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Quand Your Old Droog a sorti ses premiers projets au milieu des années 2010, certains ont cru qu’il s’agissait de Nas rappant sous un alias. Il faut dire que la ressemblance entre les voix des deux rappeurs était alors troublante. Elle a d’ailleurs suffi à ce que des esprits chagrins range le jeune Brooklynite dans la catégorie des pompeurs éhontés, sans autre forme de procès. Un peu comme Action Bronson quelques temps auparavant, décrété pâle copie de Ghostface Killah alors que son univers n’avait finalement que peu en commun avec celui de l’Ironman du Wu. S’il fallait trouver une proximité entre Your Old Droog et une « figure » établie, ce serait davantage du côté de MF Doom – d’ailleurs invité sur It Wasn’t Even Close – qu’il faudrait chercher : les deux partagent l’amour des productions simples où la boucle occupe une place centrale, des univers décalés par rapport aux autres rappeurs de la Grosse Pomme et ce goût des tracklists un peu foutraques, brouillant les limites entre morceaux et interludes.

Nas et MF Doom : voilà des référents de comparaison un peu encombrants. Un constat qui amène une question évidente : pourquoi écouter un jeune artiste peu médiatisé dont l’œuvre renvoie à des grands noms de sa discipline, et pas plutôt les œuvres de ces grands noms elles-mêmes ? Your Old Droog n’apporte rien de radicalement nouveau au genre. Pourtant, pour en venir à It Wasn’t even Close, difficile de nier qu’il se passe quelque chose quand la grosse caisse de « 90 from the Line » vient souligner ses mots ou qu’il agresse la boucle guillerette de « Babushka ». Quand YOD ouvre la bouche, on tend l’oreille : de par son flow, mélange d’autorité et de nonchalance, ainsi que par son timbre de voix, il est de ceux qui captent immédiatement l’attention, peu importe ce qu’ils racontent ou le support sur lequel ils s’expriment.

« Your Old Droog est de ceux qui captent immédiatement l’attention, peu importe ce qu’ils racontent ou le support sur lequel ils s’expriment. »

L’album est d’ailleurs bâti pour ne jamais que le lecteur ne se détourne des paroles prononcées : les productions sont agréables mais suffisamment sobres pour ne pas empiéter sur la prestation d’Your Old Droog, dont la voix est clairement mise en avant. Et le New-Yorkais se livre à une démonstration dans le registre du rap East Coast : le style est rugueux, sans fioritures et percutant. Pas de passages chantés ni d’étalage technique, des refrains réduits à la portion congrue, tout se joue sur les placements et l’éloquence, qui magnifient les egotrips de YOD. Pendant la quarantaine de minutes que dure l’album, le rappeur fait montre de ses talents dans des ambiances différentes – du crépusculaire « Gyros » au revanchard « 90 from the Line » – mais toujours plantées par des instrumentaux plutôt lo-fi, signés par Sadhu Gold, Evidence, Daringer ou Tha God Fahim.

Se dégage d’It Wasn’t Even Close une impression de maîtrise et d’assurance : Your Old Droog n’a peut-être que cinq ans de carrière discographique derrière lui mais il sait visiblement où il va. Probablement aidé en cela par Mach-Hommy, producteur exécutif du projet, il donne à l’album une direction artistique claire et stricte : le rappeur est ici au centre des compositions et en aucun cas un élément parmi d’autres d’un univers sonore. Et quand le rappeur en question est aussi bon que Your Old Droog et que les productions sont à la hauteur, ça ne peut que fonctionner.

Voilà une confrontation aussi logique qu’improbable. Logique, parce que l’imagerie comics de Czarface évoquait aisément l’univers prisé par MF Doom. Rien de surprenant à voir figurer ce dernier dans la prestigieuse liste d’invités de Every Hero Needs A Villain (2015), deuxième album du trio composé de 7L, Esoteric et Inspectah Deck, sur le morceau « Ka-Bang! ». Mais improbable, parce que ce Czarface Meets Metal Face aurait pu rester une idée sans lendemain, à l’image de l’album commun entre Doom et Ghostface annoncé depuis plusieurs années. L’ex-KMD n’est déjà pas spécialement réputé pour sa fiabilité, mais en plus il a perdu un fils l’année dernière, lui dont la carrière avait déjà connu une rupture douloureuse il y a vingt-cinq ans avec la mort brutale de son frère en 1993. Dans ces conditions, miser sur l’aboutissement de cet album était un pari risqué.

Et pourtant, c’est fait. Et plutôt bien fait. Alors d’accord, pas de quoi se lever la nuit. Ah si, tiens, en fait : pour un morceau, « Bomb Thrown », habilement placé en milieu d’album. Il porte bien son nom, car plus accrocheur tu meurs : sur un sample vocal pitché démoniaquement addictif, surmonté d’une boucle de guitare, les trois rappeurs se révèlent au meilleur de leur forme et le refrain bien senti ne gâche rien. Pour le reste, donc : pas de quoi se lever la nuit. Le style de l’album est prévisible, dans la lignée des précédentes réalisations de Czarface. Malgré une durée plus que raisonnable de moins de quarante-cinq minutes, il aurait gagné à être amputé d’une piste, « MF Czar », qui affaiblit la fin du disque. Et il serait exagéré de dire que les exercices de style, notamment la flopée de références filmico-hip-hop balancée par Inspectah Deck sur « Don’t Spoil it » ou le couplet tout en allitérations en « f » d’Esoteric sur « Phantoms », sont d’une renversante originalité.

Ceci dit, on ne boude pas son plaisir. Sans happer aussi facilement que « Bomb Thrown », bon nombre de morceaux sont fort efficaces, en particulier lorsque les BPM s’élèvent. The Czar-Keys (7L assisté de Jeremy Page et Todd Spadafore) ont du métier pour ce qui est de planter un décor cinématographique, tirant tantôt vers le film d’épouvante (le piano horrifique et la flûte inquiétante de « Badness of Madness »), tantôt le fantastique ou la S.F. (« Nautical Depth »), tantôt le thriller (la basse de l’excellent « Forever People », avec une attaque de couplet à contretemps d’Esoteric). Il sait faire varier les drums, mettre en valeur des basses profondes (« Stun Gun », entre autres), insuffler des ruptures et modulations à des productions plus travaillées qu’il n’y paraît, révélant leurs détails au fur et à mesure des écoutes : bruitages d’arrière-fond, scratches discrets, etc. En témoignent le changement de ton au milieu de « Phantoms », séparé en deux par le refrain de Kendra Morris à partir duquel une nappe de synthé impose sa présence, ou les changements d’instrus qui accompagnent chacun des couplets de « Astral Traveling ». Une version instrumentale du LP est disponible pour mieux saisir ces nuances.

Comme Inspectah Deck, MF Doom et Esoteric ne sont pas franchement des rappeurs de troisième zone, et qu’en plus leurs différences de voix et de styles les rendent très complémentaires, la confrontation tient ses promesses. D’autant qu’ils sont bien épaulés, là encore dans des registres contrastés : pince sans rire pour Open Mike Eagle sur le deuxième couplet de « Phantoms », fracassant pour Vinnie Paz en ouverture de « Astral Traveling », qui terrasse basse, charley et bruitages. Quant aux interludes, ils ont juste la présence qu’il faut pour contribuer à l’ambiance de l’album sans lasser, même s’il n’était pas nécessaire d’en faire des tracks à part pour deux d’entre eux.

Bref, si on aime Czarface et MF Doom, on aurait tort de se priver. Reste une petite énigme : pourquoi diable le couplet de Deck disparaît-il de la seconde version de « Captain Crunch », rebaptisée « Captain Brunch » ?

En 2008 Metal Face Records se dévouait enfin pour rééditer deux des plus grosses erreurs de distribution de tous les temps : Bl_ck B_st_rds et Operation : Doomsday. Deux albums portant tous deux le sceau de Daniel Dumile et ayant connu la même infortune. L’un pour le duo que le rappeur formait au début des années quatre-vingt-dix avec son frère Subroc, et l’autre pour une première escapade solo. Des enregistrements qui auront dû patienter deux rééditions avant de véritablement connaître la diffusion et la reconnaissance auxquelles ils pouvaient aspirer à leur sortie.

D’abord paru clandestinement en 1999 sur le Fondle’Em de Bobbito Garcia, il fallut déjà patienter jusqu’à 2001 pour que Bigg Jus ne réédite Operation : Doomsday sur Subverse et expose ainsi davantage ce bijou de l’underground new-yorkais… avant qu’il ne végète de nouveau sept années pour devenir avec le temps un objet de convoitise presque mythique.

Operation : Doomsday : le destin hasardeux d’un disque élaboré à l’image de son auteur.

Car l’ex Zev Luv X de KMD, désormais celé avec ses personnages derrière un masque de fer, étrennait avec cet album une discographie aussi fructueuse que déroutante. Contrainte et précipitée par la mort violente de Subroc, celle-ci se tournera vers un horizon aux antipodes du propos de KMD. Exit en effet les discours sociaux empreints d’un humour grinçant qui, à l’image de la pochette controversée de Bl_ck B_st_rds, croquaient cyniquement une Amérique pleine de malaises. Le monde patientera, l’heure est à la renaissance personnelle, sous les traits de monstres bigarrés, mutés en super-héros au gré des substances ingérées.

Et cela semblait écrit, dessiné, car cette même année 1999, les éditeurs DC et Marvel ont décidé d’associer leurs héros dans une saga où ceux-ci fusionnent les uns avec les autres. Dr Doom et Doomsday formant ainsi un unique personnage, où le docteur Von Doom s’est vu ajouter la surpuissance de l’assassin de Superman à sa remarquable intelligence afin de devenir un monstre redoutable.

C’est aussi avec un nouvel avatar que Daniel Dumile repart de zéro. Et il débute son épopée sonore en revisitant le mythe du fantôme de l’opéra pour écrire les chapitres de sa vie. Ainsi, après une retraite nécessaire, Viktor Von Doom, défiguré, reparaît en s’affublant d’un masque pour venir hanter le rap de son imposante carrure. Zev Luv X n’est plus. Éclipsé par des délires égotrips inspirés de comics (le Dr. Doom de Marvel donc), de monstres du cinéma japonais des années soixante, de blunts surchargés, d’alcool, et d’une schizophrénie volontairement libérée. Enter MF Doom, nouveau super-héro du rap qui, pour s’assurer de régner en maître jusqu’au jugement dernier (doomsday), prendra à sa charge l’intégralité des composantes sonores de son album, du MCing aux productions en passant par le mix.

On ne peut alors s’empêcher de rapprocher cette entreprise de celle de RZA et son Bobby Digital sorti un an plus tôt : un MC/producteur qui débute une carrière solo avec un alter-ego de super-héro afin de supporter une personnalité démesurée. Le tout sur des grosses boucles soulful poussiéreuses agrémentées de dialogues de films et de séries obscurs. Personne ne le sait alors, mais Doom va devenir aussi prolifique que le légendaire producteur du Wu.

Et pour ce coup d’essai MF Doom frappe très fort. Le super vilain balaie en dix-neuf titres tout ce qui lui passe derrière le masque, le tout servit à chaque fois par un rap imparable de spontanéité. Il se permet même le luxe d’ouvrir l’album sur le sample énorme de « Kiss of life » de Sade (« Doomsday »), qui inaugure un aussi gigantesque qu’improbable patchwork musical. Ambiance tantôt feutrée, puis méthadonée (« Tick, Tick… ») ou agressive (« Hey ! ») : tout y passe sans qu’on puisse anticiper la moindre permutation. Silences de plusieurs secondes… reprises… interludes… passages instrumentaux… dialogues de films… arrêt brutal… freestyles… roulements de batterie… samples découpés au hachoir… featurings… Le tout couvert par un mix tout aussi granuleux et approximatif que sa voix. Doom aura fait son possible pour innover et provoquer une réaction.

De cette mosaïque émerge cependant une certitude, celle que Doom cultive une véritable fascination pour les années soixante-dix. De par les visuels de comics, les BO de films, mais surtout par les samples qu’il utilise (Roy Ayers, Isaac Hayes, James Ingram, les Spinners, George Duke, S.O.S. Band ou encore les Beatles). Et c’est cet ensemble vintage très homogène, en plus d’un plaisir presque enfantin à faire de la musique, qui donnent finalement un liant à l’album, plus que les sons eux-mêmes.

Au-delà même du fait que cet Operation : Doomsday soit plus une compilation de ses titres (certains étant déjà sortis en maxi sur Fondle’Em), les nombreux inserts, la manière dont les productions sont construites et le mix global donnent là un album massif qui reste douze ans plus tard une référence et un ovni dans le rap US, à l’instar d’un Funcrusher Plus.

Si avec les années Doom multipliera les sorties de qualité et les collaborations, jamais plus il ne sortira un album de cette fraîcheur, comme si ce premier solo était véritablement maudit, scellant quelque chose d’invisible chez lui. Tout autant que le deuil de son frère, c’est peut-être aussi celui de l’innocence masquée, là où désormais seule la noirceur énigmatique de son alter ego aura le droit de s’exprimer.

Le visage dissimulé derrière un épais masque de fer, avec un goût assumé pour les alias et les personnages fictifs, MF Doom s’est taillé depuis le séminal Operation Doomsday une solide réputation. Figure d’une certaine forme d’alternative, il a su conforter ce statut particulier en enchaînant à un rythme de stakhanoviste les sorties ; notamment le très abouti Take me to your leader en 2003 et le génial Madvillainy confectionné avec Madlib en 2004.

Depuis ces albums marquants, l’icône – souvent un rien idéalisée – accumule les déceptions et le mythe du vengeur masqué a pris du plomb dans l’aile. Il faut dire qu’entre le recyclage à répétition de ses Special Herbs et ses couplets réchauffés, Doom a plus que joué avec la patience de ses adorateurs. Le summum de l’escroquerie restant tout de même ces concerts très officiels à San Francisco et Los Angeles où il a laissé un imposteur derrière un masque interpréter ses morceaux. Une sacrée carotte, forcement indigeste ; et ce n’est pas sa récente explication – franchement foireuse – qui a amélioré quoi que ce soit.

Alors à l’heure de se pencher sur son nouvel album, cinq ans après l’inégal MM…Food, on s’attendait au pire. A ce que Born like this s’apparente à un petit enterrement entre anciens amis. Sauf que Born like this n’a pas la dimension d’une cérémonie mortuaire et que l’auto proclamé « Vaudeville Villain » n’est pas encore tout à fait fini.

Porté par la voix rauque et rocailleuse de MF Doom, ce nouvel épisode s’inscrit dans une dynastie, une lignée cohérente, riche de ses récurrences. Multiples extraits de films et émissions obscures servant de liants entre les séries de courts morceaux, un univers sonore marqué et inspiré par ses « Metal Fingers » et sa garde rapprochée (Madlib, J-Dilla). Le mix est brut, quasi-crade, comme le découpage de ces samples empilés jusqu’aux caisses claires.

Enfermé dans son personnage du rappeur masqué en quête de vengeance et de justice, Doom déroule – quitte à tourner en rond – en laissant l’impression qu’il rappera jusqu’à son dernier souffle. Nouvelles décapitations des wack MCs, références incessantes à l’univers métaphorique des Comics et une dose de provoc’ maitrisée : les ingrédients sont connus. Et si les vieilles ficelles sont usées, une certaine alchimie demeure. Quelques fulgurances (‘Rap Ambush’, ‘Cellz’) se mêlent ainsi à de l’anodin ou du déjà vu (‘Lightworks’ est basé sur la prod’ de Dilla déjà entendu sur Donuts, ‘Angelz’ est un remix de ‘Angeles’ tiré de Natural Selection).

Espéré comme un retour fracassant après des années marquées par un silence assourdissant, Born like this reste une œuvre inachevée dans une discographie déjà surchargée. Avec une quarantaine de minutes au compteur et pas mal de remplissage, il n’a pas la densité et l’éclat des meilleures inspirations de l’ex-KMD. Attendons la suite. Après tout, les super héros sont immortels.

Sorti en mars 2005 sur Nature Sounds (label ayant sorti certains Special herbs et le Best of de KMD), cet album live vient grossir une discographie pléthorique dont on ne semble jamais pouvoir venir à bout. Si on peut s’enthousiasmer à l’idée de pouvoir entendre Doom en live, on peut se réserver une part de scepticisme, le MC étant davantage réputé pour ses innombrables sessions studios que pour ses très rares apparitions scéniques. D’autant que ce Live from planet X semble arriver pour maintenir l’intérêt des fans, entre deux salves d’albums…

Mais peut-on se permettre de juger Daniel Dumile, personnage aussi surprenant qu’imprévisible ? Ce serait oublier qu’après ses années de silence consécutives au décès de son frère, il est revenu aussi discrètement que mystérieusement vêtu d’un masque de fer en posant ses rimes au Nuyorican Poets Café de New-York. Les soirées et les couplets passants, il préparait un retour fracassant avec comme nom de code Operation : Doomsday. C’est bien sur scène qu’il renaquit.
Et si ce live sort sous l’alias de Doom, le lieu de ce concert se passe sur la planète X, celle où les monstrueux King Geedorah (un autre de ses blase) et Godzilla s’affrontent dans des combats mortels. C’est la fusion de ses deux univers : les comics et le cinéma japonais, comme pour annoncer la couleur du contenu de ce live. Un mix de ses albums, indépendamment des alter ego et des concepts qu’il s’est créé.

Cet album, c’est donc une occasion pour MF de livrer une sorte de mini best of de quatorze titres, extraits de quelques-uns de ses plus fameux délires, d’Operation : Doomsday à MM.. Food en passant par Take me to your leader ou Madvillainy. On a beau en connaître tous les titres, cela fait toujours plaisir d’entendre ‘Greenbacks’, ‘Gas flows’, ‘Operation doomsday’ ou ‘Rhymes like dimes’, tous issus de son premier album. On ne peut aussi s’empêcher d’avoir des frissons à l’écoute d’’Accordion’ ou de l’énergique ‘I hear voices’, parfaitement enchaîné avec ‘My favorite ladies’. Un trop grand systématisme dans cette mini rétrospective altère néanmoins l’ensemble. Malgré un rythme maintenu et quelques bons enchaînements, tout repose sur l’unique éloquence de Doom. Pas de passages instrumentaux, ni même de scratches, simplement du rap. Un concert traditionnel tarifé au minimum syndical qu’un enregistrement aurait pu enrichir pour l’occasion.
Mais conquis d’avance, on ne peut s’empêcher de sourire et on veut le croire quand sur ‘Dead bent’ il hurle à s’égosiller « I will rock this microphone always !« . Malgré son âge avancé pour un rappeur cette rage transparaît jusqu’au bout du live, avec l’effrayant ‘Fine print’, qui clôt également « Take me to your leader » : « Could all get burned at the stake, send word to his closest kins, that for his sins, we claim his throne, his providence, and its citizens« . Comme un message adressé à ses rivaux imaginaires du rap game et à son public.
Si la qualité de l’enregistrement est suffisamment bonne pour se rendre compte de ce que peuvent être les rares shows de Doom, deux points assez inexplicables ternissent néanmoins l’ensemble : on aurait espéré un set dépassant les quarante minutes et non condensé en une seule piste audio…

Doom sait que le public de ce concert, comme celui qui le suit et achète ses disques depuis le début, est composé d’adeptes de raretés, de bootlegs, de mixtapes et demeure bien sûr à la recherche de lives. Il livre ce Live from planet X pour eux, et peut-être pour les néophytes, qui peuvent ainsi survoler son impressionnante discographie. Ce live, qui fait donc aussi figure de mini best of, permet de passer un bon moment, mais sa courte durée et son classicisme amènent à s’interroger sur la pertinence d’une telle sortie. Les fanatiques de Doom l’auront et l’aimeront, les autres pourront continuer à vivre sans trop de difficulté et continuer de patienter pour un véritable album.

Déjà particulièrement riche, la discographie du surproductif MF Doom continue à s’enrichir régulièrement suivant un rythme pour le moins frénétique. Alternant ces derniers années entre le hautement jouissif (Madvillainy), le passable (Special Herbs and Spices vol.1Mm…Food) et le franchement insipide (Venomous VillainLive from Planet X) le Super Villain aux innombrables alias multiplie les projets et collaborations diverses, semblant comme lancé dans une épuisante course contre la montre. Jamais rassasié, Doom s’allie le temps de cette nouvelle échappée avec l’étonnant Danger Mouse ; co-auteur de Ghetto Pop Life avec Jemini et concepteur de thèmes musicaux pour dessins animés. Un Danger Mouse véritablement encensé par la critique depuis la sortie du polémique The Grey Album, mêlant les envolées lyriques du Black Album de Shawn Carter, et le White Album des Beatles. Particulièrement sollicité depuis cette figure de style plutôt rafraîchissante, il a pu endosser, non sans un certain succès, le flatteur costume du grand orchestrateur des nouvelles aventures de Gorillaz, tout en plaçant quelques unes de ses productions pour Prince Po’ (sur l’inégal The Slickness) ou Murs (‘To a Black boy’ sur The Free Design Remix vol.2). Annoncée de longue date, cette collaboration finalement intitulée The Mouse and the Mask suscitait logiquement certaines attentes tout en laissant présager le meilleur. Passé au révélateur du sillon vinylique elle révèle un tout autre caractère.

Tous les deux fanatiques absolus de comics et dessins animés, l’impitoyable Dr. Doom et son explosif acolyte ne pouvaient pas rater l’occasion de partager une passion devenue forte source d’inspiration. Depuis l’inclassable Operation: Doomsday ! et la fantastique galerie de portraits et personnages purement fictifs qui a suivi, l’ex-Zev Lux X multiplie régulièrement les références explicites à ces univers dont la richesse métaphorique semble inépuisable. Fasciné lui aussi par cette imagerie, jusqu’à choisir un nom faisant directement référence à un dessin animé, Brian Burton joue, lui aussi, sur un terrain qu’il pratique régulièrement en composant une multitude de thèmes musicaux pour Toonami, chaîne câblée dédiée aux dessins animés. Unis dans l’adversité, le duo Danger Doom impose un univers fantasque, acide et déjanté fortement inspiré par la série Adult Swim. Quelques extraits de la série placés tout au long de l’album confortent un peu plus une filiation entretenue par les compositions développées par Danger Mouse, piochant dans une multitude de genres musicaux, enchaînant minimalisme absolu (‘El Chupa Nibre’, ‘Mince meat’) et compositions plutôt fouillées (‘Space Ho’s’, ‘Benzie Box’).

Les inspirations de Danger Mouse alternent aussi relatives réussites (‘Vats of Urine’, ‘The Mask’, ‘Sofa King’) et beaucoup de passages plus anodins fortement desservies par le caractère incroyablement low-fi et sous-mixé des enregistrements, très loin de rendre justice au travail de l’impétueux rongeur. Et si l’alchimie entre les deux comparses n’atteint pas des sommets de perfection, Doom déverse son lot habituel de rimes tranchantes et images surréalistes, sans jamais manquer de contourner les wack MCs à la craie blanche. Facile, le Super Villain semble parfois tout de même en roue libre, limite pilotage automatique, délivrant quelques couplets bien plus anecdotiques. Anecdotique comme le couplet du fantôme de Talib Kweli, continuant sa longue (et éternelle ?) traversée du désert. Au registre des invités, impossible de passer sous silence la présence d’un Ghosftace toujours débordant d’énergie sur le très bon ‘The Mask’, hors d’œuvre officiel d’un album qui constituera à n’en pas douter l’événement des mois à venir.

Plutôt excitante sur le papier, cette collaboration brûlante entre deux des acteurs les plus prolifiques du moment fait finalement plutôt office de pétard mouillé. Les quelques réussites de The Mouse and The Mask (‘Vats of Urine’ et ‘Sofa King’ en tête) peinent à dépasser le fragile statut d’interlude dans la pharaonique discographie de Doom. Décevant.

Rien ni personne ne semble pouvoir rassasier l’appétit vinylique gargantuesque du schizophrénique MF Doom. Non content d’avoir déjà sorti trois longs formats lors des dix derniers mois (l’imparable Madvillainy avec Madlib, Special Herbs and spices vol.1 avec MF Grimm, plus mitigé, et Venomous Villain, suite (indigne) du premier épisode des aventures de Viktor Vaughn) et poursuivi la série des Special Herbs, MF Doom termine l’année en relevant un nouveau challenge, pour le moins ardu. L’autoproclamé sauveur du Hip-Hop s’apprête à donner une suite officielle au supra-classique Operation Doomsday sorti pour la première fois sur Fondle’em il y a cinq ans. Précédé d’une première mise en bouche sonore appétissante (le très bon Hoe cakes / Potholderz), voici le plat de résistance, MM…Food, servi sur un plateau par Rhymesayers, nouvelle terre d’accueil pour cet électron libre aux multiples alias. Le label New-Yorkais rajoute au passage une nouvelle flèche de choix dans un carquois déjà particulièrement bien fourni (Atmosphere, Eyedea & Abilities, Micranots, …).

Un coup d’œil furtif sur le titre, l’intitulé des différents morceaux, la pochette (œuvre de Jeff Jank A.K.A Captain Funkaho, graphiste de Stones Throw), associé au goût prononcé et assumé de Doom pour le décalage, tout semblait indiquer que MM..Food serait un nouvel album conceptuel, avec la bouffe comme thème majeur. Fausse piste puisqu’en dehors de quelques punchlines et analogies, les thèmes abordés par l’ex-KMD sont multiples ; oscillant entre classiques récits sur l’amitié, la gente féminine, les plaisirs éthyliques et cannabiques et une fine observation de la société américaine. Le tout est soutenu par une multitude de références aux comics et artistes américains de tous bords, et bien entendu un égotrip de premier choix, l’occasion de passer au pilori les éternels wack MCs ; logique, puisqu’après tout on est toujours le wack MC d’un autre. Toute l’originalité (et le talent) de Doom réside dans son étonnante capacité à porter un regard différent sur le banal, avec lucidité et cynisme. L’humour déjà omniprésent sur les deux premiers albums de KMD (Mr Hood et Black Bastards) est une nouvelle fois de la partie. Il se fait grinçant et tranchant quand il s’agit d’évoquer la réalité du rap game : « Is they rhymers or strippin’ males, outta work jerks since they shut down Chippendales », (‘Beef rap’), « If I had a dime for every rapper that bust guns, I’d have a mill for my son in trust funds » (‘Rapp Snitch Knishes’). A vrai dire, on pourrait multiplier à souhait les citations et vanter l’écriture de ce profond solitaire revenu du néant. On se contentera juste de rappeler ce commentaire donné il y a plusieurs semaines dans une interview au (très recommandable) Spin, à propos du peu de vocabulaire de la plupart des rappeurs : « Les gars utilisent toujours les cinq même insultes. Enlève les mots « merde », « pétasse », « meurtre », « nègre » et « tueur » et ces putains de disques seraient des albums instrumentaux ».

« Enough about me, it’s about the beats, not about the streets or who food he about to eat. »

Bien calé derrière son séquenceur, le docteur Doom endosse la toque du cuisiner en chef et concocte à lui seul la quasi-totalité des productions de son album. Son savant mélange d’une kyrielle de sonorités non-identifiées, un rien kitsch, et de multiples extraits de séries télévisés et comics donne un ensemble atypique, tout à fait dans les lignées des ambiances plébiscitées par Viktor Vaughn le désaxé. La boucle étant encore loin d’être bouclée, il laisse le soin à Count Bass D et Madlib de produire respectivement l’excellent ‘Potholderz’ et le bon ‘One Beer’, et à PNS (Molemen) de recycler la boucle de ‘Yee Haw’ pour une vraie fausse nouvelle composition intitulée ‘Kon Queso’. Belle escroquerie. Dans l’ensemble, la mosaïque finement composée par MF Doom et consorts a plutôt fière allure, et ce même si le producteur/MC masqué use et abuse de ses longs extraits de séries, qui finissent plus par s’apparenter à une forme de remplissage qu’à de véritables interludes liant l’ensemble.

Si MM…Food ne tient évidemment pas la comparaison avec son prédécesseur, il demeure toutefois particulièrement jouissif par instants, porté par un emceeing de haut vol et plusieurs productions inspirées. Quelques ombres viennent bien noircir le tableau, donnant à l’ensemble un certain goût d’inachevé, d’inabouti ; mais aussi frustrantes soient-elles, elles n’empêchent pas de considérer MM…Food comme l’une des bonnes sorties d’une année 2004 riche en agréables surprises. Et pour conclure sur Doom, gageons que les rumeurs l’annonçant préparer un album avec Ghosftace soient belles et bien fondées. Auquel cas, 2005 s’annoncerait d’ores et déjà rayonnant…

A peine évoquée, murmurée secrètement derrière les murs de la lamentation cernant la sacro-sainte chapelle du Hip-Hop, la possibilité d’une collaboration entre MF Doom et Madlib avait d’emblée soulevé l’enthousiasme du back packer averti. Le back packer non-averti continuant lui d’ingurgiter aveuglement et sans sourciller les sorties les plus médiatisées. Valeurs sûres de la scène indépendante, experts en botanique et schizophrènes prolifiques, les deux producteurs-rappeurs multi-casquettes partagent, en dépit de leur éloignement géographique, un goût immodéré pour le mystère, cultivé non sans une certaine ingéniosité. Quand Madlib invente Quasimoto, personnage factice, invisible et déjanté, et le Yesterday’s New Quintet, orchestre tout aussi virtuel, MF Doom multiplie les sorties sous divers alias, notamment Viktor Vaughn, scientifique obscur et maléfique, et King Geedorah, fascinant monstre à trois têtes popularisé sur les écrans cathodiques dans les années 1960-70. Confirmé, puis bootleggé alors qu’il était encore loin d’être finalisé, la collaboration fumeuse entre MF Doom et Madlib devient réalité en mars 2004, six mois après la sortie de Jaylib, autre ovni de la galaxie d’étoiles Stones Throw, qui avait déjà réuni deux producteurs de renom (Jay Dee et Madlib). MF Doom au micro, Madlib derrière les platines et le sampler, bienvenue dans Madvillainy.

Bienvenue dans un univers intemporel, à mi-chemin entre réalité et fiction, entre les planches hautes en couleur de comic books et d’improbables scènes de série Z, entrecoupés de courts dialogues, de chutes et de sursauts. Une atmosphère multidimensionnelle et enfumée, sortie du SP 1200 de Madlib, rappelant le tout aussi imagé Vaudeville Villain où Viktor Vaughn excellait déjà tel un savant décérébré. Et si les dernières sorties de l’électron libre de Lootpack avaient quelque peu déçu (Shades of blue et Jaylib ont laissé un certain goût d’inachevé), le loopdigga retrouve ici l’inspiration. Ses rythmiques à la fois légères et épaisses surprennent, flirtant avec diverses influences musicales pour mieux dépeindre un univers riche et troublant, jamais linéaire, à déguster avec ou sans codéine.

Mais aussi aboutie soit-elle, l’architecture sonore élaborée par Madlib ne serait qu’une (belle) coquille vide sans l’omniprésence d’un MF Doom particulièrement inspiré. L’ex-Zev Luv X endosse le costume du justicier masqué venu sauver le rap game de la médiocrité, tranchant la gorge des wack MCs d’un égotrip cynique et débridé. Multipliant références inattendues et punchlines percutantes, les kilotonnes d’herbes spéciales fièrement réduites en cendres n’ont pas eu raison de la créativité de Doom. Il brille par ses intonations atypiques empreintes d’un charisme certain, hypnothisant de sa voix rauque et rocailleuse. De ‘America’s most blunted’, en passant par ‘Figaro’, ‘Strange ways’ ou ‘Fancy clown’ les prestations du metal faced villain tournent à la démonstration. Il justifie ainsi son arrogance et résume une réalité en une seule rime « The rest is empty with no brain but the clever nerd, the best MC with no chains you ever heard« .

Album singulier, Madvillainy est né d’une alchimie éclatante entre deux esprits fusionnels. Un nouveau classique en puissance estampillé Stones Throw, prompt à (res)susciter l’enthousiasme du plus exigeant des auditeurs, fusse-t-il suffisamment lucide pour en comprendre la grandeur. Un disque parfaitement indispensable, à situer au sommet de la pyramide des sorties de l’année 2004. Tous les mécréants n’abondant pas dans ce sens seront condamnés aux enfers pour une durée indéterminée.

Certaines réalités ne peuvent être dissimulées derrière un masque, fusse-t-il en acier trempé. Le traumatisme causé par Operation Doomsday, associé à une succession de projets la plupart du temps brillant (Vaudeville Villain, Madvillainy avec le tout aussi prolifique Madlib ou encore le Special Herbs & Spices vol.1 avec MF Grimm), a contribué à établir une véritable attente autour du second album du mystérieux MF Doom. Cinq années après un premier essai devenu classique en puissance, l’homme aux multiples alias s’apprête à sortir, via Rhymesayers, MM…Food. Suivant la longue et bonne tradition des maxis d’avant album, il nous livre une première mise en bouche vinylique.

Premier morceau de cette galette, ‘Hoe cakes’ est un nouveau récit assez hilarant sur les aventures de Doom avec la gente féminine, truffé de punchlines inattendues notamment sur King Koopa (A.K.A Bowser, mythique dinosaure échappé de l’univers Nintendo, « on his own throne, the boss like King Koopa« ), Star Wars (« looks like a black Wookie when he lets his beard grow« ) et « Chitty Chitty Bang Bang » (conte pour enfants et pré-adolescents de Ian Flemming truffé de chansons, populaire dans les années 70). Un beat-box improbable rythme ce morceau étonnant produit par l’ex-Zev Luv X. Un remix signé Ant (Atmosphere) plus classique et assez anecdotique agrémente la face B.

‘Potholderz’, second morceau du maxi, s’inscrit dans une toute autre veine. Une boucle nonchalante, et hautement addictive, sortie du séquenceur de Count Bass D rythme un morceau s’annonçant d’ores et déjà comme un des titres phares de MM…Food. L’auteur de Dwight Spitz appuie Doom au micro d’un égotrip ravageur, plaçant notamment un « rappers don’t blow up, heads do » pour le moins lucide.

Mise en bouche appétissante (que Lil’ Kim n’aurait pas renié), Hoe cakes / Potholderz remplit parfaitement son office, à savoir nous inciter à lâcher un petit billet pour ce MM…Food.