Tag Archives: mc solaar

Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’Abcdr du Son n’avait jamais fait de “vrai” entretien avec MC Solaar sur son site. Une anomalie quand on sait la place qu’a occupé l’artiste dans l’histoire de la rédaction : le 20 janvier 2009, soit il y a quinze ans, JB alias Jean Baptiste Vieille publiait dans nos colonnes une lettre ouverte à MC Solaar. Dans cet article, un texte à la première personne, suite à un mail de refus d’interview de la part de son attaché de presse. Loin du rap français, et parti pour faire une pause de dix années, Claude MC semblait loin du rap, de ses observateurs, et de ses passionnés, pour tendre plus du côté mainstream de la musique française. 

Quelques années plus tard, le mal sera réparé : dans ce qui sera un de ses premiers dossiers du site, l’Abcdr du Son publiera (sous la plume intégrale de JB) une histoire orale de l’album Prose Combat avec onze intervenants, dont Solaar en personne. Pourtant, il manquait encore bien quelque chose : une vraie discussion entre la rédaction et MC Solaar, sur sa carrière, sa musique, et le rap actuel. La sortie d’un nouvel album, qui plus est avec des artistes et producteurs de la nouvelle génération du rap français, nous a alors donné envie de retenter. Cette fois-ci l’attachée de presse a dit oui, et nous nous sommes donc retrouvés pendant une heure à discuter. Un entretien sur sa carrière, mais aussi le rap actuel, qui montre que malgré le temps passant, Claude MC continue d’avoir un œil sur la musique qu’il a vu grandir. Et un moyen aussi de boucler la boucle de cet article publié par JB en 2009. Comme un moyen de finir le job pour un autre rédacteur quinze ans auparavant. 


Abcdr du Son : Quarante ans après tes débuts, est-ce que tu es toujours autant passionné par le rap ?

MC Solaar : Je crois que je suis toujours passionné. [Il réfléchit, ndlr] Oui, je suis toujours passionné. Il faut juste essayer de se renouveler, faire métamorphose comme Goldorak. [sourire] On essaye de se renouveler. Souvent ce que je fais ne ressemble pas à l’idée qu’on se fait du rap, comme il y a beaucoup de monde qui en fait aujourd’hui, j’essaie toujours d’avoir un chemin un peu parallèle pour ne pas ressembler à mon voisin. Mais en réalité, pour aimer le rap, il faut rencontrer les nouvelles générations. Parce que même si beaucoup se tournent vers des choses qui viennent du passé, il y en a d’autres qui ont de l’audace. Et c’est ce que j’ai pu faire avec mon nouvel album : croiser des producteurs et des rappeurs d’aujourd’hui. C’est dans ce genre de contexte que je me reconnecte à des choses qui ressemblent plus au rap par rapport au mainstream.

A : J’ai effectivement trouvé que cette troisième partie était beaucoup plus rap, notamment dans le choix des productions sur certains morceaux.

MS : Je vais avouer quelque chose : avec moi, le producteur est maître à 99% de sa proposition. Donc dans mon fonctionnement j’écoute, ça me plaît, mais ce n’est pas moi qui demande. C’est de notre rencontre que va naître quelque chose. Je n’interviens pas parce que je considère que le producteur est maître de ce qu’il fait. C’est lui qui a passé des heures dans sa chambre, à passer de tel logiciel à celui-là, à avoir la première intention. Je le choisis donc je suis un peu dans la DA. Mais la vibration du gars qui produit est importante.

A : Donc tu ne t’es jamais trop permis d’interférer dans le travail d’un producteur ?

MS : Je l’ai fait trois fois. Dans « Caroline », « La concubine de l’hémoglobine », et dans un troisième morceau. J’avais initié la chose en disant « est-ce qu’on pourrait avoir un truc sur tel BPM, avec telle atmosphère ? ». Mais sinon, non, je n’interviens pas. Tu sais, comme je suis dans le rap depuis toujours, j’ai vu passer toutes les tendances. Et j’aime toutes ces tendances, je n’arrive pas à choisir. Donc si ça ne tient qu’à moi, je ne vais avoir que la couleur du moment. Donc j’aime bien faire confiance à la volonté des producteurs en général.

A : Sur cette nouvelle partie de ton album, tu fais trois feats, notamment avec des artistes de la nouvelle génération. Tu as pourtant souvent dit par le passé en rigolant que tu faisais peu de collaboration car si tu en faisais une, tout le monde allait te demander pareil.

MS : Exact. Mais la vérité, c’est que je ne pouvais pas dire oui parce que j’avais un problème de contrat. [sourire] De 1994 à 2000, il y a eu toute une période où j’aurais pu faire des collaborations, des choses avaient été entamées, mais ça ne s’est pas fait. Sur ce nouvel album, c’était une vraie volonté de ma part. Depuis que c’est plus tranquille au niveau contractuel, j’en profite pour faire des feats. J’en ai fait un avec Bigflo & Oli, je pense toujours à en faire avec Youssoupha mais on n’arrive jamais à se croiser… Mais oui je vais maintenant en profiter pour faire plus de feats.

« Je considère que je fais du rap évolutif. Il faut oser être ouvert à tout, sinon on se conditionne soi-même.  »

A : Par rapport à d’autres artistes de ta génération, tu ne t’es pas fermé à ce qui est ensuite arrivé dans le rap, même si le genre a beaucoup évolué. Comment est-ce que tu l’expliques ?

MS : C’est une discussion que j’ai eu il y a longtemps avec un gars qui s’appelle Akhenaton. Nos premiers albums respectifs n’étaient pas encore sortis et on se disait : « Qu’est-ce qu’on fait ? ». Parce qu’on ne savait pas où on devait aller musicalement et on ne connaissait que ce qui se faisait aux Etats Unis. Au final, j’ai considéré que je faisais du rap évolutif. On ne m’a pas vu faire une musique avec une seule couleur donc j’ai la possibilité d’évoluer. J’ai autant fait « Qui sème le vent récolte le tempo » que « Quartier nord » ou « Victime de la mode » sur mon premier album donc j’ai toujours eu un éventail large. Je ne peux pas être prisonnier d’une image. Il faut oser être ouvert à tout, sinon on se conditionne soi-même. Quand je suis arrivé, j’avais plein de rappeurs autour de moi. Ceux de la pré-génération, Lionel D, Nec Plus Ultra, Timide et Sans Complexe, Destroy Man et Jhonygo, la première génération Deenasty. Ensuite il y a eu la génération qui arrivait avec NTM, Assassin, IAM. Et dès le départ je me suis singularisé en cherchant une voix différente, jazz, slow, ou en faisant des bizarreries soul comme « Armand est mort ». Et j’étais libre parce que je m’étais ouvert à plein de choses dès mes débuts.

A : Certains rappeurs qui ont grandi avec les valeurs du hip hop dans les années 90 n’ont pas forcément pris le virage du rap des années 2000, plus individualiste et peut-être aussi plus dur musicalement. Ils ne se sont aussi peut-être pas reconnus dans celui des années 2010, notamment avec l’utilisation de l’autotune. Ça n’a pas l’air d’être ton cas.

MS : Si des choses nouvelles ou des personnes nouvelles arrivent dans le rap, je n’ai pas à leur dire « Je suis l’authenticité, la vraie nature du rap ». J’ai toujours dit que j’étais trop jeune quand on a commencé à parler de moi entre dix-huit et vingt-deux ans pour que je donne ensuite des conseils sur ce que doit être le rap. C’est ce que je voulais exprimer en disant « L’autodidacte n’est pas didactique » [sur le morceau « Temps Mort », ndlr]. Et puis j’aime bien la musique, tout bêtement. Je peux te faire du ragga, des trucs parlés, j’aime tout. En général, quand je fais un album, je mets au moins quatre styles différents dedans. Parce que je n’ai jamais envie de faire le même morceau d’un jour à l’autre. Et je crois que c’est la constante entre Qui Sème Le Vent, Prose Combat, Cinquième As, Chapitre 7, j’essaye à chaque fois de ne pas faire cinq morceaux similaires dedans. Donc c’est pour ça. Pour les années 2010, je n’ai pas essayé l’autotune, mais je suis vraiment un con, parce que j’écoutais Jay Z et son morceau « Death Of Autotune » [il chantonne les guitares électriques du morceau, ndlr]. Moi comme c’est Jay-Z qui parle, je crois qu’il a raison. Et puis deux minutes après, il est avec Kanye West qui en fait ! Mais pendant des années, ce statement de Jay Z, que ça soit pour moi ou Akhenaton, ça nous a fait nous dire « on n’approche pas de ça ». Quand j’ai écouté T-Pain au début, je me disais « mais qu’est-ce qu’il fait lui ? ». Et puis en fait c’est juste un instrument supplémentaire. Mais c’est vrai que là-dessus, pour nous les anciens de ces années-là, on a pris du retard.

A : Est-ce qu’un groupe comme PNL t’as fait revoir ton avis sur cet outil ?

MC : Ah pas mal oui, ils ne l’ont pas utilisé comme les autres. Ils l’ont totalement intégré dans leur création, ça a été une belle révolution. Surtout que j’ai des gars de là-bas, donc ils me disaient : « on en a très peu dans le 91, faut que t’écoutes ! ». Il y avait plein de trouvailles techniques, un travail sur les voix. Ça a plu à tout le monde, même hors rap, parce que ça ressemble à… je ne vais pas dire des chansons des années 80 mais presque. Tu vois la chanson électronique de ces années-là, Arnold Turboust ? Je suis sur que s’ils écoutaient ça, ça pourrait leur plaire. Mais je n’ai jamais été contre l’autotune. Je n’en fais pas parce que j’ai écouté Jay-Z. Mais ceux qui ne l’ont pas écouté y sont allés et ont fait des super trucs.

A : Est-ce que tu penses que le rap est une musique qui évolue beaucoup plus vite que les autres ?

MS : Oui. Elle a mille et une trouvailles. Si on part juste de la fin des années 2000, on a d’abord la Sexion D’Assaut qui a donné plein de choses. Ensuite arrive 1995 qui vont vers le passé, puis ensuite vers le futurisme américain pour quelqu’un comme Nekfeu. Et la trap de 2010 apparaît après avec pas mal de jeunes producteurs. Ensuite la drill arrive, une nouvelle forme de trap revient. Damso, la montée d’Orelsan… En fait il y a plein de vagues du rap, ce qui est totalement impossible dans le rock et le reggae. La raison de ça, c’est qu’il intègre plusieurs dimensions. Il y a l’image, qui est plus facilement marketable et qui suit la société de consommation. Tu mets une voiture, une bonne paire de chaussures, un t-shirt Céline, et c’est bon. L’essentiel c’est que la personne dégage quelque chose. Et il y a aussi des expressions dans le langage qui changent tout le temps… C’est le genre qui évolue le plus, il y a eu trente styles en quinze ans je pense.

A : Et toi ça t’intéresse toujours de continuer à suivre tout ça ?

MS : La Jersey, c’est dur. [sourire] Parce qu’à un moment j’écoutais et je me disais « Merde où est-ce qu’il respire lui ? ».

A : Certains artistes enregistrent leurs morceaux phrases par phrases aujourd’hui.

MS : Ah ! Ça je l’ai vu avec le rappeur new-yorkais tatoué qu’on appelle « la pookie ». 6ix9ine ! Il arrive au micro, il crie, stop. Il crie, stop. Il crie, stop. Un jour je vais essayer. Mais c’est vrai que la jersey, j’avoue que j’ai du mal. Mais tous les autres styles de rap, j’adore. Tous.

« Quand je suis au contact de la nouvelle génération, je vois qu’ils sont meilleurs que nous, les choses vont beaucoup plus vite. On reste des apprentis.  »

A : Sur le morceau « Maitre de cérémonie » de ton dernier album, tu parles de tes débuts dans le hip hop. Pendant tout le morceau, tu dis que tu étais un apprenti maître de cérémonie, avant de dire en fin de morceau que tu « es » un apprenti MC. Est-ce qu’il y a un sens derrière ça ?

MS : Oui, ça veut dire que je le suis toujours aujourd’hui. On peut toujours progresser et ça met de l’humilité, on reste des apprentis. Quand je suis au contact de la nouvelle génération, j’apprends de leurs techniques de studio, je vois qu’ils sont meilleurs que nous, les choses vont beaucoup plus vite. 

A : Tu as d’ailleurs dit par le passé que s’il y avait eu plus d’albums comme Or Noir de Kaaris, tu serais revenu plus tôt durant ta pause de dix ans.

MS : Oh oui. Un gars est arrivé et m’a dit « Tiens, écoute ça ». J’étais en voiture, j’ai fait un trajet avec l’album. Et j’en ai refait un deuxième. Il y avait de l’énergie, du dynamisme, de la punch, des références. Quand j’ai entendu les mots « Dozo », « 225 » en référence à la Côte d’Ivoire que je connais un peu, tout ça mélangé aux quartiers, Sevran, la culture militaire, ça m’a parlé. En fait j’aime bien tout, c’est équilibré musicalement ce qu’ils ont fait avec Therapy. Et on sent qu’il y a du cœur derrière, que c’est un mec passionné de rap. Ça m’a vraiment fait l’effet que je peux ressentir quand j’écoute quelque chose de nouveau. Gradur aussi, c’était animal. En fait j’aime bien le rap d’aujourd’hui parce que ça ressemble à plein de périodes que j’ai vues avant, des gens que j’ai croisés.

A : Tu veux dire dans les années 90 ?

MS : Oui, même dans les années 80. Des gens qui sont organiques. Par exemple il y avait un mec qui s’appelait M’widi. Et lui me fait penser à Gradur. De l’énergie, quelques touches politiques, fanatique de rap. En fait dans chaque nouveau, je vois souvent une personne que j’ai rencontrée avant que le rap se mette à vraiment sortir des albums. Parce que c’était là qu’on avait des bouts de cassettes, et qu’on se croisait, sur Radio Aligre, Radio Nova, ou Radio Val dans le 91.

A : On parlait de la nouvelle génération, tu as un featuring assez surprenant sur ton album avec Légendes Industries. Comment la rencontre s’est faite ?

MC : On est dans la même maison de disques, et quelqu’un là-bas m’a parlé d’eux. J’ai écouté leur album CacaPipi. [Rires] [ZiziCacaMixtape, ndlr] Et quand on s’est rencontrés j’ai vu qu’ils faisaient de la bonne musique. À ce moment-là ils travaillaient avec Yamê, ils étaient à fond là-dessus [Pandrezz et Kronomuzik ont composé “Bécane” de Yamê, ndlr]. Mais c’est une équipe que je surnomme « les cerveaux en réseaux », parce qu’ils ont un équilibre démocratique dans chacune de leurs décisions. Quand on leur propose quelque chose, il n’y a jamais un non. Il y a toujours un « j’écoute ». Et puis ils ont un truc en plus, c’est qu’ils aiment la guitare, la basse, les instruments. Donc ils ont un potentiel pour aller un peu plus loin. En fait on a un peu la même culture, sauf qu’ils ont vingt ou vingt-cinq ans de moins que moi.

A : Il y a un moment amusant dans la vidéo où l’on voit l’enregistrement de votre morceau ensemble. Lorsque vous écrivez vos textes, Kronomuzik est sur son téléphone, et toi sur ton cahier. Et vous avez un échange là-dessus. On se rend compte que tu trouves ça bien plus pratique et que tu ne serais pas contre faire comme ça. Tu n’as pas l’air de t’enfermer dans tes méthodes. 

MS : Ah oui, moi je perds beaucoup de cahiers… Mais j’ai essayé une fois, je me suis forcé. J’ai croisé Soprano pendant le covid, et il avait invité plein de rappeurs et de producteurs pour faire son album. Et c’est là que je les ai vus la première fois écrire sur leurs téléphones. Pour l’instant je suis au cahier parce que j’ai une routine où j’écris, et je corrige ensuite, notamment pour les cadences et les flows. Mais bien sûr que ça ne me dérangerait pas. D’ailleurs ça y est [il prend son téléphone, ndlr] je suis passé à ça. J’en ai plein là…

A : Tu as des textes sur ton téléphone ?

MS : Oui mais je n’ai pas le réflexe d’aller les revoir ! Mais quand il n’y a pas de stylo, pas de papier, j’ai mon téléphone. 

A : Dans ta manière de faire de la musique, tu essayes aussi d’être toujours en évolution ?

MS : Depuis toujours. J’essaie d’avoir ma stabilité et un peu de recherche dans mes morceaux. Mais le temps que tu réalises qu’il y a des choses que tu aimes, ça peut être trop tard quand tu veux les intégrer. Ça m’a fait ça avec le rap d’Atlanta ou Drake par exemple. À l’avenir, je vais essayer d’être de mon temps. C’est juste que j’essaie toujours d’être un peu à côté. Mais maintenant qu’il y a tellement de nouvelles choses différentes dans le hip hop, on peut choisir. Bon, je ne sais pas si je vais faire de la trap parce que tout a été dit… 

A : Tu as un peu essayé d’en faire sur Géopoétique

MS : Ah oui c’est vrai ! Bon après, c’était une trap qui sonnait un peu 2011. Si j’avais fait de la modernité, j’aurais été sur une trap un peu plus récente à l’époque. 

« Quand j’ai écouté Nero Nemesis, ça m’a fait la même chose que Or Noir. C’était top du début à la fin. »

A : On parlait du morceau « Maitre de cérémonie » où tu racontes tes jeunes années dans le milieu hip hop français. Comment l’idée t’es venue ?

MS : Le morceau a été produit par Dany Synthé et il m’a dit que je connaissais un de ses oncles, et une autre personne de sa famille. Et c’était vraiment des gens qui faisaient partie du mouvement hip hop en France dès 1992 et 1993. Il m’a posé quelques questions et le thème est arrivé comme ça. Quand j’ai pris le stylo, ça a déroulé. Il y a des choses qu’il ne savait pas donc je lui ai raconté.

A : Sur ce morceau, tu utilises une expression de Jul, « Merci la zone ». C’était un clin d’œil pour faire un pont avec les générations ?

MS : Oui c’est ça. Quand je suis allé à Marseille en 2020, que j’ai vu tous ces gens qui étaient encore actifs sur cette scène, les producteurs… j’étais vraiment impressionné. Et Jul il est bon. Attend, quand il te fait des morceaux de kickage de neuf minutes… Mais pour moi le hip hop a toujours été une grande famille. J’aimais autant les gens de Marseille que ceux de Sarcelles. Regarde Soso Maness : il fait le son du confinement avec « So Maness » [il chante le refrain, ndlr] mais si tu lui mets juste un boom bap, il va aussi poser dessus. C’est d’ailleurs comme ça qu’on reconnaît les gens qui font du rap de manière récréative, ou avec quelque chose en plus.

A : Soso Maness a d’ailleurs fait un de ses premiers morceaux à 10 ans avec la Mafia K’1 Fry.

MS : Oh le bâtard ! Bien le petit ! C’est ça qui est intéressant. Quand il fait du boom bap il raconte plein d’expériences de vie, c’est crédible.

A : Tu parlais de grande famille dans le hip hop, il y a quelque chose qui raconte bien ça, c’est la relation qu’a Booba avec toi. En 2008, il te tire dessus sur le morceau « B2OBA » en disant : « NTM, IAM, Solaar, c’est de l’antiquité ». Dix ans plus tard, en 2017, il va pourtant publier sur Instagram la photo du single de « Bouge De Là » en te rendant un vrai hommage (tout en te tirant quand même un peu dessus sur Les Enfoirés). 

MS : Oh B2O ! [rires]. C’est un mec que je connais depuis sa première apparition studio en 1994. Je le connais depuis les Sages Po’. Mais sa punchline par contre, j’avais adoré. Parce que comme j’aime bien le rap, je vois le cheminement. C’est en écho à sa première phrase, « Les négros sont déclassés par Pokora Diam’s et Sinik ». Ça a toujours été un bon rappeur, depuis le premier jour. Depuis les cassettes Cut Killer, depuis Lunatic. Il est bon quand même. J’ai écouté des morceaux qui ne sont jamais sortis en 94-95, ils étaient bien. Et ça m’a fait la même chose que Or Noir quand j’ai écouté Nero Nemesis. J’ai dit « Bon allez je vais rester dans la voiture » [sourire]. C’était top du début à la fin, le feat avec Damso, celui avec Siboy… Mais en tout cas merci B2O !

A : On sait que tu aimes bien le foot. Dans l’histoire du rap français, ta trajectoire est un peu comparable à France 98 : tu es la première grande victoire massive pour le mouvement hip hop en France en touchant le grand public. J’ai remarqué que dans tes interviews, on te reparle d’ailleurs très souvent des années 90 et de tes premiers albums. Comment est-ce que tu appréhendes le fait qu’on te parle autant du passé ? Tu es en paix avec ça ?

MS : Je suis 100% en paix avec ça parce que j’aime bien ces albums. Et quand on les a fait, c’était une victoire pour le mouvement. Il y avait des gens en plus qui arrivaient mais on parlait vraiment du « mouvement ». Tu avais les gars de Vitry, les descendants de Lionel D, ceux des Little, les gars de Sarcelles, les gars de Roissy En Brie. Donc c’est vrai que j’ai vécu la première victoire grand public du genre en France, suivie très rapidement par « Le Mia » et Alliance Ethnik. Mais les 3 DJs de ce groupe, ils étaient là depuis le premier jour, on se connaissait. Donc en fait c’était une victoire de tous, ça a donné du courage à plein de gens. Et surtout plein de maisons de disques se sont mises à y croire et ont donné la possibilité à plein de gens d’aller en studio. On était dans la rue, on se croisait : « tu vas où toi ? » « Je vais chez Delabel ». Je n’entendais que des trucs comme ça. Donc ça a donné des clés aux gens pour qu’ils fassent leurs trucs.

A : Est-ce que tu as bien vécu ou mal vécu le fait que les gens du rap ne comprennent pas ton passage vers la variété, ou au moins la sphère mainstream, dans les années 2000 ? Je pense notamment à ta participation aux Enfoirés.

MS : Non, je l’ai bien vécu en vrai. Pour Les Enfoirés, ça a été bien perçu à 99% selon moi. Je l’avais fait une fois en 98, et je l’ai refait en 2000 ou 2001. Mais pour moi c’est une grande fierté, parce que la cause est noble. Et ça ne te demande pas beaucoup de temps. Certaines personnes refusent d’y participer pour des histoires d’image. Moi on m’a dit directement que j’aurais l’air con. Et j’ai dit ok, de temps en temps, j’aurais l’air con. Mais il faut plusieurs boulons pour fabriquer un paquebot quoi.

A : Pour finir, est-ce que tu as encore envie de faire des choses nouvelles dans le rap aujourd’hui ? 

MS : J’ai encore envie de faire des beaux morceaux ! Et peut être que je vais plus donner une direction sur certains trucs. J’ai un arsenal de trente ans de musique que j’aime bien. Ça va de Koba LaD à Grandmaster Flash, et peut-être que je peux choisir différents trucs là-dedans que je tiens à donner. Je parle surtout musicalement. C’est mon objectif : être encore plus impliqué musicalement dans ce que je fais. 

« Nique la musique de France » clamait la FF comme un cri de guerre. Un credo souvent partagé par le microcosme du rap français, pressé de tuer les figures consacrées de la variété hexagonale pour prendre leur place au panthéon de la musique française. Et pourtant, on l’oublie souvent, mais les rappeurs (enfin surtout les beatmakers) français ont souvent invoqué l’esprit des « légendes » (appellation certifiée par Nostalgie) de la musique française des 30 glorieuses pour créer la bande son des 20 et plus piteuses. En ces temps de débat sur l’identité nationale et la culture d’analphabète des M.C.’s gaulois, on peut penser qu’il est de bon ton de créer des ponts plutôt que de les bombarder.

MC Solaar et Serge Gainsbourg

MC Solaar - « Nouveau Western »

Serge Gainsbourg et Brigitte Bardot - « Bonnie and Clyde »

Inévitable. Parce que sample archi-grillé, reprenant la pesanteur noire du « Bonnie & Clyde » de Gainsbourg et Bardot. Mais aussi parce que Solaar, en pleine force créative, a la bonne idée de retourner dans la chute finale le mythe de la violence américanisée et hollywoodisée, sur laquelle jouait allègrement l’homme à la tête de chou dans l’originale. Tout en circonspection face au mimétisme récurrent sur les cainris, il sort avec Boom Bass un des premiers samples de variété française sur un beat so early 90’s.

Première Classe et Léo Ferré

Mystik, Pit Baccardi, Rohff et les Neg’Marrons - « On Fait Les Choses »

Léo Ferré - « Les Étrangers »

Djimi Finger n’a jamais rien laissé au hasard. Sampler les premières notes d’une chanson au doux nom de « Les Étrangers » n’a rien d’anodin. Surtout quand se combinent deux congolais, un cap-verdien, un comorien et un camerounais. Sauf que la mélancolie caressée d’embruns de la chanson de Ferré est assez loin de la nonchalance arrogante du morceau d’ouverture du premier volume de Première Classe, qui ne volait pas son nom. Une époque où Djimi Finger, depuis retourné dans l’ombre, était la valeur montante du beatmaking en France.

Khéops et Joe Dassin

Kheops feat. Ol’Kainry - « On ne triche pas »

Joe Dassin - « Et si tu n’existais pas »

Joe Dassin était sans nul doute le plus ricain des crooners hexagonaux (et pas seulement parce qu’il est natif de la grosse pomme et qu’il a loué « L’Amérique »). Quoi de plus normal que le DJ d’IAM l’aie samplé pour un beat sur lequel viendrait poser… Ol’Kainry. Sans doute l’un des meilleurs morceaux du mitigé Sad Street, « On Ne Triche Pas » reprend le thème du destin et du hasard sur le même ton dramatique que la chanson de Dassin, avec son lot de « si » et de phrases au conditionnel.

Casey et Mike Brant

Casey - « Tragédie d’une trajectoire »

Mike Brant - « Parce que je t’aime plus que moi »

« I don’t love me, how the fuck I’mma love you ? ». Cette apostrophe de Scarface aurait très bien pu jaillir de la plume de Casey, et encore davantage sur ce morceau tendu comme un claustrophobe dans un ascenseur. Casey rumine ses douleurs d’adolescence pour expliquer pourquoi elle hait tant le monde qui l’entoure, et peut-être surtout elle même. Une magnifique ironie quand on pense à l’intitulé du sample de Mike Brant : « Parce que je t’aime plus que moi ». Le rapport entre le morceau de la martiniquaise et celui de l’israélien est aussi distordu que les cuivres originaux sous les mains de Hery.

Koma, Ol’Kainry et Jacques Brel

Koma feat. Rocé et Kohndo - « Un parmi des millions »

Ol’Kainry feat. Buckshot - « Smatch Ca »

Jacques Brel - Les marquises

La force des orchestrations de certains morceaux de Brel est un bonheur pour beatmakers, appréciée même outreatlantique. Prenez « Les Marquises ». Tableau impressionniste de ces iles du Pacifique, les quelques cordes graves jouées en pizzicato en ouverture suffise de base mélodique à la suite du morceau. Une vingtaine d’années plus tard, passées par la magie d’une MPC, elles deviendraient forcément matière à quelques bons instrus : tendance force tranquille pour le kata de Koma, Rocé et Kohndo, plutot fatality pour le croisement de fer entre Ol’Kainry et Buckshot.

Flynt et Alain Souchon

Flynt feat. Sidi Omar - « La Gueule de l’Emploi »

Alain Souchon - « Qu’est-ce qu’ils ont les hommes ? »

La connerie humaine, du macro au micro. La filiation entre « Qu’Est-Ce Qu’Ils Ont Les Hommes ? » et « La Gueule de l’Emploi » est évidente. D’autant que les Soulchildren ont su bien mettre en avant la gravité psychédélique des premières mesures de la chanson de Souchon pour souligner l’absurdité de la situation dénoncée par les deux rappeurs de Paris Nord. Une bonne pioche du duo de producteurs alto-séquanais, qui ont été trouvé cette face B méconnue du pote de Voulzy.

Youssoupha et Michel Sardou

Youssoupha - « Éternel Recommencement »

Michel Sardou - Tuez moi

Nul besoin de s’étaler : tout a été dit sur le morceau-étendard du lyriciste bantou, classé 85e au top 100 de l’Abcdr. Et c’est d’ailleurs lui-même qui en parle le mieux. Si le résultat tue toujours autant (des lyrics à la boucle de piano hypnotisante de Sardou), on se dit que le concept original de mise en cloque de la conseillère municipale d’Hénin-Beaumont aurait pu avoir l’effet d’une petite bombe. Et retourner le concept du « Tuez-Moi » de Sardou en « Huez-Moi » au Congrès du FN.

Tandem et Véronique Sanson

Tandem - « Un jour comme un autre »

Véronique Sanson - « Je serai là »

Au coeur d’un album monolithique, le triptyque « Un Jour Comme Un Autre »/ »Frères Ennemis »/ »Le Jugement » a donné toute son âme au deuxième opus du duo d’Aubervilliers. Et a prouvé que malgré quelques égarements faciles, l’autre duo, celui de Kilomaitre Prod, savait faire preuve de flair et de finesse. Comme fouiller dans le répertoire de Véronique Sanson pour souligner toute la détresse d’une personne perdue, et le cisailler avec talent.

Rohff et Gérard Lenorman

Rohff - « Pleure pas »

Gérard Lenorman - Un ami

Le rappeur de Vitry n’est jamais aussi bon que lorsqu’il combine bombage de torse et espièglerie. Deux preuves :

  1. Lancer des lyrics cinglants et sanglants pendant plus de 5 minutes, pour finir, hilare, sur un « on s’en bat les couilles, c’est qu’du rap, haha !« .
  2. Tancer les autres rappeurs, avec l’aide du producteur muriautin, d’un « pleure pas… j’ai pas d’mouchoir sur moi » chanté par Gérard Lenorman, avec pour résultat de changer l’intention amicale du chanteur-rêveur en moquerie cynique.

Salif et Claude François

Salif - « A La Muerte »

Claude François - « C’est de l’eau, c’est du vent »

Test flash : essayez d’associer dans votre esprit « Claude François » et « rap ». Vous penserez forcément à Yannick. Les soirées de Salif, elles, sont bien différentes : « On reste jusqu’à 4 du mat à s’raconter de la merde, on rêve d’une baraque à coté de la mer« . DJ Demo a repris les quelques notes de cette chanson peu connue de Cloclo pour en faire avec Salif un hymne d’une vie décousue, départ du renouveau du M.C. de Boulogne.

Explicit Samouraï et Pascal Danel

Explicit Samouraï - « 3 Minutes »

Pascal Danel - « Les trois dernières minutes »

Passé relativement inaperçu, le premier et unique album d’un tiers de feu le Saïan Supa Crew contenait d’excellents passages, notamment ce « 3 Minutes » étouffant de paranoïa. Pour cette plongée hallucinée dans l’esprit d’un homme au bord de la sociopathie, Leeroy et Specta ont finement retravaillé « Les Trois Dernières Minutes » de Pascal Danel, narrant les derniers instants d’un condamné. Et ont, du coup, un peu ressorti de l’oubli ce chanteur, qui a connu ses heures de gloire avec le « Kilimandjaro ».

Rocca et Michel Berger

Rocca - « Les jeunes de l’univers »

Michel Berger - « Chanter Pour Ceux Qui Sont Loin De Chez Eux »

Lancer pour premier single un morceau soutenu par un échantillon de variet’, alors que l’on vient d’un groupe qui a fait ses marques dans un hip-hop authentique et sans concession : plus d’un rappeur se serait casser les dents dans un tel exercice. Surtout en plein milieu des 90′s, âge du “real”, “hardcore”, et autre adjectif certifiant l’origine contrôlée. Mais le M.C. franco-colombien fut assez intelligent pour réussir un équilibre parfait entre rêves de lascar, faim d’espérance et posture tiers-mondiste un poil naïve mais sincère, se positionnant parfaitement dans la thématique de l’original de Berger. Et Lumumba de produire un titre boom-bap radio friendly, un peu facile, mais irrésistible.

Lino et Jacques Higelin

Lino & Janik - « Chant libre »

Jacques Higelin - « Pars »

Au cœur d’un album plutôt sombre et tendu (en somme, fidèle à son auteur), “Chant Libre” était une petite bouffée d’oxygène. Les lyrics pleins d’espoir de Lino et le chant volontaire et optimiste de Janik y jouaient beaucoup, mais la prod de Mad.Izm donnait le souffle à cette envolée de positivité. Plus prompt d’ordinaire à fouiner dans les vinyles U.S., il a été déniché une chanson de Jacques Higelin aux sonorités 100% hexagonale dans ce “Pars” léger et aérien.

Sheryo et Daniel Balavoine

Sheryo & Ekoué - « Je reste underground »

Daniel Balavoine - « La porte est close »

Rappeur talentueux et authentique pour certains, opportuniste cachant sa linéarité par la recherche frontale debeef pour d’autres, Sheryo a créé un petit séisme en 2002 avec “Je Reste Underground”, diss-track à l’attention du pharaon marseillais. Un morceau à double tranchant : si le temps de la polémique, la lumière s’est un peu plus braqué sur le MC du 93, il est retourné peu d’années plus tard dans l’ombre après son départ du collectif Anfalsh. Ironie du sort, Hery fut prémonitoire dans son digging : la porte fut bien close pour Sheryo après ce morceau. Reste un bon instrumental grâce au travail de découpe de Hery, une nouvelle fois inspiré, sur l’original de Daniel Balavoine.

La Cliqua et Georges Brassens

La Cliqua - « Les quartiers chauffent »

Georges Brassens - « Le petit joueur de flûteau »

Le style musical de Brassens est à l’antipode des différents artistes samplés présentés jusque là : épuré, classique, plus chansonnier que variété. Il fallait tout le talent de Gallegos pour faire de cette ritournelle simili-médiévale de guitare un sample de tueur, poussiéreux et addictif. L’écoute des paroles de la chanson de Brassens offre même une nouvelle perspective : le petit joueur de flûte est l’archétype de l’artiste qui reste vrai. Du pain bénit pour les rappeurs.

Lunatic et Serge Lama

Lunatic - « B.O. (Banlieue Ouest) »

Serge Lama - « La serveuse de bar »

Portée par une ambiance tango romancée à l’européenne, “La Serveuse” de Serge Lama est une chanson peu connue du répertoire du bordelais. Samplée par le metteur en son du 45 Scientific, la lascive ballade devient danse avec la mort dans ce morceau rare de Lunatic sorti en maxi, et présent sur la réédition du sanctifié Mauvais Œil. Une ambiance oppressante et minimaliste, pour des lyrics qui feraient frémir n’importe quel élu de droite (et peut-être même de gauche).

La Fonky Family et Martin Circus

Fonky Family - « Verset V »

Martin Circus - « Tout tremblant de fièvre »

Le premier album de la FF est un patchwork de samples hétéroclites. Pone y a aussi bien pioché de la soul, de la chanson française, de la musique de film. Pour le “Verset V”, interprété par le Rat, il a même déniché le premier succès du groupe de rock français Martin Circus (mais si, vous savez, “Marylène”), “Tout Tremblant De Fièvre”. Véritable morceau prog-rock, ses cuivres hallucinés deviennent sous la main de Pone presque menaçants, avec ce ralentissement lancinant collant au style de Luciano.

Les X-Men et Maxime Le Forestier

X-Men - « Bla Bla Bla »

Maxime Le Forestier - « Si tu étais né en mai »

“Si Tu Étais Né en Mai” de Maxime Le Forestier a quelques ressemblances dans le thème avec l’une de ses plus grandes chansons, “Mon Frère”. Musicalement, par contre, c’est autre chose : plus intimiste, moins dramatique, et plus jazzy. C’est d’ailleurs les premières mesures remarquables de ce morceau que Geraldo, époque pré-45 Scientific, a samplé pour le “Bla Bla Bla” des X, à la saveur proche des productions du DITC de l’époque.

OFX et Jean-Claude Annoux

OFX - « Jeunes loups »

Jean-Claude Annoux - « Les jeunes loups »

Dans un album aux sonorités plutôt inspirées par l’Afrique, trouver un sample de variété aurait de quoi surprendre. Pourtant, tout le talent de producteur de Feniski explose sur l’utilisation de l’échantillon de Jean-Claude Annoux : passé par son sampler, la guitare, le clavier et la voix de soie du chanteur (disparu l’année de la sortie de Roots) prend une dimension quasi-tribale, retranscrivant toute l’impulsivité de cette jeunesse, chantée aussi bien par le beauvaisien que par “Féfé” et Vicelow.

Ideal J et Charles Aznavour

Ideal J & Daddy Mory - « Evitez »

Charles Aznavour - « Les deux pigeons »

De toutes les figures de la chanson française, Charly est l’intouchable aux yeux des M.C.’s français. Il n’y a qu’à se baisser pour trouver des chansons d’Aznavour samplées, de “Qui ?” à “Désormais” en passant par“Comme Ils Disent”. En fait, le vrai défi est de trouver une de ses chansons samplées qu’à une seule reprise. C’est le cas de “Les Deux Pigeons”, repris par Le Gand du Lyonnais pour le “Evitez” d’Ideal J, message aux puissants dans lequel Kery leur affirme, sans sourciller, que lui et les siens ne veulent pas être pris pour … des pigeons.

Pejmaxx et Dalida

Pejmaxx - « Les jaloux savent qu’on avance »

Dalida - « Pour qui, Pour quoi »

Deuxième apparition des Soulchildren dans ce diptyque de billet. S’ils avaient repris la boucle de Souchon telle quelle pour le coup de gueule de Flynt contre la discrimination, leur découpage de la complainte amoureuse de Dalida est un travail d’orfèvre. Utilisant sa voix chaude et mystérieuse comme des séquences mélodiques saccadées, le résultat cartonne, et crée une alchimie avec le flow haché du rappeur de Créteil, auteur avec les deux beatmakers du 92 d’un premier album sous-estimé.

Rocca et Daniel Balavoine

Rocca & Lino - « Jour de paie »

Daniel Balavoine - « Le pied par terre »

Petit plaisir final en bonus de ces vingt titres : la rencontre sur track de Rocca et Lino pour ce “Jour de Paie” imparable, grâce à la prod de Traffic samplant Daniel Balavoine. Une boucle hypnotisante magnifiée par ces voix plaintives au refrain et ce beat massif, parfait pour l’échange de rimes entre deux des rappeurs les plus charismatiques de France.

Paris, le 20 janvier 2009

Cher Claude MC,

Ayant égaré tes coordonnées, j’ai essayé de te joindre la semaine dernière. Un ami m’a transmis un numéro pour te joindre dans ta maison de disques. Là-bas, on m’a renvoyé vers ces gens qui s’occupent de toi, une société de management installée rue des Cévennes à Paris. J’ai trouvé ça amusant, ça m’a rappelé l’une de tes rimes de ‘Quartier Nord’, tu te souviens ? « Dans les Cévennes, il s’est ven’, on peut le lire sur ses veines« … J’adorais ce morceau. Bref, une fois au téléphone avec cette dame qui te connaît, j’ai pris ma plus belle voix de journaliste bienveillant et rigoureux, mais visiblement je n’ai pas été très convaincant. Jeudi dernier, elle m’a envoyé ce mail laconique :

Bonjour,

J’ai bien transmis votre demande d’interview à MC Solaar.

Lui et toute son équipe vous remercient de l’intérêt que vous lui témoignez.

Néanmoins, MC Solaar ne souhaite pas y répondre favorablement pour l’instant.

Toutefois, nous vous souhaitons une excellente continuation.

Très cordialement

Sur le moment, même si j’ai eu envie de croire à ce « pour l’instant« , ça m’a fait mal. Mais je comprends ton refus. C’est vrai qu’il y a bien longtemps que nous nous sommes perdus de vue, et crois-moi, je le regrette. Te souviens-tu l’année 1994 ? Il ne se passait une journée sans que j’écoute « Prose Combat ». Pas une. A l’époque, tu étais le seul rappeur dans mon radio-K7 mais c’était quand même toi le meilleur. Je me revois encore au Palais des Sports de Besançon pour ton concert. C’était un 4 octobre. A la fin, tu étais parti en faisant semblant de marcher au ralenti, comme en apesanteur. Et sur scène, parmi tes danseurs, j’avais reconnu Bambi Cruz ! Puis le temps a passé et j’ai grandi. Je peux te le dire maintenant : pour traverser l’adolescence, j’ai du m’éloigner de toi. C’est un peu ta faute : le rap s’ouvrait à moi, je découvrais de nouvelles voix, de nouveaux sons, mais toi tu continuais à faire des allitérations à partir du mot « zig-zag ». Alors je me suis lassé. Seuls la radio et les Enfoirés m’ont tenu au courant de ce que tu devenais, mais à chaque fois, le cœur n’y était pas. Au rayon Disques, devant tes nouveaux albums, je restais les bras ballants, un peu gêné, comme face à un vieux pote d’enfance avec qui on renoue trop tardivement. Mais ne me juge pas trop durement : quand ils ont commencé à ricaner après toi, je suis resté en retrait. Et dans les conversations, si on me demandait par qui ma passion du rap avait commencé, j’offrais invariablement la même réponse : c’était grâce à toi. Et Caroline.

« Nous t’imaginions frappé d’immobilisme, voire d’opportunisme, alors que tu étais simplement toi. C’était tout à ton honneur, mais nous étions trop immatures pour le comprendre.  »

L’année dernière, en réécoutant « Paradisiaque », j’ai réalisé avec effroi la cruauté avec laquelle le monde du rap t’avait banni. Pendant qu’ils montaient des entreprises bancales, qu’ils se donnaient des grands airs sur le plateau de Nulle Part Ailleurs, toi, tu es resté le même. Discret, courtois, fana de jeux de mots. Nous t’imaginions frappé d’immobilisme, voire d’opportunisme, alors que tu étais simplement toi. C’était tout à ton honneur, mais nous étions trop immatures pour le comprendre. Aujourd’hui, les choses ont bien changé. Quand Booba t’a cité parmi sa liste d’antiquités du rap, personne n’a sourcillé, ils attendaient tous une réplique de Joey Starr ou Akhenaton. Mais pas la tienne. Bientôt, même les trentenaires oublieront que tes deux premiers albums sont des pièces indispensables de l’histoire du rap hexagonal, c’est bien triste… Quant à moi ? Ca va à peu près. J’essaie d’être optimiste devant les copains, j’aime toujours le rap (ça me prend un temps fou maintenant !), mais il y a des moments où je me dis qu’il n’est pas vraiment devenu ce qu’on en espérait.

Mon cher Claude MC, je ne sais pas ce que tu penses de nous aujourd’hui. Pour avoir choisi de partir si loin, tu dois sans doute nous en vouloir terriblement. Mais il faut que nous reprenions contact. Je suis sûr qu’au fond de toi, tu en as envie. Prenons le temps de nous voir, une petite heure. Ou même moins si tu es pressé. Mais depuis tout ce temps, tu as forcément des choses à nous raconter : quel bilan fais-tu de toutes ces années ? Quand tu penses au rap, à quoi penses-tu ? Et ce procès, comment l’as-tu vécu ? Qui est donc cet étrange manager qui gère tes affaires ? Les soirs de gala sur TF1, as-tu la nostalgie du Posse 500 One ? Ecris-tu souvent ? Comment sont tes copains ? Que fais-tu aujourd’hui ? Que feras-tu demain ?

Les questions se bousculent, j’en ai presque peur de te vexer, mais je te le dis avec la plus grande solennité : il faut que tu reconsidères ta décision et que tu nous accordes cette interview. Je suis sûr qu’elle te soulagerait autant que nous. D’ailleurs, à l’Abcdr, c’est la seule interview que nous avons vraiment envie de lire, et j’ai bien peur que si nous ne la faisons pas nous-mêmes, elle finisse entre de mauvaises mains. Quoique, la presse rap s’est trouvé d’autres chouchous depuis toi. Quant à la presse respectable – cette ingrate – elle a le béguin pour ce fan de Capone-N-Noreaga qui s’est reconverti dans les imitations de Jacques Brel, alors à mon avis elle ne doit plus penser très souvent à toi.

Mon cher Claude MC, fais-moi confiance : nous sommes prêts à t’écouter, te questionner et te comprendre. Ne laisse plus le temps et les Victoires de la Musique nous éloigner davantage. Tu as besoin du rap, et le rap a besoin de toi.

Si jamais tu changes d’avis, tu sais comment me joindre.

Ton vieil ami de l’autre côté du radio-K7,

JB

D’une certaine façon, la direction artistique prise par MC Solaar est la plus cohérente de toute l’histoire du rap en France. Fort des succès critiques et commerciaux de ses deux premiers albums, Qui sème le vent récole le tempo (1991) et Prose Combat (1994), Claude M’Barali n’a eu de cesse de poursuivre la voie d’un rap obstinément sympathique, en regardant passer devant lui les modes, la concurrence et quinze ans de carrière. Aujourd’hui, Claude MC évolue dans un cocon où personne n’oserait venir le chercher : son nom n’évoque même plus une certaine idée d’un « rap cool« , et quand il apparaît chaque année sur la scène des Enfoirés, un vendredi soir sur TF1, on sent bien qu’il n’est pas non plus à la fête au milieu des pontes de la variété française. A intervalle régulier, il continue à livrer des petits tubes d’un autre temps, toujours bardés de jeux de mots auto-satisfaits et de références à la pop-culture d’un autre âge : « Da Vinci Claude », le dernier en date (2007), cite Jean-Claude Bourret, présentateur de la 5 au début des années 90. Chronique d’un anachronisme.

En 1997, deux sorties faisaient l’événement : L’École du Micro d’Argent d’IAM et Paradisiaque. Le troisième long format de Solaar aurait pu être le fameux « album de la   de réalisation reste à ce jour inégalée, le rappeur de Villeneuve-Saint-Georges, lui, est resté bien au chaud. A l’image du single « Gangster moderne » – véritable jumeau de « Nouveau western » sorti trois ans plus tôt – le disque est le premier bégaiement d’un artiste qui, jusqu’ici, incarnait comme personne une exception culturelle du rap en France.

Il y a pourtant de belles choses dans ce Paradisiaque prévisible : la présence de la future fine fleur de la French Touch (Zdar et DJ Mehdi), les vocalises « girl next door » de K-Reen, et cette façon agréable qu’avait Laar-So de prononcer les vocables les plus improbables de la langue française avec une voix suave et une pointe de narcissisme (« Du vrai… love… illico-presto »). Il semblait vraiment prendre un plaisir fou à jouer avec ces sonorités picorées par dizaines dans l’Histoire, le zapping télé et les coins de rue : dans ‘Tournicoti’ et surtout ‘Dakota’, il se voyait en maître du monde (« J’aime plein de rappeurs mais celui que je préfère c’est l’homme, MC Solaar, directeur de la Terre en somme »), et quand il se défendait mollement face aux critiques, il le faisait avec une froide désinvolture (« Ma cousine m’a dit de parler vrai, et je le fais, même si ça fait pas new-yorkais »). Si aujourd’hui, on aurait bien du mal à imaginer ce qui le motive à noircir une feuille blanche, il reste dans cet album un savoir-faire indéniable et quelques perles : quand l’ex de Caroline parlait d’amour (« Illico presto » et « Le 11e choc »), il mêlait égotrip, mots doux et surréalisme avec une justesse que peu de rappeurs qui ne s’appellent pas Oxmo Puccino ont su exprimer par la suite.

Au fond, c’est peut-être simplement l’absence du producteur prodige Jimmy Jay qui fit défaut. Peut-être qu’avec lui, Paradisiaque, aurait été le troisième classique d’un MC incontournable. Oui, incontournable. « Ce freestyle est dédicacé à l’homme fort : Solaar » lançaient Démocrates D à la fin du choral « Onze 44 » en 1995. « Tu m’parles poésie, c’est pas mon créneau, j’suis pas Laar-so », ironisaient Express D. En ce temps-là, on l’aimait ou on le détestait, mais au moins il existait. Aujourd’hui, on ne le brocarde même plus. Pire, on ne peut presque plus l’écouter : pour d’obscures raisons, les plus belles heures de sa carrière sont verrouillées à double tour, interdites de diffusion suite à un procès-fleuve que l’artiste a pourtant gagné face à son ex-maison de disques Polydor. Solaar censuré, on aura tout vu. Décidément, les temps changent. Et c’est d’ailleurs en redécouvrant ce hit qu’on se souvient : l’album avait tout de même rencontré le succès, et Claude avait rebondi trois ans plus tard avec un Cinquième as écoulé à 850 000 exemplaires. Mais paradoxalement, même s’il a continué à faire partie du décor, MC Solaar s’est évaporé dans l’époque. Lentement, doucement. Présent mais absent, comme à chacune de ses apparitions sur un plateau de télévision.

Album-symptôme d’un drôle de rappeur, Paradisiaque porte le nom du premier titre de l’album. Avec le recul, le dernier aurait été plus approprié. Il s’appelle « Quand le soleil devient froid. »