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Quand contact est pris avec Rimcash, il nous annonce qu’il prépare son prochain EP, Système Polaire, un titre parfaitement adapté au froid glacial qui couvre la région parisienne en ce mois de novembre 2018. Rendez-vous est donné sur les rives du canal de l‘Ourcq côté Pantin, au Dock B, vaste bar-restaurant qui se veut lieu de convergence culturelle pour les pensionnaires gentrifiés des environs.

L’homme est discret, un peu méfiant même quand il faut se lancer dans le jeu des questions-réponses. Pour autant, Rimcash avance à visage découvert : le repère à bobos est son lieu de travail, il y est responsable du bar. Là où nombre de ses collègues préféreraient sûrement voir leaker une photo d’eux à poil plutôt que de reconnaître avoir un travail salarié, Rimcash a passé l’âge de raconter des salades (si tant est qu’il l’ait jamais eu). Il a suffisamment inspecté les recoins de son âme pour savoir de quel bois il est fait, il connaît ses qualités et ses défauts : qui l’aime le suive, et tant pis s’ils sont peu nombreux.

Découvert avec ses aventures Mothafuckamook (en duo avec son compère de toujours Didaï) puis mis en lumière sous la bannière du crew tentaculaire La Fronce avant un premier album solo, celui qui a pourtant des “ambitions de géant dans un corps de lutin” est désormais père de famille. Ses priorités ont changé mais après quelques années à se faire discret musicalement, Rimcash fait son retour en début d’année 2018. Quelques Fuites avant les douceurs de Donuts, cette fois c’est avec une trap polaire que le MC originaire de Montreuil (décidément !) se rappelle à notre bon souvenir.


Abcdr du son : J’ai trouvé assez peu d’interviews de toi, c’est un exercice qui te déplaît ?

Rimcash : À l’époque, on était une grande équipe, on avait des gens comme Grems ou Greg Frite qui étaient déjà dans le rap depuis un moment. On savait pas trop ce qu’on faisait : on faisait des clips parce qu’on avait des mecs qui nous sollicitaient, maintenant c’est un peu plus calme, les choses sont retombées… et puis j’ai arrêté le copinage aussi. Aujourd’hui il faut savoir se vendre et moi je suis pas un commercial tu vois, je sais pas trop me vendre. Après quand on m’appelle, je réponds à l’invitation avec plaisir mais je suis pas à la recherche de ça. Il y a des mecs qui passent leur temps à chercher des interviews, des featurings… Il y en a qui font ça bien, comme Sofiane que j’aime bien d’ailleurs : il a fait son truc, il charbonne, il est pas égoïste, c’est bien. Ou Demi Portion, à une autre échelle, lui c’est de l’indé.

A : On t’a découvert avec Didaï vers 2012 avec vos premiers clips et morceaux. Il y a eu quoi avant ?

R : On a commencé vers 2010 avec la vague des Nekfeu, A2H, etc. Des gens comme Greg Frite ou Grems sont venus se greffer à nous parce qu’on faisait du rap qui sortait un peu du rap de tous les jours et ils pouvaient plus s’y identifier, eux qui étaient déjà un peu chelous dans leur délire. Avec Didaï, on rappe depuis 1998. Je faisais mon truc dans mon coin, j’en avais rien à foutre, j’avais un bar-tabac à mon nom, je taffais 7 jours sur 7, je faisais de l’argent. J’en avais rien à foutre du rap. J’en faisais de temps en temps, quand je m’ennuyais au quartier. Après six ans dans mon café, ça m’a saoulé, j’avais d’autres problèmes et je l’ai vendu. Tous mes gars me disaient “Tu fais quoi maintenant ? Rien ? T’as un peu d’argent, ben vas-y fais du rap, on va voir”. Alors on a fait du rap, on a fait un clip “Mothafuckamook” sorti de nulle part, sans attaché de presse ni rien du tout et on a fait tout de suite des milliers de vues. On a commencé dans la chambre de Didaï : on s’est dit qu’on allait faire un clip, un vrai morceau, un vrai projet et qu’on verrait bien. On est vraiment partis au petit bonheur la chance, c’était le bon moment, la bonne alchimie. On a lancé le clip, j’avais même pas de compte Facebook, j’en ai créé un que parce qu’on me disait que ça serait bien que j’ai un endroit pour faire tourner mes sons… De là, Dabaaz a posté le clip et on m’a contacté de ouf. On s’est mis à faire des 5 000 vues par jours, ce qui était beaucoup à l’époque, alors qu’on était personne.

A : Comment vis-tu cet engouement immédiat du public ?

R : Pour moi, c’est un cadeau, un don de Dieu. Tu demandes rien, tu fais ton petit truc dans ton coin, tu mises pas là-dessus et ça te tombe dessus… c’est bien ! Avec le recul, je me dis qu’on a fait des concerts en Belgique, en Suisse, on a fait presque le tour de France, c’est bien, c’est de l’expérience. On a tapé des bons délires, y a eu des trucs moins cools aussi mais avec 8 ans de recul, tu peux que te dire que c’est cool, que c’est bien, ça nous a apporté des choses.

A : Tu as toujours fonctionné avec Didaï apparemment…

R : Didaï, c’est mon ami d’enfance. C’est lui qui m’a plus ou moins mis dans le rap. Un jour, il s’est acheté un logiciel pour faire des instrus, il a commencé à en faire et il s’est mis à écrire des textes, il rappait, il chantait… C’était en 2000 ! Je me suis mis à gratter un peu et puis ça a donné ce que ça a donné.  De toute façon, le rap c’est une passion avant tout. Snoop, il nous a niqué nos vies en 1993. On avait 11-12 ans, j’écoutais Naughty By Nature, des trucs comme ça mais c’était pas encore le truc. Doggystyle est sorti, c’était… le choc. C’était de la musique, c’était plus seulement des boom baps avec des mecs qui font du slam.

A : Vous sortez les premiers clips avec Didaï, un petit buzz se crée. Quelle est l’étape suivante ?

R : Après les deux EPs Mothafuckamook, pas mal de gens nous contactent et on se constitue une petite team. Greg Frite nous contacte aussi à ce moment-là et on réalise deux EPs avec lui, sous le nom de Djunz. Il devait y en avoir un troisième mais il n’est jamais sorti et ne sortira jamais parce qu’il y a eu des tensions avec Greg Frite.  Comme Greg connaissait plein de gens, il nous a emmenés dans plein d’endroits, fait rencontrer plein de gens. Des affinités se sont créées avec d’autres… et ça a donné La Fronce.

A : En tant que public, on a ressenti qu’à un moment donné, partout en France, émergeaient des rappeurs qui étaient dans un délire un peu différent, pas forcément “hardcore”, et que c’est cette volonté de proposer autre chose qui vous a réunis naturellement…

R : C’est exactement ça. Grems et moi avons beaucoup fait pour créer La Fronce. Greg apportait sa sagesse, c’était l’ancien. Avec son expérience, il a su mettre des règles dans le truc parce qu’avec Grems et moi, c’était un peu compliqué. [Rires] Le noyau dur de La Fronce, autour duquel tout s’est construit, c’est PMPDJ (Pour Ma Paire De Jordan, composé de Grems, Starlion, MiM et NT4000), Set & Match, Djunz et Kussay.

A : Est-ce qu’on peut considérer “Hummer” comme le morceau fondateur de La Fronce ?

R : Je ne sais pas, je ne l’ai pas vécu comme ça… Après s’il fallait dater le truc… J’avais pas vu ça comme ça mais c’est vrai que c’était un hymne. C’est pas faux en tout cas.

A : Vous étiez extrêmement nombreux à un moment donné, vous vous connaissiez tous ?

R : Pas du tout. Il y a des mecs, comme Lexxcoop, la première fois que je les voyais c’était au concert de La Fronce à la Machine du Moulin Rouge. À ce concert, j’ai pu rencontrer énormément de gens que je n’avais jamais vus, c’est là que j’ai rencontré Rif et l’équipe de Perpignan. Depuis, lui et moi on ne s’est jamais lâchés, c’est mon gavars sûr !

A : Tu disais avoir fait beaucoup de concerts, je me souviens que Set & Match avaient fait la première partie de Freddie Gibbs et que vous aviez déboulé sur scène…

R : Il était tellement chaud ce concert ! Gibbs fumait des gros pétards, il a embrouillé son DJ après un mauvais enchaînement : “Qu’est-ce que tu fais enculé ?” [Rires] C’était caillera, c’était chaud ! Pas de backer, torse nu, le mec a du débit en plus, il a enchaîné pendant 1h30, il était trop chaud !

« On avait un bon noyau et j’étais trop chaud pour monter une équipe qui pèse, un nouveau Time Bomb, une Mafia K’1 Fry, un Secteur Ä. »

A : Quels sont tes meilleurs souvenirs de cette époque ? Quand tu parles de La Fronce, tu t’allumes, on sent que ce sont de bons souvenirs…

R : Je kiffe et en même temps je suis déçu. Là on parlait des bons côtés mais moi, ce que je reproche à La Fronce, c’est que tout le monde s’en est servi pour faire du buzz, n’a pensé qu’à sa gueule pendant que moi je m’étais vraiment investi avec quelques autres. Il y a des dissensions qui arrivent, tu connais. Tu te retrouves dans un groupe avec 45 personnes, ça fait resurgir des trucs. Y en a deux qui s’embrouillent… après les choses sont plus pareilles, etc. Tout ça est parti de Grems et moi. On a beaucoup parlé tous les deux et je lui disais “Je suis trop chaud pour monter un nouveau Time Bomb, une Mafia K’1 Fry, un Secteur Ä”, devenir une équipe qui pèse dans le pe-ra. On avait un bon noyau, il y en avait pour tous les goûts, on bougeait aux radios ensemble, quand un faisait un clip les autres étaient là… Y avait vraiment un bon truc.  Ensuite chacun veut ramener des gens. Les mecs commencent à dire “hey mais si lui a ramené lui, pourquoi je ramènerais pas un autre gars ?” et tu te retournes après deux mois, y a 50 personnes. Avec plein de gars que tu connais pas et encore pire, des fois, des mecs que t’aimes pas. Comment tu veux être fier de représenter ton équipe ? Avec les dissensions, les choses se sont essoufflées naturellement. Quand je me suis rendu compte que plein de gens n’étaient plus investis, j’ai arrêté de m’investir aussi. Avec le temps, le truc est mort dans l’oeuf. On a fait le concert qui était vraiment un truc de ouf, et voilà. Après tout le monde s’est mis à ne penser qu’à sa gueule, ils ont arrêté de représenter La Fronce et c’était fini.

A : C’était à quelle époque ? 2013 non ? Au moment de la sortie de ton album solo. On sent la déception dans certains titres, que c’est une période compliquée…

R : Je suis un sentimental. J’aime les gens. Et plein de gens ne m’aiment pas en fait. [Rires] Mon album, ça a été une autre épreuve. D’un côté ça s’est bien passé, on n’a pas perdu d’argent, je n’ai pas pris des millions mais j’ai touché un beau chèque et c’est cool tu vois. Mais avec ce qui se passait, j’étais un peu déçu des gens, je me disais “si c’est ça la musique, j’ai pas trop envie d’aller là-bas.” Je préfère aller taffer, au moins avec les gens bourrés je sais à quoi m’en tenir. [Rires]

A : Quand j’écoute l’album, je suis frappé par les choix musicaux. Tu sortais de Djunz, La Fronce avec un son assez “moderne” qu’on retrouve par touche seulement sur “Vie d’ordure”. Il y a des morceaux très “classiques”, très rap français…

R : Je sortais d’une période musicale avec plein de couleurs, là c’est vrai que c’était plus sombre. J’ai voulu prendre les gens à contre-pied, qu’ils m’entendent sur des sons auxquels je ne les ai pas habitués. C’est là l’intérêt du truc aussi à mon sens. Cet album, j’aurais dû le sortir sous “Karim” [son prénom, NDLR] plus que “Rimcash”. Cet album c’est vraiment moi, ce que je suis, ma vie d’homme, mes galères, mes kiff. Musicalement, j’ai essayé de faire tous les raps qui m’inspirent, que j’aime bien. J’ai essayé d’en faire pour tout le monde… en fait non c’est même pas ça, c’est que dans ma tête on est plein et je l’ai fait pour moi. J’ai fait tout ce qui me tenait à cœur de faire.

A : Je l’ai raté à sa sortie. Tu l’avais sorti dans quelles conditions ?

R : J’ai eu de la promo de ouf ! J’ai fait toutes les radios à part Skyrock, j’ai eu ma double page dans Le Monde, j’ai eu des articles dans 20 Minutes, les Inrocks… À l’époque où l’album est sorti, dans le paysage il y avait plein de trucs et il s’est peut être un peu perdu dans la masse. Mais j’ai eu ma promo, ma mini-tournée… c’est pour ça qu’on a pu gagner un peu d’argent d’ailleurs.

A : Tu disais être sensible, ça se ressent dans ta musique. Comment se passe le “service après-vente” avec le public ou les médias ? Aborder certains thèmes comme un exutoire est une chose, qu’on vienne te parler de ces choses intimes en est une autre…

R : J’ai toujours eu de super retours par rapport à ça. Même des meufs surprises qui me disent : “Ah mais t’as un cœur et tout.” [Rires] Je suis pas un dalleux, je serai jamais un dalleux… Déjà y en a trop, si tu veux te démarquer, faut pas être un dalleux. Mais c’est bien, il en faut pour tout le monde, ça permet de se comparer, de se rassurer, de te rendre compte à quelle hauteur tu es. [Rires] À la base, il devait y avoir deux fois plus de sons dans l’album, j’ai beaucoup coupé. Je n’ai gardé que ceux qui avaient le plus d’importance pour moi. Il y a des morceaux comme “C’est dégueulasse mais ça déchire” ou “Divertissement” qui avaient au moins cinq ans quand l’album est sorti. Et à coté de ça, t’as “Bang bang” avec Naï que j’ai enregistré la veille du master. J’avais mon album mais j’avais pas de feat avec Naï : c’était pas normal. Je sais qu’il aurait compris qu’il y ait pas de morceau avec lui sur l’album, il a vu le cheminement de l’enregistrement mais c’était pas possible. J’étais chez Didaï, on faisait les dernières modifications sur un son, la date du master était bookée pour deux jours après, impossible de la bouger. On finit notre session et Didaï nous dit qu’il a fait une prod : on écoute, on la veut. On sort de chez lui, chacun à ses trucs à faire. Le lendemain on s’appelle : chacun avait son texte, on avait un refrain, on est partis poser, ça a été mixé dans la foulée et “Bang bang” est parti au master avec le reste. Je suis content de ce que j’ai fait sur ce disque. Quand il fallait choisir les titres, Didaï m’a dit « c’est ton album, c’est la trace que tu vas laisser dans le futur” et ma manageuse de l’époque m’encourageait à en écarter certains parce qu’il y avait déjà un son de la même couleur. Au final, je trouve qu’on a fait un bon truc. La pochette c’est Grems qui l’a faite : cet album, je ne l’ai fait qu’avec ma famille.

A : Ce sont les mêmes qui sont toujours les mêmes aujourd’hui non ?

R : Plus vraiment. Il n’y en a même plus beaucoup. Il reste Didaï, on est menottés lui et moi. [Rires] On se connaît depuis qu’on a 10 piges, en sixième au collège. On se voit moins, on a tous les deux une petite fille, on taffe, on habite à l’opposé mais on se parle toujours. C’est des gens que je vois peut-être moins au quotidien mais ça reste des bons bougs.

« Aujourd’hui, ne pas faire trop de buzz, c’est quelque part une volonté sans en être une.  »

A : Après l’album et jusqu’à début 2018, plus trop de traces de toi…

R : Je n’ai pas très bien vécu la sortie de l’album, ça ne se passait pas très bien avec ma manageuse, elle m’envoyait au casse-pipe, je n’aimais pas trop ça. Je voyais des gens autour de moi devenir jaloux donc j’ai fait une pause. Et ça a coïncidé avec une période où j’ai aussi eu des soucis dans ma vie personnelle. Mais j’ai continué à faire du son. On a sorti deux EPs Shish & Skonk avec Naï, il y en a un troisième qui n’est jamais sorti et ne sortira jamais non plus. [Rires] J’ai fait des trucs qui n’ont pas rencontré le même succès… mais Shish & Skonk, c’était engagé, c’était un risque. Déjà tu ne parles qu’aux fumeurs donc tu te coupes d’une partie du public. J’ai eu plein de messages qui me disaient que ça déchirait et plein de messages pour me dire “ça pue, arrête de me saouler avec ta drogue, parle-moi d’autre chose, j’aime bien quand tu me parles aussi d’autres choses”.  C’était de toute façon un projet éphémère, un goodies pour l’été. Déjà, les deux EPs sortis c’était des faces B, ça te limite dans les possibilités d’exploitation de sons, les tournées… Après on a fait un super EP qu’on a tellement taffé qu’à la fin, j’en pouvais plus. J’entendais plus rien, ils changeaient la basse, le charley… Des fois au mixage, ils me changeaient l’instru frère ! Tout ce qui était derrière passait devant, ce qui était devant passait derrière, ça te change complètement ton morceau ! J’ai été obligé de dire au gars “hey gros, on t’a pas demandé un remix, on t’a pas demandé de faire le créateur”. Au bout d’un moment, j’ai craqué. En plus, ma fille est née en 2015 donc à partir de là, les priorités changent. J’avais emmagasiné plein de sons mais après sa naissance, je m’en battais les couilles du rap, c’était le cadet de mes soucis. Surtout me prendre la tête à faire la promo, etc.

A : Sur Fuite, tu dis “Faire un EP j’étais pas trop pour”. Qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis ? C’était quoi la motivation derrière Fuite ?

R : On était avec quelques gars, on tapait un délire, je suis parti en freestyle et on s’est dit que je pourrais en sortir un de temps en temps, comme ça… Des fuites quoi. C’était histoire de me rappeler au bon souvenir des gens, leur dire que je reprenais un peu du service. C’était pour faire patienter avant de sortir un EP mais je trouvais pas trop ce que je voulais faire, c’était plus une compile qu’un EP… Au final, je me suis retrouvé avec 7 titres et on a décidé d’appeler ça Fuite parce que c’était déjà le titre de quelques freestyles qui étaient sortis. C’était plus un package de sons alors que Donuts, il y a un vrai concept.

A : D’après ce que tu disais sur tes premières amours musicales, Donuts, ton EP sorti été 2018, c’est finalement un retour aux sources !

R : Donuts, c’était l’occasion de refaire du son ensemble avec Didaï, ça faisait longtemps. Lui, il ne rappe plus, il n’a plus trop le temps et je crois que ça le fait chier mais il fait toujours des prods. C’est lui qui est venu en me disant “je t’ai fait un petit pack west coast, il faut que je te l’envoie”. J’ai écouté et c’était que des balles : sur les 10, on en a fait 7 morceaux. La première que j’ai écoutée, c’était la prod de “Friendzone”. La deuxième c’était l’intro… À chaque nouvelle prod, c’était chaud. Didaï a proposé qu’on fasse un petit EP, vite fait. ça nous a pris trois mois pour le faire, grand max. Une fois que c’était prêt, j’ai décidé de le sortir, sans promo, à l’arrache.  Aujourd’hui, je m’en bats les couilles du rap. Tu as vu où on est, j’ai pas besoin du rap, je gagne ma vie. Mais je continue à faire du son. Dans mon laptop, j’ai encore des balles qui dorment. Je vais d’ailleurs commencer à lâcher les inédits : il y a un nouveau EP qui va arriver très prochainement dans l’hiver. Je pourrais le sortir maintenant, à l’arrache, comme je l’ai fait pour les deux derniers, il est prêt. Mais je pense qu’on va prendre un peu plus de temps pour celui-là parce qu’il y a des vrais bons sons. Mais bon, en vrai, je m’en bats un peu les couilles de la promo. Le fait de faire partie de cette génération qui a émergé en 2010, ça m’a donné un mini package de gens qui m’écoutent et pour l’instant, ça me va. J’ai pas envie d’aller trop trop loin dans le rap aujourd’hui : aujourd’hui j’ai une petite fille, faire des concerts à Rennes, à Lyon, à Montpellier toutes les semaines… je ne peux plus ne pas être là tous les week-ends. Quelque part, c’est une volonté sans en être une, de ne pas faire trop de buzz, je ne pourrais pas l’assumer derrière. Ou au détriment de certaines choses qui vont me coûter. C’est pas vraiment l’intérêt du truc. Après, je fais du son, à un moment donné il faut que je le partage. Normalement je donne tout gratuitement tellement je m’en fous mais on m’a convaincu qu’il fallait que ma musique soit payante. J’ai eu des discussions à ce sujet, notamment avec Starlion qui a su trouver les arguments qui m’ont convaincu. Et puis c’est la moindre des choses en fait : aller en studio, faire des masters, ça me coûte de l’argent aussi alors on fait payer les projets juste pour ne pas perdre de thunes.

A : Sur “Tchin Tchin”, Driver réarrange son mythique refrain de “Aïe Aïe Aïe”. C’est une idée de toi ?

R : C’est Didaï ! Il avait fait la prod, il l’a contacté, Driver était chaud. Didaï m’a fait une dinguerie d’ailleurs. Il m’appelle pour me demander si j’ai mon texte, j’avais pas trop le temps, il me dit qu’il comprend. Il me rappelle 30 minutes plus tard pour me dire qu’il a booké le studio trois jours plus tard. J’ai fini mon texte pendant qu’ils posaient, je ne pas l’ai posé super bien… Je suis revenu le lendemain, je ne pouvais pas laisser ça comme ça, il y avait des erreurs, c’était pas possible. [Rires] D’ailleurs, c’est les 20 ans de la sortie du premier album de Driver, Le Grand schlem. Il donne grave de la force, ce que je kiffe c’est qu’il est parti à fond dans le délire autotune, j’ai vraiment kiffé ! À la base, ce morceau était pour un EP intitulé Nuits Blanches sur lequel on bossait avec Didaï et qui ne sortira jamais. [Rires] On a laissé tomber le EP mais vous entendrez tous les morceaux sur d’autres projets. Sur les 7, 6 sont sortis et le dernier, “La fin du film” sera sur le EP qui sortira cet hiver. Comme “Tchin Tchin” et “Friendzone” sonnaient vachement westcoast, je trouvais plus cohérent qu’on les retrouve sur mon EP, ça collait plus musicalement.

A : Le personnage d’Anakin [Skywalker, père de Luke et futur Dark Vador, NDLR] revient souvent dans tes morceaux. Qu’est-ce qui te plaît chez lui ?

R : C’est pas qu’il me plaît c’est que… c’est mes amis proches qui m’appellent comme ça, parce qu’ils trouvent que je ressemble beaucoup à Anakin. Je suis Anakin mais je suis pas Dark Vador, Anakin qui a le seum au fond de lui et qui se bat contre. Je suis pas trop celui qui revient vers la lumière à la fin, je suis plus celui qui se coupe la main au début. [Rires] C’est mon caractère : j’ai un grand cœur et quand je vois des choses que je n’aime pas, je prends le seum direct. Très violemment. Je n’aime pas les injustices… Je peux me pé-ta avec des keufs pour un truc pas juste tu vois. Pour une connerie, mais parce que ce n’était pas juste ça m’aura rendu fou. “C’est pas Coubertin ce que t’as fait frère, t’as pas rendu la balle”, des trucs comme ça, ça me rend ouf. C’est aussi pour ça que… tranquille la musique. Je partage mes petits trucs, si ça vient pas, tant mieux, quelque part ça m’arrange. Pour moi c’est plus un exutoire. Je me lâche quand j’ai besoin de me lâcher, je fais mes morceaux “Vie d’ordure” et après je suis content.

« Je fais ça à la sudiste : pas trop vite le matin et doucement l’après-midi. Je m’en bats les couilles, les sons sont coffrés.  »

A : Sur le prochain EP, il y a un concept comme il y avait pour Donuts ou ça se rapproche plus de la compile comme Fuite ?

R : Ça sera de la trap glaciale. Ça va s’appeler Système Polaire et ça sera produit par Gizzle à l’exception de deux morceaux produits par Didaï. Je vais bientôt rentrer en studio… J’ai déjà pas mal de singles mais sans cohérence, c’est plus “les Rimcash compiles”. La suite, on verra, selon l’envie. L’hiver dernier, de septembre à décembre, j’ai fait plus ou moins les 3 EP. J’ai commencé par enregistrer Fuite, puis Système polaire et je me suis dépêché d’enregistrer Donuts pour que ça soit prêt pour l’été.  Je dois sortir des clips mais ça traîne un peu. [L’interview est réalisée en novembre 2018, NDLR] Là, c’est un problème technique, on a tout sur l’ordi de mon gars mais son Mac a cané. Il vient juste de récupérer un ordi, je dois lui renvoyer le master du son parce qu’il ne l’a même plus… J’ai déjà commencé à clipper pour des titres de Système Polaire. Pour Donuts, le clip de “Friendzone” arrive, c’est un de mes morceaux préférés, le premier que j’ai fait pour le EP. Le refrain est sorti direct quand j’ai écouté la prod. Comme je me suis installé de quoi enregistrer chez moi, j’ai posé direct. Et il y aura un clip pour “Nuits Blanches” aussi. Mais bon, comme je te disais, je suis pas trop dans la promo. Je fais ça à la sudiste : pas trop vite le matin, doucement l’après-midi. Je m’en bats les couilles, les sons ils sont coffrés, quand on veut clipper on clippe, on se fait plaisir. Il y a des choses qui vont continuer à arriver jusqu’à l’été prochain. Dans l’idéal, on sort un autre petit EP cet été.

A : Qu’est-ce qui te motive encore ? Tu ne veux pas vraiment que ça explose, tu n’as pas envie de partir en tournée…

R : C’est un exutoire ! Je suis quelqu’un qui ne parle pas beaucoup, quand je fais mes morceaux, je me lâche, ça me fait du bien. C’est un peu ma thérapie, c’est comme si j’allais chez un psy pour m’allonger sauf qu’à 70 balles la séance, je préfère payer le studio ! [Rires] Ça fait des années que j’enregistre dans le même studio, on se connaît bien maintenant, ils sont cool avec moi. Greg, l’ingé son, sait tellement bien comment je taffe que parfois j’ai même pas besoin d’être là pour mixer. On s’est pris la tête, ça a pris deux ans pour qu’on se comprenne bien mais maintenant je lui donne des pistes, il me les mixe en deux heures. Équipe resserrée mais fiable. Je ne parle plus avec personne. J’ai Chino avec moi, Mouky et Le Huss pour les vidéos, j’ai mon studio, merci au revoir. T’as pas tellement besoin de grand-chose de plus en fait. Et pour ce qui est de la promo, si un jour je décide d’en faire, j’ai deux trois contacts, on les paie et ils nous font la promo. Je fais ça sans prétention.

A : Avec la dématérialisation de la musique, est-ce qu’un artiste comme toi arrive à gagner de l’argent ? 

R : Ouais, un peu. Vraiment un tout petit peu. Je ne compte pas vraiment dessus, je n’ai même pas été voir combien avait rapporté Donuts. Didaï m’avait envoyé que le premier jour on était 32e au top iTunes, ça veut dire qu’on a dû en vendre quelques uns. Après, c’est sorti un 31 août, il devait pas y avoir grand-chose ce jour-là, t’en vends 50 t’es premier. [Rires] Ce que ça rapporte, ça paiera un clip ou les prochaines séances de studio.

A : Vous avez assez mal éduqué votre public en mettant la plupart de vos projets à disposition gratuitement, non ?

R : Oui et non. Le deuxième Djunz était payant, Vie d’ordure était payant. On n’a pas fait que des trucs gratuits. On était dans une époque délicate, est-ce qu’il faut faire payer ou pas ? Ça dépend de comment tu abordes le trucs, si tu veux vendre des concerts, du merchandising… Aujourd’hui, je me dis que tout travail mérite salaire, j’ai taffé sur mon EP : achetez-le les gars. Quand bien même vous pouvez ou voulez pas l’acheter, il y a des plateformes de streaming, vous pouvez l’écouter là-bas. Un artiste, il se prend la tête. Des fois, je galère sur un texte, à la virgule près, remplacer un mot que j’aime pas par un autre que je trouve pas, parfois je passe une journée entière sur une phrase à me prendre la tête. “Wesh Saïd”, je l’ai pas écrit sur l’instru qui est sur Donuts. C’est moi qui l’ai créée avec ce que j’imaginais, qui ai dit quel élément isoler pour que ça pète… Toi quand tu as posé ton couplet à l’origine, c’était pas ça le morceau. Depuis, il y a eu des edits, des arrangements, c’est une science. Il y a des mecs qui sont payés uniquement pour faire ça tellement c’est compliqué.  Donc à un moment donné, il faut que tu t’y retrouves un peu. 1€ le son, je trouve pas que ça soit une folie, c’est abordable par tout le monde. Maintenant, tu peux écouter la musique sans compte… Aujourd’hui la musique ne coûte plus rien à personne, sauf à ceux qui la font. Je veux juste pouvoir rentrer dans mes frais, si le public joue le jeu, ils me permettent de continuer.

A : C’est le moment de la question de vieux : pas de sortie CD pour aucun de tes projets ?

R : C’est fini le CD ! Il aura duré moins longtemps que la cassette non ? Chez moi, si j’avais pas la Playstation, j’aurais rien pour lire un CD ou un DVD. Il faut vivre avec son temps, si aujourd’hui les gens écoutent la musique en streaming, il faut te rendre disponible sur ces plateformes. Si t’es utopiste et que tu continues à espérer vendre du CD, tu vas te casser la gueule. Toutes les évolutions ne se font pas forcément vers le meilleur mais t’es obligé de t’adapter. On m’aurait dit il y a 5 ans que des gars feraient des disques d’or en équivalent streaming, j’aurais rigolé !

Note de la rédaction : Suite à la première publication du 14 décembre 2011,  Grems a souhaité, pour des raisons personnelles, que certains de ses propos soient finalement retirés. La version que vous vous apprêtez à lire a donc été éditée.

Ce sont peut-être les années qui passent mais il est vrai que l’on commence sérieusement à radoter. Si je vous dis qu’au sein de notre rédaction, nous regrettons sincèrement de ne pas avoir le temps d’aller à la rencontre de tous les artistes qui retiennent notre attention, vous aurez fatalement le sentiment d’avoir déjà lu ça au détour d’une news ou d’une de nos chroniques. Les journées étant trop courtes et nos agendas trop remplis, il nous est fatalement impossible d’être complètement exhaustifs. A ce titre, nous aurions dû parler plus tôt de Grems. Abreuvant les bacs de projets solos depuis 2004, jamais à court d’idées de promotions originales et défibrillateur de la carrière de Disiz la Peste, Miki Mikasso a pourtant tout fait pour ne pas passer inaperçu.

Pourtant, lorsque nous nous décidons finalement à le contacter dans le but de réparer cette erreur, la première réponse qu’il nous donnera sera sans équivoque. En gros, ça donnait quelque chose comme « merci de l’intérêt mais je ne veux pas de la promo de sites de rap français racistes. » Après une rapide réflexion, j’aurais pu me douter que l’auteur de « Pisse de flûte » serait susceptible d’avoir quelques réticences. Quelques échanges de mails plus tard et j’ai la confirmation que la frontière entre l’homme et le rappeur est quasiment inexistante. Finalement, on décide de se donner rendez-vous en famille, chez Mim, un de ses collègues Fronçais qui a improvisé un studio d’enregistrement dans son appartement.

« En réalité, ça me casse les couilles de faire du rap. »

Grems

Vu de loin, Grems apparaît au mieux comme un marginal qui satisfait sa base de fans sans chercher à l’élargir, au pire comme un éternel rebelle souvent ingérable. Sur ce dernier point, l’intéressé tient à clarifier immédiatement les choses. « On a souvent dit que j’étais un fou ou un rebelle… Pas du tout. Quand je m’énerve, c’est parce qu’on ne m’a pas payé ou qu’on s’est foutu de ma gueule. Je ne suis pas fou, juste entier. » Derrière ce discours, on comprend facilement qu’il y a un homme lucide et, sans doute, un peu déçu. Entre les tourneurs qui ne payent pas, les managers qui promettent monts et merveilles et les postures de rappeurs, Grems a rapidement éprouvé un mépris non dissimulé pour la scène hexagonale.

Écrire que Grems est un incompris serait une incontestable facilité. Néanmoins, il faut bien reconnaître que le public français, trop habitué à se rassurer derrière des étiquettes toutes faites, n’a jamais vraiment su comment prendre le rappeur du XXème. Les adeptes adoptent pendant que les plus réticents passent à côté des « expérimentations électroniques » de Grems. « Si je ne donne plus d’interviews en France, c’est, entre autres, parce que les mecs viennent me parler d’electro… J’aime la house de Detroit. Je suis dans la musique chaude alors que tout l’electro français est hyper froid. » Et il n’hésite pas à enfoncer le clou lorsqu’il nous dira qu’il fait « de la vraie musique de PD de Detroit pendant que les autres font de la musique de tarlouzes ». Loin des soirées branchouilles au Social Club et de leurs consos à 15 euros, le rappeur s’est toujours voulu plus rassembleur, décrivant son public comme une mosaïque de couleurs faites de « cailleras, de punks, d’homos, de fluos, de schlags, de mecs d’école de commerce » ou encore  « de blédards ». Alors que les Kanye West et Swizz Beatz se dont découverts une passion pour la french touch et la discographie des Daft Punk depuis 4-5 ans, Grems est lui rapidement tombé amoureux de la deep house, qui a toujours coexisté avec son amour du rap. Si son premier solo, Algèbre, était un disque résolument boom bap, « Merdeuse », le morceau qui aura paradoxalement porté l’album malgré son statut d’ovni dans le tracklisting, faisait déjà état de son attrait pour la house. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que, Sea, Sex & Grems, son troisième album solo et son plus abouti selon lui, est qualifié par l’intéressé d’album house. Voyant avant tout le rap comme un medium, il s’en est allé créer le deepkho, sorte de mouvement musical à la croisée des chemins (« le rap et la house, c’est le deepkho », disait-il dans « C’est le deepkho » présent sur Démaquille-toi).

Après Algèbre, il y eut Air Max, véritable album coming-out dans lequel Grems exposait au plus grand nombre son désir de teinter sa musique de house. Surprenant à l’époque, le disque demeure probablement la sortie qui a le plus marqué les esprits. Entre autres à cause du sulfureux « Casse ton boule » mais pas seulement. Très dense et éclectique, rempli de collaborations inattendues mais réussies (Sako, Disiz), le projet était parfaitement maîtrisé, jusqu’au visuel et cette Air max dessinée en guise de pochette. »Mon idée était simple : représenter le signe Peace & Love de mon époque. Pour moi, il s’agit de la Air Max.On connaissait un mec qui était chez Nike à l’époque, du coup on a pu faire un partenariat. Il y a eu 25 paires ID à mon nom. Ils m’ont assuré qu’il n’y aurait aucun souci. Ce qui est cool c’est que j’ai réussi à être parrainé par la marque de mes rêves. » Par ailleurs, c’est la première pochette de Air Max, non utilisée finalement, qui lui avait permis de décrocher le deal avec la RATP et de réaliser le design de la campagne Imagine’R. Rien que ça.

« Un jour, j’ai compris que je pouvais remplir une salle et qu’on pouvait négocier 10 000 balles juste sur mon nom. Sauf qu’à l’époque il y avait un problème puisqu’on me donnait 20 euros. »

Grems

Parce que quand Grems rappe, c’est uniquement par passion et pour collecter le supplément d’argent qui lui permettra de s’acheter quelques nouvelles paires de Jordan. Au quotidien, Grems est un graphiste/designer à succès. Ce statut, c’est à la force de son travail qu’il l’a acquis et non parce qu’il était particulièrement doué au départ. Ce sujet, c’est son entourage et plus précisément Mam qui en parle le mieux : »C’est un gros bosseur, dans tout ce qu’il fait. J’ai commencé à graffer avant lui et, aujourd’hui, il me gifle complètement. » Quand le graphisme lui permet de remplir son assiette, l’aspect financier du rap semble beaucoup moins l’intéresser. »En douze ans de carrière, je ne suis jamais allé  récupérer mon argent à la SACEM parce que je m’en bats les couilles. » Et il semble d’ailleurs avoir conscience qu’il ne sert à rien de compter sur la musique pour devenir riche en 2011 : »Ils me font rire les rappeurs avec leurs voitures… Si tu veux faire de l’argent, il ne faut pas compter sur le rap. Il faut travailler. »

Ce clivage marqué avec le reste de la scène rap explique aussi pourquoi on l’a rarement aperçu entouré de personnes « installées ». Il y eut la collaboration avec Ill pour un « Bolos » mémorable sur l’album de PMPDJ. Et évidemment la rencontre avec Disiz qui a chamboulé la carrière de celui-ci. A chaque fois, il s’agit de personnes extérieures qui sont rentrées dans l’univers de Grems. C’est encore plus vrai pour Disiz qui avait demandé à le rencontrer après être tombé par hasard sur un exemplaire du premier opus de Rouge à lèvres perdu dans les locaux de Barclay. Pendant que Disiz s’est remis à dire des gros mots au contact de Grems, ce dernier avoue avoir appris à écrire des morceaux en un temps record grâce à l’auteur du Poisson rouge. Aujourd’hui, l’entourage de Grems est aussi bien constitué de vétérans du boom bap comme Daz Ini, d’un Entek qu’il a littéralement pris sous son aile et « formé », d’un Rimcash dont il a flashé sur les morceaux et chez qui il a découvert un double improbable ou de Wilow Amsgood qu’il imagine comme un des trois futurs dangers du rap français avec Nekfeu et Entek. Récemment, quand tout ce petit monde se retrouve, c’est d’abord pour plancher sur l’album du collectif la Fronce. Concrètement, La Fronce est un mélange de couleurs, de générations et de sensibilités réunies pour « rapper ce que les autres ont peur de dire« . Entre deux projets, Grems, Greg Frite et Rimcash ont eu l’idée d’animer cette classe faite exclusivement de mauvais élèves. Et, si on a l’audace de suggérer à Grems que le projet survient à un moment qui voit le retour à la mode des collectifs, sa réponse ne se fait pas attendre : « La Fronce est le meilleur des collectifs. J’assume mes propos« .

« Parfois, on me trouve prétentieux lorsque je me contente de dire ce que j’ai fait. Ces gens ont juste un problème avec la réalité. »

Grems

Il en va de même pour le retour au boom-bap effectué à l’occasion d’Algèbre 2.0. En faisant un peu de mauvais esprit, on pourrait le soupçonner d’opportunisme et de chercher à surfer sur la vague nostalgique qui a fait son apparition cette année. « On pourrait en effet penser ça sauf que ça n’a rien à voir. Ca fait des années que je croise des gens en concert qui me parlent d’Algèbre. En réalité, ça me casse les couilles de faire un album boom-bap mais je l’ai fait pour mon public qui me suit depuis bien longtemps… Et il faut bien avouer qu’une fois que l’album est terminé, on ressent une satisfaction parce qu’il s’agit d’une forme de retour aux sources. » En plus de l’album attendu de la Fronce, deux autres projets sont d’ores et déjà prévu pour 2012. Un album deepkho « qui sera très conceptuel » et une mixtape qui réunira tous les morceaux qui n’ont pas pu être intégrés dans ses derniers projets. Entre temps, un peu de repos ? Pour celui qui fait environ une scène par semaine depuis sept ans, la notion de repos n’est pas vraiment familière. « En France, les mecs font un freestyle et regardent leurs chaussettes en rappant. Il n’y a plus de groupes comme le Saian qui, à un moment, réalisait les meilleurs lives au monde. » Grâce à son rap mais également à son design, il fait aujourd’hui le tour du monde qu’il s’agisse d’un concert, d’une exposition ou d’un package comprenant les deux. « C’est aussi pour ça que les gens sont à côté de la plaque quand ils disent que je ne fais pas de promo, poursuit Grems. Je suis tout le temps sur la route avec ma musique.« 

Grems fait presque figure de rescapé, lui l’ancien « rappeur spé » qui sort au moins un disque par an, tourne encore plus qu’avant et peut se permettre de faire un morceau avec la nouvelle école sans que personne ne s’en émeuve. « Tous les rappeurs de l’époque du rap spé sont morts aujourd’hui. En dix ans, qui a fait le plus de blé ? » insiste t-il. Loin d’être le savant fou coincé dans sa tour d’ivoire que certains imaginent, l’artiste se tient plutôt au courant de ce qui se fait dans le milieu. « Je vais toujours écouter un nouveau Booba ou un Dany Dan. » Et plus récemment, le dernier opus d’Orelsan l’a agréablement surpris : « Pour un mec signé en maison de disques qui fait du rap mainstream, qui subit les pressions de la major tout en essayant de conserver son identité, il s’en sort très bien. »

Finalement, son rejet face à notre proposition initiale d’interview peut s’expliquer par un ras-le-bol généralisé envers un pays qui l’a fatigué. Et s’il ne l’a pas définitivement quitté, c’est uniquement parce qu’il a encore un procès à régler impliquant la garde de son enfant. Une fois cette dernière affaire réglée, la France sera probablement un lointain souvenir. Cela ne signifie pas pour autant qu’il aura dit adieu à la musique. En effet, à bientôt 33 ans, Supermicro a encore des dizaines d’idées de projets appelées à venir renforcer une discographie déjà sacrément remplie. Tant mieux, les rappeurs trentenaires qui restent pertinents sont définitivement trop rares ces derniers temps.