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Certains clichés ont la peau dure. L’un d’entre eux consiste à croire que les rappeurs sont généralement des mecs énervés et/ou flippants. De temps en temps, il est bon de désamorcer ces vieux poncifs. C’est ce qu’a fait le photographe américain Diwang Valdez avec The Happy Rapper, une série de photos représentant des rappeurs tantôt souriants, tantôt rigolards. Bref, humains. La qualité des images nous a donné envie d’en savoir plus, et d’emmener nos interviews photographiques un peu plus bas sur la carte des États-Unis. Membre du collectif Motion Family (auteurs de clips pour Lil Boosie, Pill ou Big K.R.I.T.), Diwang Valdez s’est prêté à jeu : il commente ici dix de ses clichés les plus mémorables.


Questlove (2007)

« Cette photo est un vrai coup de chance. J’étais à un concert Boost Mobile/Rock Corps, qui avait lieu au Fox Theater, à Atlanta. Il y avait cinq ou six artistes attendus sur scène ce soir-là, et Questlove était là pour mixer entre chaque set. J’étais devant la scène à prendre des photos, mais l’idée d’avoir les mêmes que tout le monde m’ennuyait pas mal. Comme il y avait une autre zone presse près du lieu de répétition, avec un tapis rouge et une estrade, j’ai décidé d’aller trainer entre ces deux espaces, dans l’idée de prendre des photos plus naturelles. Aussitôt dans la cage d’escalier, je suis tombé nez à nez avec Questlove, et je lui ai demandé si je pouvais prendre quelques photos. Il était en chemin pour aller sur scène, du coup je n’avais qu’une ou deux minutes, mais j’ai pu prendre cette photo. Je l’adore, en bon fan de The Roots depuis le lycée ; c’est d’ailleurs un des premiers groupes de hip-hop que j’ai eu l’occasion de voir sur scène. »


Goodie Mob (2009)

« Celle-ci a été prise à l’occasion de la reformation de Goodie Mob sur scène. C’était vraiment quelque chose d’important pour moi qui ai grandi en écoutant Goodie Mob et OutKast. En plus, c’était la première fois que le groupe se rassemblait depuis le départ de Cee-Lo. L’idée était de les photographier dans un restaurant traditionnel, on a donc choisi le Chanterelles dans le West End, un quartier d’Atlanta. Je voulais vraiment recréer l’esprit de la couverture de l’album Soul Food. Après la série de photos à l’intérieur, on s’est mis dehors pour en prendre quelques une de plus, avant d’aller à l’endroit suivant. C’était cool de voir qu’ils s’éclataient toujours, même s’ils n’étaient plus ensemble depuis plusieurs années. Ils ont pris une pose très old school, c’était parfait vu qu’ils avaient ces vestes Adidas assorties. »


Lil Boosie (2009)

« J’ai pris une série de photo de Lil Boosie pour le magazine Ozone : c’était au W Hotel d’Atlanta, où il était descendu. J’avais déjà travaillé avec Boosie pour les photos de son album Super Bad, et j’avais aussi tourné quelques uns de ses clips avec la Motion Family. Pour cette séance photo, c’était différent, car elle s’est passée à un moment assez stressant pour lui. Il était sur le point d’aller en prison, il avait d’autres choses à penser et n’avait pas trop la tête à se laisser diriger. À peu près dix minutes plus tard, l’interview filmée qu’il devait faire avec Maurice Garland [journaliste américain basé à Atlanta] a d’ailleurs pris un ton assez tendu. Il n’en pouvait plus de ces gens qui lui disaient de “garder la tête haute” une fois en prison, alors qu’eux n’étaient pas inquiétés. »


Trinidad James (2012)

« C’est un ami à moi, Dj Dirrty, actuellement à New York, qui m’a fait connaitre Trinidad James. Il m’avait envoyé une chanson de ce gosse d’Atlanta, ville dont il est lui aussi originaire. Le morceau était cool et accrocheur, mais c’est en voyant une photo de lui que j’ai compris qu’il serait une personne vraiment intéressante à photographier. Il avait un sens inné du style que je n’avais vu chez aucun rappeur depuis Andre 3000. On a tourné un de ses premiers clips, “All Gold Everything”, dans un quartier sud d’Atlanta. Cette photo fait partie d’une série prise entre deux scènes, il est sur un vélo qu’on avait repeint en couleur or. Son frère avait organisé un barbecue spécialement pour le tournage, et plein de gamins du quartier rodaient autour pour s’y faire inviter. Une fois la vidéo sortie, beaucoup de gens se sont demandés si son style était ironique ou non, mais de mon côté, j’aime le fait qu’il soit authentique et en accord avec lui-même. Cette photo montre à quel point il est bien dans sa peau. »


Gucci Mane (2007)

« Cette photo est extraite d’une série que j’ai appelée « The Happy Rapper », elle montre des rappeurs qui sourient ou qui se marrent. Celle-ci est une des premières que j’ai pu faire, et c’est aussi une de mes préférées, vu la réputation hardcore de Gucci Mane. À l’époque, il était en prison pour meurtre, mais il venait d’être libéré car d’après la cour, c’était un cas de légitime-défense. On était au studio Patchwerk, un des plus connus d’Atlanta. À la base, la photo devait servir pour  la couverture d’une mixtape de DJ Black Bill Gates. On a l’impression que la photo est prise en extérieur, mais en fait c’est à l’intérieur du salon du studio, devant un mur de briques mis à nu. Gucci Mane était en train d’écouter de instrus, il parlait musique avec Black Bill Gates. Peu de gens ont l’occasion de le voir comme ça. Pour moi, c’était un moment unique. »


Bricksquad Monopoly (2011)

« J’ai pris cette photo pour le magazine Urban Ink. On a fait la séance photo dans une casse, où il y avait une sorte de vieux bureau désaffecté et dont le seul usage récent semblait être pour stocker du matériel. La salle avait des murs avec une super texture : la peinture écaillée et les grandes fenêtres permettaient d’avoir un vrai éclairage naturel. J’avais déjà pris des photos de Waka pour la couverture de Urban Ink, c’était le deuxième article sur lui, mais le premier avec son crew. Le magazine m’avait fourni une liste des membres du Brick Squad qu’il voulait sur la photo. Seulement, la moitié n’est pas venue, et d’autres étaient présents mais n’étaient pas sur la liste. Ce jour-là, je n’ai pas pu faire autant de prises que ce que j’imaginais. C’est toujours dur de prendre une photo de groupe en intérieur. Par chance, celle-ci a bien marché. Malheureusement, c’est aussi une des dernières séances photos de Slim Dunkin, celui avec la casquette Chicago Bulls sur la photo. Il est mort par balles quelques mois après. Je suis content d’avoir pu faire cette photo de lui avec certains de ses amis les plus proches. »


Dr. Dre (2010)

« J’étais au Patchwerk Studios avec la Motion Family pour tourner une vidéo. Finalement, je me suis mis à tirer quelques portraits sur le vif. Dr. Dre était là avec T.I., qui venait de sortir de prison. Ils travaillaient sur sa mixtape Fuck Tah City Up. Le premier CD que j’ai eu de ma vie, c’était The Chronic, alors être dans le même studio que lui, c’était fou ! C’était vraiment cool de le voir donner des consignes à T.I. et aux autres artistes de Grand Hustle. J’ai toujours été fasciné de voir les rappeurs et les producteurs travailler ensemble : t’as vraiment l’impression que la chanson se fait comme par magie, là, sous tes yeux. J’ai eu l’occasion de photographier pas mal de producteurs en studio, mais voir Dr. Dre à l’œuvre, c’est l’un des moments les plus mémorables. Il donnait des directives tellement précises… Je n’avais jamais vu un autre producteur être aussi spécifique. Ça sautait aux yeux qu’il avait passé des années en studio. »


Big K.R.I.T (2009)

« Big K.R.I.T est un de mes artistes actuels préférés. Il vient du Mississippi et je trouve incroyable qu’il produise lui-même pratiquement toute sa musique. C’est d’ailleurs un des seuls rappeurs du sud qui a une musique et des textes vraiment marqués par la soul. Cette série de photos avait été faite pour Alex Haldi, un directeur artistique de Def Jam. C’est lui qui m’avait fait connaitre la musique de Big K.R.I.T avant qu’il ne signe sur le label. Il m’a aussi fait connaitre les sons de J. Cole et Childish Gambino, bien avant qu’ils soient connus. Il a vraiment une bonne oreille pour tout ce qui est nouveaux talents. Dès que K.R.I.T a signé, Alex m’a fait savoir qu’il allait réaliser la pochette et qu’il voulait que je prenne la photo. À ce moment-là, j’avais pas mal écouté sa musique et j’étais devenu un grand fan. C’était donc un projet de rêve. On a décidé de faire les photos à Meridian, la ville du Mississippi dont il est originaire. J’adore prendre les gens en photo dans des lieux qui sont importants pour eux. Alex avait un paquet de super photos cultes de vieux bluesmen et soulmen. On s’est d’ailleurs inspirés d’une photo de Ray Charles pour cette photo. »


Mystikal (2012)

« Peu de temps après qu’il ait signé avec Cash Money, j’ai eu l’occasion de passer dix huit jours avec Mystikal pendant qu’il était en studio et et qu’il faisait des concerts. On travaillait sur un court métrage documentaire sur sa vie, mais il est parti en prison pour trois mois suite à la violation de sa liberté conditionnelle. Pendant un de ses jours « off », on est partis à la Nouvelle Orléans pour faire une série de photo pour son single. Un ami à moi qui vit là-bas m’avait déjà montré cette salle de gym endommagée par l’ouragan Katrina. Cette photo s’est imposée à cause de tous les dégâts autour. Je la trouve vraiment parfaite, vu que le titre de la chanson est “Bullshit” et que cette salle est restée en l’état depuis 2005. »


Grand Wizzard Theodore (2011)

« J’étais à New York avec la Motion Family pour couvrir une compétition de breakdance, le “Urban Movement Tour”. Ils avaient quelques invités spéciaux et il s’est avéré que l’un d’eux état Grand Wizzard Theodore. J’étais super excité, d’une part parce que je n’ai pas souvent l’opportunité de prendre des photos à New York, et d’autre part parce que Grand Wizzard Theodore est quand même le DJ légendaire qui a inventé le scratch. En tant que photographe et fan de hip-hop, pouvoir photographier à New York un des pionniers du mouvement, c’était un rêve devenu réalité. Alors qu’il se baladait et discutait avec quelques personnes dans la foule, je l’ai approché et lui ai demandé si je pouvais prendre quelques portraits rapides. Il a été cool et a accepté. Par chance, on était au Rosewood Ballroom, une salle de concerts légendaire qui a une esthétique géniale pour les photos. Avant de venir lui parler, j’avais repéré un spot près des escaliers, avec d’énormes fenêtres qui laissaient entrer une lumière naturelle incroyable. C’était vraiment parfait, les fenêtres étaient teintées en bleu, ce qui donne une teinte super douce à la photo. J’ai pris une dizaine de photos en dix minutes et celle-ci est ma préférée. J’adore la manière qu’a le médaillon “Zulu Nation” de tomber sur ses mains, et il a un regard tellement direct ! Étant d’Atlanta, j’ai très souvent l’occasion de photographier des rappeurs du Sud, mais c’était très cool de pouvoir, pour une fois, photographier un artiste new-yorkais. »

Dès que le clip de « Or Noir » a été rendu disponible sur la toile, tout le microcosme rap s’est posé la même question : qui étaient les mystérieux Greg & Lio crédités à la réalisation de ce petit ovni ? La curiosité était encore plus grande après la publication de l’article des Haterz qui décryptait en long et en large une vidéo à plusieurs lectures. Sauf que les deux compères n’en étaient pas à leurs premiers faits d’armes, loin de là. Entre un clip pour Jenifer et des pubs pour Puma, ils s’étaient surtout fait remarquer ces dernières années pour le clip non-officiel de « Niggas in Paris » et celui de « Jimmy » sur le dernier album de Booba. Alors qu’ils viennent tout juste de sortir leur dernier clip pour Patrice, nous avons rencontré ces deux mecs profondément ambitieux.

La rencontre

Lionel : On s’est rencontré à l’ESRA, une école d’audiovisuel. On a fait notre école à Paris mais, à la base, on vient de Strasbourg tous les deux ce qui a créé des liens. D’ailleurs, il y a une anecdote marrante à ce sujet : c’est Bigmoneymakers [NDLR : groupe de rock] qui nous a présenté, quelqu’un qu’on a clippé quelques années après. On était dans la même classe, on avait les mêmes centres d’intérêt, les mêmes influences.

Greg : On n’était pas forcément chaud pour commencer par un court-métrage avec des dialogues. On voulait travailler l’image tout en conservant l’aspect narratif que peut avoir un court-métrage. On est des enfants de tous les travaux de Chris Cunningham ou de Spike Jonze. Ce sont des réalisateurs qui avaient vraiment leur style. J’étais fan des soirées MTV où ils diffusaient des top 100 de clips… Et les 15-20 premiers étaient toujours réalisés par les mêmes mecs ! Les clips, c’est un secteur où tu peux raconter une histoire de manière super originale. C’est comme ça qu’on a fait le clip de Kn1ght. À cette époque, on bossait chacun de notre côté sur des tournages et, à chaque fois, on se disait qu’on aurait fait différemment des gens en place. C’est comme ça qu’on a décidé de travailler ensemble. Philippe Lioret [NDLR : réalisateur de plusieurs films nommés aux César] était venu donner une interview à l’ESRA. Il disait qu’il avait commencé en tant qu’ingénieur du son et que, souvent, les dialogues sonnaient faux dans ses oreilles. C’est en se disant qu’il pourrait faire mieux qu’il s’est décidé à réaliser. Ça m’avait marqué parce que je pense que c’était pareil pour nous.

Influences

L : Il y a un clip qui nous a marqué tous les deux et qui continue de nous influencer dans l’écriture de nos projets. C’est « Smack my bitch up » de Prodigy. Ça se ressent d’ailleurs dans notre clip non-officiel de « Salades, tomates, oignons ».

G : Même quand on fait des playbacks, on ne peut pas s’empêcher de raconter une histoire avec un début, un milieu et une fin. C’est aussi pour ça qu’on garde des velléités de réaliser un court et/ou un long-métrage. Lionel kiffait vraiment Tarantino, moi je kiffais Scorsese à mort et ce sont deux réalisateurs qui sont super influencés par la musique. Les séquences des films de Scorsese que je préfère sont des séquences musicales : Harvey Keitel bourré dans Mean Streets avec « Rubber Biscuit » derrière, la scène dans Les Affranchis où Ray Liotta montre le restaurant à sa meuf avec la musique de The Crystals… Inconsciemment, ces scènes ont dû nous influencer. D’un seul coup, le film prend une autre ampleur et il se passe vraiment quelque chose à l’image.
Ce sont des gens qui nous influencent. Quand on fait le clip de « Jimmy », j’ai en tête le making-of du Labyrinthe de Pan où Guillermo Del Toro casse les couilles à toute son équipe pour que les éléments du décor soient dans une gamme bien précise de couleur… On ne peut pas faire ça à notre échelle mais on a cassé les couilles à la déco pour qu’on s’oriente vers un stylisme très précis, un peu à la The Wire. Le Labyrinthe de Pan est un trucs les plus forts visuellement de ces 20 dernières années, on en parlera encore dans 30 ans… Bien sûr, on n’a pas cette ambition là pour nos clips mais on s’inspire de ce travail. Récemment, un pote m’a dit qu’il avait revu la scène de fin de « Jimmy », qu’il était persuadé qu’il y avait un cut et qu’il a pété un câble quand il s’est rendu compte que c’était un plan-séquence. Quand des gens viennent nous dire ça, on se dit qu’on a gagné.

« Niggas in Paris »

L : On venait de faire le clip de Jenifer, on avait fait celui de Yohann Malory juste avant et on recevait de plus en plus d’appels d’offres pour des clips. C’était souvent pour des artistes qu’on n’écoutait pas et on n’était pas à l’aise là-dedans. On arrive à cette période où l’album commun de Jay Z et Kanye est annoncé, il n’y a qu’un tracklist de disponible et on se dit qu’il faudrait faire un autre clip non-officiel après celui de « Salades, tomates, oignons ». Dès que je vois la tracklist, je dis à Greg qu’il faut faire le clip de « Niggas in Paris ». On a écrit énormément de scénarios et ça a pris beaucoup de temps. Justement, au fil des concerts, le morceau a commencé à devenir un énorme tube. Quand on s’arrête enfin sur un scénario, un pote nous envoie la news comme quoi le clip officiel va sortir d’ici trois jours. Forcément, on est dégoûté… Le clip est finalement sorti et on a été rassuré parce qu’il n’avait rien à voir avec ce qu’on avait en tête.
Quand on a eu l’idée des géants, on nous a dit que les Rolling Stones l’avaient déjà fait avec « Love is Strong » et, du coup, c’est un clip qu’on a un peu étudié avant de passer à l’action. Depuis longtemps, on voulait faire quelque chose sur le jour et la nuit et on s’est dit qu’un personnage représenterait le jour et l’autre la nuit.

G : Pendant le passage à l’Hôtel de Ville, il y a aussi une grosse référence à L’Empire des Lumières de Magritte. C’est un des seuls peintres qu’on a en commun. Ensuite, il a fallu trouver des acteurs… D’ailleurs, je crois que l’annonce pour le casting est encore en ligne sur le net ! On avait demandé aux candidats de regarder plusieurs clips de Jay Z et Kanye avant le casting et il y a vraiment eu une évidence pour les deux qui ont été sélectionnés. Sans que ça ressemble parfaitement, il y avait le même type d’énergie. On a pris un mec super balaise pour interpréter Jay Z alors que Jay Z commence à avoir un peu de ventre… Mais, justement, le fait qu’il soit balaise collait bien avec l’idée du clip.
C’était aussi une époque où je redécouvrais pas mal Big L et on se disait que ce serait bien de rendre un hommage aux rappeurs disparus. D’où le fait qu’on voit des images de rappeurs morts défiler sur le mur du Panthéon… Et c’était parfait parce que ça donnait vraiment le sentiment que les Ricains débarquaient à Paris et s’appropriaient la ville. D’ailleurs, on a reçu des mails de fous à cause de ça. On connait tous le signe de Jay Z, celui du Roc qui s’apparente au triangle des Illuminati. Comme on aperçoit Tupac dans le clip, qui se faisait surnommer Killuminati, il y a des gens qui ont dit « ah mais putain, ils sont contents que Tupac soit mort ! » Les mecs vont super loin. Je ne les lis plus et les supprime directement mais, encore aujourd’hui, je reçois environ trois à quatre mails par jours de notifications qui m’indiquent que des mecs ont commenté la vidéo en mettant « Illuminati » à telle minute du clip.

« Jimmy »

G : On avait été mis en relation avec Booba après « Salades, tomates, oignons » parce qu’on voulait le rendre officiel. C’est après le clip de « Niggas in Paris » que Booba est revenu à la charge. Par contre, on ne sait absolument pas pourquoi il nous a appelé précisément pour « Jimmy ». Si ça n’avait tenu qu’à moi, on aurait fait « Kalash » ! En tout cas, on s’est approprié le son depuis.
Au départ, ce qu’on avait en tête c’est que, quand Jimmy braque la station service par exemple, la caméra serait juste passée devant Booba en train de rapper sans forcément le calculer. Il devait apparaître dans chaque séquence sur le trajet de Jimmy comme s’il était une sorte de narrateur invisible. Finalement, c’est une idée qu’on a utilisée sur le clip de Patrice qui sortira prochainement. Comme Booba n’a pas pu être là, on a eu l’idée de faire apparaître le titre de ses albums. Il fallait qu’il y ait sa patte. On a cherché à transformer cette contrainte en atout. En tout cas, ça n’est pas compliqué de travailler avec Booba. Plein de rappeurs nous ont contacté pour des clips en nous disant exactement ce qu’ils voulaient. On leur répondait immédiatement que ça ne nous intéressait pas de travailler comme ça. C’est pas une question de prétention, c’est juste qu’on ne sait pas travailler sur commande comme ça. On avait travaillé comme ça sur le clip de Jenifer et, au final, c’est un des clips qui nous ressemble le moins parce qu’on a essayé de faire plaisir. Quand tu essayes de faire plaisir à tout le monde, ton produit devient impersonnel et tu ne plais plus à personne. C’est un clip qu’on a filmé enfermé dans un studio et, ça aussi, ça ne nous ressemble pas. On veut vraiment que notre travail s’inscrive dans le réel. Quand on sortira le clip de Patrice, je pense que notre patte se sentira vraiment, on aura une vraie quadrilogie de clips cohérents avec « Niggas in Paris », « Jimmy » et « Or Noir ».
D’ailleurs, par rapport au premier scénario envoyé, il n’y a qu’un élément qu’il a changé. Initialement, quand Jimmy bouscule un policier au début, on voulait qu’il ait une lame avec laquelle il blesse le policier pour pouvoir s’enfuir et, dans l’idée, c’était ce policier qui tuerait Jimmy à la fin. Booba nous a dit : « Jimmy vient d’arriver du Sénégal, il peut pas direct schlasser un keuf… Vous voulez dire que les Sénégalais sont tous violents ? » [Rire] On s’est dit que sa remarque sur le couteau était juste et on ne l’a pas mis dans le clip. C’était plus compliqué de travailler avec Jenifer qu’avec Booba parce que ça n’était pas notre univers mais surtout parce qu’il y avait tout le label derrière. Il y avait un énorme cahier des charges, tout le monde avait son mot à dire, il fallait que ce soit accessible… Alors que Booba nous avait dit « envoyez-moi un pitch et on en reparle ». On adore The Wire, on a voulu faire un clip à la The Wire… On se disait que Booba ne pouvait pas détester notre scénario. On n’a pas dit à Booba : « il y a un mec qui arrive avec un fusil », on lui a dit : « il y a un mec qui arrive avec un fusil et une gabardine, à la Omar. » On savait que ça allait lui parler. Avec Jenifer, il fallait que ce soit coloré, il fallait qu’il y ait de la danse… Je pense que si elle nous rappelait aujourd’hui, ça se passerait aussi différemment. On a plus d’expérience et on serait plus en mesure d’imposer nos idées.

L : Il y a des gens autour de Booba mais il reste le vrai décisionnaire.

« Or Noir »

G : L’équipe de Kaaris nous a contacté après avoir uniquement vu « Jimmy », ils n’avaient même pas vu le clip de « Niggas in Paris ». Ils nous ont fixé un rendez-vous pour qu’on leur décrive la manière dont on imaginait le clip. Ce qu’on voit à l’image, c’est à 80% ce qu’on avait en tête et ce dont on avait discuté pendant cette première réunion. On voulait que ce soit sombre, qu’il pleuve du pétrole, on avait l’idée de la caméra qui tourne… On a toujours aimé les effets avec les caméras qui tournent et ça collait parfaitement au geste de Kaaris. Kaaris et Therapy nous ont écouté et ont validé nos idées. Kaaris nous avait dit un truc : « j’m’en bats les couilles de ce que vous faites mais je veux que les gens chialent à la fin ! » C’est aussi pour ça qu’on a écrit une sorte de tragédie.
Il y a pas mal de références à La Haine dans le clip et je pense que c’est un des films que j’ai le plus regardé. Casino, Les Affranchis et La Haine, ce sont les films que je regardais en boucle quand j’étais ado. D’ailleurs, même si on fait ouvertement référence au film de Kassovitz dans le clip, on ne l’a pas revu pour l’occasion. On l’a fait en se basant uniquement sur nos souvenirs.

L : Kaaris avait des idées en tête pour ce clip, notamment une avec sa dépouille qui serait renvoyée en Côte d’Ivoire. On en a discuté mais il n’a rien imposé en tout cas. Il nous a vraiment fait confiance. En tout cas, c’est beaucoup plus simple de travailler avec des gens dont tu apprécies la musique. Booba et Kaaris se sont bien trouvés parce qu’ils développent un univers super riche au travers de leurs écritures et ça nous inspire beaucoup. Il y a beaucoup de références dans ce clip et c’est quelque chose qu’on inclue naturellement. On adore redécouvrir des détails dans des films, des clins d’oeil. On n’a pas envie que les spectateurs soient passifs devant nos clips. On aime bien inclure des petits « jeux ». On avait commencé sur le clip de Don Rimini avec toutes les images salaces. Sur le Net, les gens ont commencé à le remarquer, à faire des captures d’écran des images salaces… On trouvait ça cool que les spectateurs soient actifs. Et puis, on adore mettre des clins d’oeil : les lunettes de la fille en mode Lolita dans « Niggas in Paris » par exemple.

Derniers coups de coeurs

G : En 2013, on a apprécié le travail de Henry Scholfield. C’est le mec qui a réalisé « Tous les mêmes » de Stromae et « Your drums your love » de AlunaGeorge. C’est pas forcément notre délire mais il est très fort. Il travaille beaucoup avec des danseurs et on a retrouvé dans ses clips des idées qu’on avait depuis super longtemps mais qu’on n’avait encore jamais concrétisées. Il y a eu aussi « No games » de Rick Ross et Future. Dedans, il y a plein de trucs qu’on kiffe : une voiture qui brûle, un espèce de truc symétrique derrière lui avec les armes… Après, il y a des plans un peu pétés mais on s’est dit que c’est un peu le clip qu’on ferait si on décidait de baisser notre slip et que Rick Ross nous donnait beaucoup d’argent et nous disant « il faut qu’on voit des meufs et mon ventre » [Rire].

L : En 2013, je retiens aussi Drake avec « Started from the bottom ». Le plan avec la neige au début, c’est mortel. Sinon, il y a eu « Formidable » de Stromae. Techniquement, il n’y a rien mais le concept est fou. Il y a eu une vraie réflexion en amont. L’idée marketing derrière est géniale et c’est un défi pour plus tard : associer une belle idée marketing à un clip de qualité.

Reasonable Doubt, God’s Son, Speakerboxxx, Nigga Please, Flesh of My Flesh, Blood of My Blood, Tha Carter II, The Marshall Mathers LP… L’histoire visuelle du hip-hop semble être intrinsèquement liée au travail du photographe Jonathan Mannion. Cet ancien assistant de Richard Avedon, formé à l’art du portrait classique, travaille depuis une vingtaine d’années à la réalisation d’images dont nombres sont devenues légendaires. Fidèle à ses modèles, il est fréquent qu’il les photographie année après année, créant un degré d’intimité qui donne à ses clichés une dimension particulière. Nous avons rencontré Jonathan Mannion au vernissage de son exposition, organisée l’été dernier à Cognac en collaboration avec Thibaut de Longeville et Hennessy. Avec lui, nous sommes revenus sur certains des portraits présentés.

Notorious B.I.G. 1995

A l’époque où je travaillais avec Avedon, j’ai eu la possibilité, tard le soir, d’intégrer la scène hip-hop new-yorkaise. Je sortais du travail vers huit ou neuf heures, je passais à la maison, j’avalais un morceau de pizza – c’était à peu près tout ce que je pouvais me permettre – puis je partais chasser l’évènement. C’est ce qui m’a vraiment permis de me faire un nom : naviguer de boîte en boîte, être vu, construire des connections, échanger mes connaissances avec les gens que je croisais. À l’université, je participais à des émissions de radio spécialisées où on ne passait que du hip-hop. On organisait toutes les soirées sur le campus. Ce que j’y ai appris m’a servi par la suite. Je courais de boîte en boîte, je shootais, je présentais mes images à Vibe ou The Source. J’essayais simplement de documenter le moment le plus emblématique de chaque soirée.
L’un des moments les plus forts de cette période de mon travail, c’est clairement la soirée pour le disque de platine de Notorious BIG. Quand Ready to Die est devenu disque de platine, il y a eu une soirée complètement folle au Palladium. Cette image le montre avec le mic, sur une scène hyper bondée. J’avais réussi à me faufiler à ses côtés. Je tenais Lil Kim par la main et je shootais en même temps. Il y avait moi, Lil Kim, Biggie, Puff Daddy et quelques autres, sur scène, en rang d’oignons. Difficile de ne pas être complètement connecté à ce qui se passe lors d’un moment pareil. C’était l’un de ces instants où tout semble être parfaitement en place. J’ai pu rendre compte de ce grand moment, et shooter l’une des images les plus importantes de Biggie, sur scène, en pleine action. C’était bien avant que tout le monde utilise Instagram, avant Twitter, avant que tout le monde ait un iPhone et regarde constamment ce qui se passe à travers un écran. J’ai pu absorber l’ambiance. Ces quelques clichés montrent Biggie et Puff à un moment de leur carrière où ils dirigent le monde, où ils établissent alors la voie à venir du hip-hop new-yorkais.

Oxmo Puccino 1997

Je travaillais pour un groupe appelé Afrodiziac. C’était mon premier séjour en France. Vu que j’étais sur place, le label m’a proposé de photographier un autre gars qui allait devenir, selon leurs dires, « un vrai phénomène. » Ils voulaient que je fasse un simple shooting et proposaient de prolonger mon séjour. J’étais évidemment d’accord. Je l’ai rencontré. Ça a été une expérience d’une grande simplicité. La session n’a pas duré très longtemps. On s’est promené autour de Bastille, dans le troisième arrondissement, et on a fini par shooter cette image dans une cour intérieure. Je me souviens que j’avais repéré la lumière au premier coup d’œil. J’adorais la façon dont elle tombait sur lui, le mur craquelé, et le rendu avec le cigare. J’ai tout de suite trouvé Oxmo très intelligent. À chaque fois que je shoote, je prends des Polaroïds. Je lui ai demandé d’en signer un. Il a écrit MannioN avec la première et dernière lettre en Majuscule. Puis dessous, avec les mêmes premières et dernières lettres, il a écrit MillioN. Tu sais comme un court instant peut parfois te permettre d’entrevoir la façon dont fonctionne l’esprit créatif d’une personne ? Je crois que ce jour là, j’ai pu entrevoir de manière très simple la façon dont Oxmo fonctionne. Nous sommes toujours en contact aujourd’hui parce que c’est vraiment quelqu’un de profondément humain et honnête.
Suite à ce shooting, j’ai été embauché pour réaliser les visuels de Cactus de Sibérie et j’ai entamé une longue relation avec le label, ce qui a permis de développer ma reconnaissance aux États-Unis tout en continuant à contribuer au marché français. C’était gratifiant pour moi d’être ici, d’avoir une valeur dans un autre pays, d’y photographier la crème de la crème, comme NTM ou IAM à Marseille.

Clipse 1999

On échangeait beaucoup sur la direction visuelle à donner à Exclusive Audio Footage. Je ne pense même pas que l’album soit sorti en définitive, mais j’ai fait la couverture du single « The Funeral », produit par Pharell, qui reste à mon sens l’un des plus grands morceaux du genre. C’est un morceau complètement sous-estimé, sur lequel Malice et Pusha T sont incroyables. Donc, un jour, Clipse m’appellent et m’annoncent : « on veut que tu nous pendes sur la pochette. » J’ai dû leur répondre que c’était absolument hors de question. Je veux dire, regarde-les, regarde moi, c’était vraiment pas envisageable. Je leur ai dit : « comprenez-moi bien, je n’ai aucun problème à vous tuer, mais ce n’est pas comme ça que ça va se passer. » J’ai réfléchi à la manière de faire. J’ai regardé de vieilles photos prises par la police dans le New York des années 30. C’était dans dans un livre de Luc Sante qui s’appelle Evidence. Les photos montraient l’environnement d’une scène de crime de façon incroyable. C’était un vrai document dont le sujet était la mort dans toute sa splendeur. C’est devenu mon inspiration. De là m’est venue cette vision du dessus, et l’envie de créer une histoire avec plusieurs strates. J’ai retourné leurs poches et j’ai laissé l’argent éparpillé sur le sol. Comme ce n’est pas l’argent qui avait motivé le crime, mais leur musique, on a disposé ces boitiers de cassettes vides au sol. Ça forçait l’observateur à examiner de plus près l’image, à additionner les pistes. J’avais envie qu’il y ait plusieurs niveaux de lectures, même si je voulais aussi que le visuel soit tout simplement hyper marquant.

Akhenaton 2000

Quand je venais en France, je demandais toujours à shooter les meilleurs des meilleurs. Je venais de faire une super session avec NTM et tout le crew du 93. Je savais qu’il me fallait aussi Akhenathon, Shurik’N et les autres membres d’IAM si je voulais vraiment avoir tous les plus grands. Je trouvais leur musique très singulière, mais je n’avais jamais eu l’occasion de travailler avec eux. Finalement j’ai eu la possibilité de les photographier lors d’une séance presse durant laquelle on m’avait réservé un peu de temps. Je crois que c’était à Marseille et que cette image a été prise à l’arrière d’une église. J’ai arrêté net Akhenaton quand j’ai vu la texture de ce mur, je la trouvais belle et élégante. Je n’avais pas eu de vrai déclic et rien n’était particulièrement évident, mais je suis un portraitiste classique, et cette image, c’est vraiment ce que je sais faire de mieux : capturer la beauté d’un instant et un incroyable visage, chercher à voir quelle sera la bonne lumière naturelle, celle qui rendra la prise de vue la plus intéressante possible.

Roc-A-Fella 2002

J’ai fait cette image pour The Source. J’avais une journée pour photographier chacun des artiste du label : Cam’ron, Dipset, Kanye. L’une des photos devait inclure le noyau dur, à savoir Jay, Dame, Biggs et Beanie. Cette image fait vraiment partie de celles qui m’ont aidé à renforcer ma position dans ce milieu. C’est le genre de moment qu’il est impossible de reproduire, même si on le voulait vraiment. Ça donne un poids particulier à ce type de cliché. Je voulais faire le portrait définitif de Roc-A-Fella. Ce que je ne savais pas, c’est qu’à peine deux semaines plus tard, Jay déciderait de partir, et que ceci deviendrait donc la dernière image d’eux tous ensemble, en train de rire, sans retenue et avec cette vraie complicité. Point final. Le magazine est paru avec cette photographie en couverture. Au numéro suivant, une grande fermeture éclair passait entre Jay et Dame, comme pour les séparer. Ça m’a fait réaliser à quel point chaque prise de vue est unique et doit être traitée comme une fin en soi. Si je n’avais pas été parfaitement prêt, cet instant fugace n’aurait jamais existé. Il est impossible d’obtenir une émotion si franche sur commande d’un sujet, c’est forcément naturel. Là, ce qui les avait fait rire, c’est Beanie Sigel. Beanie avait fait un truc qui les avait fait marrer et ils se foutaient de lui. Regarde comme ils rigolent tous, sauf lui qui a juste une sorte de petit demi-sourire. Je ne sais ce qu’il avait fait mais je lui demanderai un de ces jours. J’ai réagi si vite et ce n’était pas ce qu’il y avait de si drôle qui m’importait, ce qui m’importait, c’était de sceller cet instant.

Kanye West 2002

Le Polaroïd 195 est l’un de mes appareils de prédilection. Si je ne devais garder qu’un seul appareil, et si les films Polaroïd 665 étaient toujours distribués, je n’utiliserais que ça. Aucun autre n’a son pareil à mes yeux, même si j’aime plein d’autres outils, et que je suis toujours ravi à l’idée de travailler avec une marque ou de développer un produit qui puisse un jour le dépasser. C’est avec cet appareil que j’ai photographié Kanye pour la couverture de The Fader. C’était sa toute première couverture de magazine donc je pense que ça comptait beaucoup pour lui. C’était aussi ma première séance photo dans mon studio de Gramercy Park à New York. Le studio va d’ailleurs bientôt être récupéré par le promoteur qui souhaite détruire tout le bâtiment. Ce sera une étrange phase de transition après onze ans passés ici. Il se peut que je fasse revenir Kanye. Je tournerai la page sur cette période de ma vie comme je l’ai commencé.
L’image est toute simple : lui et un sac à dos Louis Vuitton. Je crois me souvenir qu’il m’avait dit qu’il voulait plusieurs de ces sacs pour la séance, mais qu’ils n’avaient pas voulu lui envoyer. Du coup, il les avait carrément achetés en magasin. J’avais trouvé ça bien qu’il sache autant ce qu’il voulait, et qu’il soit prêt à s’investir pour son image. Ça m’a donné encore plus envie de réussir parfaitement ce portrait. Nous avons eu un échange intéressant. À l’époque, j’avais déjà un respect fou pour son talent et la manière dont il repoussait toujours plus loin ses limites artistiques. Ça a été une très bonne journée de travail, passée à chercher une image propre et pure. Ça a marqué le début d’une longue collaboration entre lui et moi.

Ja Rule 2002

Ja Rule est un artiste que j’ai vu grandir jusqu’à devenir l’artiste qu’il est aujourd’hui. J’ai littéralement photographié sa première session photo presse quand il a signé chez Def Jam. Il y portait d’ailleurs mon propre sac à dos. J’ai toujours su qu’il aurait une belle carrière. Je l’ai photographié à plein de reprises : pour son premier, son deuxième et son troisième album. Si ma mémoire est bonne, cette image faisait partie de celles réalisées pour son quatrième album. Sur le côté face de la pochette, il porte des chaînes sur son dos. On était à Miami et je le photographiais dans cette espèce de monastère. On a fait des images spectaculaires là-bas, mais je voulais continuer. Il y avait toujours une connotation religieuse à ce que nous faisions, parfois à sa demande, parfois c’était juste l’influence du cadre. On est descendus vers cette crique, et je me souviens lui avoir dit « viens mec, on va te baptiser. » Nous avions deux prêtres, question de pouvoir choisir lequel correspondrait le mieux à l’ambiance que nous voulions donner à la scène. On est descendus vers l’eau et il m’a dit « attends, tu crois pas qu’il y a des alligators là-dedans ?« . Je lui ai répondu « bien sur que non » en allant moi-même patauger dans l’eau en priant en silence que je ne me fasse pas dévorer par une de ces satanés bestioles. Du coup, lui et les autres m’ont suivi. Le fait que j’y aille, que je croie autant à la valeur des photos que nous ferions, ça l’a convaincu. Et nous avons fait ces images de baptême, de renaissance en quelque sorte.
Même si ce moment était complètement prévu, il a joué si parfaitement le jeu que c’est devenu un peu plus qu’une image. On s’est un peu perdus dans l’instant. Pas qu’il y ait eu une forme d’intervention divine, mais on était tous complètement présents, travaillant à rendre cette image aussi authentique que possible. Je pense que c’est un fil conducteur de mon travail : je veux que mes images aient quelque chose de vrai, qu’elles représentent la vérité de leur sujet à un instant donné. [NDLR : image non présente dans l’exposition]

Eminem 2003

Je devais à nouveau photographier Eminem à Detroit, ce qui me convenait tout à fait. J’adore travailler à plusieurs reprises avec un artiste parce que cela contribue à créer une histoire. Je sais où tu étais alors et je peux plus facilement t’emmener vers ce que tu seras. Ça apporte une dimension spéciale. C’était juste avant Noël, plutôt à la dernière minute. Peut être quatre ou cinq jours avant la séance, je l’appelle et je lui dis « tu sais, j’ai vu que tu avais toutes ces bribes de textes sur des petits bouts de papiers, il t’en reste ? » J’ai toujours été fasciné par l’écriture. Et celle d’Eminem ne peut pour ainsi dire n’être décryptée que par lui-même. Il m’a répondu « mec, j’en ai des centaines ! » Je lui ai demandé d’en ramener au shooting, car j’avais une idée en tête. Et là Eminem me répond « pas de problème, je t’en ramène un sac poubelle entier. »
Le jour du shooting, il arrive, et pose devant moi un sac de chantier rempli à ras-bord de bouts de textes qu’il avait écrit. C’était incroyable. On aurait dit la hotte du Père Noël. Je lui ai demandé si je pouvais percer de petits trous de punaises dedans et il m’a répondu « vas-y, fait ce que tu veux. » J’ai passé les deux heures suivantes à déplier 300 petits bouts de papiers et à les disposer sur le mur dans un ordre qui me paraissait adéquat. Ça m’a vraiment fait pensé au film Un homme d’exception quand il déchiffre tous les codes. Un peu comme si Eminem avait trouvé son propre système codé de compréhension du rythme, de la cadence, de la voix, et que cela expliquait pourquoi il était capable d’aller plus loin que n’importe qui dans le perfectionnement de son style. C’est ce que je voulais faire ressortir dans une seule et même image.

Mos Def 2004

Yasiin Bey est l’une des personnes avec laquelle je préfère travailler. Je le trouve tout simplement brillant en tout. Il sera peut être un peu en retard, mais c’est pas grave, on lui pardonne, parce que quand il arrive, il est à fond. Cette image a été prise pour The Fader. Je me souviens que j’avais un vol le soir même pour Paris et que je devais impérativement partir à six heures pour embarquer à temps. Je comptais même me rendre directement du shooting à l’aéroport. Il était un peu en retard et choisissait des vêtements. Il revenait d’un séjour en Floride durant lequel il avait fait le tour des friperies et il était tout content de ses trouvailles. Il essayait plein de trucs différents dans son modeste appartement de Brooklyn. Je me suis dit que nous ne pourrions probablement pas aller bien loin et qu’il faudrait faire au mieux dans les environs. On a commencé avec ce trench complètement fou qui lui donnait l’air d’un détective tout droit sorti d’un film de flics et truands. On est allés au bord de l’eau et on a fini par faire une petite série en hommage au World Trade Center, en Polaroïds, dans laquelle il pointait le lieu ou les tours se trouvaient avant. J’essaie toujours de donner un sens supplémentaire à mes images.
De là, nous sommes allés à un autre endroit pour faire quelques autres prises de vue, mais je voulais essayer un autre cadre, un lieu qui me plaisait davantage. J’ai pensé que nous devrions descendre plus bas sur Myrtle Avenue, parce que l’ambiance y devenait plus complexe visuellement. On a pris la voiture et on est partis. Mos avait ce sweat-shirt complètement fou sur lui. Un Moschino ou un truc du genre. Il était assis à l’avant, coté passager, et j’étais sur le siège arrière opposé, derrière le conducteur. À un moment, je regardais par la fenêtre son pull et le mur, et je vois vert, vert, bleu, bleu, jaune, jaune, orange, orange, et là j’ai gueulé « garez-vous, garez-vous ! » et tout le monde me demande ce qui se passe et je continue « c’est ici, c’est ici qu’on va shooter ! » On a fait un shooting entier là, je n’arrêtais pas de penser que je devais partir prendre mon avion dans moins de 45 minutes et qu’il fallait travailler vite et bien. Il a fait toutes ces super poses old school, s’est appuyé contre le mur avec ce même manteau, et c’était un autre de ces instants où on dirait qu’il suffit de demander pour obtenir un résultat parfait. Avec lui c’est tout le temps comme ça.
On a un lien particulier, on comprend chacun ce que l’autre essaie de faire. On a travaillé un paquet de fois ensemble, et il y a toujours un truc cool qui se passe durant un shooting avec Mos Def. Ce jour là on a même fait une petite étude sociologique : on a pris des Polaroïds, on les a signés, et on les a scotchés au mur en écrivant « laissez-les ici, c’est un cadeau qu’on fait à Brooklyn » en se demandant combien de temps ils resteraient collés au mur. Lorsque nous sommes revenus, la plupart avaient disparu, mais il en restait un, que j’ai décollé en emportant un bout du mur avec moi et que j’ai encore aujourd’hui. Je garde toujours ces souvenirs de shootings. J’ai même une pelle signée Big Pun !

Killer Mike 2005

J’ai photographié Killer Mike à Atlanta pour la couverture de son album. Je me souviens lui avoir dit « Viens, on va discuter et faire les repérages ensemble« . Il était super partant. On conduisait et il me montrait des lieux. On a sauté le grillage d’un parc pour aller voir l’endroit où il jouait gamin. Il m’a raconté plein d’histoires sur les enfants qui avaient fait des chutes, et ceux qui lui cherchaient des noises, ce genre d’anecdotes toutes plus géniales les unes que les autres. Je me souviens aussi de sa grand-mère, qui était la personne qui l’avait principalement élevé et qui était très importante dans sa vie. Comme mes parents habitaient tous deux aussi à Atlanta, ils sont passés au shooting pour discuter avec elle et je me souviens de ce gigantesque Killer Mike serrant tendrement ma mère – qui fait au grand maximum 1m60 – dans ses bras en lui disant « Bonjour maman, comment allez-vous ? C’est un plaisir de vous avoir ici. » Killer Mike a si bon coeur. Il est vraiment spécial à plein d’égards. Ce shooting était spécial, lui aussi, parce que nous avons beaucoup discuté. On était chez sa grand-mère et à un moment il demande « mamie, tu peux aller chercher ce machin dans le placard de la pièce d’à coté ? » Je m’attendais à une photo de lui bébé ou un truc du genre, mais elle répond « mais bien-sûr mon chéri« , part dans la pièce et revient avec un Grammy ! Et Killer Mike me balance : « regarde, mamie avec un Grammy ! » J’ai trouvé ça tellement cool que j’ai fait cette image. Elle s’est probablement changée neuf fois et a changé de perruque six fois. C’était comme si Mike devenait un accessoire de son propre shooting. Quand elle est décédée, on lui a envoyé l’image en souvenir, en souvenir de cette agréable journée passée ensemble.

Fabolous 2007

Cette exposition était aussi l’occasion de montrer des images qui parleraient aux fans de hip-hop, sans pour autant être celles qu’ils connaissent par coeur. Nous voulions choisir des images qui seraient à mille lieues de celles qu’ils ont l’habitude de voir. On ne va pas, par exemple, montrer la couverture de Reasonable Doubt, mais plutôt la quatrième de couverture, qui est moins connue. Cette image de Fab’ a été réalisée pendant un shooting pour la couverture de l’album From Nothing to Something. C’était un questionnement autour de celui qui a tout et celui qui n’a rien. Par exemple, peut être que le cireur de chaussures dans l’image possède sa petite entreprise, c’est tout ce qu’il a toujours voulu faire et il est parfaitement heureux. Peut être que l’autre gars en costume est misérable et stressé, et il lit le journal en s’inquiétant du cours de la bourse. Finalement il n’a rien du tout. Ou peut être, à l’inverse, le gars qui astique les chaussures fait ça parce qu’il n’a pas le choix, pour nourrir sa famille, alors que le trader en costume est peut être sur le point de s’acheter un nouveau bateau, et qu’il est tout content à l’idée de pouvoir y déguster un bon verre de Hennessy. On ne peut pas savoir. On ne sait jamais qui est heureux et qui ne l’est pas. Je voulais que cette dualité soit la composante de chaque élément de chaque image. Nous en avons fait une sur laquelle il était le photographe puis la star sur tapis rouge, celle-ci avec le cireur de chaussures et l’homme en costume, une autre sur laquelle il était l’ingénieur son puis le rappeur dans la cabine. Nous n’avons donc pas uniquement fait huit images pendant ce shooting, mais bien seize, parce que je devais à chaque fois photographier les deux personnages, tous deux joués par Fabolous, séparément. Il a bien fallu gérer tous ces changements de tenues et bien penser les mises en scène. C’était une journée assez riche en émotions. Et bien sûr un autre shooting planifié juste avant Noël ! Je me souviens que ça a été ma dernière prise de vue de cette année là.

Drake 2009

Drake est un roi. J’admire vraiment-vraiment-vraiment Drake et son travail. Je retravaille d’ailleurs avec lui la semaine prochaine à Toronto. J’ai adoré So Far Gone. Peut être que j’étais juste à un moment de ma vie, dans un espace temps particulier qui explique qu’il ait eu un tel impact sur moi, mais ce qu’il dit dans cet album me touche vraiment. Puis la façon qu’il a de présenter les choses a rendu acceptable à l’époque le fait d’aller puiser dans ce panel d’émotions. Je pense que le public hip-hop a été un peu perdu pendant quelques années, mais que Drake avait une vision d’une telle clarté qu’il a immédiatement pris une place importante. C’était un gros shooting pour moi. Ça a duré trois jours. Le premier, je suis allé le photographier en studio. C’était assez informel, on s’est rencontrés, salués, je voulais découvrir le personnage. Il connaissait mon travail, ma carrière. J’avais écouté son album et pouvais en chanter chaque parole car il m’avait vraiment marqué. Le deuxième jour, je l’ai shooté à mon studio. C’est aussi le jour où il est allé signer son contrat avec sa maison de disque. Puis nous avons pris l’avion pour Toronto – je me souviens, c’était le 4 juillet – pour le photographier chez lui, fêtant ça. Trois jours… Pour que je m’engage sur ce type de période, il faut que je sente que ce soit spécial, que la musique me touche. Nous avons fait ces images pour The Fader et nous avons réussi pas mal de prises de vues incroyables. J’adore voir comment les gens travaillent, comment ils arrivent à pareil résultat en studio. Est-ce que ça leur prend vingt prises, une seule, comment ils posent leur voix, est-ce qu’ils ont des notes, est-ce qu’ils fument ou est-ce qu’ils sont sobres, est-ce qu’ils boivent, que font-ils ? Je veux connaitre le processus. Sur ce shooting, j’ai vraiment pu passer du temps avec Drake, comprendre son rythme en tant qu’artiste, l’espace mental qu’il occupe en studio. Il était dans la cabine, il essayait deux-trois trucs, il écoutait l’album, puis d’autres titres inédits sur lesquels il bossait depuis la sortie de So Far Gone. C’était un moment d’une grande simplicité. Il était si concentré, il réfléchissait, il écoutait si intensément. Je pense que ça se ressent dans le cliché. Il paraît si fort, puissant, mais presque fragile. Sinon, nous avons choisi cette image pour l’exposition à cause du fond qui nous rappelait le drapeau français ! [rires]

Rick Ross 2011

Bawse ! J’ai fait quatre pochettes d’albums avec lui, plus quelques couvertures de magazines. Il est venu à mon vernissage en Floride, pour Art Basel, et non seulement il est venu, mais il a bien voulu nous accorder une interview pour parler du travail que nous avons effectué ensemble. Cette exposition a été toute une aventure. A$AP Rocky, dont il y avait des images dans l’expo est venu en show case, DJ Clark Kent a mixé, Gabriel Union et Chris Bosh sont passés, et le deuxième jour nous avons fait cette interview live avec Rick Ross, afin de discuter de ces quatre pochettes. L’une des images que nous avons réalisées ensemble est celle présenté dans l’expo. C’est Rick Ross dans le hood. On conduisait dans le quartier, on cherchait des textures intéressantes et on est tombés sur ce mur brut, avec ses couleurs délavées, pastels mais brillantes. Typiquement Miami. Il a sauté hors de la voiture, avec sa fourrure sur le dos, il souriait et les gens dans la rue n’en croyaient pas leurs yeux. ils s’exclamaient « Ross !« , « Ça va, mec ? » partout autour et il répondait aux passants. C’est vraiment un héros local. Il est très respecté là-bas. Nous, on voulait surtout faire les photos et se rendre au prochain lieu, parce qu’on court toujours après la lumière du jour. Souvent l’artiste est en retard, et ça bouscule complètement notre planning, mais c’est pas grave, je les laisse avoir autant de retard qu’ils veulent. Je suis patient, et je sais qu’à la fin, ça en vaudra la peine. Mais du coup, je vais vite. Il y a même un morceau de Stalley qui s’appelle « Hell’s Angels » dans lequel Rick Ross parle de moi. C’est le premier rappeur, et le seul, avec Black Rob, à m’avoir jamais mentionné dans un morceau. Il dit « Pull up, hop out, shoot up this bitch like Jonathan Mannion. » Voilà. Ça c’est la rime que j’ai eu [rires]. Et c’est vraiment inspiré par ma façon de travailler : Deux Ford Escalade qui se suivent, je vois un lieu, je dis « c’est bon c’est ici« . On se gare, on sort, je shoote une centaine de vues, on reprend les voitures, et on repart jusqu’au prochain déclic. C’est mon rythme, et je pense que Rick Ross l’a bien immortalisé.

Mike Schreiber est l’un des photographes de hip-hop les plus prolifiques des quinze dernières années. Que ce soit pour XXL, The Source ou encore Spin Magazine, il a couvert un nombre incalculable de concerts ou d’évènements et assisté aux débuts sur scène de nombre de légendes actuelles. En parallèle de ce travail de commandes, il s’est constitué, au fil du temps, des archives de portraits simples et touchants de tous ces personnages qu’il a été amené à rencontrer. Économie de moyens, cadrages basiques, mises en scènes choisies sur le vif, lumière naturelle et travail exclusivement argentique, une sélection de cet ensemble d’images atypiques a été regroupée dans True Hip-Hop, superbe livre dont il a accepté de commenter quelques images.


DMX

« DMX, c’est l’un des premiers shootings sur lequel on m’engageait pour faire du portrait. Jusqu’alors, je faisais principalement de la photo de concerts et j’essayais tant bien que mal de faire quelques images backstage quand je le pouvais. J’avais été embauché pour cette série par un magazine basé à Los Angeles qui n’existe plus maintenant et qui s’appelait Rap Pages. DMX commençait à devenir très connu. C’était à l’époque de la sortie de « Get at Me Dog ». Ce devait être en 98. Nous étions chez Def Jam, du temps où leurs locaux se situaient encore au centre-ville, à Manhattan. Cette photo, c’était probablement son idée. Je n’avais évidemment aucun moyen de savoir qu’il avait un tatouage pareil dans le dos. Il avait plein d’idées complètement folles. Quand il m’a montré cet énorme dessin avec ce fini très artisanal, comme fait à main levée, j’ai tout de suite su que ça pourrait être un très bon portrait. »

Lil Wayne

« The Source m’a envoyé couvrir une tournée de Cash Money. Ça devait être en 2000 je pense. Ils faisaient la première partie de Nelly. C’était au moment où Nelly avait vraiment le vent en poupe. Je me trouvais tout le temps dans les coulisses avec eux. C’était probablement avant l’une de leurs prestations. Ça devait être à Pittsburgh ou Albany, ou quelque chose du genre. On peut très bien dater la photo juste en regardant son téléphone portable Motorola à clapet. Je ne sais plus quel âge avait Lil Wayne, mais il était encore très jeune. A l’époque, Juvenile était la tête d’affiche de Cash Money et je ne savais pas trop qui était Wayne. Durant les concerts, à chaque fois qu’il rappait un couplet, toutes les filles devenaient hystériques. C’était encore un môme, mais il y avait déjà quelque chose de magnétique chez lui, auquel tout le monde, et spécialement les filles, était sensible. Ils avaient une énergie folle sur scène. Et leurs morceaux…  « Back that ass up » de Juvenile, c’est un classique maintenant. Cette image est aussi plutôt drôle parce que Lil Wayne y paraît si petit, perdu dans son immense Northface. »

Eminem

« Je n’ai pas grand chose à dire sur cette image. Je connais Eminem depuis depuis ses débuts pour l’avoir photographié très tôt sur scène pour The Source.  Par contre, cette image ne vient pas de cette toute première série. Je l’ai faite durant la courte tournée qu’il a réalisée à la sortie de son premier album. C’était dans une salle de concerts en ville qui s’appelait Tramps et qui a depuis fermé. J’étais dans les loges parce que je connaissais le manager d’Eminem depuis ce premier shooting et on m’a laissé faire quelques photos. C’était avant que sa carrière n’explose. Je voulais juste faire quelques portraits très simples, montrer la personne discrète et pleine d’humour qu’il peut aussi être lorsqu’il n’est pas sur scène. »

Voleta Wallace

« Voletta, c’est la mère de Biggie. Je devais faire son portrait pour XXL. Je ne sais pas s’ils le font toujours, mais ils avaient pour habitude de faire, chaque année, un numéro spécial Biggie et un numéro spécial 2Pac. Cette image est parue dans le numéro Biggie, cette année-là. Je suis allé la voir chez elle. Elle vit à la campagne en Pennsylvanie. Elle m’a montré toutes ces vieilles photos de lui enfant et adolescent. Des images incroyables. Elle avait cette image de lui dans un cadre en forme de pomme, comme celles qu’on offre à sa maîtresse. Comme elle avait été professeur des écoles, j’ai décidé de l’utiliser. Cette photo, c’est elle assise à sa table de cuisine. C’est vraiment un de mes portraits préférés parce que c’est tout simplement l’image d’une mère. Contrairement à la plupart des autres personnes que j’ai pu photographier, elle n’essayait pas de devenir célèbre ou de donner une image d’elle-même particulière. Ce n’est pas une artiste, c’est une mère dont le fils a été assassiné. On y voit sa force et son courage. Ce qu’on comprend aussi, c’est que malgré le fait que Biggie soit immense pour nous, une figure aussi forte que Jésus ou Bob Marley, pour elle, c’est avant tout un fils. Son point de vue est forcément complètement différent du nôtre. Il est cet être qu’elle a changé, lavé, dont elle s’est occupée au quotidien. Elle le connait ainsi, comme nous ne le verrons jamais. Nous ne connaissons qu’une facette de Biggie, celle de l’immense rappeur qu’il était. J’aime le fait que ce portrait nous ramène à cette réalité. L’article parlait du fait que personne n’a été arrêté pour ce meurtre et c’est vraiment triste, en définitive. Voletta est juste une mère qui veut connaître la vérité sur ce qui s’est passé, ce qui est arrivé à son enfant. »

Black Star

« J’ai fait cette image quand Mos Def et Talib Kweli ont acheté cette petite librairie à Brooklyn qui s’appelle Nkiru. Ils en ont d’ailleurs depuis fait une sorte de fondation. Encore une fois, ça date d’avant qu’on m’embauche réellement pour faire du portrait. Je faisais des petites piges pour The Source, pour leurs nouvelles et on m’a demandé des les photographier devant leur librairie à l’occasion de ce rachat. C’était quand ils commençaient à peine, et ils n’étaient pas franchement très connus. Je les avais déjà photographiés et je les connaissais un peu. Je suis arrivé là-bas mais ils n’y étaient pas. Donc j’attendais et j’attendais en photographiant les environs. Talib est finalement arrivé, mais quand il a vu que Mos n’était pas là, il est reparti. A l’époque, ils vivaient vraiment juste à coté. Alors j’ai encore attendu, et attendu, et attendu. Des heures. Et l’éditeur m’a dit que si je faisais juste une image de la devanture, ça lui suffirait s’il le fallait. Mais j’étais jeune et j’avais faim, je voulais juste faire un maximum de portraits et faire des choses plus grandes, meilleures et je suis resté. Tu ne peux pas dire aux gens de t’embaucher pour faire quelque chose sans leur avoir prouvé que tu maitrises et c’est ce que j’essayais de faire : profiter de chaque occasion pour bâtir mon portfolio. Ça a été interminable mais Mos a fini par arriver, Talib est finalement revenu et j’ai pu faire quelques images, dont celle-ci et celle de Mos Def avec sa capuche qui est depuis devenue très connue. Je n’ai pu faire que deux ou trois images de lui comme ça, tout seul. Il restait beaucoup dans son coin. Il était déjà dans son monde à l’époque. Il vit sur une planète qui n’appartient qu’à lui. »

Biz Markie

« Ce portrait est extrait d’une série réalisée à Coney Island pour XXL. Un ami m’aidait ce jour là et lorsque nous sommes arrivés là-bas, nous nous sommes assis sur un banc, à l’endroit où se trouvent tous les restaurants, en l’attendant. Tout d’un coup ce mec énorme s’assoit juste face à nous avec plein de hot-dogs et de frites. Vraiment beaucoup. C’en était presque impressionnant. C’était Biz Markie. Il a beaucoup mangé ce jour là. Je ne prévois pas particulièrement mes shootings. J’aime faire les choses sur le moment. C’est ce qui s’est passé avec la barbe à papa. Je trouvais simplement l’idée marrante et comme il a le sens de l’humour et adore la nourriture, il a accepté. Le plus drôle c’est que beaucoup de gens pensent que c’est de la fumée, une sorte de fumée bleue qui sort de sa bouche. Ça irait mieux à un rappeur, je suppose. »

Ol’Dirty Bastard

« J’ai travaillé pour XXL pendant quelques années et tout d’un coup, ils m’ont demandé de commencer à réfléchir à des concepts pour mes séances. Ce n’est vraiment pas quelque chose qui me vient naturellement, un concept. Je trouve que ça enlève beaucoup en spontanéité au modèle. Comme je ne trouvais pas vraiment d’idée je leur ai juste dit « OK, pourquoi ne pas le photographier à la Statue de la Liberté« . Je ne me souviens même plus tout à fait comment ça  m’est venu. Ce qui est sûr, c’est que j’avais en tête une image célèbre de John Lennon là-bas. J’ai été très surpris que tout le monde trouve l’idée intéressante, mais ça leur a plu. Ce n’était pas si longtemps après le 11 Septembre donc ça a été un peu compliqué. Il a fallu demander beaucoup d’autorisations, surtout qu’une équipe de MTV allait nous suivre car ils réalisaient une émission de télé réalité sur ODB, mais nous y sommes arrivés. Cette image a été prise sur le ferry de Staten Island, en route pour le shooting. J’étais allé aux toilettes et j’avais repéré en chemin un endroit avec une très belle lumière naturelle. Je n’utilise que peu d’éclairages, je préfère jouer avec la lumière du jour. En revenant, je lui ai demandé si ça le gênerait de faire quelques images sur le bateau. Il m’a accompagné et nous avons fait quelques photos. Je crois qu’il y en avait deux avec ce cadrage : celle-ci, et une sur laquelle il ne sourit pas et où il semble très mélancolique. Ce que j’aime dans ce cliché, c’est qu’il montre bien l’homme derrière la caricature de type complètement perché et incontrôlable. Je pense que nous avons fait cette séance l’année précédant son décès, juste après qu’il soit sorti de prison. Il avait plein de choses en tête, beaucoup à gérer. Puis en définitive, ce shooting, c’est quand même moi amenant ODB à la Statue de la Liberté … C’est quand même plutôt fou. »

Nas

« Je devais le photographier pour le magazine URB à l’occasion de la sortie du titre « Bridging the Gap » auquel son père, Olu Dara, participait. C’est l’une des seules images que je n’ai jamais fait pour laquelle j’ai employé de l’éclairage. J’ai toujours perçu Nas comme une sorte de musicien de jazz, il a ce type d’aura et je voulais garder cet esprit pour cette série. Je voulais une ambiance feutrée, cool, intemporelle. Le problème avec Nas c’est qu’il a toujours la même expression en photo. Pour rendre la chose un peu plus intéressante, j’ai choisi d’essayer de le prendre de profil. Nous étions entrain de faire différents réglages et Nas était simplement assis comme ça et quand je l’ai vu, je lui ai demandé de ne plus bouger. C’était parfait. Et j’ai shooté. Beaucoup de ces images, que je considère comme mes meilleures et que l’on retrouve dans mon livre n’ont même pas été retenues et publiées en définitive. Les éditeurs choisissent en général des rendus plus classiques, moins inattendus. »

Maino

« Je pense que cela restera une de mes sessions préférées. Je devais réaliser une série promotionnelle pour Atlantic Records à l’occasion de la sortie de son premier album If tomorrow comes… Nous avons décidé de photographier dans la cité où il avait grandi. Il a fait dix ans de prison et c’est uniquement après s’en être sorti qu’il est devenu un rappeur reconnu. Je voulais montrer ce qu’avait été sa vie avant. Il vit désormais une vie complètement différente mais il a vécu des années et des années en vendant de la drogue et en galérant. Nous avons passé la journée à faire des images dans son ancien quartier, à Bed-Stuy. Ça a été un très bel échange. Une session assez émouvante. Ça se ressent dans les images, je trouve. »

Beastie Boys

« Entre le 11 Septembre et le début de la guerre en Irak, il y a eu une sorte de gros concert à New-York contestant la politique gouvernementale. Je ne me souviens plus tout à fait, mais il me semble que c’était bien les Beastie Boys qui assuraient la tête d’affiche. J’y étais pour Spin Magazine. J’étais en coulisses, dans leur loge. Il y avait cette toute petite guirlande à leur nom sur le mur. La chose à la fois la plus absurde et la plus cool qu’on puisse imaginer comme décoration de loge. Ils étaient en famille, avec tous leurs enfants. Et c’était l’anniversaire de l’un d’entre-eux. Il y avait un gâteau. Je ne pouvais m’empêcher d’imaginer à quel point une loge des Beastie Boys devait être différente, ne serait-ce que dix ans auparavant. Là, ils étaient tous dans leur quarantaine, avec femmes et enfants, dans une ambiance super calme et relax. Je ne les ai pas fait poser. Ils étaient comme ça, tous les 3, avec Mix Master Mike, sur le canapé. L’image a d’autant plus de poids maintenant, depuis le décès de MCA. Je viens d’ailleurs de l’offrir pour une vente caritative au profit de l’indépendance du Tibet. »

Polaroïds…

« J’adore prendre des images mais je ne fais pas du tout de numérique, ça ne m’amuse pas. Le Polaroïd, c’est l’exact opposé du numérique. Des images uniques et un tirage instantané. Puis maintenant que les produits sont devenus instables, avec le temps, on ne sait jamais exactement à quoi s’attendre.  Je demande à tous les gens que je prends en photo avec mon Polaroïd de signer leur image, que cela soit Mos Def quand je le croise encore dans la rue, en bas de chez moi, l’enfant de neuf ans d’un ami qui DJ à la soirée de sortie du livre de son père, ou une femme népalaise que je croise en voyage et qui me signe son image en sanskrit. Ça n’a rien à voir avec la notoriété, c’est un instant, une personne. Et un Polaroïd c’est cher, rare, précieux. Quand je dis à quelqu’un qu’il ne vaut pas un Polaroïd, ça ne lui plait pas, généralement. Pourtant c’est ce qui fait la différence entre ces images et une photographie Instagram parmi des milliards d’autres. Je préfère une image unique, qui se démarque, et dont on se souvient avec le temps. »

Tout au long de sa carrière, la photographe Janette Beckman a documenté les mouvements culturels souterrains. Après avoir immortalisé la scène punk à la fin des années 70, cette Britannique est partie à New York pour suivre l’émergence du rap. En plein dans l’œil du cyclone, elle a alors capturé l’équivalent rap des Beatles traversant Abbey Road : Slick Rick et ses bijoux, LL Cool J et son Kangol, Flavor Flav et son horloge… « Des choses extraordinaires peuvent se passer devant les yeux d’un photographe« , raconte-t-elle, « il faut respecter son sujet, être patient, s’adapter aux situations, et se tenir prêt à capturer l’instant. » A l’occasion de son passage à Paris pour l’exposition Back In The Days, elle a commenté pour nous quelques uns de ses clichés les plus emblématiques.

Rick Rubin 1985

« J’adore cette photo. La combinaison du flingue et du gobelet Blimpie Coffee Shop est géniale. Rick Rubin était venu à mon studio de Tribeca. C’était une séance pour Rolling Stone avec les Beastie Boys, qui venaient de sortir leur premier album chez Def Jam. Rick Rubin semblait bourré d’énergie et de créativité, c’était un personnage un peu dingue. Je l’ai revu récemment, je l’ai photographié à la Bibliothèque Publique de New York quand il a donné une conférence avec Russell Simmons. C’était un soir glacial en fin d’année dernière, et lui se baladait pieds nus en short et tee shirt avec sa longue barbe. Il a l’air très zen aujourd’hui. »

Salt n Pepa 1987

« La première fois que j’ai rencontré Salt N Pepa, c’était dans le Lower East Side. On avait passé une super journée à se balader et à faire des photos pour un magazine anglais. Les filles étaient éclatantes, on aurait dit les meilleures amies du monde, et très talentueuses en plus de ça. Un an plus tard, elles m’ont demandé de les photographier pour leur nouvel album. A ce moment-là, elles étaient entrain d’exploser, leurs chansons très « girl power » passaient en boucle à la radio. Elles sont arrivées avec ces blousons super cool, des chapeaux, des leggings accordés, des bottes, des boucles d’oreilles en cerceaux et des chaînes en or. Le style à l’état pur. Cette photo est devenue une affiche géante dans les rues de Londres. »

Big Daddy Kane 1989

« Bill Adler, un grand ami à moi, était le co-auteur de mon livre Rap! Portraits & Lyrics of a Generation of Black Rockers. Il a réussi à s’arranger pour que Big Daddy Kane pose pour la couverture du bouquin. Je voulais faire une photo un peu sombre. Bill était attaché de presse chez Def Jam, et ça faisait quelques temps qu’il bossait avec Kane. Il l’admirait en tant qu’artiste, mais aussi en tant qu’être humain. Pour moi, Big Daddy Kane était aussi un mec très mignon : un plaisir à photographier, et le sujet parfait pour une telle couverture. »

Boo Yaa T.R.I.B.E 1990

« Boo Yaa T.R.I.B.E. étaient des mecs brillants. Les frères Devous venaient des îles Samoa. Ils m’avaient raconté que le grand frère avait été un sumo. Pendant leur jeunesse à Compton, ils ont intégré des gangs. Leur plus jeune frère est mort en 1987, et ils ont alors décidé de changer de voie et de dédier leur vie à la musique. On était dans les locaux d’Island Records à L.A. et on a décidé d’aller sur le toit pour prendre cette photo. Quelques années plus tôt, j’avais passé l’été à East L.A. pour photographier un gang mexicain, les Hoyo Maravilla. J’avais un peu compris les bases de la vie de gang, ainsi que les signes que les Boo Ya T.R.I.B.E. faisaient avec leurs mains. Je me suis alors dit que ça pouvait être potentiellement dangereux de traîner sur un toit avec ces types. Cette photo est bien hardcore, j’adore leur style, leur Marcels blancs immaculés, les bandanas… »

Slick Rick 1990

« Ça aurait du être la couverture de mon bouquin. Slick Rick est arrivé avec tout cet or sur lui. Je n’avais jamais vu autant de chaînes sur un seul homme. Il a sorti ces petits flingues et me les a montrés – ce fut aussi la première fois que je me retrouvais avec des flingues dans mon studio. L’éditeur du livre a adoré les clichés, mais Slick Rick a été arrêté pour avoir tiré sur quelqu’un, et on l’a envoyé en prison. Après ça, l’éditeur a décidé qu’on ne pouvait pas mettre un mec incarcéré en couverture du livre. C’était l’année 1990, bien avant Tupac et Biggie et la scène gangsta. Il a fallu faire une autre couv’. »

Jam Master Jay et son fils 1991

« Je réalisais la couverture de Paper Magazine dans mon studio avec Run DMC. L’ambiance était très relax, les gens discutaient entre eux. La compagne de Jam Master Jay est arrivé avec son fils qui portait le même chapeau que lui – c’était tellement cool que je leur ai demandé si je pouvais faire une photo pour eux. »

EPMD 1989

« Je photographiais EPMD pour la pochette de leur album Unfinished Business en 1989. On était censé se retrouver à Long Island, mais ils étaient super en retard, et à l’époque on n’avait pas de portables pour vérifier où ils se trouvaient. Je commençais à me dire que je n’allais pas les voir avant le coucher du soleil. Ils ont débarqué au moment où le crépuscule commençait. Je leur ai demandé de garer leurs voitures, une Mercedes 300SL et une Chevrolet IROC-Z Camaro, en faisant des angles de 45 degrés. J’avais quinze minutes pour mettre la photo en boîte. Quand ils sont sortis de leurs bagnoles, j’ai été étonné de découvrir ce qu’ils portaient sur eux. J’adore cette photo. »

Flavor Flav 1989

« J’avais pour mission de photographier Public Enemy pour Melody Maker, un magazine britannique. Des gens m’ont dit que ça allait être un shooting difficile : comme PE était à fond dans le black power, ils risqueraient de ne pas être très coopératifs. Evidemment, c’est le contraire qui s’est révélé. Flavor est arrivé dans mon studio avec Chuck et Terminator X. Ils ont été extrêmement polis, courtois et patients avec moi. Flavor portait pour la première fois une horloge, et une casquette Beastie Boys. Je ne me doutais vraiment pas que ces artistes deviendraient un jour de telles icônes. Le rap était encore un mouvement underground aux Etats-Unis. Ce n’est que quelques années après Yo! MTV Rap et l’apparition du rap dans les pubs McDonald’s que le genre a commencé à être accepté. Dans les années 80, l’aspect business n’était pas encore aussi présent, et je pense que c’est la raison pour laquelle ces artistes sont aujourd’hui légendaires. »

Grand Master Flash & The Furious Five 1987

« En 1988, on m’a demandé de photographier Grand Master Flash et les Furious Five pour leur nouvel album. Comme « The Message » était – et est toujours – ma chanson préférée, j’étais super excitée. Je suis allé chez Atlantic Records pour rencontrer leur directeur artistique. Le groupe n’était pas là, mais on m’a dit qu’ils avaient un concept pour leur pochette. Ils voulaient une Rolls Royce, des filles en bikini et une caisse de Champagne Moët – c’était écrit dans le contrat. On a donc loué le showroom Rolls en ville, on a engagé deux mannequins en bikinis en lurex, le groupe a bu son champagne, et j’ai essayé d’obtenir l’image qu’il nous fallait pour la pochette. Je me tenais en haut d’une grande échelle, à essayer de donner des directives au groupe. Bizarrement, Cowboy avait disparu, alors on a filé sa veste et son chapeau à un technicien, qui a posé dos à l’objectif. Melle Mel s’amusait avec un fouet qu’il avait trouvé, ça terrifiait la styliste et les mannequins, la musique était à fond, tout le monde était soit bourré, soit défoncé. Bref, le chaos complet. Ça a été une scène complètement folle mais j’ai quand même réussi à avoir mon image. »