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La volonté de fédérer, de faire tomber les cloisons, qui débouche sur des projets collectifs mémorables. IAM, qui fait sonner un album de rap français comme jamais auparavant. Night & Day, qui continue de donner aux labels indépendants un accès au marché du disque digne de ce nom. Time Bomb qui explose, dans tous les sens du terme. Le millésime 1997 du rap hexagonal, c’est tout ça. Avant de revenir plus en détail sur cette année plutôt dense, place à la musique avec une sélection de ce qu’il faut retenir, à notre humble avis, de cette cuvée forte en bouche.

Tracklist :

  1. White & Spirt – Instru « 11’30 contre les lois racistes »
  2. Beat de Boul – « Dans la Sono »
  3. Koalition – « Eah Koi (Double H Remix) » feat. Busta Flex
  4. Soul Choc – « Garde ça pour toi »
  5. ATK – « Attaque à mic armé » feat. Zoxea
  6. Ménage à Trois – « La 3ème vie »
  7. Afro Jazz – « Strictly Hip-Hop » feat. Ol’Dirty Bastard
  8. Rocca – « L’Original »
  9. Ennio Morricone – « Restless »
  10. Different Teep – « Mon Pote et moi » feat. Dany Dan
  11. Busta Flex – « Le Zedou »
  12. Doc Gyneco ft. Arsenik – « Arrête de mentir »
  13. Fonky Family – « La Furie et la foi »
  14. DJ Kheops – « Mama Lova » feat. Oxmo Puccino
  15. Ekoué – « Blessé dans mon ego »
  16. Minnie Ripperton – « Perfect Angel »
  17. Fabe – « Des Durs, Des boss… Des dombis! »
  18. Papi Fredo – « Des Sapes plus reuch' »
  19. Oxmo Puccino – « Pucc Fiction » feat. Booba
  20. Akhenaton – « Pousse au milieu des cactus, ma rancœur »
  21. D.Abuz System – « Les Crews s’braquent »
  22. Kohndo – « Mike branché »
  23. Section Fu – « Ruff Reality »
  24. Rootsneg – « Le Biz »
  25. Lunatic – « Les Vrais savent »
  26. La Brigade – « 16 Rimes » feat. Lunatic
  27. Les Derniers Messagers – « L’Épopée »
  28. X Men – « C’est justifiable »
  29. X Men – « Retour Aux Pyramides »
  30. Passi – « Le Monde est à moi » feat. Akhenaton
  31. IAM – « Demain c’est loin »

Salut Ox’,

Je dois t’avouer que je me tiens éloigné du rap depuis quelques temps. Je ressors toujours mes disques de chevet – dont Opéra Puccino – mais j’ai complètement décroché de toute l’actualité. A la fois par lassitude et par manque de temps. Du coup, c’est un peu par hasard que j’ai découvert ton nouvel album : Minutes magiques.

J’ai pris un plaisir certain à l’écouter. Pourtant, généralement, je n’aime pas particulièrement les compilations de morceaux enregistrés en public. Mais au delà de la qualité de l’orchestration, je me suis plongé dans ces titres comme on parcourt les clichés rassemblés dans un album photo. Heureux de ressusciter subitement tous ces bons moments chargés de souvenirs. ‘Mama lova’, ‘Le cactus de Sibérie’, ‘Soleil du nord’ ou ‘J’ai mal au mic’ soit autant d’extraits de ton parcours. Et autant de moments de ma vie passée à disséquer chacune de tes apparitions. Appuyé par un quatuor de musiciens, tes morceaux dévoilent un nouveau visage et gagnent en épaisseur. C’est d’autant plus marquant pour des morceaux plus minimalistes comme ‘Mama lova’ ou ‘L’enfant seul’. Évidemment, j’aurais aimé en profiter pour découvrir quelques couplets inédits au détour de cette compilation. Mais je comprends que ce n’était pas l’objectif de ce Minutes magiques, plutôt enclin à graver sur sillon l’émotion de deux années de scène.

Te voir face à un public nombreux et conquis me rappelle que tu connais aujourd’hui un beau succès, bien au delà du cercle restreint des auditeurs de rap. En bon trentenaire qui a suivi ton parcours depuis Time Bomb, je ne peux m’empêcher de sourire quand on te cite systématiquement en exemple pour justifier que le rap sait être fin et un peu réfléchi. Il faut bien que le grand public, étranger aux codes du rap, puisse se raccrocher à des références accessibles. Et franchement, autant que ce soit toi cette référence. La richesse de ton parcours t’accorde de toute façon toute légitimité. Et comment ne pas comprendre ton envie – manifeste – d’explorer d’autres terrains musicaux, d’élargir ton public et de vivre pleinement ? Tu retrouveras toujours sur ton chemin des brochettes de haineux capables de dire que tu as changé. Sans même te connaitre. Les mêmes qui regretteront que tu ne reproduises pas les même couplets qu’il y a quinze ans. Comme si les hommes étaient des statues. Tu l’as dit « j’ai tout donné mais les gens ne savent pas recevoir« .

Je suis sincèrement heureux de constater que tu continues à avancer, à grandir. Je te souhaite la meilleure des continuations. Et sache que même si je m’éloigne ponctuellement, je ne serai jamais très loin.

Porte-toi bien.

Nico

Abcdr : Lors de notre précédente interview, tu décrivais ton premier album comme un « enfant gâté », alors que le deuxième était « très difficile ». Comment compares-tu l’expérience « L’arme de paix » par rapport aux autres ?

Oxmo Puccino : Comment je positionne L’arme de paix ? [Il hésite longuement] Je positionne cet album comme un grand-frère qu’on attend longtemps, qui plane, de qui on s’inspire sans le savoir…Et quand finalement on grandit, on se rend compte que c’était lui le modèle, le grand-frère. Voilà comment je vois L’arme de paix. C’est quelque chose que je m’imaginais, que j’avais comme objectif et que j’ai atteint sans m’en rendre compte. C’est comme si j’étais dans ma montagne en train d’escalader les rochers pendant longtemps et que, tout d’un coup, je m’étais rendu compte que j’étais au sommet mais que je n’avais pas pris le chemin le plus évident.

C’est comme ça que je considère L’arme de Paix parce que c’est ce que j’ai toujours voulu atteindre en termes de fidélité musicale et émotionnelle. Je n’étais pas parvenu à faire ce que je voulais à l’époque du deuxième album, à l’époque du Cactus de Sibérie. Je n’en avais pas les moyens. Regarde un titre comme ‘Demain peut-être’. Il est très inexact, il est un peu faux, un peu crié…

A : C’était aussi le charme de tout cet album…

O : C’est vu comme du charme avec du recul mais sur le coup…Ce sont aussi des morceaux que je mettais une journée à poser en studio. Aujourd’hui, ça me prendrait deux heures. A l’époque, je n’arrivais jamais au bout de la course et c’est d’ailleurs ce qui m’avait poussé à recommencer sur l’album suivant.

A : Justement, on a l’impression que tu avais « L’arme de paix » en tête depuis un moment. Toujours lors de notre précédente interview, tu disais que tu voulais tendre vers du Aznavour pour ton prochain disque et trouver un bon « mélange entre profondeur et légèreté ».

O : Ça n’est pas une surprise puisque c’est quelque chose que je dis depuis longtemps. Justement, c’est peut-être la difficulté à le concrétiser qui rendait le discours flou mais le tout est de travailler pour y arriver.

A : Tu vois l’album comme une sorte de grand frère. Je pense qu’il y a deux grilles de lecture avec cet album. Tu avais des phrases extrêmement douloureuses vis-à-vis du monde qui t’entourait sur tes précédents albums (« ce monde n’est pas le mien même si j’m’en sors bien ») et j’ai l’impression qu’en effet, tu sembles plus à l’aise avec ça. Est-ce qu’il s’agit d’une forme de maturité ou est-ce qu’au contraire tu aurais opéré une forme de retour vers le futur en injectant un peu plus de naïveté et d’insouciance dans tes textes ?

O : A l’époque, ma manière d’appréhender le monde était tellement réelle qu’elle en devenait inacceptable. J’ai dû composer avec le temps, changer de point de vue d’observation pour mieux accepter la réalité et ça se ressent dans le texte. A l’époque, j’aurais pu te dire « le mec s’est pris une balle dans la tête, il s’est noyé dans son sang« . Aujourd’hui, je dirais « sa tête est percée et l’hémoglobine se répand sur le sol« , quelque chose comme ça. C’est pas tout à fait la même chose mais c’est le même cas de figure. Maintenant, j’arrive à me positionner de telle sorte à avoir un point de vue moins horrible de la situation.

A : On retrouve cette évolution dans ton rapport à l’amour. Tu en as toujours beaucoup parlé, tu as intitulé ton deuxième album « L’amour est mort »…Et sur « L’arme de paix », tu as une vraie chanson d’amour avec ‘J’te connaissais pas’.

O : C’est pas de l’amour. Il y a quelque chose que j’aime bien dire en concert. On chante souvent celui qui cherche l’amour, celui qui l’a perdu, celui qui ne l’aura jamais, celui qui a un coup de foudre mais, au fond, ça n’est pas sérieux. Ça fait toujours appel à une personne qui souffre et qui veux l’autre. Tandis que ‘J’te connaissais pas’ se situe après avoir passé toutes ces étapes justement. On n’est plus dans le rêve, le concept ou l’idéal. T’es une meuf, tu n’as plus 20 ans, t’as un enfant dans les bras, tu rencontres un mec… On n’est plus dans la passion mais dans le concret. On sait où on va. C’est ça ‘J’te connaissais pas’. « C’est la merde, les femmes ne sont pas comme je les voulais, les hommes ne sont pas comme tu le veux, ça va être difficile pour le prince charmant mais on est là tous les deux et essayons de gérer« . C’est de ça que parle cette chanson. Il ne s’agit pas d’amour mais d’une relation entre deux personnes. C’est pas une chanson d’amour.

A : St Exupery a dit : « La perfection est atteinte, non pas lorsqu’il n’y a plus rien à ajouter, mais lorsqu’il n’y a plus rien à retirer ». Tes textes étant désormais plus épurés que par le passé, c’est une vision que tu partages ? Comme tu le disais, avant tu avais une écriture qui pouvait être assez fantasque où ça rimait à peine… On a le sentiment que tu as essayé de simplifier un peu tes textes. Non pas au niveau du propos mais au niveau de la forme, comme si tu avais voulu rendre ton écriture plus académique.

O : Bien sûr. C’est assez difficile de rendre son écriture plus académique et traditionnelle sans perdre son identité et le fond. Avant, je me préoccupais peu de la forme. Je lançais les mots comme je les ressentais. Je prendrais ça comme une évolution qui consiste à apprendre à communiquer ce qu’on ressent d’une autre manière, sans se pervertir. C’est ce que je suis arrivé à faire sur cet album de bout en bout. C’est pas facile.

L’écriture est plus épurée aussi parce qu’il y a un rétrécissement du format qui demande beaucoup plus d’écriture et de précision. On peut faire des grosses œuvres avec une certaine facilité mais faire du précieux et de l’infime demande un certain savoir-faire.

A : C’était donc une volonté de faire un disque plus compact avec seulement douze titres ?

O : Bien sûr. Plus compact mais plus dense. Il se passe beaucoup plus de choses en une minute qu’on ne le pense. Ça concerne aussi l’aspect musical des choses. Au contact des différents arrangeurs que j’ai côtoyé ces dernières années, j’ai appris que la musique était aussi faite de beaucoup de choses qu’on n’entend pas.

C’est quelque chose que je ne prenais pas trop en compte dans mes précédents disques tandis qu’il n’y a que ça dans L’arme de paix, des choses qu’on n’entend pas mais qui sont bien là.

A : Pourtant, le rap a souvent peur de cette notion de silence, de vide…

O : Pas le rap, les rappeurs. Un rappeur est un saxophoniste. Il peut improviser, il est libre. Je le vois comme un soliste. Je joue de la guitare aujourd’hui mais j’ai commencé par la basse. C’est un instrument de soliste mais qui est monophonique. J’ai toujours essayé de jouer de la basse comme s’il s’agissait d’un saxophone. Je me suis rendu compte que c’était ça un rappeur. Un rappeur tue en a capella et c’est tout. Il fait la musique, il n’a besoin de rien. A l’époque, on faisait ça sur du beatbox et avoir un instru était un luxe.

Je me rappelle que quand j’ai débuté, j’ai mis du temps à me trouver un producteur. Avant, t’avais un DJ qui te donnait des instrus de face B. La musique en soi était un plus. C’était les freestyles dans la rue, le beatbox… Justement, c’est le rappeur qui doit gérer avec le silence. C’est lui le patron. Si le silence effraie beaucoup de monde, c’est peut-être ce qui fait que les choses n’ont pas énormément évolué ces dernières années. La création n’a pas été en s’accélérant. Quand tu dis aux mecs « essaie de changer ça dans ton refrain », ils vont te sortir leurs calibres. Il y a une phrase que j’aime beaucoup en ce moment : « quand on fait ce qu’on a toujours fait, on n’obtient que ce qu’on a toujours eu ».

« Être fan de la première heure, c’est une erreur si on n’accepte pas la dernière heure. »

A : C’est la réponse que tu formulerais aux fans de la première heure qui te demandent de refaire un morceau avec Bauza, Lino ou Dany Dan et qui te voient collaborer avec les Jazzbastards, Olivia Ruiz ou Jérémy de la Star Ac’ ?

O : [Il sourit] Premièrement, j’ai la chance d’avoir travaillé avec beaucoup de rappeurs. On collabore rarement deux fois avec le même artiste, jamais trois. La fois où ça se passe doit être unique. On peut collaborer sur des albums, sur des compilations… Mais on se donne la force pour que cette rencontre soit unique. Comme je le dis souvent, j’ai beaucoup d’amis artistes mais je ne passe pas ma vie à chanter avec eux. Parce que ça demande quelque chose de particulier : un moment, une musique, un désir commun.

C’est pas parce qu’on côtoie les gens que l’alchimie va être automatique. Quand ça se produit, il faut en profiter et le savourer. On ne demande pas à Leonard de Vinci de refaire deux fois La Joconde. Elle est déjà là et on peut aller la regarder autant de fois qu’on le désire. C’est comme ça que je vois les choses. Je ne peux pas rapper avec mes potes toute ma carrière. C’est inconcevable et, au final, on me le reprocherait. Je dirais que je suis plutôt prévenant par rapport à ce qu’on me demande. Parce qu’il faut toujours faire attention à ses désirs [Il sourit].

 Il faut y faire attention parce qu’ils peuvent se réaliser et on peut souvent se retrouver dans la merde à cause de ce qu’on a voulu, comme ces gens qui gagnent des fortunes au loto et qui sont plus pauvres qu’ils ne l’ont jamais été quand ils réalisent qu’en fait ça n’était pas ce qu’ils cherchaient. Être « fan de la première heure« , c’est une erreur si on n’accepte pas la dernière heure.

A : Récemment, tu as fait le morceau ‘Trente nerfs’ avec Grain de Caf. Justement, est-ce qu’il n’y a pas un syndrome de l’âge chez les rappeurs ? Comment tu as géré ce passage à la trentaine ? Dans cette scène rap français que tu connais bien, est-ce que tu as rencontré des artistes qui ont une retenue par rapport à ça comme s’il y avait un cap à franchir ?

O : Le rap est encore une musique jeune qui a longtemps soulevé des questions quant à sa longévité. Moi, j’ai commencé à 20 ans et on me demandait si je pensais que je rapperai encore à 30 ans. Disons que je représente une génération du rap français qui a connu un certain apogée puisqu’après cette période, les choses ont commencé à baisser.

Avant Time Bomb, on était en constante progression. Il y avait la Cliqua, les Sages Po, MC Solaar, Fabe, IAM… Il y avait tous ces groupes. Après, il y a eu les premières séparations, la mort de Biggie et Tupac et on a commencé à avoir les premières nostalgies. C’est nouveau ce qu’on vit. Aujourd’hui, on a 30-35 ans et on rappe encore sans se poser la question. On ne demande pas à un peintre s’il peindra encore à 45 ans. Ce sont des artistes. Donc notre art ne peut que se bonifier si on s’y prend bien.

Le creux de la créativité dont tout le monde se plaint est la raison pour laquelle on a fait ‘Trente nerfs’. Aujourd’hui, tu rencontres beaucoup de trentenaires qui disent ne plus écouter de rap parce que ça ne leur parle plus. Si tu regardes, il ne reste plus grand monde de ma génération aujourd’hui. Quand on a fait ce titre avec Thomas, on s’est rendu compte qu’il y avait peu de morceaux comme ça. A cause de la frustration dont tu parlais tout à l’heure, les mecs éprouvent encore le besoin après 30 ans de parler de calibres, de fusils à pompes, de meufs alors que ça n’est plus le propos. A côté de ça, tu as les gens qui sont en attente de ce rap là. Donc, on arrive dans un endroit désert.

A : Pour revenir sur ces rencontres, tu nous disais qu’au contact des musiciens, tu avais réalisé que tu ne « connaissais pas grand chose ». Est-ce que tu nourris encore ce complexe du rappeur qui va se confronter aux musiciens de longue date ?

O : Le complexe vient souvent d’un manque de confiance. Tu manques de confiance quand tu n’es pas assez préparé. J’ai commencé à rencontrer des musiciens alors que je n’avais jamais travaillé la musique. J’étais quelqu’un qui écrivait et, même si je programmais déjà des sons, c’est différent. Programmer, ça n’est pas rien. Mais quand tu arrives en face de personnes qui sont des musiciens de formation, tu as forcément des grosses lacunes par rapport à eux et, comme dans toute situation où tu te sens inférieur, ça développe certains complexes. Donc qu’est-ce que j’ai fait depuis 2-3 ans ? Je me suis mis au solfège, j’ai appris la guitare, j’ai lu beaucoup de livres sur la musique, j’ai discuté avec beaucoup de musiciens et aujourd’hui je ne suis plus le même.

Aujourd’hui, je peux parler un minimum de musique. Donc s’il y a un complexe et qu’il suffit d’un peu de travail pour l’éteindre, eh ben il faut travailler ! C’est ce qui fait la différence. Après, c’est normal d’avoir des complexes quand tu arrives face à des gens plus forts que toi alors que tu es censé être sur le même terrain. D’ailleurs, il y a eu longtemps du mépris de la part du milieu de la musique envers les rappeurs.

A : C’est quelque chose que tu ressens ? D’autant qu’aujourd’hui, tu as accès à d’autres médias qui paraissent assez hermétiques au rap…

O : Oui. Pas forcément envers moi mais envers d’autres artistes, oui. En même temps, c’est la faute de tout le monde. Eux ont leurs préjugés et leurs idées reçues et de l’autre côté il y a le rappeur qui veut « rester vrai » etc. Forcément, la confrontation des deux va être électrique. C’est pour ça que le rap est longtemps resté dans son coin et que les médias le zappaient.

Mais tout le monde est fautif. Quand tu en as un qui va insulter l’autre dans un texte… C’est mauvais. Si tu as un problème à régler, c’est pas comme ça qu’il faut procéder. Ensuite, les gens récupèrent ça et tout le monde paye.

A : Il y a eu une dernière sortie télé de Disiz chez Ruquier dans laquelle il se plaignait que les rappeurs passaient toujours en dernier et en te citant comme exemple. Est-ce que tu as le même ressenti que lui par rapport au statut des rappeurs ?

O : Malgré tout, passer dans ce genre d’émissions pour un rappeur est une opportunité. On se plaignait de ne pas être médiatisé. Aujourd’hui, on a une petite fenêtre. Il ne faut pas s’en plaindre et il ne faut pas niquer la route pour les autres. Lorsque je suis arrivé sur ce plateau, je vois Bigard qui connaît tout le monde, Sandrine Kiberlain qui connaît tout le monde… Ils se connaissent tous.

Quand toi tu arrives, t’es nouveau. A partir de là, c’est évident que tu ne vas pas passer en premier. C’est vrai aussi que les rappeurs ne sont pas très bien vus. Quand un rappeur est attendu, il n’est pas attendu avec plaisir. Il faut s’accepter soi-même. Je suis arrivé là-bas comme un rappeur mais je ne suis pas un rappeur à qui vous allez dire « merde ».

A : C’est pas compliqué à gérer justement ? Parce que quand tu es dans le « milieu rap », tu es un artiste respecté avec une longue histoire et quand tu arrives là-bas, tu es vu comme un nouveau, Zemmour te dit que c’est scandaleux de te proclamer le « Black Jacques Brel »…

O : Je suis arrivé en tant qu’homme. Il me dit ça mais, en même temps, le mec n’a pas écouté ce que je fais. C’est n’importe quoi et c’est du mépris pur. « T’es de la merde mais je ne t’ai pas écouté. » Ça signifie qu’il se rattache à l’image qu’il a de moi et que ça n’a rien à voir avec ce que je fais. A partir de ce moment là, je prends tout ça comme acquis. Ok, partons comme ça. Quoi qu’il en soit, il faut en tirer profit. Il ne faut pas se poser en victime et, malgré tout, il faut le prendre comme une chance.

Aujourd’hui, inviter un rappeur dans une émission est presque synonyme de courage pour l’animateur parce que j’ai entendu parler des relevés d’audimat en direct. Dès que tu mets un rappeur, les gens zappent immédiatement. Forcément, quand tu dois faire tourner une boîte, tu ne déconnes pas avec le nombre de gens qui regardent ta chaîne. Là, on rentre dans la mathématique.

Pour moi, les rappeurs sont des artistes qui ne sont pas encore reconnus à leur juste valeur mais ça viendra. Les rappeurs et leurs auditeurs sont simplement en avance. C’est quelque chose que tout le monde finira par comprendre. C’est pour ça que je me fous de ceux qui vont raconter n’importe quoi sur nous. T’as qu’à écrire mes textes ! C’est la même chose que ceux qui disent que le rap était mieux avant. Pourquoi t’en fais pas du bon aujourd’hui ? C’est ton rap qui était mieux avant !

Deux collaborations avec des anciens membres de la Star Academy, des phrases empruntées à Brel et Aznavour, un morceau qui sous-entend ouvertement que l’amour est bel et bien vivant, aucun rappeur en featuring et un disque ponctué de sourires réguliers à peine masqués: voilà, à peu près, ce que vous trouverez dans L’arme de paix.

« C’est pas encore défini, mais tout à l’heure on parlait de chanson populaire à la Aznavour, eh bien ça peut tendre vers ça. Finalement, c’est ce que les gens ont aimé dans mon premier album, du vif, du « tout de suite ». Donc je cherche un bon amalgame entre ça et quelque chose de plus dense, un bon mélange entre la profondeur et la légèreté. »

Oxmo Puccino à propos de son prochain album lors d’une interview accordée à l’Abcdr et publiée le 03/10/2007.

J’imagine assez facilement ce que les médias généralistes pourraient penser de L’arme de paix. Le cinquième album du MC « plus mortel qu’un cimetière » sera sans aucun doute qualifié d’album de la maturité, sorte de synthèse idéale des expériences précédentes du rappeur. Propulsé en à peine une dizaine d’années de Time Bomb à Blue Note, le rap d’Oxmo serait enfin passé à l’âge adulte, définitivement affranchi des codes régissant le rap et s’exprimant enfin pleinement en tant qu’artiste à part entière. Mais L’arme de paix n’est rien de tout ça. Depuis le titre et son jeu de mot à l’inspiration enfantine jusqu’à la pochette qui montre un Oxmo pour la première fois sans pudeur, n’hésitant pas à verser une larme (« Regard glacial car nos larmes ont trop hiberné, Laisse donc l’oeil saigner » disait-il, déjà, sur ‘Le parcours d’une larme’ en 2002), Oxmo semble avoir mis de côté la gravité qui le caractérisait au profit d’une bonhomie douce amère et ramène, au moins le temps d’un disque, l’insouciance des plus jeunes années.

« Longtemps pendant mon jeune âge, je pensais que les usines faisaient les nuages »

Auteur avec L’amour est mort d’un album sérieusement candidat au titre du disque le plus sombre de l’histoire, Oxmo n’est pas connu pour caresser l’auditeur dans le sens du poil. Triste au point de paraître complètement dépressif sur certains titres (‘Demain peut-être’), le MC s’est souvent fendu de quelques phrases définitives (« L’amour ? Un sentiment sorti des égoûts » sur ‘Vision de vie’, 1998) laissant penser qu’en plus de l’amour, l’espoir aussi repose à la morgue. Loin pour autant de dresser le portrait d’un monde idéal, L’arme de paix n’en demeure pas moins un disque beaucoup moins dur, comme si Ox s’était détaché de ses démons antérieurs, préférant la naïveté du bambin aux soucis quotidiens de l’adulte. Le refrain de Sly Johnson sur ‘Tirer des traits’ symbolise parfaitement l’impression générale livrée par le disque : le constat de choses tristes voire profondément douloureuses (« Les rêves s’éloignent tu cours à leur poursuite, en vieillissant de moins en moins de plumes poursuivent« ) sur un ton enjoué, presque rieur. Tentative de décryptage du changement d’attitude en trois points.

Les femmes, les groupies et Oxmo.

‘Souvenirs’, ‘Le jour où tu partiras’, ‘Nous aurions pu’… Dans l’univers d’Oxmo Puccino, les histoires d’amour finissent forcément mal. La routine qui s’installe et toujours ce satané temps qui passe, la jalousie, les concessions qui font enfler la frustration… Sauf que là encore, Oxmo préfère désormais voir le verre à moitié plein. Ainsi, ‘J’te connaissais pas’ marque définitivement la rupture avec le ton de L’amour est mort. Là où Oxmo disait profiter des groupies (« Ta go c’est ma groupie, dès que m’assoupis elle s’accroupit » sur ‘Quand j’arrive…’, 2001), il les chasse aujourd’hui d’un revers de main, obligations conjugales obligent (« Maintenant moins de groupies à mes concerts, une bonne partie de mes coups de fils te concernent« ). Volonté de rassurer les auditeurs en cette période de crise ? Même pas. Abdoulaye s’est trompé et a simplement changé (« J’te connaissais pas, comme tant d’autres j’étais assuré, qu’aucune ne m’aurait dans la durée« ). Le risque de routine qui autrefois l’obsédait ne vient même pas freiner son optimisme saisissant. Cette fois, Oxmo paraît même prêt à envisager un happy end.

Le temps qui file, les occasions manquées et Oxmo.

Le Oxmo nouveau est arrivé ? En quelque sorte, oui. S’il est toujours aussi obsédé par ce temps qui file et qui en laisse tant sur le carreau, la problématique ne semble plus autant le perturber aujourd’hui, au point qu’il parvienne à en parler avec le sourire au coin des lèvres, presque avec sérénité. Sur ’24 heures à vivre’, Oxmo imaginait, avec quelques comparses, de quoi seraient fait ses derniers instants. Sur ‘Mines de cristal’ ou ‘Avoir des potes’, il rappelait à quel point les années qui s’écoulaient lui faisaient peur :
« J’ai dû apprendre à pardonner,
Vu le peu qu’il m’a tant donné,
Quand l’abandon te pend au nez,
Passent les années comme au café,
Tu vis de cap et d’épée,tellement enterré j’ai même pas 30…,
‘tendresse j’écris à mes potes,
Sans qu’ils soient zon-zon, tu sais le temps presse
Aigri à mon âge j’appréciais l’air gris, le choix est simple : se ressaisir ou moisir. »
Si cette préoccupation ne n’est pas miraculeusement envolée, il n’empêche qu’Oxmo n’en parle plus avec aigreur. Plutôt que de ressasser les occasions manquées et d’essayer de se battre contre des fantômes, Oxmo a accepté que le temps filait. Ceci étant acquis, il se demande maintenant « comment faire quelques heures de cinq minutes ».

Oxmo en 2009 : quel âge a t-il ?

Sur ‘A sens inverse’, Ox livre peut-être les clefs de cet album :
« La vie n’a pas de sens, j’ai fait le deuil,
L’impression de n’avancer que sur feuille,
Devant cette distance que l’on a creusé,
On essuie les yeux comme s’il pleuvait,
Je n’écris pas pour qu’on m’adore,
Ni pour qu’on soit tous d’accord« .

En une phrase, le sentiment de départ d’avoir affaire à un Oxmo enfantin s’évapore. Et s’il masquait derrière une candeur gamine le fait de s’être simplement rangé ? Lui qui dédicaçait Le cactus de Sibérie à « ceux qui sont d’accord » avoue avoir baissé les bras. Cette société qu’il vomissait, et qui le lui rendait bien au point de le marginaliser à l’époque de son deuxième album, a l’air d’avoir réussi à apprivoiser le rappeur. « J’ai surmonté mes erreurs, me tromper m’a rendu meilleur ». Lui qui redoutait plus que tout d’être contraint par les années à abandonner s’est essoufflé en cours de route. Volontairement, Oxmo a mis ses frustrations de côté et chanté, pour une fois, une partie de son bonheur sur disque.

« Le temps n’a pas déformé mes propos, ils mûrissent »  sur Le cactus de Sibérie

Si le changement de tonalité dans le discours est dû à une certaine forme de maturité, le postulat de départ est instantanément invalidé. La maturité serait donc un pont vers une forme d’assagissement voire de détachement. Oxmo en Cohn-Bendit du rap ? Lorsqu’il fustige les Zemmour en herbe sur ‘Masterciel’ (« Le rap une sous-culture mais quelle idée ?! Ce sont des propos de fils de canidés« ), il le fait presque mécaniquement, flow monocorde et voix lancinante en prime, comme s’il voulait à tout prix rappeler à qui l’aurait oublié qu’il fait encore partie de la grande famille des rappeurs. Un peu comme Dany le Rouge qui, de temps en temps pique une colère noire histoire de se rappeler ses plus belles années avant de cligner de l’œil sur son siège lors d’un énième meeting soporifique des Verts.

Divertissant et inoffensif. Quelques phrases toutes faites sauvées par une sincérité précieuse. On n’aurait pas pensé en dire autant d’un disque d’Oxmo Puccino et pourtant c’est le sentiment laissé par L’arme de paix. Si l’on met de côté l’escapade Blue Note, c’est la première fois que l’essentiel d’un album d’Oxmo Puccino n’est pas dans les textes. Enfonçant une fois de plus le clou dans son refus maintes fois répété depuis l’expérience avec les Jazzbastards de ne plus construire son album selon les méthodes traditionnelles (comprendre ici l’utilisation d’une boîte à rythme et d’un sampleur), Oxmo conserve la vibe et l’équipe de Lipopette Bar. Entre trouvailles ingénieuses (l’horloge de ‘365 jours’), livraison de mélodies potentiellement tubesques (‘Les unes, les autres’ et ce fredonnement féminin à l’efficacité publicitaire) et arrangements classieux (‘Véridique’), Vincent Taurelle, Vincent Taeger et Ludovic Bruni composent remarquablement l’architecture sonore de l’album en atteignant une symbiose quasi parfaite avec le rappeur sur certains titres (‘L’arme de paix’).

Si l’entracte que constituait La réconciliation avait donné l’occasion à Oxmo Puccino de se faire plaisir et de revenir avec succès à un rap plus « traditionnel », son dernier album concrétise un flirt entamé depuis un moment avec la chanson française. Force est de reconnaître que si le « Black Jacques Brel » cherchait à « tendre vers de la chanson populaire« , L’arme de paix est alors à considérer comme une réussite en proposant une sorte de fusion assez inédite entre la variété et le rap. Opportunité pour Oxmo de glaner d’avantage d’auditeurs mais risque également de perdre quelques uns de ses fidèles. Triste constat mais c’est comme si un Oxmo heureux engendrait des auditeurs frustrés.

Abcdr du son : Commençons par le début et par un classique : Opéra Puccino. Dix ans maintenant… Quel regard tu portes sur cet album aujourd’hui ? C’est un album que tu peux réécouter, ou qui au contraire est trop derrière toi ? Dans l’un des morceaux extraits du disque qui sort, La Réconciliation, tu dis que tu ne peux plus rapper comme il y a huit ans…

Oxmo : C’est le début de tout. Un album qui marque ma vie, différemment de mes autres albums, mais ni au-dessus ni en dessous. Je suis très content de l’album : la manière dont il s’est fait, les gens que j’ai pu rencontrer… Mais c’est trop derrière moi : les choses que j’ai dites à l’époque, je ne les dirais pas de la même façon aujourd’hui. Il y a dix ans de décalage : si tu parles comme il y a dix ans, c’est inquiétant pour toi, normalement tu t’es amélioré entre-temps… Entre le premier album et aujourd’hui, beaucoup de choses se sont passées, et j’ai déjà rencontré des gens qui m’ont dit qu’ils n’avaient « réalisé » le disque que deux ans après… Ça m’a donné l’idée de laisser les gens prendre le temps d’apprécier ce qu’il y a à prendre, de laisser ce qu’ils n’aiment pas, et d’attendre pour ce qu’ils ne comprennent pas encore. C’est pas fait au hasard. Depuis huit ans il y a eu une évolution, quelques explosions métaphysiques…

A : Ton deuxième album, L’amour est mort, est souvent considéré comme le plus incompris…

O : Pour moi, c’est mon plus grand album. C’est le plus profond et le plus dense. Il relève d’une époque vraiment très obscure. C’est mon chouchou parce que tout s’est mal passé, ça a été l’enfant le moins gâté, le vilain petit canard. Et pourtant, c’est celui qui avait le plus de choses à dire. Et comme quand on a un enfant un peu plus difficile que les autres, souvent on s’y attache un peu plus… L’amour est mort : tous les albums qui suivent sont basés sur ce discours. La suite de ma carrière ne sera qu’un développement de L’amour est mort. C’est pour ça que Opéra Puccino me paraît bien loin derrière : il a eu une vie facile, il a été un enfant gâté. C’est une affaire réglée : c’est un bon album, il est sorti, ça a marché, voilà.

A : Alors que L’amour est mort, pas mal de gens sont d’abord passés à côté, et l’ont redécouvert ensuite tardivement.

O : Exactement. Et je ne veux pas être comme ces artistes qui font un succès ou une bonne chanson, et qui vivent ensuite dessus pendant des dizaines d’années. Je trouve que c’est tricher.

A : Une rumeur disait que tu avais écrit cet album entièrement de tête… C’est vrai ? Quelle expérience tu en tires ?

O : C’est vrai. Et après avoir fait ça, personne ne peut plus parler de rap avec toi : tu as exploré toutes les possibilités, toutes les manières avec lesquelles tu peux faire du rap. Tu travailles beaucoup avec le rythme, en cohésion parfaite avec la musique, tu as plus de variation et de liberté, le texte est plus ressenti. C’est peut-être pour ça que ça n’a pas été compris d’ailleurs. En studio, les ingénieurs et le producteur ne voyaient pas où je voulais en venir, vu qu’il n’y avait pas d’écrit, pas de trace, juste quelques maquettes vite fait, c’était un peu difficile pour la maison de disque de comprendre. Mais je l’ai fait, et ça m’a permis de faire ce que je fais aujourd’hui sans trop me prendre la tête, je peux écrire très vite.

« Biggie, c’était le numéro un… C’était le rappeur dont je me sentais le plus proche, celui qui m’a touché le plus à tous les niveaux.  »

A : Quand on entend ça, ça fait forcément penser à Biggie…

O : Pour moi Biggie, c’était le numéro un… C’était le rappeur dont je me sentais le plus proche, qui m’a touché le plus à tous les niveaux. Quand j’ai appris qu’il n’écrivait pas, je me suis dit que c’était pas possible… et je suis très attiré par ce qui est impossible. Donc je me suis dit : si j’arrive à faire ça… C’est fini, tu rentres au panthéon, avec les vikings ! Après ça, c’est que de l’application.

A : Dans la démarche, c’est un album qui peut faire penser à De La Soul Is Dead : une couverture à fond blanc, la référence à la mort, la volonté de casser avec le premier album…

O : C’est marrant que tu dises ça, parce que la pochette originale de L’amour est mort, sur laquelle j’avais travaillé avec un dessinateur, était une pochette baroque avec une rose qui s’est pendue, une table, un vase avec du lait qui tombe et un sablier cassé. Mais c’était trop abstrait pour la maison de disques… Donc, en deux jours, on s’est fabriqué cette pochette en noir et blanc avec une photo vieille de deux ans [rires jaunes]… Tout s’est mal passé, à tous les niveaux.

A : Sur l’album suivant, Le Cactus de Sibérie, la dédicace va « à la famille, à ceux qui soutiennent ma musique et ceux qui sont d’accord« . Que voulais-tu dire par là exactement ?

O : « Ceux qui sont d’accord« , c’est le concept de « l’union fait la force« . Pour être d’accord, quelquefois, il faut faire un effort, il faut discuter. C’est un mot qui a beaucoup plus d’importance qu’on ne lui prête. Être d’accord, c’est un signe d’amitié, d’intelligence, de force, de compréhension, de communication, c’est pas si évident. Ceux qui sont d’accord, pour moi, c’est ceux qui sont unis, quoi.

A : Pour Lipopette Bar, comment en es-tu arrivé à faire un album comme ça ?

O : C’était une proposition, pas une volonté. C’est quelque chose que j’aurais pas osé faire spontanément, parce que j’avais été voir beaucoup de concerts et que pour moi, les musiciens, c’était un monde à part… Le rock, la pop, la variété… Je me voyais pas du tout prêt à ça. Mais quand on me l’a proposé, vu que je m’ennuyais dans mon genre, je me suis dit que j’allais essayer de surprendre ; quitte à prendre un risque, autant aller jusqu’au bout. Et pendant six mois, on a failli faire demi-tour plus qu’autre chose…

A : La scène, ça doit créer un effet étrange d’avoir des musiciens derrière soi, notamment pour les vieux morceaux ?

O : Carrément, c’est incroyable, ça leur donne un bain de jouvence. C’est comme quand tu fais jouer un morceau de James Brown par The Roots, ça leur donne un autre aspect, une fraîcheur. Ça permet de reprendre des morceaux vieux d’une décennie sans gêne, sans problème, si ce n’est que je ne peux pas reprendre le texte comme la musique. Mais c’est incroyable : avec les musiciens, la musique peut changer au gré de l’humeur, selon la tension, elle se nuance… Ça me fait comme une image fixe qui se met à bouger, et à laquelle tu peux donner la forme que tu veux.

A : On peut faire le parallèle avec le MTV Unplugged de Jay-Z, quand on compare par exemple le ‘Girls, Girls, Girls’ en studio et en live…

O : À fond ! Parce qu’à la base, au niveau technique, les sons utilisés ne sont pas « purs », il y a de la compression… Et quand ils sont joués par les musiciens, c’est comme si tu les décomposais, que tu montrais le squelette de la musique ou que tu la mettais à nu dans sa plus pure forme. C’est là que dans la plupart des cas, le morceau prend toute son ampleur.

« J’ai repris la basse, j’essaie d’apprendre des notions de solfège, et je veux recommencer à composer mais plus sérieusement. »

A : Tu as fait des scènes avec Rocé et Abd Al Malik – une heure chacun -, que retiens-tu de ce type de format ?

O : C’est une bonne chose pour faire découvrir, ça permet de montrer qu’il y a un autre rap français. Mais en même temps, ce qui est dommage, c’est que les médias ont tendance à nous mettre dans le même sac. Au lieu de nous montrer comme étant différentes facettes du rap français, ils font de nous l’Église ou la Secte à part, celle des mecs qui font du rap avec des musiciens, ou qui s’incrustent dans le jazz. Alors que ça va bien plus loin que ça. Abd Al Malik a un discours assez philosophique, introspectif, avec des musiques inspirées de la chanson française et du jazz des années 1960, une collaboration avec un ancien compositeur de Brel ; Rocé c’est un mélange d’instruments et de samples, la participation d’Archie Shepp, un discours assez militant ; moi je raconte une histoire tout au long d’un disque sur une musique composée comme une bande originale… Ce sont donc trois démarches complètement différentes. Nous mettre dans le même sac, ça veut dire que le rap est soit violent, soit commercial, soit avec des musiciens jazz… Moi je suis contre ça : au lieu de voir l’originalité de la démarche, on nous classe, c’est dommage parce que ça nous fait perdre aussi des auditeurs.

A : Tu avais écouté l’album de Rocé, Identité en Crescendo ?

O : Oui, bien sûr. J’étais obligé : à partir du moment où est venu à moi cette idée de disque de « jazz » imprévue, je me suis remis à écouter les expériences dans le domaine pour faire autre chose, et aussi sortir des idées préconçues à propos des rappeurs qui travaillent avec des musiciens. Je suis même retourné à Easy Mo Bee et Miles Davis, US3, Common Sense, tout ça… Et d’ailleurs j’en suis pas trop fan. C’était donc pas évident de faire ce disque dans un genre que je n’aime pas trop, c’était une complication de plus.

A : Vraiment, c’est pas ton truc ? The Roots par exemple ?

O : Les Roots pour moi ça dépasse le « jazz », c’est de la musique pure. Les mecs font une histoire de la musique américaine, donc ça dépasse le cadre. Mais le genre me plaît pas trop parce que je le trouve trop propre, trop léché, avec un univers trop élitiste… Moi je voulais surtout éviter d’aller dans le sens des clichés : le jazz, une musique de gens qui claquent des doigts et qui ne bougent pas la tête… D’ailleurs dans le disque, il y a beaucoup d’autres inspirations que le jazz.

A : Tu préfères les boucles plus crades…

O : Ouais, à la Blackmoon, Smif-N-Wessun, un morceau comme ‘Don’t Sweat the Technique’… Des choses qui font aller plus loin, chercher les compositeurs dans les crédits, qui ouvrent sur d’autres mondes. C’est comme ça que je suis rentré dans le jazz, avec les boucles : Bob James, Chick Corea… J’ai toujours samplé, en même temps que j’ai commencé à rapper, j’étais même à deux doigts de devenir DJ. J’ai toujours une platine chez moi, j’ai eu mon premier sampler en 96 ou 97, c’était un S950, et le premier que j’ai vu était celui de DJ Mehdi en 93 ou 94. Mais j’ai fait ça seulement par intermittence parce que ça t’isole complètement, ça rend fou. Au contraire, j’ai repris la basse, j’essaie d’apprendre des notions de solfège, et je veux recommencer à composer mais plus sérieusement, et que ce soit réarrangé par des producteurs derrière, pour arriver à quelque chose de plus consistant, c’est comme ça que fonctionnent les formules du type Dr. Dre, Timbaland et compagnie.

A : Et savoir juste de quoi jouer une mélodie que tu samples toi-même ensuite ?

O : Non, je préfère avoir directement le gars qui joue, pour avoir les nuances. Mais je suis passionné par la composition, l’étude du son, la réaction du corps… Des frissons, des souvenirs, les parties de plaisir sur telle chanson, c’est des choses qui marquent à vie, et ça vient aussi de la musique, pas seulement du texte. Je voudrais affronter la musique plus à fond que je ne l’ai jamais fait.

A : Es-tu satisfait des retours que tu as eu sur cet album, à la fois de la part du public et sur un plan commercial ?

O : Du public, oui, parce que quand on a fait ce disque, on s’est demandé si c’était pas suicidaire, vu que c’était pas la tendance, que personne n’attendait ça, qu’il n’y avait aucune demande et que l’ambiance était morose dans le hip-hop. Donc je suis très content de l’accueil puisqu’on ne savait pas où on allait trois mois avant de finir le disque, et quand on a commencé à voir l’accueil sur scène, les festivals dans lesquels je me suis retrouvé, j’ai béni cet album de toutes mes forces. Vraiment, il m’a emmené beaucoup plus loin que je ne pensais. J’ai participé à des festivals de jazz qui ont définitivement changé la mesure de mes ambitions musicales. J’ai partagé l’hôtel avec des gens comme Richard Bona, Molly Johnson, Esperanza, Alain Caron, Lokua Kanza, etc., des artistes que normalement tu ne verras jamais au même endroit de toute ta vie. Tu les vois en concert, tu as même pas assez de force pour tout vivre. C’est simplement les meilleurs musiciens du monde. Tu vas dans un festival comme Montréal, ou à plus petite échelle le Paléo ou Nice, c’est là que tu vois le gratin du gratin, le haut niveau de la musique. C’est là que je me suis vraiment rendu compte que je connaissais pas grand-chose. Tu rencontres des mecs qui sont nés avec leurs instruments, qui ont le génie et le talent, et qui ont travaillé pour, tout ça rassemblé, ça te fait réfléchir sur toi et sur ce que tu veux faire dans la musique.

A : Un projet qui t’a sûrement tenu à coeur, c’est le Paris-Bamako…

O : Carrément, énorme, ça aussi c’est des surprises. Après le Blue Note, j’étais à Bamako avec plein d’artistes locaux qui sont la crème musicale de là-bas, et nous répétions toute la journée en live. Ça donnait une aptitude à rentrer dans une autre vibe, ce qui fait que pour Lipopette Bar, j’étais moins dépaysé. En tout cas c’était une énorme expérience : avec Amadou & Mariam, en train de faire de la musique toute la journée…

A : Pour continuer hors du rap, tu as écrit un texte pour Florent Pagny…

O : À la base il était pour Ben Ricour. Et il a plu à Florent Pagny. Je suis pas sûr qu’il l’aurait pris s’il l’avait eu directement… Je pense que la chose a plus de valeur quand on va la chercher soi-même et c’est ce qui fait qu’il a pris cette chanson, mais je l’avais pas écrite pour lui. Et puis elle a été co-écrite aussi, on était deux sur le coup. J’ai aussi écrit pour d’autres artistes…

A : Mais là, le résultat te convient ?

O : Bien sûr. Avoir des chansons qui peuvent être chantées par d’autres, c’est énorme.

A : Pourquoi préfères-tu ne pas interpréter toi-même ces chansons ? Ça peut paraître bizarre d’une certaine manière…

O : Le truc, c’est que j’ai plus de choses à écrire que je n’en ai à dire. Donc j’ai besoin d’autres artistes pour le faire à ma place, parce que c’est pas toujours mon domaine, ou des genres qui me séduisent mais pas forcément à pratiquer. Et puis c’est une écriture complètement différente, comme la peinture en bâtiment et la peinture en tableau. Le rap peut s’apparenter à la peinture en bâtiment, le côté rugueux, dur, pour l’extérieur…

« J’ai plus de choses à écrire que je n’en ai à dire. »

A : Un de nos éminents collègues a appelé « diptyque de la rupture » les deux morceaux que tu as fais avec K-Reen, ‘Le jour où tu partiras’ et ‘Nous aurions pu’. Y a-t-il un avenir à cette collaboration ? Un troisième volet est-il prévu ?

O : Je ne sais pas. Pour moi, la voix de K-Reen c’est un truc de fou, et la manière dont je travaille avec elle c’est quelque chose de presque magique, parce qu’elle met exactement l’émotion que je veux et j’ai rencontré très peu de chanteuses qui peuvent le faire. Je regrette qu’elle n’ait pas eu le succès qu’elle mérite, mais moi elle me fait toujours rêver, elle reste unique. Surtout pour ce genre de textes, avec cette émotion, tu ne peux pas prendre une tricheuse, il faut y mettre le cœur.

A : Tu es l’un des rares rappeurs français à maintenir une forme d’unanimité autour de lui, alors que tu fais des choix artistiques qui n’ont rien d’évident vis-à-vis de ce milieu, avec pas mal de contre-pieds. Comment tu expliques ce paradoxe ?

O : Ouais, c’est marrant, je comprends pas…

A : Eh bien justement, on voudrait que tu nous expliques [rires]… Tu ne t’en rends peut-être pas compte, mais tu es un nom qui revient souvent dans les « références » au cours des interviews…

O : Non je m’en rends pas compte, mais ça fait super plaisir. Là tu me dis ça… C’est peut-être parce que j’ose essayer, et que quelquefois j’y arrive à peu près, c’est peut-être pour ça… Je ne connais pas les raisons, mais en tout cas ça me fait très plaisir. C’est des choses qu’on peut pas réaliser ! C’est incroyable. Se retrouver en concert devant des milliers de gens, c’est un truc énorme, difficile à… C’est plus facile d’en parler au passé.

A : Est-ce que c’est gratifiant de constater par exemple qu’en concert, le public est varié, en âge comme en style ?

O : En fait je ne vois pas mon public, je le ressens, parce qu’il fait noir, et contrairement à eux, moi je ne les regarde pas ; je suis là pour être regardé le mieux possible, rester « opérationnel », ne pas me tromper, gérer l’harmonie, la musique, les tenir en attention, les intéresser, être le plus clair possible… Donc j’ai pas la possibilité d’apprécier et de jauger physiquement le public ; je ressens la réaction, l’émotion globale. Quelquefois je vois des visages, mais c’est pas quelque chose qu’on peut calculer.

A : À propos de tes disques de référence, tu as pu citer un groupe comme M.O.P., ce qui peut paraître étonnant dans la mesure où ils sont dans un genre « gueulard » a priori éloigné du tien… De quelle manière un groupe comme celui-là peut-il te servir de référence ?

O : Pour moi, M.O.P. c’est des génies que les gens ont manqué : au niveau du flow, c’est le plus haut niveau technique… Ils ont un flow de dingue : la cadence, les variations… Ils ont les meilleurs refrains du rap, les plus enjoués et les plus scéniques. Au niveau des textes, il y a pas plus dur mais près du cœur, l’amour de rue quoi… C’est une référence parce qu’ils sont sincères : quand ils parlent de leurs potes décédés, tu sais que les mecs sont vraiment décédés. La manière dont ils donnent le nom dans les dédicaces, tu sens toutes les années qu’ils ont dans la gueule. Pour moi c’est ça M.O.P. : le groupe qui n’a pas pété financièrement, qui mord encore la poussière ; ils se sont traînés de label en label et ils ont fait certains mauvais choix, mais ils restent des tueurs. Li’ Fame et Billy Danz’… incroyable. Leurs voix… avec les musiques… c’est que de l’amour d’une certaine manière, que de l’affection.

A : Il y a des choses qui t’ont marqué récemment, sur le plan artistique, dans le rap ?

O : Ponctuellement. Mais en ce moment, j’écoute Pastorius, j’écoute Bach. Beaucoup. Pastorius, au début je comprenais pas, je ne pouvais pas écouter jusqu’à il y a trois ans. Et puis je suis rentré dedans et là j’ai commencé à comprendre… Et j’ai réalisé qu’il y avait des démarches à faire. J’écoute aussi Liz McComb, donc tu vois musicalement c’est complet. Après il y a des trucs qui me plaisent ponctuellement comme ‘Amusement Park’ de 50 Cent, quelques maquettes de Rim-K que j’ai écoutées, certains concepts de Sefyu, la démarche de Soprano ou Youssoupha, des mecs qui travaillent, qui cherchent, qui creusent. Sinon musicalement je suis trop dispersé pour pouvoir m’attarder sur ce que je n’aime pas. Parce que l’ »actualité » dans la musique ça n’existe pas, tu peux être d’actualité avec une musique composée il y a soixante ans comme dépassé par une autre écrite il y a six mois… Tout est dans la qualité.

A : Tu suis encore de près ce qui se fait dans le rap français, c’est un monde qui t’intéresse encore ?

O : J’ai pris beaucoup plus de recul. Maintenant je peux aller voir Keziah Jones en concert, ou Daft Punk… La musique ne se réduit pas à mon genre. Donc j’ai pas de quoi m’ennuyer ! Ce que je cherche à faire, c’est de mettre ensemble tout ce qui me fait vibrer et de le redistribuer, de partager après avoir mélangé. Si je m’ennuie dans un genre, je vais écouter Celia Cruz ou Jorge Ben Jor… J’ai plein d’échappatoires où il y a de la profondeur, quelque chose qui se passe. Tu t’ennuies vite dans le même milieu, dans le rap comme dans le jazz, les plus vivants sont ceux qui sont le plus ouverts à d’autres genres. Je suis ce qui est intéressant mais… le rap est victime de son succès : il est obligé de répondre à des objectifs commerciaux, à entrer dans des réseaux de diffusion, parce que tout le monde n’a pas la chance de faire des concerts, l’exposition n’est pas la même pour tout le monde et surtout pas pour les plus méritants… La meilleure manière de réagir, c’est encore de faire un bon disque ou un bon morceau.

A : Il y a quelque temps, sur France Inter, tu as repris un texte de Charles Aznavour, ‘J’en déduis que je t’aime’…

O : Ouais ! J’adore.

 A : … en quoi l’écriture d’auteurs de chanson peut-elle t’inspirer ?

O : Ça m’inspire dans la technique et dans la capacité à capter l’auditoire. Avec une certaine simplicité qui est fausse, parce que c’est quelque chose de difficile d’écrire une chanson, on s’en rend pas compte avant d’avoir essayé et d’avoir raté… Et quand on entend des chansons comme celle d’Aznavour qui vous marquent à jamais, on cherche à comprendre l’alchimie. L’écriture, c’est que des mathématiques : on compte les mesures, les rimes, le nombre de syllabes… On cherche la formule magique.

A : Dans la chanson française, on parle toujours du contenu du texte, mais rarement de la technique du chant…

O : D’ailleurs Aznavour ne « chante » pas vraiment pour moi. Comme un Nougaro ou un Léo Ferré, ou même Renaud, qui ont un débit particulier qui n’est pas vraiment celui de la chansonnette. Et je pense que les rappeurs peuvent avoir la capacité, en mélangeant de la chanson française avec un flow qui leur est propre, à créer quelque chose de nouveau et qui peut faire d’eux les prochains Aznavour ou Brassens.

« Je pense que les rappeurs peuvent avoir la capacité, en mélangeant de la chanson française avec un flow qui leur est propre, à créer quelque chose de nouveau et qui peut faire d’eux les prochains Aznavour ou Brassens. »

A : Venons-en à La Réconciliation. Un maxi sort avec deux extraits en vinyle, un support devenu confidentiel : c’est pour renouer avec une certaine tradition ?

O : Ouais, par nostalgie. Et pour le plaisir. Pour le prestige de l’objet : avec le temps, ça prend de la valeur. Et puis c’est rare de faire quelque chose pour le plaisir aujourd’hui, plutôt qu’à ce qui pourrait rapporter. On s’est juste fait plaisir.

A : Comment tu définirais cet album ? C’est un nouveau contre-pied par rapport à Lipopette Bar, une volonté de revenir à un certain esprit ?

O : C’est une mix-tape… En fait, on a commencé à la préparer avant Lipopette Bar. C’est un projet sur lequel on est depuis environ deux ans, mais Lipopette Bar est arrivé, j’étais en tournée, Cream aussi, donc on calait les journées de studio quand on pouvait, mais comme on le faisait pour nous, on était pas trop pressés, on n’avait pas impératif… Et ça me faisait rire, au moment de la sortie de Lipopette Bar, qui était une chance et une démonstration, d’entendre dire que j’avais retourné ma veste dans le style, alors que derrière je préparais un petit projet rap « normal » !

A : Quelle différence fais-tu entre un album et une mix-tape ?

O : Dix fois plus de budget.

DJ Cream : Et puis par définition, une mix-tape c’est enchaîné, alors qu’un album les morceaux sont calés…

A : Bien sûr, mais musicalement, les décalages ne sont pas toujours aussi importants que ça entre les deux formats…

O : Disons que pour moi, une mix-tape, c’est un album sans moyens.

DJC : On dit que c’est album dans le prêt-à-porter…

O : Moi je fais la différence parce que c’est un problème de « travail-qualité ». C’est de la triche pour moi : si les deux sont trop proches, c’est que soit l’album n’est pas à la hauteur, soit la mix-tape n’en est pas vraiment une. Moi, si je fais une telle mix-tape, c’est aussi pour dire : imaginez ce que ça donnerait en album, avec une grosse équipe, du marketing, l’ambition de durer quelques années, pas seulement un truc fait à la maison avec un pote. C’est pour ça que j’aime pas trop ce concept de « Street CD », qui pour moi n’est qu’un prétexte pour sortir des albums. Si tu as des thunes, fait une mix-tape, pas un « street CD » ! Sinon ça ne veut plus rien dire, ça inonde le marché pour rien, les gens ne veulent plus mettre d’argent dans leurs albums parce qu’ils se font plus de thunes comme ça, c’est tout bénéf’ pour eux.

DJC : C’est sans autorisation, sans rien, en fait c’est ça le principe du « street CD ». C’est un terme de mode. Un « street CD » pour moi, ça veut dire un album bâclé

O : [rires] C’est un bif-CD ! Pour le gen-ar…

DJC : Ouais, d’un côté ça fait péjoratif, mais en même temps ça fait « rue », « authentique »… Et puis tu peux te faire remarquer par ça, quelquefois il y a des gens qui te découvrent comme ça et qui viennent te chercher pour te signer, c’est aussi une méthode, quand tu n’es pas connu…

A : Tu suis un peu les médias autour du rap ? Le panorama n’est pas brillant…

O : C’est pour ça qu’Internet est la seule issue. Tout est sur la vitesse, c’est instantané, ça se répand tout de suite. Aujourd’hui, on te montre à la télé des images d’Internet, c’est le monde à l’envers. Et puis il y a l’indépendance, la liberté, c’est l’Eldorado ! Et encore, tout reste à faire…

A : Mais on pouvait aussi craindre qu’il y ait moins d’exigences et de contraintes qu’un média papier, et que la qualité soit en fait assez médiocre…

O : Non parce qu’il y a la compétition : comme c’est ouvert à tout le monde, ça se joue au plus méritant. Il n’y a pas d’intermédiaire, pas de groupes d’influence derrière, c’est pas le même budget, c’est du pur travail. Comme si je fais un morceau et que je veux le faire connaître, c’est direct.

A : Dans un texte, tu te dis « injoignable mais accessible » : à travers ta page myspace, tu as sûrement beaucoup de sollicitations ?

O : J’en ai même trop pour faire bien attention : « viens écouter mon son« , « viens faire un feat« , « viens faire un concert je sais pas où« … C’est un peu fatigant. Mais ceux qui savent envoyer le bon message, ça fait la différence. Le meilleur moyen de me joindre, c’est encore d’avoir quelque chose de pertinent à dire, qui puisse m’intéresser.

A : Pour le prochain album, on peut tenter de gratter quelques informations ? Plus brut et dépouillé, ou bien à nouveau avec des musiciens…

O : C’est pas encore défini, mais tout à l’heure on parlait de chanson populaire à la Aznavour, eh bien ça peut tendre vers ça. Finalement, c’est ce que les gens ont aimé dans mon premier album, du vif, du « tout de suite ». Donc je cherche un bon amalgame entre ça et quelque chose de plus dense, un bon mélange entre la profondeur et la légèreté.

A : Tu as déjà le titre ?

O : Ah ouais j’ai le titre, et la moitié des morceaux, une bonne partie en tout cas, car j’ai pas encore précisément toutes les musiques. Et comme je veux l’album parfait…

Avec Oxmo, les albums se suivent et la qualité ne fait jamais défaut. Opéra Puccino en 1998, considéré par beaucoup comme un classique, restera comme le point d’orgue discographique de l’époque Time Bomb, tandis que L’amour est mort (2001) nous offrait la délectation d’un charme diffus, quoique plus hermétique. Avec une précision métronomique, Oxmo Puccino revient donc au bout de trois ans pour dévoiler son nouveau projet dont le titre semblait annoncer à lui seul un programme alléchant. En dépit des doutes qui le saisissent (« J’écris sans cesse, chaque jour je dis j’arrête« ), Monsieur Ox Pucci reste donc la force tranquille du rap français, les tourments n’ayant jamais raison de son talent. Restait à savoir vers où l’évolution souvent inattendue du bonhomme allait nous conduire. Retour aux sources et à un flow plus véloce ? Virage en direction de la variété et des textes chantonnés ? Impossible de trancher, la nuance et le paradoxe restant le maître mot de ce cactus dont « les aiguilles se transforment en pétales« .

Les expérimentations vocales auxquelles Oxmo s’était essayé avec L’amour est mort n’avaient en tout cas pas convaincu tout le monde semble-t-il, et celui-ci a visiblement souffert de l’accueil mitigé et du halo d’incompréhension qui a entouré cet opus à sa sortie. Avec Le Cactus de Sibérie, il a donc décidé d’abandonner les conceptualisations trop poussées, les titres de morceaux alambiqués et les interludes façon discussions entre potes. Place à une construction plus fluide, plus homogène. Ce qu’on perd en charme et en subtilité, on le gagne indéniablement en efficacité et en puissance : 55 minutes pour un univers oscillant habilement entre sagesse, désillusion et énergie, jusqu’à ‘Warriorz’ comme ultime explosion où Oxmo et ses acolytes lâchent tout ce qu’ils leur restent. Ce n’est certainement pas le meilleur morceau de l’album, notamment en raison d’un Célèbre Bauza peu inspiré et d’un Mam’s Maniolo aussi incisif qu’agaçant, mais il a le mérite de conclure avec fracas un album où différents styles se côtoient autour d’une progression bien construite. C’est d’ailleurs une des grandes qualités de cet album de se révéler cohérent sans que cela ne soit aucunement signe de monotonie.

Pour autant, comme si Oxmo cherchait à s’attarder sur « L’amour est mort », il ponctue les pistes de ce Cactus de Sibérie de multiples références à son prédécesseur : reprise de l’interlude musicale qui terminait ‘Boule de neige 2001’ pour servir d’instru à ‘L’amour est mort, mets…’ (qui enfonce lui-même le clou dans la lignée du deuxième album), interpellation de l’auditeur à propos du ‘pèze’ (« vous n’avez pas compris ‘Le laid’, vous comprendrez ‘Le pèze‘ »…), quand ce ne sont pas des phrases samplées qui viennent faire office de réminiscence… D’autre fois, les clins d’oeils sont plus implicites, tel que le leitmotiv « arrivé sur terre par erreur » dans un morceau qui entre en résonance avec « ce monde n’est pas le mien, même si je m’en sors bien » du poignant ‘J’ai mal au mic’.

Le premier album semblait un peu oublié au milieu de tout ça. La présence de K.Reen sur ‘Nous aurions pu’ fait néanmoins revivre de fort belle manière les coups d’éclats de ‘Mensongeur’ et surtout du ‘Jour où tu partiras’, prouvant au passage qu’un refrain R’n’B dans le rap n’est pas forcément synonyme de niaiserie pour ados (c’était pourtant une gageure !). La sensibilité d’Oxmo dans le domaine sentimental s’affine ainsi au fur et à mesure des albums, et ‘Laisse-moi fleurter’ confirmera l’impact toujours positif de ces morceaux pleins de tendresse puccinienne. Plus globalement, cet album peut donc tout simplement être considéré comme la synthèse rapologique d’un Oxmo que l’on sent redevenu plus serein (« Le temps n’a pas déformé mes propos, ils mûrissent« ). De manière anecdotique, le choix des couleurs pour la pochette dresse aussi un pont entre les deux albums précédents, l’aspect monochrome renvoyant directement à « L’amour est mort » tandis que le boîtier rouge intégrale de l’édition limitée renoue avec les teintes chaleureuses d’Opéra Puccino. (On notera au passage que l’édition limitée porte bien son nom, comme c’est souvent le cas, étant donné la pauvreté des bonus consistant en 3 clips, une série de photos et un court reportage « 24 heures avec Oxmo » n’ayant qu’un faible intérêt).

Au chapitre des déceptions, on relèvera quand même une faiblesse chronique des productions. Pris comme un tout, l’ensemble s’avère pourtant plus qu’honorable et nous réserve même quelques excellentes surprises comme l’instru de ‘Toucher l’horizon’ par DJ Duke. L’énorme travail de la paire Alsoprodby-DJ Sek, qui s’en tire avec les honneurs pour ses six productions sans la moindre faute de goût, mérite également d’être souligné. Enfin, l’idée de mettre l’accent sur l’orchestration, avec l’utilisation récurrente de basse, guitare et saxo, apporte une touche mélodique très appréciable. Mais tout cela ne suffit malheureusement pas, et les plus pointilleux regretteront des rythmiques étrangement faibles, trop peu marquées pour espérer rehausser un peu plus l’impact des morceaux. D’autre part, l’identité sonore des trois derniers titres tranche avec l’ambiance générale du reste de l’album. La mise en retrait de l’aspect mélodique au profit de sonorités synthétiques froides et saccadées gâche quelque peu le plaisir final. Il reste à espérer que ce n’est pas annonciateur de la future évolution musicale d’Oxmo, d’autant qu’il a lui-même livré la faible instru de ‘Un flingue et des roses’ (sur lequel l’alchimie avec Kool Shen surprend et se laisse bien apprécier cependant). Comme lorsqu’il s’agit de rapper, c’est en tout cas dans des ambiances plus chaleureuses qu’il se révèle le plus talentueux (‘Laisse-moi fleurter’ et ‘Nous aurions pu’).

En ce qui concerne le flow, on a en revanche l’impression que le point d’équilibre entre les nombreux phrasés déployés auparavant est aujourd’hui atteint. Cela lui permet de s’adapter à l’ambiance sonore ou au thème de chaque morceau. Il persistera par exemple avec ‘Le pèze’ à parler d’argent dans une ambiance feutrée où sa voix grave se fait intimiste, comme pour démythifier les clichés autour du billet vert (« Je sais c’que c’est d’être à sec à la quête aux obsèques d’un pote« ). Dans un registre plus neutre servi par un flow ciselé, ‘Toucher l’horizon’ rappelle le non moins réussi ‘Derrière les projecteurs’, sorti l’année dernière sur la compilation « Fat Taf ». Enfin, le style tant décrié de ‘Ghetto du monde’ est réédité pour le refrain de ‘Mes fans’ notamment, mais le chant s’y fait toutefois plus léger. Pour autant, Oxmo ne s’en contente pas, et il ne manque pas de s’appuyer sur ses acquis pour renouveler sa gamme de styles : sur plusieurs morceaux, il assure ainsi au micro un débit soutenu, plus speed qu’avant, mais en conservant une diction toujours aussi nette (‘On danse pas’, ‘Blackdesperado’). Assurément, la prestance presque théâtrale d’Oxmo n’a pas disparue. Son aptitude à raconter des histoires non plus : ‘Parallèles’ se chargera de nous rappeler ses qualités quand il s’agit de planter un décor, d’esquisser les contours d’une situation, entre anecdotes et description du quotidien. Une plume qui ne faillit pas non plus lorsqu’il s’agit de manier la métaphore, ‘Le Cactus de Sibérie’ mettant d’entrée la barre très haut à ce niveau (« Les gens adorent les couleurs flamboyantes, pas ceux qui les portent… »).

A force d’éloges, on croirait presque que Puccino nous a offert le classique qu’on n’attendait plus. Pourtant, même si les indéniables qualités d’Oxmo sont bel et bien présentes sur la longueur, il faut se rendre à l’évidence et constater que peu de titres prendront finalement la succession des tueries qu’ont pu être ‘L’enfant seul’ ou ‘La loi du point final’. Même en faisant abstraction de la faiblesse de certaines productions, il manque à l’évidence une petite étincelle, le truc en plus propice à enthousiasmer les plus sceptiques. Malgré tout, le charisme envoûtant de monsieur Puccino fait qu’à partir du moment où sa voix se fait entendre, on met de côté nos critères habituels et on ne fait aucune résistance dans l’écoute. On se satisfera donc amplement de cet album qui figurera certainement en bonne place parmi les meilleures sorties de l’année 2004. De quoi reprendre en cœur le cri du Black Desperado : « Rap français, tiens bon ! Il te reste des rimes à vivre. »