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Depuis bien des années il s’agit pour nous d’un rendez-vous incontournable : le troisième weekend d’août se tient le Royal Arena Festival dans la tranquille (les autres jours) bourgade d’Orpund, en banlieue de Bienne. Neuf éditions de suite qu’on pointe à la abendkasse le vendredi et qu’on revient en France trente-six heures plus tard fatigués mais enchantés (à part la fois où on est rentrés fatigués mais en dépanneuse). Alors, avec un plateau encore plus alléchant que les autres années, c’était certainement pas en 2016 qu’on allait faire faux-bond.

Jour 1
D’emblée, il nous faut faire un double-point météo et mode, dans cet ordre. Il fait clairement frisquet, aussi il est nécessaire de bien remplir la citerne de mazout pour avoir suffisamment chaud. De plus, le ciel menaçant a livré pendant la journée quelques pluies éparses, transformant le site, une prairie à l’orée d’un bois, en un sympathique bourbier, que certains iront inévitablement voir de plus près à une heure avancée. C’est en tout cas l’occasion pour les locales de sortir un élément de choix de leur garde-robe : les bottes en caoutchouc. Le genre de chaussures qui rend la plus bonne de tes copines aussi sexy qu’un pot de chambre mais que les Suissesses arborent avec entrain dès que le terrain tourne à la gadoue, comme un hommage à Jane Birkin et à Mimi Cracra. Ce ne sont pas les mecs arrivant sur scène qui critiqueront le choix de la prudence au détriment du bon goût : eux, selon la légende, gardent leurs timberland en toute circonstance, même pour pioncer.
19h15-20h15 : Boot Camp Clik – Sean Price Tribute (Main stage)
19h17, effectif réduit : en fait, ce sont Smif-N-Wessun, Rock de Heltah Skeltah et Top Dog d’O.G.C. qui sont là.
19h25, ce foutu temps qui passe part 1 : à l’époque de l’indémodable Da Storm il était maigrichon, avait dix-neuf ans et des tresses. Top Dog a désormais le crâne rasé, des lunettes, un peu d’embonpoint et une excroissance inquiétante à un coude. Mais au moins on a des nouvelles de lui.
19h53, Rockness Monstah : vingt ans de carrière, une voix dingue, du flow, du charisme, et toujours pas d’album solo pour Rock.
19h54, Shell Shock : en même temps, vu la gueule de ses mixtapes c’est peut-être mieux comme ça. On espère juste qu’un jour quelqu’un aura l’idée d’écrire sa biographie, et qu’il vivra assez longtemps pour rencontrer ce quelqu’un.
20h12, un seul être vous manque : on ne rendra jamais assez hommage à Sean Price.
20h15-21h45 : R.A. The Rugged Man & A-F-R-O (Beat stage)
20h19, âge tendre et tête de chat : comme sur disque, on sent que le jeune A-F-R-O a un potentiel hors-normes mais manque encore un peu de verve. On attend de lui qu’il soit à la hauteur de ses covers.
20h25, party over here : ça commence fort, R.A. a déjà fait monter une trentaine de personnes sur scène.
21h02, true story : le couplet de R.A. sur « Uncommon Valor » a déjà dix ans, mais on n’a pas franchement entendu quelque chose d’aussi puissant depuis. Encore un gars dont il faudra écrire la bio un jour.
21h19, trop d’hommages : instru de « Shimmy Shimmy Ya » et R.A. qui nous demande de crier « Wu-Tang, Wu-Tang ». Étrange. Les hommages aussi ont leur limite.
21h33, The Rageux One : « Next time tell these motherfuckers to put me on the big stage« . C’est pas franchement le meilleur moyen pour qu’ils te réinvitent, mais OK.
22h30-23h30 : Onyx (Main stage)
22h41, ce foutu temps qui passe part 2 : cette année, Sonny Seeza est également de la partie. Le mec a dû perdre trente kilos depuis la fin des années 1990 et paraît tout fluet, là où ses collègues Sticky Fingaz et Fredro Starr sont affûtés comme des guerriers spartiates. Même si son crâne est toujours lisse comme une boule de billard, le mythe des crazy baldheads en prend un coup.
22h52, last men standing : ça pouvait paraître débile y a cinq ans, mais si Onyx était le groupe des années 1990 ayant le mieux vieilli ? Leurs concerts sont toujours fous et ils sont encore capables de sortir de bons albums, vingt-cinq ans après leurs débuts. Qui tient la comparaison ?
23h18, les refrains de rap pour les nuls part 1 : teu teuteu, teu teuteu.
23h30-00h45 : Pete Rock & CL Smooth (Beat stage)
23h28, couacdafucup : ça devait déjà exister l’an dernier, mais pour être honnêtes on n’avait pas essayé d’accéder à la Beat stage. Cette seconde scène est distante d’environ 400 mètres de la principale. Sauf qu’avec le contrôle de bracelets au milieu, la distance se parcourt en une bonne vingtaine de minutes quand l’affluence sur le site est la plus forte. Dommage.
23h46, couacdafucup pt.II : du coup on arrive à la scène alors que le concert de Pete Rock et CL Smooth est déjà bien entamé.
00h35, Tonight : on va être honnêtes, ce n’était pas le concert du siècle. Mais le moment où Pete Rock joue « Today » de Tom Scott & The California Dreamers pour enchainer avec « T.R.O.Y. » a quelque chose de magique. Malheureusement pas de vidéo sur youtube, mais ça ressemble à ça.
00h37, les refrains rap pour les nuls part 2 : teuteuteuteuteuteuteu teu teuteu teu teuteu teuteu… vous avez compris.
00h45-02h00 : EPMD & Redman (Main stage)
00h46, back in business : on l’avait appris quelques jours avant par les réseaux sociaux, mais Method Man, qui aurait dû accompagner Redman, « a été retenu aux États-Unis par un tournage » . Concrètement, Red & Meth se sont produits tellement de fois en Suisse ces dernières années que plein de gens dans le public connaissaient les enchaînements par cœur et auraient pu facilement remplacer Johnny Blaze. Mais on est quand même très contents de voir EPMD.
00h52, never give up : il y a cinq ans, PMD se produisait sur cette même scène avec Snowgoons et Sean Strange, ancien sous-fifre de Necro. Comme quoi, on peut toujours prendre des revanches sur la vie, même à un âge avancé.
01h05, the original rap criminal : on espérait une entrée surprise de K-Solo, mais « Head Banger » avec EPMD et Redman c’est déjà très bien.
01h29, « Red & Meth à la maison de retraite » : Redman déchire, rien de nouveau sous le soleil (façon de parler). Même pas ce How High part 2 qu’il nous annonce depuis dix ans.
01h30, nan mais sérieux : y a vraiment des gens qui ont vu How High et voudraient une suite ?
01h41, les refrains de rap pour les nuls part 3 : tata ta ta tata.

Jour 2
Vous avez pu le constater, la journée de vendredi fut plutôt dense. C’est un peu moins le cas du samedi : si Nas clôturera le festival, les noms qui précéderont sont un peu moins ronflants que ceux de la veille. Côté météo ce n’est toujours pas ça et les ponchos sont de sortie. Le concours de danse a même dû être transféré sous la tente de la Beat stage. L’occasion pour nous de (nous) rappeler que le Hip-Hop, ce n’est pas que le rap et le deejaying. Un principe qui semble un peu plus tenir à cœur à nos amis suisses qu’à nous et sur lequel le Royal Arena s’appuie chaque année.
15h00 – 20h00 : la vie au Royal Arena
15h00, pendant ce temps-là : on n’en parle jamais dans ces comptes-rendus, nos samedis après-midis étant généralement consacrés à décuver dans les parcs de Bienne. Mais durant l’après-midi, il se passe plein de choses remarquables au Royal Arena Festival, notamment sur la piste de danse et sur les murs réservés aux graffeurs.
20h00 – 21h15 : Looptroop Rockers (Main stage)
20h15, David chez Goliath : on s’est pas trop tenus au courant de l’actualité de Looptroop ces dix dernières années. En tout cas, malgré le discours gauchisant, les gars ont un gros succès au pays des banques.
20h27, sacré tour de force (ou alors tout le monde est déjà plein) : Promoe arrive même à dire « No alcohol, no weed » et à faire la promo(e) du mode de vie straight edge sans récolter une bronca.
21h15 – 22h15 : Swiss Rap Allstars (Main stage)
21h18, la crème du pays du chocolat : on aime toujours autant le principe de réunir plusieurs générations de rappeurs helvétiques pour un même set. Même si le Suisse allemand n’est définitivement pas la langue la plus agréable à l’oreille.
21h33, plus qu’une valeur sûre, un repère : et puis cette année il y a Steffe la Cheffe parmi les allstars, un blaze mythique pour une meuf qui l’est tout autant, programmée dans à peu près tous les festivals de Suisse et qui fait toujours le taf.
22h15 – 23h30 : Vicelow, Sir Samuel & Specta (Main stage)
22h17, « Le webzine Hip-Hop » : mais c’est DJ Nelson avec les trois du Saian Supa Crew ? Le mec présentait des émissions sur une radio strasbourgeoise il y a quinze piges de cela, ça fait plaisir de voir qu’il est toujours actif. Apparemment il est même devenu champion du monde DMC en 2011 (un rédacteur de l’abcdrduson souhaite redorer l’image du site et se démarquer de cette méconnaissance crasse du milieu des DJs en vous suggérant cette vidéo de DJ Nelson).
23h20, chien perdu : il est devenu quoi le chien du clip de « Raz-de-marée » ?
23h21, chien trouvé : « Raz-de-marée » c’était en 1999. Il est probablement en train de causer croquettes avec Mabrouk et Happy à l’heure qu’il est. On va penser à autre chose, ça rend triste ce genre de trucs.
23h25, la preuve par trois : c’était déjà très bien alors que les mecs sont en effectif réduit et doivent friser la quarantaine. Ça devait vraiment être le feu le SSC en live une quinzaine d’années en arrière.
00h45-02h00 : Nas (Main stage)
00h45, besoins primaires : on l’avoue, on a fait l’impasse sur Masta Ace qui était sur la Beat stage, et on a zappé Skepta pour aller bouffer.
00h49, restrictions budgétaires : là où il s’était pointé avec cinq ou six zikos en 2009, Nas n’est venu qu’avec un batteur et un DJ.
00h50, avis subjectif : d’ailleurs c’est pas forcément plus mal. C’est toujours un peu frustrant les « vrais instruments », ça te donne l’impression d’entendre des reprises des morceaux que tu as saignés.
01h28, whose world is this ? : et donc de ne pas pouvoir pleinement apprécier ça.

Malgré le petit problème de check point et une programmation un peu déséquilibrée entre le vendredi et le samedi, ce fut de nouveau une belle édition du Royal Arena. Le sale temps, assez inhabituel, n’a clairement pas mouché l’enthousiasme des quelque dix-sept mille participants. Rendez-vous est déjà pris pour 2017 : le festival se tiendra le 18 et le 19 août.
Nappy Roots – « Beads and Braids » (The Humdinger, 2008)
Les cinq membres de Nappy Roots sont à la fois précurseurs et grands perdants du revival country rap tunes amorcé à la fin des années 2000. Avant Big K.R.I.T. ou Stalley, le quintet du Kentucky faisait déjà dans la relecture appliquée des standards du rap sudiste. Le succès du single « Awnaw » en 2002 ne leur assurera pas une reconnaissance à long terme. Dommage, car au hasard de leur discographie, on peut retrouver de véritables perles, comme ce « Beads and Braids » à la vibe dungeon family-esque, extrait d’un troisième album passé autant inaperçu que le quatrième. — JB
United fools, ft. Sir Jean & Art Melody – « Human projects » (Human projects, 2012)
Il y a la théorie, les intentions et les faits. Un patchwork d’influences, traversant les continents et époques, partagées au cœur d’un sextet uni. Une volonté de s’interroger sur la place du collectif dans un univers individualiste. Une kyrielle de bonnes intentions qu’on voyait étalées tout au long d’un album… affreusement poussif. Heureuse surprise, Human Projects regorge de bons moments. À commencer par son premier extrait « Human Projects » avec Sir Jean et le burkinabé Art Melody dont la gouaille illumine cette constellation conceptuelle. Une injection de sens quasi-dénuée de samples. — Nicobbl
K7 – « Come Baby Come » (Swing Batta Swing, 1993)
Parce que l’été 1994, l’argent de poche gagné en déboisant les Landes, les belotes coinchées à la lampe à pétrole, les Reebok noires du P’tit Kader (futur tox’ incarcéré, snif snif) interdites de tente en Auvergne, le coup-franc brossé de Stoichkov retenté matin, midi et soir, le train jusqu’à Genève, la première boule à zéro décapée à l’after-shave, la mode des lancers francs depuis la raquette adverse – et les œufs sur le ballon qui en résultaient -, les 24/24 de Super Mario Kart sous pizzas, Coca et jumbos de pop-corn, et cet album qu’Aziz ramenait de Montréal, à jamais bloqué sur cette fameuse piste 1. — Anthokadi
Trae Tha Truth – « R.I.P. Clip D » (2011)
Novembre 2011, Money Clip D, l’ami et bras droit de Trae, est tué à la sortie d’une boîte de nuit. Décembre 2011, la voix la plus éraillée de Houston enregistre un hommage sur l’instru de « Look What You’ve Done » de Drake. Dans ce moment sombre, Trae délivre un morceau bouleversant, à l’émotion qui prend aux tripes. Pas de refrain, pas de postures, pas d’effets de manche, juste sa peine et son amour pour son pote disparu. Dans ces circonstances malheureuses, le rappeur montre une fois encore l’étendue de son talent lorsqu’il pose sur des productions taillées pour lui, c’est-à-dire lentes, funèbres, délicates, et qui tranchent avec sa voix si rugueuse. Un bel adieu. — David
Onyx – « Last Dayz » (All we got iz us, 1995)
Pour de nombreuses personnes, un morceau d’Onyx, c’est des mecs qui hurlent qu’ils sont de vrais sociopathes sur un beat tapageur. Mais dans « Last Dayz », c’est plus le désespoir d’être enragé que la rage du désespoir que les trois crânes rasés du Queens font résonner. La verve est la même, comme en témoigne l’entrée de Fredro (« I’m America’s nightmare, young black and just dont give a fuck, I just want to get high and live it up« ), mais le ton est lui plus résigné. Est-ce l’association de Bob James et Aretha Franklin sur une rythmique distante et essoufflée ? Jamais le noir de l’onyx n’a semblé si terne d’abattement. — Raphaël
Celph Titled & Buckwild ft. Apathy & Chino XL – ‘Styles ain’t raw’ (« Nineteen Ninety Now », 2010)
Inviter Chino XL pour lui permettre d’exprimer son talent sur une prod digne de ce nom, c’était une merveilleuse initiative. Mais Chino est un salaud de la pire espèce, comme il aime à le répéter dans ses textes. La politesse, très peu pour lui. Son couplet ravageur éclipse les prestations pourtant fort correctes de son hôte et d’Apathy. Le « Portorican Superhero » nous rappelle qu’il est un peu le battle rhymer ultime, et que peu sont capables de rivaliser avec lui quand il s’agit d’egotrip. – Kiko
Onyx – ‘Shout’ (« All we got iz us », 1995)
Quand All we got iz us voit la lumière du jour pour dégueuler sur le bitume, les têtes cramées d’Onyx sont au sommet. Sommet de l’obscur et de la surrenchère d’un album encore plus sombre que le déjà chaotique Bacdafucup. ‘Shout’ s’inscrit dans cette lignée des gros bangers écrits avec la gueule en vrac et des cadavres (de wack MCs) empillés dans le coffre du pick-up. Tout ce qu’on adore. – Nicobbl
Tonedeff – ‘Politics’ (« Archetype » – 2005)
Pressions électroniques pour désillusions oppressantes, voix pitchées pour rancoeur basée autant sur du vécu que sur les clichés qui en découlent, Tonedeff bouffe le bâillon de l’industrie du rap sur une instru’ entre codéine et hélium. « Politics », c’est 8 ans d’autoprod’ avec comme leitmotiv : « Everything you hear was paid for ». Le pas est lourd mais la parole est virevoltante, le thème est usé jusqu’à la corde mais son interprétation, entre refrain désespéré et couplets sentencieux, élève l’amertume aux sommets. – zo.
Diabolic – ‘Stand By’ (« Liar & a thief », 2010)
Spasmes auditifs, nez qui saigne, yeux révulsés ? Normal, c’est un peu le début parfait, du genre à brancher immédiatement – et sans protections – les esgourdes sur du 300.000 ampères, le casque en guise de para-tonnerre. Morceau d’ouverture de Liar & a thief, ‘Stand By’ annonce direct la couleur : Diabolic n’est pas là pour rigoler ou charmer l’auditeur mais pour lui dire bonjour à coups de pelle. Bienvenue chez le Joey Barton du rap US. – Julien
Tribes of neurot – ‘Descent’ (« Grace », 1999)
Derrière Tribes of neurot se cachent les musiciens de Neurosis, groupe hardcore de renommée mondiale. En 1999 ils sortent ‘Times of grace’ avec Neurosis avant de balancer ‘Grace’ dans la foulée avec Tribes of neurot. Le but : que l’auditeur joue les deux albums simultanément pour en créer un troisième, parfaitement calé au tempo, et dont il gère les niveaux sonores. Aussi conceptuel que jouissif. A choisir, c’est ‘Grace’ et ses atmosphères planantes qui arrachent fébrilement les tripes qui sera retenu, avec l’onirique ‘Belief’. – Shadok
Malgré leurs bobines grimaçantes et leurs armes à feu en couverture de Bacdafucup, on avait beau faire des efforts, les membres d’Onyx (Big DS, Suavé, Fredro Starr et Sticky Fingaz) ne parvenaient pas à nous impressionner outre mesure. Le montage peu judicieux de la photo du groupe enragé sur fond blanc sortait totalement les rappeurs d’un cadre pouvant a priori justifier leur attitude, remplaçant dans les esprits le naturel par un aspect préfabriqué assez peu crédible. Le Wu-Tang Clan, avec Enter The Wu-Tang : 36 Chambers la même année, ne tombait pas dans ce panneau. Il nous livrait, on s’en souvient tous, une pochette avec au recto une horde (qu’on imagine composée des membres du Clan) de personnages masqués et encapuchonnés dépourvus d’arme et pourtant troublants tandis qu’au verso, fixant le décor, les membres se tenaient dans leur B-boy stance assurée sur un (leur) sol terreux jonché d’ordures avec suspendu au dessus d’eux l’un des fameux ponts de New York. Une constante tout de même, les logos qui fleurissent en coin de jaquettes chez les deux groupes.
Pour l’album qui nous intéresse ici (à savoir All We Got Iz Us) sorti deux ans plus tard, Onyx a par contre abordé son design à la manière du Wu-Tang pour son premier album, avec clichés dans des tons glaciaux du groupe pris en contre-jour hantant quelques immeubles insalubres de projects New Yorkais. Tout ceci ne pourrait être que détails si l’on omettait le fait que la carrière de bien des groupes de rap se joue aussi sur l’image qu’ils véhiculent au public.
All We Got Iz Us débute « sagement » comme une majorité d’albums de rap par une intro intitulée ‘Life Or Death’ et il n’en faut pas plus au groupe pour immédiatement insuffler à leur album un désespoir ra(va)geur qui va se répercuter au fil des morceaux. Pour Onyx il ne s’agit pas ici de choisir entre la vie (Life) et la mort (Death), d’où l’absence de point d’interrogation du titre. Mieux vaut suivre sa voix intérieure qui appelle à la mort, tirer, échapper à cette « vie stupide » que l’on se remémorerait avant que tout soit vraiment fini ; et c’est là que commence l’album, et c’est dire si celui-ci va être sombre et amer. On peut aujourd’hui avec le recul aisément incorporer All We Got Iz Us dans la longue liste des œuvres de rappeurs américains (de Tupac, DMX, les Geto Boys au cynisme fort à propos des Gravediggaz) qui ont reflété un esprit suicidaire de la part de leurs auteurs. Thème récurrent dans la première moitié des années 90, la voix des rappeurs laisse planer un esprit suicidaire au-dessus des grands centres urbains américains. L’intro s’achève donc avec le coup de feu fatal alors que démarre sans temps mort ‘Last Dayz’ (Derniers jours).
« South suicide Queens… » sont les premiers mots proférés : la dépression est définitivement localisée. Mais annoncer quelques phrases plus loin avec une ironie certaine « Get ready for this New World Order, shit is about to change » apporte une dimension temporelle et politique supplémentaire au discours incroyablement pessimiste du groupe, faisant insidieusement tendre l’oreille à l’auditeur dans un champs d’action bien plus vaste que celui du Queens Sud ou même de New York. Cette théorie du complot appelée Nouvel Ordre Mondial qui alarmait tant les rappeurs américains à l’approche du nouveau siècle, bien que comportant son lot d’énormités, est devenue réalité sur le plan économique et des paroles comme celles d’Onyx dans ‘Last Dayz’ témoignent d’une réelle volonté d’alerter la population sur les dérives possibles d’un système national, mondial dirigé par une élite et des corporations. Fredro Starr amorce son couplet par un cynique « I’m America’s nightmare, young black and just don’t give a fuck » et le morceau ne s’arrêtera que quand chacun aura donné une première vision cauchemardesque de sa vie et de son entourage, tandis que revient désespérément en boucle le sample d’une voix féminine aux forts accents de musique soul. Cauchemar américain « à l’envers de l’Histoire » comme nous le verrons un peu plus loin. Les voix déglinguées à l’extrême de Fredro Starr, Sonsee et surtout Stinky Fingaz qui en font des tonnes (souvent proche du grand-guignolesque) prennent alors tout leur sens dans ce dernier grand mauvais trip où tout doit être perçu en surmultiplié. Chaque voix jaillissant comme autant de diables sortant de leurs boîtes. Des paroles comme « Thinking about taking my own life, I might as well ‘cept they might not sell weed in Hell, and thats where I’m going cause the Devil’s inside of me » rappellent cruellement les pulsions suicidaires du king Notorious B.I.G. dans ‘Suicidal Thoughts’ et le refus du mea culpa religieux (« When I die, fuck it I wanna go to Hell cause I’m a piece of shit it ain’t hard to fuckin’ tell« ).
« Dans ‘All We Got Iz Us (Evil Streets)’, l’Enfer est sur terre. »
Dans ‘All We Got Iz Us (Evil Streets)’, l’Enfer est sur terre nous annonce Onyx, Fredro Starr est « né pour être un pécheur dans ces rues mauvaises de New York ». Suit un inventaire violent et détaillé avec un malin plaisir de tout ce qu’on peut compter comme activités criminelles en ce bas monde et Sticky Fingaz de balancer une punchline « Only nigga that can kill me is the nigga in the mirror » évoquant à l’auditeur la célèbre scène du miroir de « Taxi Driver » avec un Robert De Niro au comportement non moins suicidaire dans les rues de la Grosse Pomme. L’instrumental, comme du reste partout ailleurs dans l’album, est plutôt minimaliste et toutefois d’une efficacité redoutable. Celui-ci possède une cadence rapide et lourde alors que reviennent à répétition d’inquiétants grincements.
Au titre suivant, ‘Purse Snatchaz’, la fureur des MC’s au micro est apaisée par le chanteur Greg Valentine qui se livre à un magnifique refrain lancinant et onirique. Horizon barré : « There’s no sunshine in the city, that’s the way it’s going down, people kill and people dyin, every time I turn around » se lamente Valentine sur le beat ralenti, une petite mélodie triste et la bande-son des turpitudes de la ville si fréquemment entendue dans les productions des rappeurs (sirènes de police, explosions de flingues, altercations..). Le texte est construit rigoureusement avec un premier long couplet de Fingaz, succession de rimes en ‘-ers’ tandis qu’au troisième couplet il privilégie la rime en ‘-ion’ et entre les deux Sonsee envoie un couplet en ‘-ing’.Onyx enchaîne avec ‘Shout’, toujours sans que l’auditeur ait le temps de « reprendre son souffle » (et c’est là une des forces majeures de « All We Got Iz Us ») dont le refrain hurlé et demandant le support du public (« Come on and scream (AAH!) And shout (OOH!), just let it all out (YEAH!)« ) propulse illico le morceau au rang de ghetto anthem. Fredro Starr lâche le mot gimmick pour qualifier le style de son crew et nous revient alors à l’esprit ce que laissait transparaître la pochette du premier album dont je parlais précédemment.
Après un interlude (‘I Murder U’) dans lequel une voix (celle de l’intro de l’album !) répète, jappe, à plusieurs reprises « I murder you », arrive ‘Betta Off Dead’ où toute la puissance que les MCs puissent nous offrir est donnée. Ainsi chacun enfonce-t-il le clou dans un esprit résolument live, martelant en écho (ou finissant) les fins de phases du partenaire qui réalise sa prestation au micro. Les paroles sont toujours pleines de bravade et les esprits tournés vers la mort (« suicidal like Nirvana« , « Please somebody kill me before I put two in my own head« ), paraissant annoncer l’acte fatal qui introduit l’album. Toujours peu de choses côté musical si ce n’est un beat qui bastonne et une voix suppliante répétant inlassablement « Oh no, oh no » mais les flows et gimmicks des rappeurs envahissent tout le champs auditif, nous offrant une véritable démonstration de grandiloquence.
‘Live Niguz’, glissé entre ‘Betta Off Dead’ et ‘Punkmotherfukas’, fait figure de titre plus léger. Il aurait même pu prétendre vouloir tourner en club étant donné que les rappeurs calment quelque peu leurs flows et que la production se fait relativement moins obscure et plus entraînante. Mais, Onyx oblige, les flows (en particulier au refrain) sont à ce point exagérément ralentis et articulés qu’ils donnent à l’auditeur la crasse impression de recevoir une bonne grosse gerbe au creux de l’oreille.
La violence reprend très vite ses droits avec le très court ‘Punkmotherfukas’ (presque un interlude) qui rappellera des choses aux auditeurs qui furent témoins de leurs premiers pas discographiques. Analogie pas seulement en raison du nom bizarroïde du track, collage de plusieurs mots entre eux. En effet la production est réduite à moins que rien comme si, et ils l’avaient largement prouvé dans Bacdafucup, une bonne grosse ligne de basse seule suffisait amplement à ces messieurs pour s’exprimer pleinement au microphone. Dans All We Got Iz Us, Onyx s’applique à conserver dans les instrumentaux le minimalisme auquel il semble tant tenir tout en faisant circuler en continu (comme le courant) une ambiance, une atmosphère qui faisait sûrement faute à la première galette.
A pas de loup avance le titre suivant : ‘Most Def’. Les MCs musellent leurs flows sur une prod. lugubre à souhait, Fredro Starr délivrant un couplet à voix basse, prenant soudainement conscience dans un éclair de lucidité de ce que peuvent comporter d’illégalités certains de ses textes. Sticky Fingaz : « I’m not crazy don`t flatter me« , puis Fredro Starr : « I’m mad as shit » se complaisent c’est sûr dans leurs rôles de frappadingues au bout du rouleau. Puis le « Démon » (toujours incarné par la voix « pousse au suicide » du début d’album) des armes et de la corruption réclame son heure, le moment d’agir mal (‘Act Up’).
Sur ‘Getto Mentalitee’, Onyx invite quelques rappeurs peu connus mais sans doute proches du crew (J Mega, Panama P.I.) et de nouveau Greg Valentine (dans un tout autre registre que sa prestation de ‘Purse Snatchaz’) comme pour apporter la preuve définitive par le biais de multiples témoignages de l’existence de cette notion de « Getto Mentalitee » à laquelle ils font allusion dans le titre du morceau. Mais celui qui surprend le plus ici reste Sticky Fingaz qui délivre un couplet au contenu moins anodin qu’il n’y paraît : « Way back in the days they rapped my grandmother’s brothers, when he was in slave they hurt my grandfather if he misbehaved, but my ancestors was brave, and most of them real, strong-arm blast for the slaves workin in the fields, but a hundred years later, I learned about my roots, and how they traded in there white sheets, or badges and blue suits« . Les paroles de Sticky Fingaz rejoignent ici le discours d’un RZA tentant de justifier par l’Histoire de ses ancêtres la folie (mise en scène) de son personnage devant un tribunal imaginaire dans le titre ‘Diary Of A Madman’ de l’album Six Feet Deep de Gravediggaz. La « solution » ou plutôt la conséquence de la situation réside évidemment pour Fingaz dans le camp de la violence. L’affrontement direct avec les « blancs » et plus généralement avec les gens au pouvoir aujourd’hui comme en atteste la fin de son couplet.
Fredro Starr enfoncera le clou dans ‘2 Wrongs’ : « They said ‘Throw Ya Gunz’ was negative, I say FUCK THEM!, they the ones who put the guns in the ghetto for destruction, this is depression, deception, killin our own complexion, what we need to do, is point the guns, in the right direction, now!« , allant jusqu’à détourner le célèbre « I have a dream » du pacifiste pasteur Luther King en un appel à la révolution dans le sang au couplet suivant : « I have a dream, that I must reveal, so I pinch myself to make sure it’s real, first we gotta destroy and then rebuild, even if it mean that I’ma get myself« . L’attitude suicidaire devenant alors sacrifice politique… (!) Après un dernier interlude nommé ‘Maintain’ qui nous ramène dans l’état d’esprit des premiers mots de l’album bouclant ainsi la boucle, arrive le dernier, l’ultime morceau : ‘Walk In New York’. Aboutissement logique à All We Got Iz Us, ‘Walk In New York’ est un pur moment de hardcore. Un beat massif, un instru tout en ruptures (c’est pour mieux relancer la machine derrière), des MCs qui font rouler, déferler leurs flows de façon impeccable sur cette instru taillée dans le granite. Sombre, ce titre l’est forcément, car Onyx s’attache une fois encore à dépeindre à gros traits le quotidien dans un environnement où, à l’image inconsciemment de la photo de jaquette intérieure, les portes de sortie et escaliers de secours créent le malaise, ressemblant étrangement à des guillotines.