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Abcdr Du Son : On te voit souvent comme le grand frère de plusieurs artistes du rap français. Est-ce qu’il y a des gens qui t’ont tendu la main à tes débuts comme tu as pu le faire pour d’autres par la suite ?
Manu Key : J’ai commencé au début des années quatre-vingt-dix à écouter du rap à la maison, notamment sur Radio Nova. A l’époque, j’étais très inspiré par Renaud Séchan qui écrivait des textes fabuleux sur la société, en mêlant dénonciation et vannes. C’est ce qui m’a donné envie d’écrire et j’essayais de recopier ses textes. J’avais un cahier dans lequel je recopiais ses paroles quand ses morceaux passaient à la radio [Sourire].
Vers 91-92, j’ai vraiment commencé à écouter du hip-hop à la maison avec EPMD, Public Enemy… C’est la rencontre avec DJ Mehdi en 1992 qui m’a vraiment lancé. Ensuite, il y a eu la découverte de Illmatic, le premier album de Nas. C’est vraiment un disque qui nous a mis dans l’écriture, dans la construction de thématiques autour des morceaux, dans le son… On avait déjà créé Different Teep mais c’est Illmatic qui nous a donné l’impulsion pour nous organiser plus sérieusement. On était beaucoup plus brouillon avant la sortie de cet album. Ce disque nous a poussé à nous structurer.
A : Comment s’est faite la rencontre avec Mehdi ?
M : Cut Killer m’a dit qu’il connaissait un jeune compositeur qui lui avait envoyé une maquette. On s’est rencontré via son intermédiaire. Mehdi faisait déjà du son chez lui avec son 4 pistes et c’est ce qui nous a permis d’enregistrer nos toutes premières maquettes. C’était nos tout premiers pas dans le rap parce qu’à l’époque on n’avait pas moyen d’aller dans des studios. C’était trop cher et, de toute façon, on ne savait même pas où c’était, comment enregistrer… On n’avait aucune notion de tout ça.
« La sortie d’Illmatic nous a poussé à nous structurer. »
A : Même s’il n’y en avait pas beaucoup, est-ce que les albums de rap français qui sortaient à l’époque pouvaient vous motiver ?
M : A l’époque, il y avait NTM mais c’était déjà beaucoup trop gros pour nous. « Ils enregistrent dans des studios immenses, ils font la première partie de Madonna« … Il n’était pas question que l’on se compare à eux même si on les écoutait. On essayait plutôt de savoir comment ils en étaient arrivé à sortir des disques. En faisant des maquettes, des scènes… On voulait emprunter ce chemin pour se faire connaître.
A : C’est à cette époque là que tu rencontres Mista Flo et Lil Jahson ?
M : C’est en 91. Mista Flo habitait à Orly où il y avait des après-midi dansantes tous les samedi à la MJC. Tout le monde se rencontrait et on savait qui rappait, qui venait de quel quartier… Ça a duré pendant deux ans. A l’époque, je touchais un peu à tout : danse, graffiti, rap…
A : A quel moment se forme le groupe Posse Ideal ?
M : Le Posse Ideal se forme quand on créé Different Teep et qu’on découvre Kery James en 92 qui habitait juste à côté de la MJC. On y était un mercredi en train de répéter et d’écrire nos textes. La salle était fermée quand j’entends frapper. Là, je vois un petit black d’1 mètre 25 avec un calepin dans les mains [Rires]. « Bonjour, j’écris des textes de rap« . On est tous un peu surpris et on lui demande de nous montrer un texte. « Nan, mettez un son et je vais le rapper ». On a mis un instru et il a commencé à débiter ses textes. On lui a dit de venir tous les mercredi et il a répondu présent. Ensuite, on a vu un deuxième jeune, un troisième et on s’est dit que ça serait bien de les mettre ensemble et de former un groupe de petits. A partir de là, ils se sont appelés Ideal et on était tout le temps ensemble.
A : On entend souvent que Kery avait quelque chose de plus que les autres dès le début. Tu l’as senti ?
M : Oui parce que Kery était quelqu’un de super fort à l’école quand il était jeune et il lisait beaucoup de bouquins. Son père était instruit et l’a poussé à s’intéresser à ça. Kery était déjà en avance par rapport à ça et tous ses textes étaient déjà très engagés. Ça nous étonnait et on se demandait si c’était vraiment lui qui écrivait ses textes ! [Sourire] On se disait qu’il était vraiment au-dessus.
Pour le tester et être sûr qu’il était bien l’auteur de ses textes, on lui disait de revenir la semaine d’après avec un texte fini sur un thème précis… Et il revenait avec son texte ! Il était trop fort, il ne fallait pas le lâcher.

A : A l’époque, il y avait un côté très « rap parisien » et vous étiez du Val-de-Marne. Comment avez-vous réussi à faire parler de vous à l’extérieur de votre département ?
M : La radio, les concerts… On a fait les festivals qui se tenaient à Porte de la Villette et Ideal J avait également fait la première partie de NTM au Palais des Sports. A partir de là, le public a commencé à s’élargir et on a eu de la demande à Paris mais également en province.
A : Est-ce que tu peux nous refaire l’histoire de la structure Alariana ?
M : C’est une structure qui est apparue en 1995. Tout ce qui a été fait de 1992 à 1995 se faisait via une association que l’on avait montée avec Mehdi. C’était le moyen de recevoir des subventions pour enregistrer des maquettes et aller en studio et c’est grâce à ça qu’on a pu faire La route est longue, le premier maxi de Rohff « Appelle-moi Rohff », le premier maxi de Karlito, le premier EP de 113 Ni barreaux ni frontières en collaboration avec Alariana. Ca s’est fait via l’oncle de Mehdi à l’époque qui avait une plus grosse structure. A partir du moment où on a décidé de sortir des disques à l’échelle nationale, il fallait que l’on passe par une plus grosse structure et l’association ne suffisait plus. On leur a fait confiance et on entretient une relation familiale depuis une quinzaine d’années.
A : Tu fais un peu figure de doyen au sein de la Mafia k’1 Fry. Quel est le rappeur qui t’a le plus impressionné ?
M : Un peu tout le monde. La progression de Dry a été fulgurante, Kery a toujours sorti des textes de malade, Karlito est arrivé en 94 avec une nouvelle façon d’écrire et de parler… Chacun avait son style et l’a peaufiné au fil des années. On découvrait au fur et à mesure des qualités nouvelles chez tous les rappeurs.
La progression de Dry a été assez impressionnante. Le premier truc qu’il a posé c’était sur mon album Manu Key en 1998. Il faisait seulement un refrain et les gens ont vraiment aimé. « Qui c’est le mec qui fait le refrain ? J’aime bien sa voix« . Ensuite, il a fait Intouchables et, à force de beaucoup écrire, il a perfectionné son style. Il a trouvé une identité et, aujourd’hui, c’est un rappeur aussi côté que Kery qui découpe quand il fait un featuring, qui a une voix reconnaissable, un vrai flow, des thèmes diversifiés… Il a même réussi à faire des morceaux avec Gims et à passer à la radio. Il est vraiment reconnu comme un rappeur de premier plan.
A : Il y a un documentaire sorti récemment sur Kery dans lequel on te voit comme le mentor d’Ideal J. Quel regard portes-tu sur ces années-là ?
M : Ce sont des souvenirs fous parce qu’on a commencé par faire des maquettes dans une chambre avec Mehdi, on est allé à Tikaret pour avoir des enregistrements plus propres pour démarcher les maisons de disques alors que tout le monde nous fermait la porte au bout de cinq minutes de rendez-vous… Alors, faire la tournée Ideal J avec tous les potes et remplir des salles de concert, c’était incroyable. On arrivait à mettre de l’argent de côté pour louer un car, investir dans le décor de la scène… C’était magique et sans prise de tête. On avait réussi à organiser une bonne quinzaine de concerts de quartier dans l’année en téléphonant aux MJC. Généralement, les MJC acceptaient parce qu’on avait déjà sorti un disque.
On s’en foutait qu’il y ait 200 personnes dans la salle. On voulait juste rapper et on a vraiment monté cette tournée nous-même.
A : Par la suite, tu as assuré la direction artistique de certains des plus gros succès du rap français. C’est à ce moment que tu t’es découvert cette fibre ?
M : Ça m’a toujours plu d’assister à la naissance d’un morceau. Par exemple, quand Mehdi a fait l’instru des « Princes de la Ville », j’ai voulu le proposer à 113 et voir s’ils allaient rapper dessus. Au départ, l’instru n’était pas aussi rapide et c’est moi qui lui ai demandé de l’accélérer : « Accélère, accélère, on va voir s’ils vont réussir à rapper dessus » [Sourire]. Ils ont réussi et on connaît l’histoire du morceau.
A chaque fois que je me retrouvais avec Mehdi, on proposait pas mal d’idées et quand les membres de la Mafia nous suivaient, ça donnait une vraie richesse aux morceaux. Je me suis rendu compte que j’étais à l’aise dans ce rôle et j’ai voulu apporter ma patte à certains albums.
A : Comment tu t’es retrouvé à le faire sur Le cactus de Sibérie ?
M : Je connais Oxmo depuis ses débuts dans le rap. Il était venu me voir en me disant qu’il écrivait et qu’il avait un style décalé. J’avais trouvé ça mortel. Ensuite, il a fait son chemin et sorti son premier album qui reste un super classique. A partir du moment où je connais bien la personne, je suis capable d’analyser ses limites et de lui proposer certaines idées : « tu devrais parler de ça, ce couplet doit rester basique, ici tu devrais faire un refrain un peu chanté… » On essaye de créer l’atmosphère autour du morceau.
« Parfois, ma vision ne se portera pas sur l’ensemble de l’album parce que les artistes peuvent avoir des idées bien arrêtées sur certains titres. »
A : « Pour ceux » est l’un des clips les plus marquants du rap français et a souvent été copié. Est-ce que tu peux revenir sur l’approche que vous avez adoptée ?
M : C’est venu complètement par hasard et ça s’est fait en 24 heures. En fait, on cherchait à clipper un morceau mais on ne savait pas encore lequel. On décortiquait tous les morceaux en se demandant lequel nous représenterait le mieux, celui sur lequel on était assez nombreux… On s’est dit que, finalement, on s’en foutait de Skyrock et des radios et qu’il ne fallait pas faire un choix en fonction d’eux. Comme tout le monde posait dessus, on décide de prendre « Pour ceux ». Ensuite, on s’est posé une question : qui était capable de clipper ça et qu’est-ce qu’on pourrait faire avec cette vidéo ?
Un jour, je me ballade sur Internet et, à cette époque, Kourtrajmé avait un petit buzz. Ils faisaient des trucs un peu fous et, en cherchant qui se cachait derrière tout ça, je tombe sur Romain Gavras. J’aimais bien le côté décalé et Oxmo avait son numéro parce qu’il trainait souvent avec ces mecs. On l’appelle et on va le voir chez lui à Montreuil. On lui explique qu’on aimerait faire quelque chose dans l’esprit Kourtrajmé, garder le côté décalé. Il écoute le morceau et nous dit immédiatement qu’il y a un truc dingue à faire. Il nous dit qu’il veut en discuter avec son collègue. C’était le mercredi.
« Romain voulait presque que les gens poussent le cameraman mais on lui a dit de ne pas dire ça sinon ça aurait pu mal se finir. »
On y retourne le jeudi et il a trouvé une idée : « Voilà, j’ai un truc mais il va falloir assumer grave ». Il veut nous faire rapper tout nu dans la rue ou quoi ? [Rires] Finalement, il nous explique qu’il veut filmer la vie du quartier à l’état pur. C’est à dire montrer le bordel, les motos, les keufs, les pitbulls… « Ok, mais tu vas faire ça comment ? » « C’est à vous de rassembler tout le monde et nous on vient filmer. On peut tourner dès que vous êtes prêts » « Ok, c’est faisable. On est jeudi, on tourne samedi. » On a passé des coups de fil pour que Orly-Choisy-Vitry se rassemble. Kourtajmé est venu le samedi midi et le clip a démarré comme ça. Il n’y avait pratiquement pas de synopsis mais ils avaient des idées précises sur 2-3 mecs. Ils voyaient OGB dans un grec, ils avaient imaginé une scène de fou avec Demon One… Romain avait un pote dresseur de chiens et on est allé à soixante bornes pour tourner la scène de Demon One avec les chiens. Pour le reste, l’idée était d’être super naturel. Romain voulait presque que les gens poussent le cameraman mais on lui a dit de ne pas dire ça sinon ça aurait pu mal se finir [Sourire]. En tout cas, ils voulaient vraiment faire quelque chose de dingue.
A l’époque, on n’avait pas encore signé chez Sony mais on était en pourparlers. On avait convoqué Nicolas Nardone en studio pour l’écoute de l’album et la vision du clip. Il écoute l’album pendant une heure et à la fin nous fait une tête du style « wow, il est dur le truc quand même » [Sourire]. On l’amène dans la salle de projection pour lui diffuser le clip. A la fin, il applaudit et dit « je signe ». Il était convaincu que ça allait tout péter.
D’ailleurs, c’est lui qui a eu l’idée de faire des milliers de copies de ce clip sur VHS et de les envoyer à toutes les MJC de France. De notre côté, on avait pris pas mal d’exemplaires pour nous qu’on avait distribués dans nos quartiers. Deux semaines après, tout le monde parlait du clip et de la sortie de l’album.
« Romain voulait presque que les gens poussent le cameraman mais on lui a dit de ne pas dire ça sinon ça aurait pu mal se finir. »
A : Vous avez conscience d’avoir crée une mode avec ce clip ?
M : Oui dont « 93 Hardcore » qui était plus ou moins réussi… En tout cas, on a toujours considéré que « Pour ceux » était le clip le plus fort. Après, certains sont partis dans la surenchère en tirant sur les gens mais on savait qu’on avait fait le truc en premier. Je suis très fier de ça parce que ça a servi de buzz à Romain Gavras. Je suis fier de pouvoir dire que ce clip a propulsé la personne qui tourne des clips pour Jay-z et Kanye West aujourd’hui.
A : A une époque, il y avait une alchimie particulière avec Dany Dan et cette folle rumeur d’un album en commun…
M : [Sourire] Elle existe toujours cette rumeur d’ailleurs ! On s’est revu il y a un petit mois dans le cadre de l’album Magic que je suis en train de faire et on en a reparlé. C’est quelque chose qui peut se faire très vite et il faut juste trouver le temps. A l’époque de « Gravé sur tes shoes », c’était nouveau de voir des mecs de deux groupes différents collaborer pour un titre. On en était vraiment à nos débuts et on n’a jamais trouvé le temps pour se poser dessus. J’étais un peu dégouté qu’il l’ait fait avec Ol’Kainry 5-6 ans après mais on s’en reparle dès fois et on sait qu’on peut le faire en trois semaines de temps. Aujourd’hui, ils ont retrouvé un second souffle avec les Sages Po donc il sera assez pris… Mais l’idée n’est pas enterrée [Sourire].
A : Au rang de tes grandes collaborations, il y avait aussi le morceau « Quai 54 » qui réunissait du beau monde.
M : Je suis fan de basket depuis vingt-cinq ans et j’avais envie de regrouper des gens que j’aimais bien pour parler du sport qu’on aimait et non pas de rue. L’idée était de parler de ce sport qui nous fait vibrer. Tout le monde est venu et a posé des couplets terribles.
Aujourd’hui, je suis énormément la NBA et je suis également coach de basket donc je suis encore à fond dedans. C’est ma passion.
A : Tu parlais de l’album Magic en hommage à DJ Mehdi. Est-ce que tu peux nous en dire quelques mots ?
M : C’est un projet qu’on a commencé depuis deux mois et c’est quelque chose qui me tient à coeur parce que je sais que Mehdi l’aurait fait pour moi. C’est un projet qu’on se doit de bien réaliser et qui doit d’être à la hauteur de Mehdi. C’était quelqu’un que tout le monde respectait musicalement et on se doit de faire un bel album… Parce que c’était quelqu’un qui aimait vraiment la musique. Si on sort quelque chose de moyen, ça va le desservir et on n’en parlera même pas comme d’un hommage. Les invités seront des gens que Mehdi connaissait, qui ont eu l’occasion de travailler avec lui et qui veulent lui rendre hommage.
On a commencé à enregistrer avec des gens comme Rocé, les Sages Poètes, IAM, le Rat Luciano… Ils ont tous répondu présents et on avance doucement sur la suite. Il y aura Rocca, Wallen, des gens du monde de l’électro avec Justice, A-Trak, Chroméo… Sans compter la Mafia et Kery bien évidemment. Il s’agit vraiment de rendre hommage à quelqu’un qu’on a perdu trop vite, qui a apporté beaucoup de choses à la musique et qui était la raison du succès de certains albums.
A : Comment est-ce que sa redirection vers le monde de l’électro avait été vécue au sein de la Mafia k’1 fry ?
M : Au départ, certains ne comprenaient pas mais, en ce qui me concerne, j’avais immédiatement compris ce choix. Mehdi a commencé à faire des sons en 92 et, à l’époque où il a quitté le hip-hop, il y avait déjà fait tout ce qu’il avait à y faire. Il a été à l’origine du gros succès de 113, il a fait des sons pour Ideal J, pour Intouchables, pour IAM, pour Passi, pour la FF, il a fait des remixs… En 2000, il avait fait le tour de la question et c’était aussi le moment pour lui de rencontrer d’autres personnes qui allaient l’influencer. Il est toujours resté dans le rythme du hip-hop mais il cherchait seulement à trouver d’autres sonorités.
Il m’avait dit qu’il voulait se retirer du hip-hop et faire autre chose. Il commençait à apprendre à jouer de la guitare, il commençait à changer de machines… Il y a aussi eu un tournant au début des années 2000 dans le rap qui lui a fait perdre de l’intérêt pour ce mouvement. Il voulait juste faire de la bonne musique sans se soucier du passage radio. Il était en recherche de naturel : monter sur scène, jouer des sons, prendre son pied, partir en tournée. C’est ce qu’il a retrouvé dans l’électro. Il adorait les voyages, il a pu partir aux États-Unis, au Japon, en Australie… Il s’est éclaté via la musique. Dans l’électro, il a retrouvé le côté naturel et sans prise de tête de nos débuts dans le rap. Les gens l’appelaient pour le booker en lui disant “il y a tel budget sur ton compte et vous vous en arrangez comme vous voulez”. Avec ce budget, ils réservaient les avions, les chambres d’hôtel sans que ça ne crée jamais d’embrouille.
« Dans l’électro, Mehdi avait retrouvé le côté naturel et sans prise de tête de nos débuts dans le rap. »
Il a toujours été très ouvert musicalement et il a insufflé sa culture hip-hop et ses influences dans l’électro qu’il a proposé. Il a fait son chemin jusqu’à en devenir reconnu internationalement. Sur la fin, on ne s’était même pas rendu compte que Mehdi était devenu mondialement connu !
A : Récemment, Gaspard de Justice nous disait que c’était très compliqué de faire découvrir un morceau à Mehdi tant c’était un boulimique de sons. Il a toujours été comme ça ?
M : Déjà, son père était un grand collectionneur de disques de soul et de funk et a inculqué ça à Mehdi. Très jeune, Mehdi s’est intéressé aux samples et à la rythmique. En plus, il est devenu rapidement bilingue et a eu l’occasion de voyager ce qui lui a permis d’accroître sa connaissance musicale. C’est vrai que ça a toujours été compliqué de lui faire découvrir un morceau [Sourire]. Il était calé en hip-hop, il était calé en soul et il s’est demandé comment ça se faisait que les gens aimaient autant l’électro… C’est comme ça qu’il est rentré dedans.
A : Tu avais écrit certains couplets sur Le combat continue, Zoxea t’avais déjà écrit certains textes également… C’est quelque chose que l’on voit rarement dans le rap où les rappeurs sont souvent assez protecteurs vis-à-vis de leurs textes. Comment est-ce ça se passait ?
M : Ça se faisait assez naturellement. Parfois, tu vas arriver aux limites de tes capacités sur un morceau : tu n’as pas de refrain, tu ne sais pas comment construire ton morceau… C’est à ce moment-là que tu dois collaborer. Comme je te le disais, j’avais déjà cette fibre de DA donc j’ai toujours aimé donner mon avis. Parfois Kery invitait Corona sur un morceau et, à l’époque, l’écriture n’était pas son fort. Du coup, je l’invitais à l’appart et je lui écrivais son texte. C’était aussi le cas pour Rocco, Mokobé ou Mista Flo. Je savais quel flow devait sortir sur quel morceau et comment faire en sorte que le morceau leur convienne en fonction de leurs possibilités.
De la même manière, j’arrive à me rendre compte quand j’arrive à une certaine limite. C’est pour ça que je faisais appel à Zox ou à Rocé aujourd’hui sur certains morceaux. Je sais qu’il y a des gens que je côtoie depuis des années qui écrivent très bien et je n’ai pas de problème à les appeler pour qu’ils me donnent un coup de main.
A : Rocé est également quelqu’un que tu avais chaperonné puisqu’il avait un solo sur l’album La rime urbaine de Different Teep.
M : C’est quelqu’un qui bougeait avec nous lorsqu’il était très jeune et j’ai toujours aimé son écriture qui se rapprochait parfois de la poésie. J’avais dit aux autres qu’il y avait un mec super fort avec un morceau intitulé « Respect » et qu’il fallait le faire découvrir aux gens. Mehdi a proposé de le mettre dans l’album et on l’a invité au studio un jour. Il connaissait son texte par coeur et on avait bouclé le titre en une heure.
Depuis, il a fait du chemin et a gagné un vrai public. Je suis allé le voir à son concert à la Bellevilloise et j’étais choqué parce que tout le monde connaissait ses paroles par coeur et passait un super moment… Il fait ses albums dans son coin avec son équipe et réussit proprement à vivre de sa passion.
« Le succès ne nous a jamais affecté parce que c’est quelque chose qui vient avec le travail. »
A : Quel regard portes-tu sur la génération actuelle et notamment sur les jeunes rappeurs du 94 ?
M : J’écoute de tout, que ça vienne du 94 ou d’ailleurs. Que ça passe en radio ou que ça reste underground, je vais écouter les morceaux. De la même manière que ces jeunes nous écoutaient à l’époque, je les écoute avec intérêt aujourd’hui. Il y a des trucs que j’aime et d’autres que j’aime moins… J’essaye de garder dans un coin de ma tête les personnes que j’apprécie.
Globalement, je trouve que ça met un peu moins de temps à se mettre en place qu’avant et que c’est un peu moins riche dans la forme. Je pense qu’il y avait plus de recherche avant dans les textes et dans le fond.
A : Tu es de ceux qui pensent que le rap c’était mieux avant ?
M : Non, pas du tout parce que c’est un cycle. Il y a une jeunesse qui nous a écouté et qui prend la relève mais elle n’est pas forcément moins talentueuse. Et puis la question de savoir si c’était mieux avant ne se pose pas puisque nous, les rappeurs d’avant, sommes toujours là. Si c’était mieux avant, tu arrêtes une bonne fois pour toutes et part avec tes souvenirs.
A : Est-ce qu’il y a des jeunes rappeurs avec qui tu aimerais collaborer ou qui t’ont particulièrement plu ?
M : [Il hésite] Dans les nouveaux rappeurs, je n’ai encore rien trouvé qui m’ait réellement frappé. C’est pour ça que je dis que ça met un peu plus de temps à se mettre en place. A l’époque, quand les X-Men sortaient un morceau, on prenait immédiatement une gifle.
A : On a souvent vu la Mafia comme un collectif un peu à part qui ne voulait pas se mélanger. Comment est-ce que vous regardiez les mecs de Time Bomb à l’époque ?
M : On les écoutait et on appréciait parce que c’était complètement différent de ce qu’on pouvait faire. Tant que ça ne se ressemble pas, c’est cool. On n’allait pas apprécier des mecs qui rappaient comme nous mais, là, il y avait des flows et des textes novateurs.
Aujourd’hui, on a du mal à se prendre des gifles dès la première écoute…[Il hésite] La dernière gifle doit remonter à la première fois que j’avais écouté Youssoupha avec « Éternel recommencement ». En remontant un peu plus loin, il y avait le Rat Luciano. Récemment, j’ai vu de bonnes choses mais rien ne m’a impressionné.
A : Il y a plusieurs carrières au sein de la Mafia k’1 Fry avec des trajectoires différentes. Est-ce que le succès de certains a pu affecter les relations entre vous ?
M : Le succès ne nous a jamais affecté parce que c’est quelque chose qui vient avec le travail. 113 avait travaillé et avait sa bonne étoile donc ça a fonctionné, Kery a toujours persévéré et on savait que son talent finirait par payer… Ça n’a jamais gêné qui que ce soit et, aujourd’hui, les gens sont encore là.
Après, il y a parfois eu des problèmes d’égo à gérer mais c’est logique dans les relations humaines. Je ne pense pas que ça vienne d’une forme de jalousie de certains membres. Sinon, on se serait tiré une balle dans le pied.
A : Concernant ton actualité, est-ce qu’il y aura autre chose hormis Magic ?
M : Il y aura la réédition de Manuscrit à la rentrée avec deux inédits dessus qui ont été faits il y a un moment mais qui me plaisent encore aujourd’hui. Ensuite, il y aura vraiment Magic qui va prendre du temps et qui se peaufinera petit à petit. On prévoit une sortie début 2013.
Abcdr Du Son : « Qui nous protège » était sorti en maxi vinyle avant l’album via Chronowax. Approche traditionnelle à l’époque, quasi-complètement disparue en 2012. Comment tu vis ce changement d’époque ?
Rocé : J’ai continué à suivre cette démarche jusqu’à très récemment. Après, je pense que plus on trouvera des chemins directs, avec peu de moyens, mieux ce sera. Faire un morceau, un clip et le balancer sur Internet, je considère que c’est une solution très efficace. Si le morceau défonce, ça défonce. Il n’y a pas d’histoire, de pistons, de moyens. Le côté objectif, c’est ce que j’aime fondamentalement dans l’art. La meilleure promo, c’est la qualité du morceau. À ce titre là, je trouve l’époque que l’on peut vivre extrêmement intéressante.
A : JL est le seul rappeur invité sur Top Départ – en dehors du morceau caché où figure Manu Key. Pourquoi un seul véritable invité annoncé et pourquoi JL ?
R : Sans que ce soit réfléchi, pour moi, c’était logique que mes deux invités ce soient ces deux personnes là. Quand je suis arrivé sur Paris, le premier rappeur que j’ai rencontré c’était JL. C’est un ami de longue date aujourd’hui, et à l’époque c’était l’invité classique.
Manu Key, c’est autre chose. C’est quelqu’un qui m’a appuyé et encouragé dès le début. Jusqu’à me donner l’opportunité de mettre le morceau « Respect », mon premier morceau, dans son album La Rime Urbaine. C’est un aîné et le giron dans lequel j’ai commencé à évoluer, c’était le sien. Quand je passais chez lui et que je lui faisais écouter mes maquettes, ça représentait quelque chose. Comme quand il me disait qu’un morceau défonçait et qu’il fallait que je le sorte. Venant de lui, c’était une forme de validation. Alors qu’il décide de le sortir, lui, ça allait encore au-delà de ça.
Pour ce qui est de cacher un morceau, à l’époque, c’était assez à la mode de faire ça. Ça fait un peu morceau non-assumé, mais ça n’a pas du tout été fait avec cette idée en tête.
A : Ton frère Ismaël produit plusieurs morceaux, dont « Qui nous protège ». Bosser avec ton frère ça t’a semblé comme une évidence ?
R : C’est lui qui m’a clairement mis dans le rap. Je l’ai beaucoup mimé, lui qui a toujours été intéressé par le DJing et la production. Ça m’a permis de voir comment il bossait, de toucher un sampleur très tôt. Plus que faire quelques productions, je considère qu’il a fait un vrai boulot de réalisateur sur cet album. Avec Dave1, ils ont partagé ce rôle.
« J’ai toujours considéré que faire des productions, c’est comme faire de la photo. À un moment, tu as cadré une image que tu trouves belle, si tu peux éviter de faire des retouches, n’en fais pas. »
A : DJ Mehdi produit également plusieurs titres sur Top Départ – « On s’habitue », « Ricochets ». Tu te souviens du contexte dans lequel vous aviez collaboré pour ces deux morceaux ?
R : Mehdi me faisait écouter pas mal de sons quand je passais chez lui. Mais au lieu de me faire écouter plein de trucs et de me demander de choisir, il m’orientait vers un ou deux instrus précis. Quand il me faisait ces propositions, je sentais qu’il aurait été trop déçu si je prenais d’autres sons.
Le problème quand tu es producteur, c’est que c’est dur de te créer ton propre univers quand les rappeurs ont écouté le dernier Mobb Deep et vont te demander de faire un son similaire. Cette démarche là, elle tend à effacer ta marque de producteur. Mehdi essayait de me faire comprendre ça. Il savait que j’allais aimer tel son ou tel autre, mais il m’a toujours demandé d’en prendre d’autres. Et cette démarche, j’ai toujours essayé de la respecter.
A : Tu as également produit quelques morceaux sur cet album…
R : J’ai essayé de mettre mon égo de côté quand il s’agissait de la production. J’étais déjà omniprésent sur le disque. Avec le recul, je me dis que, déjà à cette époque là, je ne ressentais pas le besoin de prouver que je savais faire du boom-bap. Je sais le faire comme tout le monde sait le faire. J’ai toujours considéré que faire des productions, c’est comme faire de la photo. À un moment, tu as cadré une image que tu trouves belle, si tu peux éviter de faire des retouches, n’en fais pas. Sinon, tu fais du zèle.
Un morceau comme « Plus d’feeling », j’ai pris le sample tel quel. Et c’est comme ça que je trouvais la prod’ bien. Et j’ai eu exactement la même démarche pour « Changer le monde ».
A : Le caractère ultra-épuré est un des traits très marquants de Top Départ…
R : Je resterai toujours marqué par certains morceaux de KRS-One, ou le « Top Billin’ » de Audio Two où le mec fait un tube sur un simple breakbeat. Ce que j’aime dans la musique, c’est aussi que tu balances une énergie. Si elle est bonne : ça marche. Sinon ça ne marche pas. Peu importe ce que tu mets dedans. Un breakbeat, un bon flow et une ambiance, parfois ça suffit. « Plus d’feeling », c’est exactement ça. Le son c’est juste un gros sample que j’ai mis à + 8.
A : « Plus d’feeling » reste un des morceaux les plus marquants de l’album. Tu as plusieurs phases très fortes, je pense notamment à « me demande pas d’être réel, je préfère sortir des phrases belles » et « j’ai beau parler au mic, putain, j’reste un beau parleur, une putain. » J’ai perçu ce morceau comme une façon de relativiser la portée et le poids réel de l’artiste. Une forme de contre-pied à cette tendance à déifier l’artiste.
R : Je considère qu’on a ici une vision très occidentale de ce que peut être la musique et un artiste. Quand un DJ joue quelque part, les gens ont tendance à le regarder au lieu de danser. Comme si c’était un Dieu. Et du coup, le DJ peut finir par être aliéné par ça et commencer à lever les bras en l’air pour être idolâtré. Tu vas dans d’autres pays, en Afrique, au Maghreb, le musicien est une personne comme les autres. Il apporte une ambiance pour que tout le monde participe. Celui qui va frapper dans les mains ou danser participe autant à l’ambiance que le musicien lui-même. Au-dessus il y a Dieu, sur terre, le musicien reste un terrien. Ici, le besoin d’icônes, de valeurs et de croyances a fait remplacer les icônes religieuses par celles du star system. Et les rapports entre la star et ses fans sont déséquilibrés, douteux. Dans « Plus d’feeling » je parle d’un mec qui fait juste son job d’artiste en France.
A : Tu dresses un constat très sombre sur ce morceau. La première fois que je l’ai entendu, je me suis dit qu’avec une vision aussi noire, tu allais faire un album et disparaître.
R : Pour revenir à « Plus d’feeling », je l’ai écrit quasiment d’une seule traite. Je me suis laissé aller par la musique et ma vision. C’est une histoire où je me suis mis dans la peau de quelqu’un d’intégré. Quelqu’un d’intégré au système qu’on lui propose. Quelqu’un qui joue de son petit statut d’artiste pour se valoriser. Dans les années cinquante, quelqu’un qui avait un fort caractère, quelqu’un de droit et de solide c’était quelqu’un qui ne se laissait pas aller a ses émotions. A partir des années soixante-dix, c’est devenu tout à fait l’inverse. Jusqu’à aujourd’hui. De Gainsbourg à Joey Starr, ce que les gens kiffent chez ces artistes c’est qu’ils mettent en avant leurs humeurs. Plus ils vont jouer de ça, plus les gens vont kiffer, les respecter et les considérer. Notre société est très perverse, et dans le voyeurisme elle en demande toujours plus.
C’est ce que je veux dire quand je dis « C’est sexe et drogue qui me rend down, et a tout le monde je daigne parler avec de la poudre dans l’zen, j’aurai cru qu’ça aurait déplu, mais j’les entends dire qu’ça fait in, ça leur mystifie leurs artistes au public et aux magazines« .
Joey Starr, Gainsbourg, Johnny, tout ça ce sont des gens qui font rêver, t’aimerais toi aussi pouvoir dire « je vous emmerde » en te levant tous les jours. Mais non, tu te lèves tôt, tu vas bosser et tu fermes ta gueule. Donc tu fantasmes sur eux. Eux c’était pour de vrai quand ils étaient ados, mais maintenant c’est un spectacle bien rôdé qu’ils t’offrent parce que tu t’y attaches. Ils le font sans feeling. Et surtout ils ne comprennent pas pourquoi tu les trouves surhumains et dignes. C’est toi, avec une famille, des mômes et un boulot qui est courageux. C’est toi qui es digne. Drôle de monde, drôle de société dans lequel on vit. Voilà ce que j’ai ressenti en écrivant « Plus d’feeling ».
A : Tu as fait trois albums, et tu prépares en ce moment le quatrième ?
R : Oui, en ce moment, je suis sur Gunz N’Rocé. Prévu pour 2012 aussi. Cet album, ce sera avant tout beaucoup d’énergie et le plaisir de rapper. Tout simplement. Comme dirait JL : « relax, c’est que de la musique. »
A : La démarche que tu décris là, s’annonce à l’opposé de ton deuxième album qui pour le coup allait très loin dans la réflexion, dans le contre-pied.
R : J’ai senti le besoin de faire ce deuxième album, Identité en crescendo. Par contre ce que je fais une fois, je ne le répète pas. Si je devais faire un constat sur ma courte carrière, c’est que je ne sors pas un album tous les ans. Du coup, à chaque fois que j’en sors un, et que je pars dans un style différent, j’entends les gens dire que je me suis enfermé. Le free jazz, c’était un délire. Après, j’ai eu envie de partir sur autre chose. Tu sais, je suis comme tout le monde, ma discographie c’est un voyage à travers différents styles. Et du jour au lendemain, tu peux partir sur un nouveau style. La cohérence là-dedans, c’est que j’ai toujours essayé d’être moi. Je considère que c’est la seule manière d’accéder à la longévité dans la passion qui t’anime.
En 2001 son maxi Qui nous protège (incluant les titres ‘Qui nous protège’, ‘Le dernier des derniers’, ‘Plus d’feeling’) avait déjà plutôt bien préparé les foules en délire à ce qu’allait être l’album de Rocé…. Top départ. Intro sobre, pas de temps mort, la rythmique lourde installe l’ambiance sans fioriture sur fond de scratches « top départ« , « top départ« , « top départ« … Un démarrage sur deux minutes, qui laisse ensuite juste le temps à des cuivres pharaoniens d’ouvrir la route à Rocé pour le premier morceau : « Je pars sur les chapeaux de roue, les pieds dans la grosse boue, nerveux, distant mais toujours prêt à aller au bout… »
Pour qui ne le savait pas encore, le concept est clair : un beat net, une basse ronde, occasionnellement des scratches, le tout parsemé ci et là de samples se fondant dans les ambiances épurées de tout artifice superflu. C’est sur cette base que Rocé délivrera ses textes qui, à l’image des instrumentaux, ne s’embarrassent pas trop des clichés rapologiques et autres formules inutiles qui polluent le rap français. Tous les titres suivront à peu près cette ligne de conduite jusqu’à la fin de l’album, lui conférant ainsi une certaine légèreté mais également un côté parfois excessivement austère. Cette sobriété n’est d’ailleurs pas sans rappeler le premier album de Rocca (Entre deux mondes) dans un genre différent bien sûr.
Au fur et à mesure des morceaux, Rocé bâtit son édifice patiemment, instaurant diverses ambiances : tendue comme sur ‘Pire que la fiction’ ou ‘Le dernier des derniers’, teintée d’amertume sur ‘On s’habitue’ ou encore planante comme sur l’instrumental ‘Ça se passe dans l’espace’. Pour ce qui est de l’esprit global de cet album, on peut dire que sa caractéristique première est principalement sa positivité, en particulier avec des titres comme ‘Changer le monde’, ‘Qui nous protège’ ou encore ‘Dix sur dix’. Positivité toujours consciente de l’état de notre société, des mentalités qui y sévissent, mais positivité malgré tout, qui résiste à tout aigrissement. C’en est d’ailleurs la composante remarquable. Car encore une fois, le disque reste très sobre, aucun dérapage racaillesque, aucune complainte pleurnicharde, bref Rocé maintient son discours intact dans sa cohérence. On retrouve ‘Qui nous protège’ avec un certain plaisir, notamment du fait de la bonne prestation de JL (le seul featuring de l’album, en plus de l’invité surprise). Le titre sur lequel le MC se démarque le plus semble néanmoins être ‘Pour l’horizon’. Instru musical très bien mis en place, où une certaine symbiose est atteinte entre le flow, le texte, le beat et les samples. C’est là un des meilleurs titres du disque. ‘Pour l’horizon’, ainsi que ‘Ricochets’ étaient en fait déjà sortis en 1998 sous forme de maxis. Et puis enfin, l’album s’achève sur ce qui ressemble d’avantage à un track de St-Germain qu’à autre chose. ‘Plus d’feeling’ pourrait également faire penser à ‘Good morning heartache’ de Ol’Dirty Bastard, mais sur un instru de cet acabit, limite parodique, poser un texte au premier degré sérieusement comme le fait Rocé, peut friser l’autoparodie, bien que l’originalité de la démarche soit tout à son honneur.
En conclusion, le disque est loin d’être désagréable, et à défaut de « changer le monde » il apporte indéniablement une touche de fraîcheur à nos oreilles. Musicalement, un certain aboutissement est atteint en dehors de toute extravagance, le flow un peu monocorde de Rocé pouvant toutefois lasser au bout d’un moment. En somme, un opus attendu en 2002 qui à défaut de révolutionner le genre apporte sa pierre à l’édifice du rap français.