architectures monumentales du rap français. -David²

« LA BONNE CONNEXION »
Grand thème de Entre deux mondes, la frontière est au centre de « La bonne connexion ». Placé en seconde position sur la tracklist, le morceau arrive juste après « Garçon », qui faisait le pont avec « Comme une sarbacane » en réutilisant la métaphore filée de la jungle pour évoquer les avenues parisiennes (« La rue n’est qu’un long fleuve parsemé d’hameçons / Où chaque courant te mène à changer de direction »). Mais alors que cette introduction racontait la rue sous l’angle de la fiction (« La vie est un vrai film d’action, garçon »), « La bonne connexion » va opérer une franche rupture.
Le premier couplet semble reproduire le modèle de « Garçon » : Rocca y raconte la vie fantasmée d’un gangster américain qui monte, façon Al Pacino dans Scarface. L’instru signé Lumumba est sobre, jazzy et atmosphérique, bardé d’effets sonores qui renforcent son aspect cinématographique. Puis au milieu du morceau, le bruit d’un téléviseur grésillant. Gallegos prend alors le relais pour un instrumental autrement plus dramatique, au tempo vif et aux cordes angoissantes mais sans bruitages cette fois. Des États-Unis fantasmés, Rocca nous ramène dans la réalité hexagonale. Une pâle copie (« Version française, une mauvaise graine fait du pèse, façon Scorsese ») où le gangster, bandit à la petite semaine sans honneur et pour qui seul compte les apparences, finira plaqué au sol et embarqué dans un cellulaire.
Inspiré des classiques « Speak Ya Clout » et « I’m the Man » de Gangstarr (comme tend à le confirmer le sample de « Gotta Get Over » qui ponctue la seconde moitié du titre) où Preemo changeait de beat en plein morceau, « La bonne connexion » est une éclatante définition de ce que signifie mettre la forme au service du fond. C’est le premier acte de démythification du cinéma américain par Rocca, annonçant un album au ras du bitume qui ressemble plus au L.627 de Tavernier qu’à L’Impasse De Palma. Aucun romantisme ici, mais une nette démarcation entre deux mondes, l’un fictif et l’autre – le sien – profondément tangible. Plus encore que le thème de la frontière, c’est celui de la réalité crue qu’il annonce, dans ce qui constitue la véritable introduction d’Entre deux mondes. -David²
La chute
Rocca n’a pas été le premier membre de La Cliqua à remettre en question le glamour des films de gangsters hollywoodiens et la source de fantasmes qu’ils sont auprès des jeunes des ghettos français. En 1996, dans la compilation Le Vrai hip-hop, le Coup d’état phonique signait « Ascension », grand classique maudit du rap français qui fut retiré du disque pour cause de samples non déclarés. Sur un instrumental pesant – qui évoque facilement un engrenage infernal – signé Egosyst, Kohndo et lui-même s’échangent le micro, à vitesse grand V comme la montée et la chute de leur protagoniste. Le morceau peut être vu à la fois comme une diatribe à l’attention de la machine à rêve américaine, (« L’éducation d’un jeune de cité à travers la télévision / Avoir un monde à lui / Être le Scarface des années quatre-vingt-dix, fils / Le Tony Montana ») et un brusque rappel à la réalité (« Chaque jour » est plusieurs fois martelé comme pour rappeler le caractère fade et répétitif de l’activité de dealer). Soit un excellent prélude aux thèmes de prédilections qui traverseront, l’année suivante, Entre deux mondes.
Coup d’État Phonique - « Ascension »

« LES JEUNES DE L’UNIVERS »
« Les jeunes de l’univers » et les notes de piano parfaitement identifiables que Lumumba emprunte à Michel Berger (« Chanter pour ceux qui sont loin de chez eux ») incarne une musique touchante, mais plus par sa naïveté qu’autre chose. C’est l’une des dernières pistes du disque à avoir été écrite et enregistrée, en réaction à des troubles familiaux que rencontre Rocca. Son petit frère Lorenzo est dans le viseur de la justice, or il s’en tient lui-même pour responsable (comme expliqué chez nos confrères de Get Busy) et se met en tête d’écrire une sorte de lettre à son frère. Pourtant, ce n’est pas un titre qui sonne profondément personnel, et pour cause, il se veut universel. Rocca l’organise selon un parallélisme entre le premier et le troisième couplet, s’ouvrant chacun par la formule « Depuis mon plus jeune âge, je rêve de… ». D’abord, il se lance aussi fort que possible dans les clichés matérialistes, partageant au monde son envie de le posséder, lui et ses richesses scintillantes. Les automobiles de luxe et les villas, l’avenue Foch, le cash, tout s’empile pour dépeindre le rêve d’un gosse du siècle libéral. À cela répond plus loin le couplet final, puisque le rappeur part avec la même ardeur vers ses rêves spirituels : disparition des frontières, fraternité, lumière des êtres… Rien de très original pour L’Original ! Effectivement, « Les jeunes de l’univers » est de ces morceaux qui ont peu de chance de diviser l’auditoire. Plein de bons sentiments, optimiste mais lucide, fédérateur mais libéral, tiers-mondiste mais occidental, le discours paraît calibré pour que tout le monde y trouve son compte, et en premier lieu la jeunesse. Elle est abandonnée ? Certes, mais elle peut se prendre en main, surtout que les siennes sont faites pour l’or. Il n’y a pas d’impasse : « je crois en toi, en moi, le futur est entre nos mains » ; « donne l’exemple, montre aussi que tu peux t’en sortir » ; « nous sommes la lumière du chemin où nous allons ». Rocca a alors visiblement beaucoup d’espoir. Vingt-cinq ans et une ou deux générations sacrifiées plus tard, l’écho de « Les jeunes de l’univers » ne résonne plus franchement aux oreilles d’un gosse du vingt et unième siècle néolibéral. C’est pourtant un essentiel d’Entre deux mondes, un single qui a fonctionné quelques temps et qui par ses qualités autant que par ses défauts, incarne merveilleusement un certain rap français. – B2
L’apocalypse
Quelques mois après « Les jeunes de l’univers » le morceau que posent Rocca et Daddy Lord C pour la mixtape Cut Killer Show semble balayer tous les espoirs et la confiance en l’avenir qui inondent les ondes hertzienne. Ce titre de La Squadra, qui servira aussi d’outro à l’album éponyme de La Cliqua en 1999, s’appelle « Un dernier jour sur terre » et ne sample plus la variété française de Michel Berger mais le thème de l’horrifique Candyman. Le pitch du morceau est simple : « Chronomètre actionné, processus enclenché, et si demain le monde entier explosait ? Un dernier jour sur Terre à passer, y’a quoi ? ». S’en suivent cinq minutes sans joie ni lumière, sans foi ni espoir, un cul de sac, celui dont Rocca appelait à sortir… Il n’y a plus d’avenue Foch en perspective, seulement les « cités qui surchauffent », les vautours, les charognes et les fauves. « Fils, démolis pour reconstruire ce que tu négligeais jadis » clamait le rappeur sur son premier solo. Désormais il n’y a plus rien à bâtir : « des tonnes de guns, d’armes, sexe, guerre et came » ; « corruption, mafia, politique, paranoïa, complots, assassinats, C.I.A » ; « la folie, la terreur » ; « on parle de carnage, de crimes gratuits, de génocide, de lynchage »… et ainsi de suite. Le refrain est lui-même sans équivoque, à quelques heures de l’explosion mondiale, Rocca est prêt pour le grand reset. La bienveillance un peu naïve d’antan laisse place à une impuissance partagée avec Daddy Lord C. S’y ajoute d’ailleurs un sentiment de responsabilité dans le chaos ambiant, qui pour le coup sonne comme un aveu d’échec. Son beau message universel le Chief Rocca l’a froissé, plié, déchiré, balancé au fond d’une poubelle, dans une ruelle noire d’un univers sale.
La Cliqua - « Un dernier jour sur Terre »

Crédit photo : Armen
« L’ORIGINAL »
Au début de « L’original », Rocca a un échange fictif avec un jeune journaliste. Le reporter souhaite recueillir son opinion sur la façon dont le rap français évolue. À une époque où un morceau sur deux cible les wack MCs qui complotent sans relâche du haut de leurs silhouettes floues, il n’est pas trop difficile d’imaginer l’avis de Rocca sur la question. Si la réponse ne fuse pas vraiment (« bah… mal« ), elle a néanmoins le mérite d’être claire et détaillée par la suite : les médias avides et corrompus, les rappeurs/comiques troupiers, les margoulins de maisons de disques… Le milieu est plus pollué que l’air de Bogotá. Loin de se contenter d’un constat implacable, Rocca s’aventure aussi sur le terrain des solutions. Et le remède à tous ces maux, c’est lui-même, messie au froc large et au crane rasé : « Rap flow, contact mic, je clame ma prophétie/1997 ans pile après Jésus Christ/J’interviens pour sauver le hip-hop/Façon Sam Beckett, Code Quantum/Je survole toutes les époques en slalom« . Rocca en fait des tonnes et repousse assez loin les limites de la fanfaronnade, même dans un exercice (l’egotrip) qui par nature ne s’encombre que peu de démonstrations d’humilité. Pourtant, ça passe plutôt bien et ça finit même par convaincre : parce qu’il y a cette verve puissante, qui culmine dans le second couplet, majoritairement débité en espagnol ; cette morgue sans pareil, marque de fabrique de La Cliqua, qui donnait dès 1994 à l’équipe de Daddy Lord C des allures de rouleau compresseur. Aussi, parce que les qualités de rappeur de Rocca lui permettent de soutenir ses rodomontades, là où un artiste moins talentueux aurait été taxé de vantardise crasse. Et enfin, parce que « L’original », c’est également une merveille d’instru usinée par Jelahee à partir d’un sample d’Ennio Morricone (le thème d’Il Grande Silenzio), qui plonge tout le morceau dans une atmosphère grandiose, où un texte introspectif sur la vacuité du quotidien aurait fait bien mauvais genre. Sur cette sixième piste d’Entre deux mondes, il s’agit donc de montrer les muscles et de se placer au-dessus de la mêlée. Voilà qui paraît cohérent : s’il était possible de sauver le rap français avec de la modestie et de la retenue, ça se saurait. – Kiko
Des damnés de la terre aux jeunes de la rue
Le refrain scratché de « L’original » reprend les paroles de Rocca lui-même, tirées de « Le hip-hop mon royaume », et de Biz Markie (« I’m the original » sur « We Write the Songs » de Marley Marl). Mais ce sont les mots de Raphaël, acolyte de Rocca au sein de La Cliqua, qui lui donne son cachet définitif. En 1996, Arsenal Records souhaite mettre en valeur ses plus jeunes pousses, Raphaël donc, mais aussi Loucha du groupe suisse Les Petits Boss. Le label initie un morceau, « Worldwide », où les deux collaborent avec Shyheim, adolescent prodige du rap new-yorkais et affilié au Wu-Tang Clan. De cette sorte d’All-star game U17 du rap émergera la phrase de Raphaël, « Le hip-hop pour tous les jeunes de la rue« , qui revient tel un slogan afin de clore le refrain de « L’original », comme pour synthétiser la vision de Rocca et édicter une règle à laquelle ne surtout pas déroger.
Raphaël & Loucha ft. Shyheim - « Worldwide »

« MOT POUR MOT » FT. KOHNDO
Il est souvent dit que les premiers albums de rappeurs sont leur meilleur. Contenant tout un pan de vie derrière eux, ils ont souvent l’avantage de la découverte et de la surprise pour les auditeurs que nous sommes. En 1997, Entre deux mondes de Rocca, âgé alors de 21 ans mais déjà avec un peu de bouteille derrière lui, vérifie ce constat (qui n’est absolument pas une vérité générale). Pour un premier disque en solo, c’est un coup de maître que réussit le jeune MC. Le titre souligne un cul entre deux chaises, un double héritage culturel que Rocca aborde avec audace et brio. Une manière de rapper modelée par la rencontre de la langue espagnole et du français mais aussi par sa voix rocailleuse accentuant le style new-yorkais rugueux de l’époque (après tout son surnom d’El Chief évoque directement le sobriquet de Raekwon). Rocca aligne les mots au kilomètre et construit une narration aussi dense qu’une jungle colombienne. En avançant dans l’album, les aspérités de sa voix et son argot au kilo, “façon Joe Pesci du culot”, deviennent une lame de fond dévastant tout sur son passage. Avec une bande sonore parfois digne d’un film noir, le pool de producteurs maison (Lumumba, Gallegos aka Jelahee et Chimiste) fournit une atmosphère entre le clair et l’obscur, énergique pour la partie rythmique, souvent sombre et triste concernant le choix des samples.
Dans cet ensemble exécuté de mains d’experts, mais somme toute assez classique lorsque l’on revient dessus un quart de siècle plus tard, la production de la septième piste « Mot pour mot » modernise un brin le tableau. Le beatmaker Noï va emmener Rocca et Kohndo sur une production originale et futuriste. Le gimmick sonore principal ressemble à un bruit de frisbee électrique que les deux MCs s’échangent avec véhémence. Une nappe sombre, une batterie sèche et un effet de cordes évoquant un tour de magie occulte (« Poupée, épingles et cierges, allume les sortilèges / Sacrilège, mais qu’ai-je fais pour qu’on m’assiège de pièges ? ») viennent compléter l’ambiance explosive du morceau. Le timbre de voix aiguë de Kohndo et le ton rauque de Rocca épousent les bpm rapides, plus qu’à l’accoutumée dans un morceau de rap de cette époque, avec quelques fulgurances techniques accrocheuses. Du premier couplet de Rocca entièrement construit d’assonances en « o » au changement de flow sur son deuxième couplet et son altercation finale en argot espagnol, « Mot pour mot » est un ego trip en bonne et due forme, avec une dose extrême de style et de panache. Une énergie débordante doublée d’une technique d’esthètes de la rime. Une leçon aux wacks MCs servie par une production hypnotique et avant-gardiste. Avec ce morceau survolté, Rocca montre aussi qu’il peut coupler un exercice classique dans le fond et une ouverture musicale, ici encore relativement dosée, dans la forme. – JuldelaVirgule
Version espagnole
À l’écoute des passages scratchés sur son album Tranches de vie, Souffrance rappelle l’impact de La Cliqua dans la scène en ébullition du rap français au milieu des années quatre-vingt-dix. L’album du dyonisien, invité par Rocca pour “Mash-Up” en ce début d’année, n’est pas une exception : si un recensement des scratchs de rap français devait voir le jour, le collectif parisien squatterait probablement les premières places. Le premier groupe de Rocca, et lui-même en tant que MC, est devenu classique, représentatif de la nouvelle école en 1995, cette même école devenue fatalement “ancienne” en 2022. Parallèlement à cet attachement au boom-bap des années 90, le franco-colombien ne reste pas pour autant figé dans sa façon de produire sa musique. « Old School/New School, là n’est pas la question » proclamait-il déjà sur « Le Hip-hop mon royaume » en 1996. Si Entre deux mondes possède cette empreinte musicale géo-centrée sur New-York, son deuxième album Elevacion, à l’image de sa pochette et de son titre espagnol, est plus musclé dans les rythmiques, plus majestueux. MC tout-terrain, il s’adapte aussi à des productions plus électroniques (« S.O.S ») tout en gardant une base boom-bap solide (« R.A.P. ») sur un album où les percussions deviennent plus importantes et où l’envie d’aller vers ses racines latino-américaines se fait de plus en plus présente. Avec « El Original », Rocca assume complètement ses origines colombiennes et s’offre un titre emblématique, pivot dans sa carrière puisque également rappé en langue espagnole dans une deuxième version.
En 2003, son troisième album Amour Suprême s’oriente vers un rap plus soul tout en allant chercher d’autres ambiances : la guitare rugissante couplée aux percussions tropicales de « Seven », la production arabisante de « Laisse couler » ou celle funk-synthétique de « Rap Control ». La suite, c’est un voyage sur le continent américain. À New-York d’abord où il fonde le groupe Tres Coronas avec lequel il sort deux mixtapes et trois albums entre 2001 et 2011. Une décennie où Rocca rappe en espagnol sur des productions entre deux mondes. Ceux du rap new-yorkais et des musiques latino-américaines. Des cumbias et de la salsa, pour ne citer qu’elles, mises en exergue sur le tube « Mi Tumbao (Remix) » en 2007. En 2009, il produit le morceau titre du film La vida loca (documentaire retraçant le quotidien du gang salvadorien Mara 18) et invite l’icône colombienne Yuri Buenaventura pour un morceau combinant leurs univers respectifs. Rocca remet le couvert en 2018, avec un transit à Bogota, pour le film colombien Somos Calentura et le morceau « Ganar y sumar » en featuring avec Junior Jein dans un genre nouveau : la salsa choke. En 2015, son cinquième album Bogota-Paris, sorti en version française et espagnole, navigue entre rythmes colombiens et rap mais se frotte également à la trap et au rock. Daddy Lord C, Lyricson, P.N.O. de Tres Coronas, Nelson Palacios (musicien cubain ayant travaillé avec Orishas), Alguacil (musicien et producteur colombien) ou Diana Pareira (chanteuse colombienne) sont autant d’invités qui témoignent encore de cet « entre deux mondes ». Entre rap et musique latine, entre classicisme et ouverture. Les pieds bien ancrés dans leur base, le visage orienté vers l’horizon, Rocca a fait de ce cul entre deux chaises une singularité évidente. Une arme de plus pour chauffer l’audimat, de Paris à Bogota en passant par New-York.
Tres Coronas ft. Michael Stuart - « Mi Tumbao »

« AUX FRONTIÈRES DU RÉEL »
À première vue, « Aux frontières du réel » brasse les mêmes thèmes que « La bonne connexion », allant jusqu’à user des mêmes tournures. Scorsese est remplacé par les frères Hugues (« Le genre Menace Société, version française »), la métaphore tropicale trouve une nouvelle itération (« Les rues sont des rapides, ses courants te mènent au vide »), et il s’agit toujours d’égratigner l’influence néfaste des écrans sur la jeunesse. La partition de Lumumba, à la fois percutante et enveloppante, évoque par ses sonorités le travail d’Havoc sur The Infamous. Elle sert idéalement le propos, entre la brutalité de la réalité et l’ivresse de la fiction. Mais à y regarder de plus près, il faut noter une différence de taille : le point de vue. Alors que « La bonne connexion » prenait la forme d’un double story-telling, « Aux frontières du réel » a celle d’un grand monologue à l’impératif.
« Contente-toi de ce que l’on ne t’a pas encore pris » ; « Éteins ta Sega, constate les dégâts » ; « Que doit penser ta mère de ton sale pipeau, chico ? ». Ce discours moralisateur, et parfaitement assumé comme tel (« La nuit, Rocca porte conseil ») aurait sans doute été un brin barbant sans deux choses essentielles : le talent du MC pour faire rebondir les mots indépendamment des structures grammaticales françaises, et sa capacité à attraper l’auditeur par le col pour le remettre sur le droit chemin. Il s’autoproclame ainsi décodeur télévisuel, journaliste de terrain, prophète du réel… Rocca en fait des tartines oui, mais avec un tel aplomb et une telle technicité (au hasard : « Différencie la T.V. d’ici de ce que tu vis / Dit sais-tu que les vrais bandits ne se voient pas dans les séries Z ») que le tout passe comme une lettre à la poste.
Reste que l’existence désabusée des jeunes des quartiers trouve ses racines au-delà des écrans, et Rocca le sait bien au fond (« J’allume la télévision : gun, sexe, drogue, violence / Le catalogue en vogue influence la jeunesse en manque d’un véritable dialogue« ). D’ailleurs, il n’a pas vraiment de cible précise, tirant à boulets rouges aussi bien sur Hollywood que sur les programmes télévisés, le journal de 20 heures ou les jeux vidéo. Pointer du doigt le flou entre le réel et le fictif, c’est davantage une catharsis qu’un véritable réquisitoire, comme une manière de remettre les choses en ordre – résumée dix ans plus tard par Jay-Z dans une formule imparable sur « Ignorant Shit » : « Scarface the movie did more than Scarface the rapper to me ». Autrement dit, la société et son hypocrisie sont la véritable cause du problème, ceux qui en témoignent n’en sont que la conséquence. C’est en écorchant au passage les wacks MCs, vus ici comme l’un des fruits avariés de la télévision (« Paris est plein de faux, wacks, mauvais garçons / Changeant de veste comme de nom, vivant leur propre film d’action »), que Rocca révèle une deuxième limite : celle du vrai et du faux. C’était déjà le sujet de « L’original » et de sa critique acerbe de l’industrie du rap. Ce sera celui, à plus grande échelle, de « Artifices » quelques pistes plus loin. Et c’est, au fond, celui de « Aux frontières du réel », point névralgique d’Entre deux mondes, situé idéalement au milieu du disque et qui centralise toutes les obsessions du rappeur colombien, grand authentique face aux éternels faussaires. -David²
La 25ème image
Paru sur le mythique album des Musiques inspirées du film La Haine, « La 25ème image » est un morceau fondateur sur le rapport de la jeunesse aux images. Il serait d’ailleurs intéressant d’interroger Rocca sur l’influence qu’il a pu avoir sur Entre deux mondes. À partir d’un sample hypnotisant du film d’animation Akira (dans lequel les limites entre le réel et le virtuel sont largement floutées), le groupe IAM épaulé de Nuttea déplore la violence des films hollywoodiens. Si Rocca visait large dans sa critique des écrans, Akhenaton et Shurik’n ciblent avec précision l’industrie du divertissement, sa représentation des minorités et la fascination qu’elle peut exercer sur les esprits jeunes, démunis et fragilisés. L’introduction vaut tous les discours : « Les enfants, les égarés sont comme des feuilles / Et l’écran leur offre l’encre de la violence […] L’image prend désormais le contrôle de la personnalité / La fiction devient réalité, et la réalité un cauchemar ». Comme un coda au « Burn, Hollywood burn ! » de Public Enemy, les phocéens critiquent avec véhémence la représentation des mecs de quartiers dans les films, toujours associées aux bandits et aux méchants. Un choix délibéré qui entraine les rouages d’un cercle vicieux, puisque la jeunesse qui s’y identifie devient à son tour mauvaise (« 24 images de scènes violentes, la 25ème sera réelle »). La démonstration, chez IAM comme chez Rocca, est certes bancale tant le sujet est glissant. Si la représentation dégradante des minorités est une réalité, il n’y a pas de violence dans l’art – ce que le cinéma est au même titre que le rap – sans violence dans la société. Et le détournement d’un film comme Scarface, qui ne véhicule jamais le message de fureur que la majorité des rappeurs lui prête, montre à quel point il est facile, volontairement ou non, d’interpréter maladroitement une œuvre. Après tout le rap – qui cite volontiers des films ultraviolents – sera lui aussi sera accusé d’encourager la violence et à raison s’en dédouanera. Reste que malgré ces failles dans leur discours, Rocca et IAM ont le mérite de recentrer le débat sur les premières victimes de cet état de fait, cette « jeunesse en manque d’un véritable dialogue ».
IAM ft. Nuttea - « La 25ème image »

« SOUS UN GRAND CIEL GRIS… » FT. RAPHAËL
« Sous un grand ciel gris… » est le point de rupture d’Entre deux mondes. Comme si tous les morceaux précédents menaient inexorablement à celui-ci, et comme si tous les suivants n’en étaient – malgré leurs qualités réelles – qu’une redite. Ça commence par une mélodie triste et pluvieuse, comme le rap français en a produit des dizaines. Mais elles n’étaient pas signées Lumumba, qui crée ici une atmosphère intense grâce à une partition à la fois angoissante (écouter les percussions qui montent en fin de mesure) et mélancolique. Un tapis rouge pour Raphaël, qui ouvre le bal en déroulant un plan séquence riche de détails sur la vie de quartier et sa monotonie crasse : « le biz tourne, les frères brassent l’argent, la même rengaine, la même dégaine des flics qui te foutent la haine ». Plus question de frontière ici (d’ailleurs « rien à mater à la télé »), c’est une plongée tête la première dans la réalité la plus morne, où les bouches de métro, les vendeurs de malbouffe et les bâtiments sombres sont autant de points de repère aux lascars qui déambulent sans but et sans horizon.
Un dialogue s’instaure ensuite entre Raphaël et Rocca lors d’un habile passage de micro, grande tradition chez La Cliqua (écouter « Ascension », ou « En dehors des lois » et « Là d’où l’on vient » avec Daddy Lord C pour s’en convaincre). Fidèle à ses principes, El Chief répond du tac-o-tac pour appeler à combattre l’apathie par le savoir, la réflexion et le travail. Un appel à briser le déterminisme social autant qu’à relativiser sa situation (« Ici c’est la merde, le ghetto… / Allez arrête gars, je reviens de Bogota / Paris ne peut pas être pire que ça »), qui paraitra sans doute naïf et qui peut être vu plus simplement comme, au choix, une touche d’espoir ou une volonté d’en finir avec le misérabilisme d’un certain rap français.
Mais « Sous un grand ciel gris… » va prendre une autre dimension après le refrain. À la manière d’Akhenaton dans « Demain c’est loin » ou de Lino dans « La Rue t’observe », Rocca exécute un deuxième couplet à rallonge, véritable morceau de bravoure qui tape loin et fort pour dresser le constat accablant d’une jeunesse enfermée dehors. Une entrée fracassante qui plante un décor d’outre-tombe (« La nuit tombe comme une fièvre épaisse / Les rues sont balayées d’un vent glacial qui blesse / Coupe comme une lame / Les mains des derniers jeunes qui squattent le macadam »), une écriture riche mais dépouillée qui garde l’essentiel (« Des mères qui pleurent, la haine qui coule des yeux / Des poings qui se ferment / Des familles en peine, des putains de juge / Des lourdes peines ») et une vélocité toujours à propos qui ne laisse pas le temps de respirer (« Plus les heures passent, plus les jours avancent en masse / On laisse que les problèmes s’entassent afin que l’étranger s’encrasse »). C’est du rap à l’état pur, de la rime par accumulation, où chaque phrase laisse tomber une chape de plomb un peu plus lourde que la précédente. C’est aussi Rocca qui avant de s’élever (« La Fama » viendra clore le disque trois pistes plus loin) déchire le ciel orangé des ghettos parisiens, comme pour laisser passer avec lui ceux qui ont encore assez de volonté pour s’en sortir. -David²
Ceux qui savent
Si Rocca et La Cliqua ont influencé tout un pan du rap français par leur technique et leur authenticité, Tandem est sûrement l’un des groupes qui s’en est le plus réclamé. Un goût prononcé pour les ambiances sombres et les pianos mélancoliques, pour les figures de style en tout genre, pour la narration visuelle, pour des schémas de rimes inédits dans des couplets épiques… La suite de leur carrière ne va peut-être pas dans ce sens mais sur leur premier EP, Ceux qui le savent m’écoutent sorti en 2001, la filiation est prégnante. Dans « Les maux » ou dans « Mémoires d’un jeune con », Macregor et Mac Tyer semblent écrire de manière quasi-automatique. Des couplets à rallonge, le refus systématique des structures classiques, une accumulation harassante de mots et de malheurs : ce serait presque du rap au kilomètre si la forme n’était pas aussi riche d’assonances et d’allitérations. Difficile alors de ne pas penser au Rocca en état de grâce de « Sous un grand ciel gris… ». Le morceau est d’ailleurs samplé à la fin de « Imagine » (aux côtés, entre autres, de « La rue t’observe » et de « Demain c’est loin » !), étourdissant solo de Mac Tyer où ce dernier encourage l’auditeur à visualiser les pires évènements possibles, à petite et à grande échelle.
Tandem - « Imagine »
La volonté de fédérer, de faire tomber les cloisons, qui débouche sur des projets collectifs mémorables. IAM, qui fait sonner un album de rap français comme jamais auparavant. Night & Day, qui continue de donner aux labels indépendants un accès au marché du disque digne de ce nom. Time Bomb qui explose, dans tous les sens du terme. Le millésime 1997 du rap hexagonal, c’est tout ça. Avant de revenir plus en détail sur cette année plutôt dense, place à la musique avec une sélection de ce qu’il faut retenir, à notre humble avis, de cette cuvée forte en bouche.
Tracklist :
- White & Spirt – Instru « 11’30 contre les lois racistes »
- Beat de Boul – « Dans la Sono »
- Koalition – « Eah Koi (Double H Remix) » feat. Busta Flex
- Soul Choc – « Garde ça pour toi »
- ATK – « Attaque à mic armé » feat. Zoxea
- Ménage à Trois – « La 3ème vie »
- Afro Jazz – « Strictly Hip-Hop » feat. Ol’Dirty Bastard
- Rocca – « L’Original »
- Ennio Morricone – « Restless »
- Different Teep – « Mon Pote et moi » feat. Dany Dan
- Busta Flex – « Le Zedou »
- Doc Gyneco ft. Arsenik – « Arrête de mentir »
- Fonky Family – « La Furie et la foi »
- DJ Kheops – « Mama Lova » feat. Oxmo Puccino
- Ekoué – « Blessé dans mon ego »
- Minnie Ripperton – « Perfect Angel »
- Fabe – « Des Durs, Des boss… Des dombis! »
- Papi Fredo – « Des Sapes plus reuch' »
- Oxmo Puccino – « Pucc Fiction » feat. Booba
- Akhenaton – « Pousse au milieu des cactus, ma rancœur »
- D.Abuz System – « Les Crews s’braquent »
- Kohndo – « Mike branché »
- Section Fu – « Ruff Reality »
- Rootsneg – « Le Biz »
- Lunatic – « Les Vrais savent »
- La Brigade – « 16 Rimes » feat. Lunatic
- Les Derniers Messagers – « L’Épopée »
- X Men – « C’est justifiable »
- X Men – « Retour Aux Pyramides »
- Passi – « Le Monde est à moi » feat. Akhenaton
- IAM – « Demain c’est loin »
Exceptionnellement, on est sorti de notre studio parisien pour aller visiter la ville d’Akhenaton. Comme l’an dernier, on y était pour couvrir le tremplin Buzz Booster. Mais également pour rencontrer plusieurs personnalités emblématiques du rap marseillais. Une émission hors-format donc, entrecoupées d’interviews et de live-report. Florilège de portraits (Nemir, Rocca, Gros Mo, Dj Djel, R.E.D.K, Nor… dans la même émission), de vannes, de ballades sur le Vieux Port et de coups de soleil.
La météo n’est pas franchement estivale en cette fin juin et ce début d’été. Il flotte même comme en plein mois de mars. Le comble, c’est que cette pluie abondante met en condition avant d’aller rencontrer Rocca, qui est revenu au rap en français avec un EP le 18 juin dernier, intitulé Le Calme Sous La Pluie. Un titre surprenant, tant on a toujours connu Rocca comme un artiste ardent sur chacun de ses couplets depuis le début de sa discographie avec La Cliqua jusqu’à ses aventures sud-américaines avec Tres Coronas, en passant par sa carrière solo.La rencontre avec l’artiste franco-colombien se passe dans un lieu hautement symbolique, les anciens locaux de Générations dans le XXe arrondissement. Le visage toujours quasi-juvénile de Rocca pourrait presque faire croire qu’on a voyagé dans le temps, à l’époque de ses freestyles sur cette même station et bien d’autres. Surtout que le chief a autant d’énergie en conversation que dans ses prestations. La nonchalance, peu pour lui. Il est plutôt dans la démonstration : il sert les dents lors de certaines de ses réponses nerveuses, puis sur la fin de l’entretien montre de la mélancolie en parlant d’un collaborateur disparu ou de ses relations avec les membres de La Cliqua. Après presque vingt ans de carrière, Rocca fait preuve de toujours autant de passion quand il parle de son art et de carrière. Ça tombe plutôt bien, on avait pas mal de choses à lui demander.
Abcdr du Son : Dans « Le Hip-Hop Mon Royaume », tu racontais être né dans une famille d’artistes. À quoi ressemblait ton enfance ?
Rocca : C’est très bien que tu me poses la question, on va pouvoir rectifier une chose : je suis né à Paris ! [sourire] Un journaliste a un jour écrit que j’étais né en Colombie et tout le monde l’a repris dans les bios. Je suis un produit de l’immigration. Toute ma famille est colombienne, mes parents sont arrivés à Paris vers 1975, l’année de ma naissance. Comme mes parents sont artistes, on allait d’un pays à l’autre, et j’ai aussi vécu une partie de ma jeunesse en Colombie. Mais mes parents se sont définitivement établis en France quand j’étais encore petit. J’ai grandi à Paris dans cette ambiance liée à l’immigration : à la maison, c’était la Colombie, et dehors, c’était ce qu’on vivait à Paris à l’époque.
A : C’était dans quel coin, le XVIIIe arrondissement ?
R : Non, je vivais porte de Vanves [dans le XIVe arrondissement, au sud de Paris, ndlr]. Mais le XVIIIe, j’y avais tous mes potes, c’est là où j’ai passé mon adolescence.
A : Grandir dans une famille d’artistes, c’était comment ?
R : Mes parents sont peintres, mais dans la famille de mon père et de ma mère, il y a beaucoup de musiciens professionnels. Quand mes parents sont arrivés à Paris – c’était l’époque des babas cool, les années 70 – beaucoup de mes oncles venaient à Paris pour travailler la musique, tenter leur chance. J’ai grandi avec beaucoup de musiciens, et mes parents m’ont d’ailleurs mis au conservatoire très tôt, à l’âge de sept ans, je crois. J’ai appris le solfège, à jouer du violon, du piano, puis je suis passé à la batterie, et après aux percussions, mais en dehors du conservatoire, avec des amis cubains, vénézuéliens, colombiens. D’ailleurs, avant de me mettre au rap, j’étais batteur dans des groupes. J’avais treize ou quatorze ans, et je jouais avec des gars plus âgés qui faisaient du jazz-rock, de la fusion. J’essayais de jouer des rythmes plus funk, plus rap, parce que c’est ce que j’aimais. C’était mon hobby, je me baladais avec des baguettes tout le temps [sourire]. Mais à la même époque, je kiffais le dessin, le graffiti, et c’est par le graffiti que je suis rentré dans le rap. Dans mon quartier, on en écoutait beaucoup, et vers 88-89, tous les dimanches, on écoutait Deenastyle.
A : C’est ton premier souvenir lié au rap ?
R : Oui. Je ne traînais pas avec des mecs qui avaient beaucoup d’argent, on n’avait pas Yo! MTV Rap, tout ça. Le premier rapport, c’était la radio et les émissions de Nova qu’on enregistrait sur cassettes. Il y avait un autre truc mortel : une bibliothèque qui avait ouvert à côté du quartier, où avec un abonnement, on pouvait sortir des vinyles, je crois que c’était quatre par jour. Il y avait de tout : du Trouble Funk, du Eric B & Rakim, du Run DMC, c’était super bien. Grâce à ces vinyles, chez moi, je faisais mes propres breakbeats sur un poste Philips. Je faisais des cassettes de trente minutes avec la même boucle [sourire]. C’était à la fin des années 80, je commençais à poser mes premiers raps comme ça.
A : Avec ce bagage musical, à quel moment tu te lances vraiment dans la musique ?
R : Au début des années 90… En 1990 exactement même. En fait, Farid [Jelahee, DJ de La Cliqua, ndlr] et moi étions dans le même bahut. Il avait gagné un concours de MJC, et avait des platines, des vinyles, un petit sampleur, donc j’étais tout le temps chez lui à travailler, à sampler des disques de jazz. On ne savait pas trop où on allait, mais on enregistrait nos petites démos. Et cette année, en 1990, il y a eu un concert de Gang Starr à l’espace Ornano, avec en première partie, je crois, Little Mcs et Idéal Junior [ce fameux concert a en fait eu lieu en décembre 1991, année de la sortie de Step In The Arena, ndlr]. Et surtout Gang Starr ! Pour nous, ça a été le gros déclic. Quand j’ai vu Guru, je me suis dit : « Je veux rapper comme lui. » Son charisme, le concept du MC et du DJ pendant le concert, le truc sale qu’il y avait à l’espace Ornano… C’était mon premier concert de rap, j’avais quinze ans, je me prends ça dans la gueule. Je me suis mis à travailler plus sérieusement le freestyle, la rime.
Et puis à un moment, Jelahee a commencé à rencontrer du monde. Des reubeus zé-ras, en baggy, tatoués et sous Cypress Hill, il n’y en avait pas beaucoup à l’époque sur Paris. [sourire] Il allait travailler au Lab, la boutique de Brian, de J.R. et de Chimiste. Ils commençaient à monter un groupe avec un mec qui s’appelait Daddy Lord C. C’était une légende de la rue, un mec connu pas en tant que rappeur mais comme quelqu’un qui cassait des bouches, comme un mec des gangs de l’époque, comme Dalton, les Black Dragons, tout ça. Lui était en train d’enregistrer son morceau « Les Jaloux », sur lequel c’est Jelahee qui scratche. Farid en a profité pour lui dire : « Je connais un rappeur qui défonce ». C’est donc là que j’ai rencontré Daddy, et ça a tout de suite accroché. Très rapidement, avant même d’avoir été intégré dans La Cliqua, on formait La Squadra avec Daddy, et on travaillait des morceaux. Je me souviens que c’est aux dix ans de la Zulu Nation, à la mairie de Porte d’Orléans, en 1993, que je suis rentré dans La Cliqua. De là, je fais mon école, alors qu’avant, je me faisais les dents. Dans La Cliqua, je rencontre d’autres MCs qui ont du talent, et il y a une émulation, de l’adrénaline. Imagine : on est tous adolescents, on dort dans les mêmes chambres où on ne fait que rapper, on va d’une ville à l’autre, d’une cité à l’autre, d’une MJC à une radio… Toute la journée, on rappe ! On sèche les cours, on ne pense qu’à ça. Surtout qu’à cette époque, j’écoutais beaucoup de rap hardcore, j’étais plus Gang Starr que De La Soul, tu vois. J’aimais le grimy, le truc sale, parce que c’est ce que je vivais. Tous les gars de La Cliqua, c’est ce qu’on ressentait. C’est pour ça qu’on avait ce côté new-yorkais, mais en même temps tellement parisien ! Ça puait la rue ! Je n’étais pas comme Daddy, mais je n’étais pas un ange non plus… J’avais le feu !
A : Dans quelles conditions s’est fait Conçu Pour Durer ?
R : On enregistrait des mixtapes, par-ci par-là, on tapait des freestyles à la radio… La rue écoutait La Cliqua ! Il n’y avait pas un mec qui n’écoutait pas La Cliqua dans son ghetto blaster, parce que c’était nous la nouvelle génération. Avec tout le respect pour IAM ou NTM, nous, on les avait dépassé. On avait un juice… et une vraie émulation, avec les mecs du Ménage à Trois, 2 Bal 2 Neg’, tout ce bordel. On avait une manière différente d’élaborer les rimes, les métaphores, le slang, le style de son… On était une nouvelle école ! On rappait partout où on traînait, ça a été ça mon école. Quand les américains arrivaient, ils se prenaient des claques. Ils ne comprenaient pas, mais il captait la vibe. Wu-Tang, Gang Starr : les gars arrivaient sur Paris, ils étaient offishal ! Ils avaient la meilleure weed et le meilleur du rap de Paris. [sourire] Du coup, très tôt j’ai pu enregistrer à D&D. En 1995, j’ai enregistré le remix de « Le Hip-Hop Mon Royaume » à D&D avec Blahzay Blahzay. Imagine… Un groupe indépendant, on récupérait de l’oseille avec la vente de l’EP et nos concerts. Je me professionnalise sur le tas en fait, on ne connaissait rien : la scène, l’enregistrement… On rappait sur bandes, il n’y avait pas Pro Tools. Un studio ça coûtait cher, il fallait faire one shot ! On arrivait en studio préparés, avec des maquettes. Un mec qui n’était pas bon, qui devait enregistrer quarante fois, ça lui coûtait cher !
A : Donc déjà à cette époque, tu traînes à New York ?
R : Déjà avant en fait, au début des années 90. J’étais chez des amis de ma famille, qui habitaient Alphabet City [quartier situé dans le East Village de Manhattan, ndlr], en face de Brooklyn. A cette époque, c’était un endroit chaud, essentiellement porto-ricain. J’étais pote avec des porto-ricains et des cubains. J’ai connu le New York où sur la 42e on vendait encore du crack et de l’héroïne, il y avait des pimps et de la prostitution. J’avais 14 ans, t’imagine !
A : De tes yeux de jeune français issu de l’immigration colombienne, comment tu as vécu cette expérience de vivre dans une diaspora latino-américaine à New York ?
R : A Paris, j’étais entouré de Farid, Abdoulaye, Mamadou… On me prenait tout le temps pour un arabe ! [sourire] C’est pour ça que je m’identifiais beaucoup au rap américain, en dehors de mes musiques latines, il y a dès le début eu beaucoup de latinos dans le rap. Au fond, ma vraie culture, c’est le hip-hop. Tout ce que j’ai eu dans ma vie, c’est grâce au rap et au hip-hop.
A : C’est presque une constante dans ta carrière : sur tous tes albums, tu as plusieurs morceaux où tu célèbres le hip-hop, tu défends un certain idéal du rap, qu’on ne retrouve plus aujourd’hui.
R : Si, on le retrouve dans la danse et le graffiti, mais pas dans le rap, c’est vrai. J’vais te dire : je ne suis pas un bicraveur du rap. Je l’ai fait par vocation, j’ai eu cette chance d’avoir grandi dans cette époque, d’avoir connu cette émulation. Ce que je raconte, encore aujourd’hui, c’est vrai, je ne te raconte pas de mythos. Je ne suis pas là à te raconter que je vends du crack et que je dors avec un 9 mm. Ce qui est complètement faux en France, ne vient pas me dire ça. En allant au Salvador, j’ai été confronté à une violence extrême, on ne peut pas me raconter des conneries. Si ça marche, tant mieux pour toi. Mais quand j’ai pris le micro, pour moi le rap, c’était une opportunité de m’approcher de la vérité, ce que j’ai toujours essayé de faire. C’est l’authenticité qui m’a plu. Tu peux être un vrai gangster et raconter ta vie, il n’y a pas de problème, c’est du vécu. Mais la majorité des gars ici, ils ne dorment pas avec un 9 mm.
« Tout ce que j’ai eu dans ma vie, c’est grâce au rap et au hip-hop. »
A : C’est un autre fil rouge dans ta discographie, cette volonté de casser l’image parfois glamour que les jeunes se font du banditisme et de l’illégalité, sans faire la morale. Pourquoi ?
R : J’ai grandi dans un milieu où il y avait de vraies caille-ras. Eux me disaient : « Tu as l’opportunité de rapper, sans le vouloir, tu nous représentes. Donc fais-le bien ». J’essaie de transmettre un message positif. Il y a une phrase de Daddy Lord C que j’aime beaucoup, et qui relativise bien le rap racailleux d’aujourd’hui : « Caillera je veux bien, mais toutefois avec du génie. » Ça résume vraiment ma philosophie. Être caillera pour être caillera, c’est pas intéressant. C’est même une insulte. Si t’as du génie, tu dois sortir du lot. Et c’est ça qu’on essayait de faire dans La Cliqua.
A : Tu parles beaucoup de Daddy, et assez peu des autres rappeurs de ton groupe.
R : Parce que les autres étaient comme moi ! Daddy, c’était un OG, lui et toute l’ambiance qui traînait autour. Pour moi, c’est un des meilleurs lyricistes de France. Booba et tous ces mecs-là s’en sont inspirés. « Mon rap caille te colle pire qu’un UV ». Daddy !
A : Quel est le meilleur souvenir que tu gardes de cette époque, au moment de la sortie de Conçu Pour Durer et de cette émulation ?
R : Les soirées « 1664 » [sic]. C’était des soirées qu’on faisait dans des rades du XVIIIe, du XXe, où il n’y avait que des kickeurs. C’était sale, c’était pas comme aujourd’hui avec des mecs qui arrivent avec leur sac à dos… Il y avait tous les gars de Gare du Nord, et beaucoup de gens du rap français de l’époque sont passés par là. Je me rappelle aussi de l’hôpital éphémère : c’était un hôpital où il y avait des studios, dans le XVIIIe, à Guy Môquet, et tout le monde y avait son studio. Ça devait être démoli, mais la mairie a laissé ça aux jeunes, il y avait des graffeurs, des rappeurs… Je me souviens aussi de la Zulu Nation, à Harlem, en 1996. On y avait été invité, et on a rappé des freestyles sur des tables. Les mecs qui nous tenaient, c’était les gars de M.O.P. et d’E.P.M.D., avec Tony Touch aux platines ! [sourire] Tout ça c’est des bons souvenirs.
A : Suite à Conçu Pour Durer et la compilation Le Vrai Hip-Hop, tu es le premier à sortir en solo. On aurait pu s’attendre au contraire à un long format du groupe. Pourquoi ?
R : Ce qui s’est passé, c’est que grâce à mes solos sur Conçu Pour Durer et Le Vrai Hip-Hop, j’avais un buzz de ouf. Daddy, lui, rentrait professionnel à la boxe. Egosyst venait de quitter Coup d’État Phonique et La Cliqua, Kohndo se retrouvait tout seul, et les gens connaissaient Coup d’État Phonique, pas Kohndo seul. Donc les gars de La Cliqua m’ont dit : « Rocca, il faut que tu sortes un solo, le temps qu’on reconstruise tout. » Surtout que j’avais un morceau qui tournait à la radio, et j’enregistrais beaucoup. A ce moment là de La Cliqua, j’étais peut-être le gars le plus opé pour pouvoir sortir un album. Kohndo avait pas mal de morceaux, mais il fallait qu’il recrée quelque chose en solo.
A : Comment s’est passé l’enregistrement de ce premier solo ?
R : Très vite ! On a maquetté très rapidement, environ la moitié de l’album, et l’autre moitié en studio, comme ça, sur des sons qui arrivaient. Avec Lumumba, Gallegos, Chimiste, on était enfermés 24h sur 24. Je dormais en studio. On a bouclé l’album en moins d’un mois.
A : Cette précipitation, tu l’as regretté ?
R : Non, parce que ça s’est fait comme ça. Et s’il a cette couleur là, c’est parce qu’il s’est fait dans cette urgence, cette rage. Et si des gens l’écoutent encore aujourd’hui et ressentent ça, c’est pour ça. Comme je te l’ai dit, on voulait s’approcher de la réalité.
A : L’album a profité de la bonne exposition de ton single « Les Jeunes de l’Univers ». Tu t’y attendais ?
R : En fait moi, ce qui m’a surpris, c’est le boycott surtout !
A : Comment ça ?
R : Tu te rappelles de Laam ? [Le premier single de Laam était une reprise de « Chanter Pour Ceux » de Michel Berger, samplé sur « Les Jeunes de l’Univers »] Il y a un jeune artiste, en train de défoncer à la radio. A côté, tu as une maison de disques qui ne sait pas quoi lancer, vaguement une chanteuse r’n’b, qui entend ce petit jeune qui cartonne à la radio avec cette boucle de Michel Berger que tout le monde connait… Le jour où son morceau est entré en playlist, le mien est sorti. C’est ça qui m’a choqué. Je me suis aperçu que je rentrais dans un milieu qui n’était pas le mien. Ce n’est pas un mauvais souvenir, au contraire : c’est un très bon souvenir de la réalité. Tu fais du rap, et une chanteuse de merde arrive avec une chanson où elle ne crée rien – parce que nous, quand même, du sample on crée autre chose. Simplement, on apportait une ambiance qui ne plaisait pas aux grands médias.
A : Je me souviens que vous étiez quand même passés sur Canal+.
R : Oui, mais on avait apporté une autre ambiance sur le plateau – on était en 97 quand même ! C’est un autre monde qui arrivait à la télé, avec des mecs qui parlaient avec leur argot, leur accent. On savait ce qu’on disait, on n’était pas bêtes. Ça faisait peur !
A : Tu as senti une condescendance quand vous arriviez dans ce genre de milieu ?
R : Grave ! On arrivait dans un milieu ou la pop et le rock était la norme. Je me souviens de Laurent Bouneau qui nous avait suivi pendant la tournée de NTM, il ne savait pas ce que c’était, le rap ! Et d’un seul coup des mecs comme moi faisions disque d’or, bam !
A : Ce succès soudain, si jeune, ça t’a grisé ?
R : Non, au contraire, ça m’a permis de comprendre certaines choses, d’évoluer dans ma musique. J’ai appris sur le tas, il n’y a rien de tel que l’expérience directe comme ça ! Après, c’est vrai que je me suis détaché de ce milieu là, j’ai continué à faire ma musique à ma manière. Beaucoup de gens disent : « Rocca n’a pas pété », mais c’était peut-être une volonté. Sur mes albums suivants, il y a quelques singles, mais ça reste moi, très rap, hors tendance. J’ai suivi ma lignée, jusqu’à aujourd’hui et Le Calme Sous La Pluie.
A : Dans quelles conditions s’est fait l’album éponyme de La Cliqua ?
R : Ça avait changé entre nous. Arsenal nous avait payé pendant trois semaines un séjour loin de Paris, dans une province où il n’y avait rien, dans une villa. Je ne garde pas un très bon souvenir de cette période. On pensait tous différemment, il n’y avait plus cet esprit de camaraderie… je vais le dire franchement, cet album, c’est Jelahee et moi qui l’avons fait. Et Raphaël, qui se laissait bien driver, et qui était un vrai tueur… [Long silence]
A : Ces différends avec les autres, ça a été une des raisons qui t’ont poussé à voyager plus à New York ?
R : Non, c’est juste l’envie de kicker. La terre appelle. J’étais dans une autre vibe depuis quelques temps. Ma manière de m’habiller, les sons que j’écoutais, les sons que me proposaient les producteurs français… Ça ne collait plus. Il était temps de partir. Je me suis dit : « Si je ne pars pas maintenant, je ne partirais jamais ».

A : J’imagine que ce changement d’environnement, personnel et géographique, a eu une grosse incidence sur ta manière de faire de la musique.
R : Le truc c’est qu’à cette époque, j’étais déjà tout le temps fourré à New York. J’étais chez des potes, dans le Queens, à Brooklyn, à freestyler et à kicker en espagnol. Je pense que c’est perceptible sur Elevación : mon flow a évolué. Et pas que ça : dans la structure musicale, dans la conception des morceaux, dans les arrangements. Tu écoutes un morceau comme « La Bonne Connexion », sur lequel je fais du storytelling, et tu écoutes « Chronique » et « Spasmes », c’est un autre niveau. J’arrive à plus rentrer dans les détails, à sentir la pisse du chien sur le trottoir. Et surtout, je me suis lâché avec Gallegos, Armeni Blanco et Lenny Barr. Aujourd’hui encore, c’est l’album qui me rapporte le plus de parts de SACEM. Alors que quand je l’ai sorti, c’était un album complètement incompris. En 2001, les gens n’écoutaient pas ça dans le rap. L’album n’a pas fait disque d’or, il a dû vendre entre cinquante et soixante mille, ce qui était bien. Pour la maison de disques ce n’était pas une réussite commerciale. Mais de mon point de vue personnel, pff… C’est aussi cet album qui m’a ouvert des portes aux États-Unis, avec des morceaux comme « El Original », qui a été un hit en Amérique latine. Ça m’a permis d’enregistrer un remix du morceau « What You Think Of That » en studio avec Memphis Bleek et Jay-Z, qui n’est finalement pas sorti [on retrouve ce remix sur le street album New York de Tres Coronas]. Celui qui venait me chercher à l’aéroport, c’était DJ Enuff ! C’est à partir de 2001 que j’ai commencé à vivre la moitié de ma vie à New York. Comme je n’avais pas de visa, il fallait que je revienne tous les trois mois.
A : Sur Elevación on retrouve deux artistes qui ont compté pour toi. Il y a d’abord Big Red.
R : Big Red m’a beaucoup influencé, beaucoup appris. Sur scène, c’est un monstre. En studio, c’est un boulimique de travail. Je l’ai rencontré au moment où il enregistrait son premier album, Big Redemption. Rudlion et lui m’avaient appelé pour le morceau « El Dia De Los Muertes ». Ça a tout de suite collé. On a fait une tournée ensemble suite à ça, et enregistré d’autres titres, comme « Sang Pitié ».
A : Qui était P4, qu’on retrouve à deux reprises sur Elevación ?
R : [Long soupir triste] Miguel… C’est en partie à cause de ça que j’ai quitté la France. Il s’est fait assassiner. Lui, c’était vraiment le mec que… Si j’avais envie de produire quelqu’un, c’était lui. Et je commençais à être assez mûr et à avoir assez de capitaux pour commencer à embarquer quelqu’un dans une aventure, lui proposer quelque chose. P4 avait tout. Il avait la street, la voix, le flow, le look, tout. C’était un tueur, un putain d’MC. Il tuait sur scène, c’était mon backeur, le seul que j’ai eu après La Cliqua. On travaillait sur son projet de EP, et puis il est mort… On venait juste de finir la tournée d’Elevación, on venait juste de commencer à travailler Amour Suprême, où il produit un morceau, « Apprendre à Vivre ». A ce moment là, j’ai eu un coup de dépression. C’est ça qui m’a fait éloigner du rap français. Ça me rappelait trop de souvenirs. La Cliqua, Miguel…
A : Puisque tu évoques Amour Suprême, quel regard tu portes ce troisième album ?
R : Pour moi, c’est mon meilleur album. Du point de vue de la production, j’ai réussi à faire ce que je voulais. Surtout, j’étais arrivé à maturité. Tout est dit dans cet album. Je trouve qu’il n’a pas vieilli. Sur Elevación, j’avais vraiment envie de rapper, je venais de sortir de l’histoire avec La Cliqua, j’ai attendu deux ans, je savais ce que je voulais faire. BAM, en un mois c’était bouclé. Mais dans Amour Suprême, c’est tout mon savoir-faire de dix ans de rap. J’ai bien pris mon temps pour le maquetter. C’était bien plus confortable. Pour ça je peux remercier la productrice exécutive, Anne Lamy [directrice artistique chez Barclay entre 1994 et 2005, et fréquente collaboratrice d’Alain Bashung]. Elle m’a laissé un budget libre. Parce que ça coûtait cher : j’enregistrais sur bande, c’était ensuite mixé en double SSL. Elle m’a fait confiance dans ma musique, et elle n’a jamais été déçue. Mais cet album et Elevación sont sortis à une époque où tout commençait à changer dans les maisons de disque, l’époque où Vivendi venait de racheter Universal. Ils avaient viré tous les gars qui s’y connaissaient en musique pour mettre des mecs qui sortaient des écoles de commerce et qui n’y connaissaient rien. J’ai subi ça, tous les trois mois on changeait de mec, tu ne comprenais pas qui c’était, il prenait le projet et ne savait rien. C’est comme un sportif qui change tout le temps d’entraîneur. Et puis eux voulaient des coups, un truc qui marche et voilà. Alors que moi je suis un gars qui fait des albums pour durer. Je pense qui si tu écoutes des sons sur mes albums aujourd’hui, il y en a qui n’ont pas vieilli. Un morceau comme « Plaidoirie », il y a des choses que j’entends dans le rap conscient d’aujourd’hui, des gars comme Médine.
A : Tu l’évoquais un peu plus tôt, à cette époque, tu commences à travailler sur Tres Coronas. On voit même une photo de toi avec PNO dans l’album Elevación.
R : J’ai rencontré PNO en 1999, quand j’étais en train de finir le mastering de l’album éponyme de La Cliqua, via des amis en commun. Ils m’ont dit : « On connait un rappeur d’origine colombienne qui aimerait te rencontrer ». Et très vite, on a commencé à enregistrer des démos en espagnol, à vendre nous-mêmes notre première mixtape. On en a vendu des milliers, beaucoup en Amérique latine, ce qui nous a permis de financer le street album New York, puis notre premier album Nuestra Cosa.
A : Tu avais déjà eu une carrière ici. J’imagine que ça a joué dans ta manière de construire Tres Coronas ?
R : Je m’occupais de la partie artistique, j’avais l’expérience de la scène, du studio. C’était mes petits. Les têtes pensantes, c’était PNO et moi. Par contre, le truc avec Reychesta, c’est qu’il n’écrivait pas ses lyrics. C’était un freestyler, mais il ne savait pas écrire de chansons. Et c’était beaucoup de l’image chez Rey. Ce qu’il était, c’était faux. Il était gentil, mais il mentait trop, avait des problèmes de drogue. Je venais de toutes ces histoires dans La Cliqua, on ne pouvait plus me la faire. Quand on a senti avec PNO que ça commençait à partir en couille, on s’est détaché de lui. D’ailleurs, il n’a rien dit. Ce n’est qu’au moment où on a été nominé aux Latin Grammy Awards [pour la cérémonie de 2007, ndlr] qu’il a fait des vidéos sur Youtube, où il disait qu’on avait volé le nom Tres Coronas, tout ça. Des conneries.
A : Justement, cette nomination pour « Mi Tumbao », toi qui avais tant d’années de rap derrière toi, qu’est-ce que ça t’as fait ?
R : Regarde, j’ai eu cette nomination pour un titre sur lequel j’ai fait ce que je voulais faire, où j’ai travaillé sans frein. C’est là où je me suis dit « ça ne sert à rien de faire du rap américain comme les Américains », comme ce qu’on a fait sur le premier album. Tu sais qu’on aurait pu signer sur le label de Fat Joe et de son cousin, SRC ? Fat Joe voulait nous signer ! On était en studio avec eux, Akon venait de finir son album. Ils écoutaient nos morceaux, ils nous disaient « putain, on dirait du rap américain mais en espagnol ! » Mais quand j’ai eu la nomination, je me suis dit que le bon Dieu m’avait envoyé un message. Ce qui marche, c’est quand tu fais des trucs que tu as envie de faire, et qui ne sonnent pas comme les Américains. Les Cainris ont quelque chose que tu n’as pas, et toi quelque chose qu’eux n’ont pas. D’ailleurs, quand on a fait l’album La Musica Es Mi Arma, on l’a fait écouter à RZA. Il a crié : « What the fuck ? ». Parce que c’est du rap, mais il y a cette identité sud-américaine, roots.
A : Ce qui était fort avec le succès de « Mi Tumbao », c’est que c’est arrivé au moment de la vague reggaeton.
R : Ça a été un tsunami ! Et pourtant on nous a proposé de faire du reggaeton, on est parti à Porto Rico rencontrer les plus gros producteurs, ceux qui bossent avec Don Omar, tout ça, on est resté une semaine à être dans tous les studios. On a même fait un remix d’un de nos morceaux en reggaeton, mais c’était pas notre truc. Nous on vient du hip-hop, on voulait mélanger ça avec nos racines colombiennes.
A : D’ici, on a du mal à percevoir le succès que vous avez eu avec Tres Coronas.
R : En terme de succès d’estime, c’est comme avec La Cliqua en France : en Amérique latine, on a des titres qui sont des classiques. Tous les ghettos d’Amérique latine savent qui est Tres Coronas. Beaucoup de rappeurs de la nouvelle génération ont été inspiré par nous.
« J’étais trop concentré sur Tres Coronas, je vivais quelque chose de complètement différent. Je ne voulais pas raconter ma nouvelle vie, j’ai eu peur que les gens ici ne comprennent pas. »
A : Une autre expérience importante de ta carrière a été celle avec Christian Poveda sur son documentaire La Vida Loca. Comment ça s’est fait ?
R : Mon frère travaillait avec lui, sur la traduction des sous-titres. C’est donc mon frère qui m’a mis en contact avec Christian, qui avait kiffé le morceau « Mi Tumbao », et qui avait vu des jeunes écouter Tres Coronas en Amérique latine. Mais il ne savait pas que j’étais français. Il m’a donc appelé, envoyé des images, et m’a dit qu’il voulait que je fasse un son avec Yuri Buenavetura, que je connais très bien également, et qui se trouvait en Colombie à ce moment là. Il m’a laissé carte blanche. C’est pour ça que le morceau « La Vida Loca » commence avec un bullerengue, un rythme traditionnel colombien de marche funèbre, lorsque les morts sont portés au moment des enterrements. Et j’ai transformé ça en un mélange avec de la salsa et un rythme down south. C’est ce que j’adore faire ! Mais pour ce genre de morceaux, la production musicale coûte très cher, parce que j’ai des vrais musiciens avec moi. Il y a des sections de quatre trompettes, quatre trombones. A côté de l’enregistrement de mon deuxième EP, je suis d’ailleurs sur un autre projet, un quintette, où je travaille avec des musiciens, avec des morceaux déjà enregistrés, très forts, un truc inédit ! [rire]
A : Cette double carrière, tu la gères comment ? Tu te sens toujours « entre deux mondes » ?
R : Aujourd’hui, j’ai deux répertoires : un en français ici, et un en espagnol quand je fais des tournées en Amérique latine, où il y a quelques classiques vu qu’on a déjà dix ans d’existence. On remplit des salles, et les gens ne savent rien de ma première carrière, que je rappais en français et tout. Et inversement, ici, certaines personnes pensent que je ne rappe plus. Je me demande de quoi ils pensent que je vis. Des deux ! La seule chose que je peux me reprocher, c’est qu’à un moment j’étais tellement dans le rap latino que pendant presque dix ans j’ai presque rien fait en rap français. J’étais trop concentré sur Tres Coronas, je vivais quelque chose de complètement différent. Je ne voulais pas raconter ma nouvelle vie, j’ai eu peur que les gens ici ne comprennent pas. J’avais mon visa, je vivais à plein temps dans le Queens, je voyageais… Avant de revenir à Paris, je venais de sortir d’une tournée Tres Coronas de deux mois au Nicaragua, au Costa Rica, au Chili, en Argentine et en Colombie, avec un répertoire tout en espagnol. Quand je reviens ici, je dois enchainer sur une tournée avec que des textes en français, avec un autre flow, un autre manière de rapper… Mais les deux m’enrichissent ! Je n’aurais pas pu faire ce que j’ai fait en Amérique latine si je n’avais pas été à cette école de La Cliqua, et vice versa avec mon nouvel EP et ma carrière avec Tres Coronas.
A : Après cette deuxième carrière en espagnol, on n’imaginait pas te voir revenir en France. D’où t’es venue cette envie ?
R : J’étais en tournée pour la réédition de l’album Entre Deux Mondes. Pendant la tournée, j’ai commencé à écrire, je me suis enfermé en studio avec mon frère, Lorenzo, et voilà, ça a été très spontané. Mais il a été travaillé avant. J’avais beaucoup d’idées sur ce que je voulais écrire, j’attendais juste les sons. Une fois que je les ai eu, bam. [il frappe son poing dans la paume de son autre main] J’aurais pu faire un album, mais j’ai préféré le format EP, parce que les gens aujourd’hui n’écoutent plus d’albums. Là, je trouve mon EP frais, en accord avec mon humeur du moment. Par contre, ça m’a fait bizarre de travailler avec un frein à main…
A : D’un point de vue musical ?
R : Oui. Parce qu’en Amérique latine, je me lâche. Le rap en France est trop fermé. J’aime bien, parce que ça fait longtemps que j’avais pas travaillé sur des breakbeats, sur du rap brut. Ça a été un plaisir. Mais je me suis freiné. Quand j’ai commencé à préparer mon retour, je commençais à dire : « Je veux faire ça, ça, et ça« , mais mes gars m’ont dit : « Ça fait dix ans que tu n’es plus là, des gens ne te connaissent pas, reviens avec un truc plus terre à terre, plus dans la vibe de ce que les gens peuvent apprécier du rap en France, sinon les gens vont te voir comme un ovni ». Cela dit, ça ne m’intéresse pas qu’aujourd’hui un producteur français m’amène un son à la Rick Ross où à la Meek Mill. Si je veux du Ross ou du Meek Mill, j’écoute leurs albums. C’est pour ça que j’aime travailler avec des producteurs qui se laissent guider par ce que j’aime faire, surtout que je produis aussi. « Mi Tumbao » c’est moi. La Musica Es Mi Arma, c’est moi et mon frère, qui a fait la majorité des sons du EP.
A : En écoutant le EP, j’ai eu ce sentiment qu’on te sent moins épanoui comparé à des morceaux comme « La Vida Loca » ou « Mi Tumbao », comme si l’évidence était que ton son, c’était celui-là.
R : Bah ouais, parce que c’est ce que j’ai toujours voulu faire ! Je ne suis pas pour autant frustré de refaire des choses plus brutes. C’est comme quand tu passes de la conduite d’une voiture à une autre, ça te fait bizarre, mais tu kiffes quand même ! Et je pense que ça s’entend sur des morceaux comme « MC Hustler », « La Notice » ou « Génération Hip-Hop ». Un morceau comme « Le Calme Sous La Pluie », c’est dans les vibes que j’aime du rap ricain actuel, avec un son lourd en basse. Sur « International », j’ai voulu mélanger les deux, il y a les trombones, un côté plus Amérique latine. Sur le deuxième EP, j’enlève le frein à main, je me lâche. C’est pour ça que je l’ai appelé « Le Calme Sous La Pluie », j’arrive tranquillement. J’ai l’expérience, je sais ce que j’ai à faire. J’ai tout un public à conquérir qui ne me connait pas. Et ça me motive, à retravailler plus les lyrics, mes textes en français.
A : Tu avais perdu des mécanismes en termes d’écriture en français ?
R : Plutôt dans le flow. Il faut beaucoup de mots en français pour faire swinguer la langue. Donc j’ai essayé de mettre moins de mots, d’aérer un peu, et de reprendre du plaisir à écrire en français. C’est ça qui m’a pris du temps. Une fois que je me suis réadapté, c’était parti, et j’ai kiffé. Un morceau comme « L’Incompris », niveau écriture, c’est ce que j’aime faire. Il est très personnel, mais tellement humain, tellement vrai.
A : Ce genre de morceaux personnels est arrivé plus tard, à partir d’Amour Suprême. C’est important de parler de temps en temps de toi ?
R : En vérité, sur des morceaux comme ça tu parles pas de toi, tu parles des autres. Si tu contrôles pas tes émotions, t’es comme les autres. Si tu prends le temps de t’étudier, tu connais l’autre. Il y a des principes qui changent, une éducation qui change, mais au fond c’est la même chose.
Monté par Christian Poveda, journaliste-photographe-réalisateur indépendant, La Vida Loca dresse un portrait dépouillé et froid de la réalité de San Salvador. La capitale du Salvador se retrouve depuis des années déchirée entre deux gangs locaux, la Mara 18 et La Mara Salvatrucha. Le documentaire choc, sobre, mais surtout réaliste, colle au plus près d’une réalité faite de fusillades, de cérémonies d’enterrements entrecoupés de joies et bonheurs toujours éphémères. A moins que ça ne soit l’inverse. Sollicité par Christian Poveda, Rocca a fortement contribué à bâtir l’univers musical de ce documentaire à la fois brut et brutal. Il nous a semblé intéressant de l’interroger sur son travail autour de La Vida Loca, sur la situation au Salvador mais aussi sur son auteur, Christian Poveda, tué par balles à San Salvador, quelques mois après avoir terminé le montage de sa dernière oeuvre.
Abcdr du Son : Comment as-tu été amené à travailler sur « La Vida Loca » ?
Rocca: En 2007 j’ai été nominé aux Latin Grammy en tant que meilleur compositeur pour le titre ‘Mi tumbao’ avec Tres Coronas et Christian Poveda kiffait cette chanson. Avec Tres Coronas, nous sommes vraiment reconnus et populaires dans le domaine du Hip-Hop latino. Christian nous écoutait et après cette nomination il m’a contacté. Mon frère Lorenzo est à Paris, il a participé à la traduction de l’espagnol au français. Il nous a mis en contact pour la musique du film. Christian voulait du Hip-Hop bien hardcore comme on peut le faire. Mais avec une vraie identité musicale latino. A ce moment là, j’étais en plein dans la production de l’album de Tres Coronas La Musica es mi arma qui suit justement ce concept.
Christian était un passionné et un vrai bonhomme. C’est rare de rencontrer des mecs comme ça dans ce milieu. J’ai tout de suite adhéré à son projet. On s’est rencontré lors de l’une de nos tournées en Espagne. A partir de là, j’ai commencé à travailler sur la musique. Tout a été joué en live, sans aucun sample. Ca fait plusieurs années que je n’utilise plus de samples. J’ai monté à New-York un groupe, une section de quatre trombones et quatre trompettistes, avec bassiste, percussionniste, guitariste, pianiste et des choristes. Et c’était parti. Enfin, en Colombie, j’ai passé du temps avec Yuri Buenaventura, qui est un bon ami. Il a écouté le titre de La Vida Loca et a posé dessus. Son chant de sonero apporte une saveur plus salsa au morceau.
A : Quel regard portes-tu sur ce documentaire ?
R : Ce documentaire c’est plus que jamais un message et un cri contre la violence aveugle. Contre la solitude la plus totale de l’être humain qui vend son âme au crime par désespoir et ignorance. C’est le cocktail le plus dangereux: pauvreté + solitude + délinquance = la route vers la mort. Dans La Vida Loca il n y a que trois chemins possibles: l’église, la prison, ou la mort. Le plus dur à admettre c’est que ce n’est pas un film mais la putain de réalité.
Pendant qu’en Europe des jeunes rêvent dans leur lit confortablement de cette vie de gangster, en Amérique centrale d’autres rêvent de sortir de cette vie ou la mort les fauche soudainement. Ce documentaire devrait être utilisé en exemple pour l’éducation contre la violence. C’est également une leçon montrant ce que ça signifie être un vrai reporter. Christian Poveda a malheureusement payé de sa vie sa volonté de passer un message et de livrer ce combat. Qu’il repose en paix.
A : Quels contacts as-tu pu avoir avec Christian Poveda ?
R : Christian m’appelait régulièrement et m’envoyait des extraits du film et des photos. Il était à fond dedans et vivait sans le savoir La Vida Loca. Je l’ai toujours considéré comme un vrai gars. Il détestait les photographes et journaleux qui venaient filmer ou prendre des photos des gangs pour se casser dans la foulée avec des peloches pleines de photos. Tout ça pour exposer leurs clichés dans des salons de riches en Europe. Christian vivait au Salvador, il rentrait dans le ghetto et se faisait respecter de tous. Incomparable…
A : Comment juges-tu la situation à San Salvador ?
R: Comme beaucoup de pays d’Amérique Latine, le Salvador vit une situation absurde, faite d’une violence importée des Etats-Unis, et causée par les Etats-Unis. Dans le cas du Salvador c’est vraiment terrible. Même si tu parviens à sauver 100 mecs des gangs tu peux être certain que le mois suivant tu vas avoir un paquet de nouveaux mecs qui vont débarquer des Etats-Unis au Salvador, tout frais et pleins de haine. Des prisonniers salvadoriens qui après avoir purgé une peine aux States se retrouvent déportés dans leur pays d’origine. Imagine le truc de fou. Tous les mois les rues du Salvador reçoivent une nouvelle injection létale.