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L’écoute presse du deuxième album de Kaaris, Le bruit de mon âme avait lieu le jeudi 5 mars, 15 heures, au studio de La Seine, dans le 12e arrondissement de Paris. Officiellement, je suis présent pour le compte du magazine IHH International Hip Hop. Mais quand même, l’Abcdr représente. J’ai joué des pieds et des mains auprès du boss pour pouvoir en être et je vais sûrement cravacher jusqu’à 21 heures ce soir mais tant pis. Rien que pour écouter Kaaris crier « je suis dans le carré bande d’enculés » sur des grosses enceintes, ça vaudra forcément le coup.
Je suis un peu en avance. Je croise Emma – l’attachée de presse – dans la rue et nous sommes les premiers à arriver sur place. Petite frayeur lorsqu’elle se rend compte que l’album n’est ni au studio, ni dans son sac. Est-ce que je vais vraiment retourner au taf la queue entre les jambes ? Heureusement une demoiselle, dont j’ignore la fonction chez Def Jam France, nous l’apportera quelques minutes plus tard. Il est 15 heures pile et Mehdi, qui lui vient pour le compte de l’Abcdr, me rejoint. On discute de l’émission avec Joe Lucazz, d’Ali, de Rocca et plus globalement de ce début d’année incroyablement chargé en sorties rap français. Le temps de voir débarquer quelques têtes plus ou moins connues (Fif de Booska-P, Olivier Cachin sur lequel nous n’aurons, malheureusement, aucun visuel durant cette écoute), que tout le monde se déleste de son smartphone, et le disque était lancé. Tracklisting sur les genoux, cahier Oxford dans les mains.
« Kadirov »
« Back To The Future. » Comme c’était déjà le cas pour son prédécesseur, c’est par ces quatre mots que débute Le bruit de mon âme. L’instrumental est pesant, et l’entrée en matière est impressionnante. Quand j’ai vu « Kadirov » sur le tracklisting, j’ai trouvé ça mignon à dire. « Kadirov ». En fait c’est mignon comme un dirigeant tchétchène, ça porte une kalachnikov et ça arrose sans broncher dans les grandes largeurs. « Ce rap est mon putain de terrain de jeu, Kim Jong II » : le ton est donné, on sait déjà qu’on va s’amuser durant la prochaine heure. À un moment, Kaaris parle d’applaudir avec les fesses. On s’est retenus pour le principe, mais l’envie y était.
« Se-vrak »
« Four »
[Nom, masculin] Appareil faisant subir une chaleur intense aux choses qui sont dedans.
À ce moment-là, j’ignore comment le studio tout entier ne se casse pas la gueule. Le niveau des basses est ha-llu-ci-nant. Ça rappelle le Enta Da Stage des Black Moon. Ça défonce. On connaissait tout l’amour du rappeur de Sevran pour la cuisine mais là, ce morceau est une immense boucherie. Dans le petit guide Michelin du rap, c’est chef Kaaris au fourneau dans un hôtel 270 étoiles. Assertion ultime de la prise de pouvoir (et gros pouf de rire pour nous) : « Si tu veux baiser avec Riskaa, tu dois d’abord sucer un de mes gars ». Je voudrais bien ajouter quelque chose, mais je ne vois pas quoi.
« 80 ZETREI »
« El Chapo » ft. Lacrim
Flow en deux temps, d’abord régulé puis largement accéléré, soutenu par Lacrim venu pousser la chansonnette. Il y beaucoup de références sudistes bien placées chez Kaaris. Après Lil Boosie dans « Binks » : « la beuh me casse la voix comme Yo Gotti. » Ça change des rappeurs français qui ne parlent que de Rick Ross. Sinon, le K double A s’attribue le titre de « plus grand baron de la drogue de tous les temps » (dans la vraie vie affublé à l’honorable Joaquín Guzmán) mais milite quand même contre les contrôles de papiers abusifs (« Jugé à la gueule comme Patrick Dils »). « Fuck Tony fuck Sosa fuck Pablo, vient dire bonjour à El Chapo. » Globalement il nous rappelle, au cas où on l’aurait oublié depuis le morceau précédent, son inattaquable suprématie. On se croirait dans Breaking Bad, saison 5, épisode 7 : « Say my name ». Question : Scarface et Tony Montana seraient-ils enfin passés de mode en 2015 ?
« Zone de transit »
Nouvelle référence américaine et maligne : « chasse les rêves comme Meek Mill », en renvoi à la série des tapes Dreamchasers. Kaaris en a sous la pédale. Avec son instrumental aérien mais pas trop léger quand même, sa voix presque doucereuse, « Zone de transit » est à ranger aux côtés de « Or noir » et de quelques autres dans la catégorie des morceaux cœur d’artichaut. « Tu peux me flatter, je m’ennuie partout ». Quand il cite Fellini, on a un petit pincement au cœur et une grosse pensée pour De Palma. Puis on réalise qu’en fait il y avait une rime pour Tony et Many trente secondes avant. Réponse : peut-être pas.
« Trap »
Sûrement blasé de voir les deux-tiers du rap français se mettre à entonner la musique des États du Sud (« Dès que je fais une sieste, tu fais de la trap »), Kaaris décide d’enterrer le débat une bonne fois pour toutes. Ce qui va sûrement lui valoir de devenir le nouveau point Godwin du rap (« Je suis pas sur le son, ça parle de moi dans les commentaires »). Il lâche en lousedé un « je défouraille comme Tony. » Putain, c’est donc pas encore fini cette histoire.
« Crystal » ft. Future
« Tripoli »
Derrière la production évidemment pesante, il y a une espèce de petite mélodie guillerette qui vient (un peu) égayer l’ensemble. Kaaris parle grosso-modo de « malaxer de la C, même frelatée la bazarder » et de buter tout le monde. Du coup sur cet instrumental, ça a l’air de l’amuser encore plus que d’habitude. « Sabre laser à l’échographie », « La putain de ta grand-mère » : la famille est au complet, la prestation est boobaesque.
« Magnum »
NB : Tony et Many sont de retour, again. Les mecs sont indestructibles. Mais comme la phase est cool, ça va, on pardonne.
« Vie sauvage » ft. 13 Block
Là, on tient un truc intéressant. Si la prestation des 13 Block n’a rien d’incroyable en soi, les mecs sont tellement échauffés et leur rythme tellement effréné que Kaaris se sent obligé d’augmenter le level. Du coup, il est encore plus énervé que d’habitude (c’est à dire très létal). Il faut dire que la production de Therapy, bestiale, aux accents limite punk, appelle clairement à la sauvagerie. Pendant ce temps les MC’s, eux, « pissent le sang dans les toilettes des dames ». A part ça, Kaaris n’a que de l’amour pour Lefa de la Sexion d’Assaut et le montre via deux déclarations enflammées : « J’préfère mourir plutôt qu’un homme me touche la bite » et « J’préfère avoir du sang sur les mains plutôt que du sperme sur la langue. »
« Le bruit de mon âme »
« Les oiseaux »
Je ne retiens pas grand-chose de ce morceau, somme toute assez dispensable à l’ensemble. La production ne décolle pas vraiment, et sur le coup j’ai un peu de mal à comprendre cette histoire d’oiseaux. Kaaris y livre tout de même l’une des phrases les plus humaines du disque : « Seul le souvenir ou le regard de la daronne peut me faire verser des larmes. » Un peu moins décent, il « encule le prix Goncourt et le Renaudot ». On repense alors à une phrase de « Kadirov » : « Je maîtrise la langue de Molière mieux que maître Capello. » Kaaris serait-il en quête de la reconnaissance de son écriture ? Une chose est sûre, il va l’arracher, pas la mendier.
« Mentalité cailleras »
D’une manière globale, on remarque que Kaaris élargie sa palette sur cet album et tente beaucoup de choses en terme de flow, d’accélération, de chant. Ici, l’instrumental file comme une balle de Famas. Et Kaaris rappe vite, très vite. Ce n’est pas facile de tout suivre. Il est de nouveau très énervé. Il troque sa grosse queue de loup-garou contre une grosse queue de canasson. On mise sur une grosse queue de baleine bleue pour le troisième album.
« Comme Gucci Mane »
« Voyageur » ft. Blacko
On ne va pas se mentir : dès le départ, on était un peu fébrile à l’idée d’en arriver à cette seizième piste. Il se trouve que le morceau passe plutôt bien. Un peu comme « Zone de transit », l’instrumental a quelque chose de planant et le refrain de Blacko, au final, s’insère assez adroitement dans l’ensemble. Il a aussi le mérite de redonner un peu d’humanité à Kaaris (« Je ne suis qu’un homme »), qu’on avait fini par prendre pour une bête sanguinaire mi-homme mi-hyène.
« Situation » ft. Ixzo & Solo le Mythe
Comme pour « Vie Sauvage », on remarque une nouvelle fois que les prestations enragées de Ixzo et Solo le Mythe poussent Kaaris à gonfler son verbe et ses pecs jusqu’à se faire sauter le t-shirt. Ça donne envie de le mettre à côté de Casey, juste pour voir ce qu’il se passe. Pour le reste c’est un festival de références, pleines d’amour et de bon goût, où il est notamment question d’une virée sur Namek avec Végéta, de kidnapper RoboCop et de tiraillement intérieur (« Les Dents de la Mer ou la chatte à ta mère, je sais pas ce qui me fait le plus flipper »).
« Le temps »
« Je sors de Jumanji avec du Givenchy. » L’album avait très bien démarré, il finit sur un véritable morceau de bravoure. Avec son atmosphère de fin du monde, ses claquements emphatiques, ses sons de cloches sentencieuses, « Le temps » est une conclusion parfaite, à la fois sauvage et solennelle. J’ai d’ailleurs été tellement pris dedans que je n’ai pas noté grand-chose et que je n’ai rien d’autre à dire dessus. « Le temps c’est de l’argent, met de la coke dans ton sablier. »
Verdict
Puisque je dois rapidement retourner au bureau avant de me faire flageller par mon patron, les échanges avec les autres journalistes tourneront court. Pour faire simple, j’ai l’impression qu’on ressort tous de la salle comme on serait ressorti d’un match de boxe avec Yvan Drago : mis à mal par la cruauté et la barbarie sans limite de la machine de guerre qui se trouve en face de nous, mais quand même content d’être venus.
Avec Mehdi, on a le temps d’échanger un peu dans le métro avant de se quitter à République. On se dit que c’était le feu. Il y a des longueurs, des morceaux dispensables, des répétitions. Mais c’était le feu. Parce que Kaaris rappe foutrement bien, que Therapy (semble t-il à l’origine d’au moins 90% de la production) fait un quasi sans faute, et que la démesure de l’ensemble est quand même extrêmement jouissive. On est notamment d’accord sur deux choses. Un : « Four » défouraille comme Tony sévèrement. Deux : l’album est sauvage, brut(al) et va, encore, faire couler le sang, l’urine et l’encre par litrons. Rendez-vous le 30 mars pour écouter Le bruit de mon âme ou la cacophonie du concassement.
Dès que le clip de « Or Noir » a été rendu disponible sur la toile, tout le microcosme rap s’est posé la même question : qui étaient les mystérieux Greg & Lio crédités à la réalisation de ce petit ovni ? La curiosité était encore plus grande après la publication de l’article des Haterz qui décryptait en long et en large une vidéo à plusieurs lectures. Sauf que les deux compères n’en étaient pas à leurs premiers faits d’armes, loin de là. Entre un clip pour Jenifer et des pubs pour Puma, ils s’étaient surtout fait remarquer ces dernières années pour le clip non-officiel de « Niggas in Paris » et celui de « Jimmy » sur le dernier album de Booba. Alors qu’ils viennent tout juste de sortir leur dernier clip pour Patrice, nous avons rencontré ces deux mecs profondément ambitieux.
La rencontre
Lionel : On s’est rencontré à l’ESRA, une école d’audiovisuel. On a fait notre école à Paris mais, à la base, on vient de Strasbourg tous les deux ce qui a créé des liens. D’ailleurs, il y a une anecdote marrante à ce sujet : c’est Bigmoneymakers [NDLR : groupe de rock] qui nous a présenté, quelqu’un qu’on a clippé quelques années après. On était dans la même classe, on avait les mêmes centres d’intérêt, les mêmes influences.
Greg : On n’était pas forcément chaud pour commencer par un court-métrage avec des dialogues. On voulait travailler l’image tout en conservant l’aspect narratif que peut avoir un court-métrage. On est des enfants de tous les travaux de Chris Cunningham ou de Spike Jonze. Ce sont des réalisateurs qui avaient vraiment leur style. J’étais fan des soirées MTV où ils diffusaient des top 100 de clips… Et les 15-20 premiers étaient toujours réalisés par les mêmes mecs ! Les clips, c’est un secteur où tu peux raconter une histoire de manière super originale. C’est comme ça qu’on a fait le clip de Kn1ght. À cette époque, on bossait chacun de notre côté sur des tournages et, à chaque fois, on se disait qu’on aurait fait différemment des gens en place. C’est comme ça qu’on a décidé de travailler ensemble. Philippe Lioret [NDLR : réalisateur de plusieurs films nommés aux César] était venu donner une interview à l’ESRA. Il disait qu’il avait commencé en tant qu’ingénieur du son et que, souvent, les dialogues sonnaient faux dans ses oreilles. C’est en se disant qu’il pourrait faire mieux qu’il s’est décidé à réaliser. Ça m’avait marqué parce que je pense que c’était pareil pour nous.
Influences
L : Il y a un clip qui nous a marqué tous les deux et qui continue de nous influencer dans l’écriture de nos projets. C’est « Smack my bitch up » de Prodigy. Ça se ressent d’ailleurs dans notre clip non-officiel de « Salades, tomates, oignons ».
G : Même quand on fait des playbacks, on ne peut pas s’empêcher de raconter une histoire avec un début, un milieu et une fin. C’est aussi pour ça qu’on garde des velléités de réaliser un court et/ou un long-métrage. Lionel kiffait vraiment Tarantino, moi je kiffais Scorsese à mort et ce sont deux réalisateurs qui sont super influencés par la musique. Les séquences des films de Scorsese que je préfère sont des séquences musicales : Harvey Keitel bourré dans Mean Streets avec « Rubber Biscuit » derrière, la scène dans Les Affranchis où Ray Liotta montre le restaurant à sa meuf avec la musique de The Crystals… Inconsciemment, ces scènes ont dû nous influencer. D’un seul coup, le film prend une autre ampleur et il se passe vraiment quelque chose à l’image.
Ce sont des gens qui nous influencent. Quand on fait le clip de « Jimmy », j’ai en tête le making-of du Labyrinthe de Pan où Guillermo Del Toro casse les couilles à toute son équipe pour que les éléments du décor soient dans une gamme bien précise de couleur… On ne peut pas faire ça à notre échelle mais on a cassé les couilles à la déco pour qu’on s’oriente vers un stylisme très précis, un peu à la The Wire. Le Labyrinthe de Pan est un trucs les plus forts visuellement de ces 20 dernières années, on en parlera encore dans 30 ans… Bien sûr, on n’a pas cette ambition là pour nos clips mais on s’inspire de ce travail. Récemment, un pote m’a dit qu’il avait revu la scène de fin de « Jimmy », qu’il était persuadé qu’il y avait un cut et qu’il a pété un câble quand il s’est rendu compte que c’était un plan-séquence. Quand des gens viennent nous dire ça, on se dit qu’on a gagné.
« Niggas in Paris »
L : On venait de faire le clip de Jenifer, on avait fait celui de Yohann Malory juste avant et on recevait de plus en plus d’appels d’offres pour des clips. C’était souvent pour des artistes qu’on n’écoutait pas et on n’était pas à l’aise là-dedans. On arrive à cette période où l’album commun de Jay Z et Kanye est annoncé, il n’y a qu’un tracklist de disponible et on se dit qu’il faudrait faire un autre clip non-officiel après celui de « Salades, tomates, oignons ». Dès que je vois la tracklist, je dis à Greg qu’il faut faire le clip de « Niggas in Paris ». On a écrit énormément de scénarios et ça a pris beaucoup de temps. Justement, au fil des concerts, le morceau a commencé à devenir un énorme tube. Quand on s’arrête enfin sur un scénario, un pote nous envoie la news comme quoi le clip officiel va sortir d’ici trois jours. Forcément, on est dégoûté… Le clip est finalement sorti et on a été rassuré parce qu’il n’avait rien à voir avec ce qu’on avait en tête.
Quand on a eu l’idée des géants, on nous a dit que les Rolling Stones l’avaient déjà fait avec « Love is Strong » et, du coup, c’est un clip qu’on a un peu étudié avant de passer à l’action. Depuis longtemps, on voulait faire quelque chose sur le jour et la nuit et on s’est dit qu’un personnage représenterait le jour et l’autre la nuit.
G : Pendant le passage à l’Hôtel de Ville, il y a aussi une grosse référence à L’Empire des Lumières de Magritte. C’est un des seuls peintres qu’on a en commun. Ensuite, il a fallu trouver des acteurs… D’ailleurs, je crois que l’annonce pour le casting est encore en ligne sur le net ! On avait demandé aux candidats de regarder plusieurs clips de Jay Z et Kanye avant le casting et il y a vraiment eu une évidence pour les deux qui ont été sélectionnés. Sans que ça ressemble parfaitement, il y avait le même type d’énergie. On a pris un mec super balaise pour interpréter Jay Z alors que Jay Z commence à avoir un peu de ventre… Mais, justement, le fait qu’il soit balaise collait bien avec l’idée du clip.
C’était aussi une époque où je redécouvrais pas mal Big L et on se disait que ce serait bien de rendre un hommage aux rappeurs disparus. D’où le fait qu’on voit des images de rappeurs morts défiler sur le mur du Panthéon… Et c’était parfait parce que ça donnait vraiment le sentiment que les Ricains débarquaient à Paris et s’appropriaient la ville. D’ailleurs, on a reçu des mails de fous à cause de ça. On connait tous le signe de Jay Z, celui du Roc qui s’apparente au triangle des Illuminati. Comme on aperçoit Tupac dans le clip, qui se faisait surnommer Killuminati, il y a des gens qui ont dit « ah mais putain, ils sont contents que Tupac soit mort ! » Les mecs vont super loin. Je ne les lis plus et les supprime directement mais, encore aujourd’hui, je reçois environ trois à quatre mails par jours de notifications qui m’indiquent que des mecs ont commenté la vidéo en mettant « Illuminati » à telle minute du clip.
« Jimmy »
G : On avait été mis en relation avec Booba après « Salades, tomates, oignons » parce qu’on voulait le rendre officiel. C’est après le clip de « Niggas in Paris » que Booba est revenu à la charge. Par contre, on ne sait absolument pas pourquoi il nous a appelé précisément pour « Jimmy ». Si ça n’avait tenu qu’à moi, on aurait fait « Kalash » ! En tout cas, on s’est approprié le son depuis.
Au départ, ce qu’on avait en tête c’est que, quand Jimmy braque la station service par exemple, la caméra serait juste passée devant Booba en train de rapper sans forcément le calculer. Il devait apparaître dans chaque séquence sur le trajet de Jimmy comme s’il était une sorte de narrateur invisible. Finalement, c’est une idée qu’on a utilisée sur le clip de Patrice qui sortira prochainement. Comme Booba n’a pas pu être là, on a eu l’idée de faire apparaître le titre de ses albums. Il fallait qu’il y ait sa patte. On a cherché à transformer cette contrainte en atout. En tout cas, ça n’est pas compliqué de travailler avec Booba. Plein de rappeurs nous ont contacté pour des clips en nous disant exactement ce qu’ils voulaient. On leur répondait immédiatement que ça ne nous intéressait pas de travailler comme ça. C’est pas une question de prétention, c’est juste qu’on ne sait pas travailler sur commande comme ça. On avait travaillé comme ça sur le clip de Jenifer et, au final, c’est un des clips qui nous ressemble le moins parce qu’on a essayé de faire plaisir. Quand tu essayes de faire plaisir à tout le monde, ton produit devient impersonnel et tu ne plais plus à personne. C’est un clip qu’on a filmé enfermé dans un studio et, ça aussi, ça ne nous ressemble pas. On veut vraiment que notre travail s’inscrive dans le réel. Quand on sortira le clip de Patrice, je pense que notre patte se sentira vraiment, on aura une vraie quadrilogie de clips cohérents avec « Niggas in Paris », « Jimmy » et « Or Noir ».
D’ailleurs, par rapport au premier scénario envoyé, il n’y a qu’un élément qu’il a changé. Initialement, quand Jimmy bouscule un policier au début, on voulait qu’il ait une lame avec laquelle il blesse le policier pour pouvoir s’enfuir et, dans l’idée, c’était ce policier qui tuerait Jimmy à la fin. Booba nous a dit : « Jimmy vient d’arriver du Sénégal, il peut pas direct schlasser un keuf… Vous voulez dire que les Sénégalais sont tous violents ? » [Rire] On s’est dit que sa remarque sur le couteau était juste et on ne l’a pas mis dans le clip. C’était plus compliqué de travailler avec Jenifer qu’avec Booba parce que ça n’était pas notre univers mais surtout parce qu’il y avait tout le label derrière. Il y avait un énorme cahier des charges, tout le monde avait son mot à dire, il fallait que ce soit accessible… Alors que Booba nous avait dit « envoyez-moi un pitch et on en reparle ». On adore The Wire, on a voulu faire un clip à la The Wire… On se disait que Booba ne pouvait pas détester notre scénario. On n’a pas dit à Booba : « il y a un mec qui arrive avec un fusil », on lui a dit : « il y a un mec qui arrive avec un fusil et une gabardine, à la Omar. » On savait que ça allait lui parler. Avec Jenifer, il fallait que ce soit coloré, il fallait qu’il y ait de la danse… Je pense que si elle nous rappelait aujourd’hui, ça se passerait aussi différemment. On a plus d’expérience et on serait plus en mesure d’imposer nos idées.
L : Il y a des gens autour de Booba mais il reste le vrai décisionnaire.
« Or Noir »
G : L’équipe de Kaaris nous a contacté après avoir uniquement vu « Jimmy », ils n’avaient même pas vu le clip de « Niggas in Paris ». Ils nous ont fixé un rendez-vous pour qu’on leur décrive la manière dont on imaginait le clip. Ce qu’on voit à l’image, c’est à 80% ce qu’on avait en tête et ce dont on avait discuté pendant cette première réunion. On voulait que ce soit sombre, qu’il pleuve du pétrole, on avait l’idée de la caméra qui tourne… On a toujours aimé les effets avec les caméras qui tournent et ça collait parfaitement au geste de Kaaris. Kaaris et Therapy nous ont écouté et ont validé nos idées. Kaaris nous avait dit un truc : « j’m’en bats les couilles de ce que vous faites mais je veux que les gens chialent à la fin ! » C’est aussi pour ça qu’on a écrit une sorte de tragédie.
Il y a pas mal de références à La Haine dans le clip et je pense que c’est un des films que j’ai le plus regardé. Casino, Les Affranchis et La Haine, ce sont les films que je regardais en boucle quand j’étais ado. D’ailleurs, même si on fait ouvertement référence au film de Kassovitz dans le clip, on ne l’a pas revu pour l’occasion. On l’a fait en se basant uniquement sur nos souvenirs.
L : Kaaris avait des idées en tête pour ce clip, notamment une avec sa dépouille qui serait renvoyée en Côte d’Ivoire. On en a discuté mais il n’a rien imposé en tout cas. Il nous a vraiment fait confiance. En tout cas, c’est beaucoup plus simple de travailler avec des gens dont tu apprécies la musique. Booba et Kaaris se sont bien trouvés parce qu’ils développent un univers super riche au travers de leurs écritures et ça nous inspire beaucoup. Il y a beaucoup de références dans ce clip et c’est quelque chose qu’on inclue naturellement. On adore redécouvrir des détails dans des films, des clins d’oeil. On n’a pas envie que les spectateurs soient passifs devant nos clips. On aime bien inclure des petits « jeux ». On avait commencé sur le clip de Don Rimini avec toutes les images salaces. Sur le Net, les gens ont commencé à le remarquer, à faire des captures d’écran des images salaces… On trouvait ça cool que les spectateurs soient actifs. Et puis, on adore mettre des clins d’oeil : les lunettes de la fille en mode Lolita dans « Niggas in Paris » par exemple.
Derniers coups de coeurs
G : En 2013, on a apprécié le travail de Henry Scholfield. C’est le mec qui a réalisé « Tous les mêmes » de Stromae et « Your drums your love » de AlunaGeorge. C’est pas forcément notre délire mais il est très fort. Il travaille beaucoup avec des danseurs et on a retrouvé dans ses clips des idées qu’on avait depuis super longtemps mais qu’on n’avait encore jamais concrétisées. Il y a eu aussi « No games » de Rick Ross et Future. Dedans, il y a plein de trucs qu’on kiffe : une voiture qui brûle, un espèce de truc symétrique derrière lui avec les armes… Après, il y a des plans un peu pétés mais on s’est dit que c’est un peu le clip qu’on ferait si on décidait de baisser notre slip et que Rick Ross nous donnait beaucoup d’argent et nous disant « il faut qu’on voit des meufs et mon ventre » [Rire].
L : En 2013, je retiens aussi Drake avec « Started from the bottom ». Le plan avec la neige au début, c’est mortel. Sinon, il y a eu « Formidable » de Stromae. Techniquement, il n’y a rien mais le concept est fou. Il y a eu une vraie réflexion en amont. L’idée marketing derrière est géniale et c’est un défi pour plus tard : associer une belle idée marketing à un clip de qualité.
AZ a eu son « Life’s a Bitch », Kaaris a eu son « Kalash ». Ce genre de morceau inattendu où l’outsider réussit à voler la vedette à la talentueuse tête d’affiche. Même si Kaaris avait déjà un sérieux parcours avant de rencontrer Booba, « Kalash » et, dans une moindre mesure « Criminelle League », ont joué un rôle d’accélérateur sans précédent dans la carrière du rappeur de Sevran. Sauf que ce serait trop facile de résumer la nouvelle exposition de Kaaris à sa seule accointance avec B20. Il suffit d’écouter le principal intéressé pour comprendre que c’est surtout le partenariat avec Therapy qui a été un véritable détonateur. Forts d’une alchimie déjà prouvée sur Z.E.R.O et confirmée lors des premiers extraits d’Or Noir, les deux compères sont aussi concernés l’un que l’autre par la sortie du premier album de Kaaris. C’est donc à Bondy, dans le studio de son désormais beatmaker attitré, que l’on rencontre le MC, affable et à la parole généreuse. Le résultat est une discussion fleuve avec un rappeur qui a décidé de « prendre tout ce qu’il y avait à prendre. »
Abcdr du Son : Tu as explosé récemment mais tu rappes depuis plusieurs années. Tu avais notamment commencé avec le collectif Niroshima. Est-ce que tu peux revenir sur ces débuts ?
Kaaris : Mon parcours est vraiment atypique. J’ai connu le collectif Niroshima en 2000 à l’époque où je faisais des freestyles sur Paname. Il y avait parfois des rondes avec des mecs qui se réunissaient et faisaient des freestyles… Un peu comme ce qu’ils font aujourd’hui avec les clashs, les Contenders où je ne sais pas quoi [NDLR : Rap Contenders]. C’était ce genre de trucs, ça se passait sur Châtelet et on freestylait. J’avais un pote qui aimait bien ce que je faisais et qui connaissait quelqu’un qui connaissait Niro de Niroshima, 2 Bal 2 Neg’ … Les mecs ont écouté et aimaient bien ce que je faisais même si c’était encore très brouillon, je ne connaissais pas bien les mesures… Mais on m’a donné ma chance. À l’époque, je ne prenais pas du tout le rap au sérieux. Je pense que j’étais comme certains jeunes aujourd’hui, c’est-à-dire que je ne considérais même pas le rap comme une musique. Je pensais qu’à partir du moment où tu traînais en bas des tours, tu pouvais faire du rap.
A : Avant de les rencontrer, tu écoutais des gens comme Niro ou les 2 Bal 2 Neg’ ?
K : Bien sûr ! Les 2 Bal 2 Neg’ ont sorti de gros classiques. Forcément, quand je me suis retrouvé face à eux, je n’étais pas impressionné mais j’étais très content d’être là. Ils faisaient partie des mecs qui faisaient du bruit et on disait même que, sur scène, ils étaient en concurrence avec NTM à l’époque ! En sachant que NTM était quand même LE groupe du live. 2 Bal 2 Neg’, c’était vraiment un groupe important que j’étais heureux de côtoyer.
A : Même si tu as fait beaucoup de featurings dans le passé, on a l’impression que tu as moins envie de te mélanger aujourd’hui et que ton identité est très marquée. Quels sont les disques de rap français qui ont pu t’influencer ou au moins te donner envie de prendre le micro quand tu étais plus jeune ?
K : Bien sûr qu’il y a des groupes de rap qui m’ont influencé mais si je commence à les citer, je vais te donner la même liste que tout le monde et ça ne va pas être intéressant. En revanche, c’est vrai que je n’ai pas collaboré avec beaucoup d’artistes ces derniers temps. En même temps, je n’ai pas fait beaucoup de projets. Les feats, ça n’est pas quelque chose de mécanique non plus. Il faut que l’artiste que je contacte ait envie de faire un morceau avec moi. Aujourd’hui, ça n’est pas à l’ordre du jour de multiplier les featurings et je voulais vraiment me concentrer sur moi et mon album. Ceci dit, je ne suis absolument pas fermé aux collaborations. C’est un bon exercice pour un rappeur : tu rencontres un artiste que tu apprécies et tu as envie d’être meilleur que lui. Il y a une rencontre, il y a quelque chose qui se passe et je suis toujours chaud pour ça. C’est juste que ça n’était pas ce qu’on voulait faire. La priorité, c’était l’album et il fallait que je fasse un maximum de titres. J’ai rappé du début jusqu’à la fin.
A : Tu as sorti un premier projet en 2007, 43ème Bima, alors que tu rappais déjà depuis quelques années. Dans quelles circonstances as-tu sorti ce projet ?
K : Très simplement. Je me suis retrouvé chez un beatmaker qui connaissait une famille qui était dans le textile, qui appréciait la musique mais qui ne savait pas trop comment intégrer ce milieu. Je me retrouve dans le studio de cette personne qui apprécie ce que je fais et qui me dit qu’il va sortir mon CD. Sauf qu’à ce moment, tout le monde croit qu’on va sortir le CD et qu’on va péter le score dans la foulée. Parce qu’on ne connaissait rien. Une fois que le CD sort et que tu te rends compte qu’il n’y a pas que la fabrication du disque et le studio qui comptent, tu revois un peu tes ambitions à la baisse. On s’est rendu compte que, dans l’équipe, personne ne connaissait rien. Forcément, ça a créé une tension entre nous et chacun a suivi sa route. Rien de bien méchant et je reste fier de CD. Peut-être que les gens vont le redécouvrir et se rendre compte que j’ai toujours rappé de la même manière. On pense que j’ai adopté un nouveau style depuis « Kalash » voire « Criminelle League » alors que j’étais déjà comme ça. Après 43ème Bima, j’avais sorti un morceau qui s’appelait « Une armée de soucis »… Ça a toujours été le rap de Kaaris. Peut-être que je me suis amélioré depuis grâce aux rencontres que j’ai faites mais j’ai toujours eu cette base.
A : On a aussi l’impression que ton rap a évolué avec les sonorités du moment. Tu es un de ceux qui font de la vraie trap music en France. Comment est-ce que tu es tombé dedans ?
K : C’est vrai qu’on parle de trap music alors que, finalement, ça ressemble à ce qu’on appelait le dirty south il y a quelques années… En plus lent peut-être et avec un nouveau style de flow, plus saccadé. C’est quelque chose que j’ai commencé à travailler depuis un moment mais on s’est vraiment amélioré avec Therapy. Therapy écoute beaucoup de trap, Zaz [NDLR : beatmaker qui travaille avec Kaaris] écoute beaucoup de trap… On a progressé ensemble. C’était quelque chose que je faisais déjà sauf qu’on a ralenti le beat… Et que, généralement, les Français ont un problème quand le beat est ralenti. Mais ils vont apprendre. De toute façon, on ne va leur donner que ça. Sauf s’ils veulent continuer à écouter le passé mais ça c’est leur problème.
A : On parlait de tes influences. Est-ce que tu as été davantage nourri par le rap américain, notamment celui venant du sud des Etats-Unis ?
K : On est tous influencé par le rap américain. Même les groupes de rap français historiques comme IAM et NTM ont été influencés par le rap américain. Sauf qu’IAM a été influencé sur le plan musical mais, sur le plan vestimentaire, ils ont toujours ressemblé à des mecs de la Poste [Rire]. Après, c’est vrai que j’ai écouté du rap new-yorkais pendant longtemps et lorsque le sud est arrivé et a pris le dessus, je m’y suis mis. Aujourd’hui, il y a aussi le rap de Chicago, il y a un vivier incroyable, plein de truc se passent… C’est une culture de fou !
A : Z.E.R.O est sorti dans le courant de l’année 2011, un projet majoritairement produit par Therapy. Comment est-ce que vous vous êtes trouvés ?
K : Je te parlais de mon parcours et j’ai rencontré beaucoup de gens. Comme on dit chez nous, chacun son mektoub. J’ai toujours mené ma vie tranquillement mais, sur le plan musical, j’ai eu une longue traversée du désert. La musique est devenue une passion, voire même une obsession puisque je me levais tous les matins pour ça. Chaque rencontre m’a apporté quelque chose. Evidemment, ma plus belle rencontre musicale, même si ça dépasse la musique aujourd’hui, c’est Therapy. En sachant qu’il était déjà loin quand je l’ai rencontré.
Medi Med, le DJ de Booba, m’a appelé pour me proposer de faire Autopsie 4. Comme on s’est bien entendu, il a eu envie de me présenter à Therapy et Chris Macari. Quand je suis arrivé au studio, Therapy avait déjà écouté quelques-uns de mes sons mais il n’avait pas encore de structure. À la base, c’est un beatmaker qui passe sa vie dans sa cave à faire des instrus. Quand je suis arrivé, il s’est dit qu’il y avait peut-être quelque chose à faire avec moi et qu’il m’appellerait sûrement le jour où il aurait sa structure. Pendant ce temps, j’ai continué ma route avec Z.E.R.O et on s’est retrouvé quelques mois après. Même si Z.E.R.O n’a pas explosé et fait plus de bruit que ça, il s’est passé quelque chose qu’on a eu envie d’exploiter. En tout cas, c’était une étape marquante. C’est comme si j’avais avancé d’un pas chaque année pendant treize années de rap et que j’avais fait un bond de sept lieues après ma rencontre avec Therapy.
A : Il y a une interview faite par Streetlive qui date de 2010 dans laquelle tu disais avancer tout doucement tout en sachant que tu exploserais à un moment. Tu étais sûr que ça allait marcher ?
K : Je crois même que cette interview datait de 2009… Mais, non, je n’étais sûr de rien et si j’ai dit ça c’est parce qu’il faut croire en soi, quoi qu’il arrive. Si tu n’es pas sûr de toi, qui va être sûr pour toi ? Je me devais d’afficher cette image mais il aurait pu ne rien se passer derrière, je ne suis pas devin. Tout ce que je pouvais faire, c’était continuer à pousser et je pense que c’est ce que j’avais voulu expliquer. Et je ne cherchais même pas à ralentir le truc pour dire « là je prends mon temps, c’est volontaire… ». Non, ça s’est passé comme ça, c’est mon mektoub.
A : Est-ce que ça n’est pas une espèce d’avantage d’exploser plus tard ? Tu as déjà une certaine expérience dans le milieu de la musique …
K : C’est une vraie question que tu me poses parce que les gens pensent que je fais partie de la nouvelle génération… Je ne connais pas le vécu des autres mais il y a une chose dont je suis certain : si j’ai mis plus de temps à me faire remarquer c’est aussi parce que j’ai fait des choses. Et j’ai rencontré des gens. J’ai rencontré toutes les couleurs, toutes les cultures et toutes les religions. J’ai travaillé avec des feujs, des musulmans, des chrétiens, des blancs, des noirs, des rebeus… On a tous quelque chose à se reprocher et personne n’est meilleur que l’autre [Sourire]. J’ai rencontré tout le monde. Si j’insiste là-dessus, c’est pour dire que j’ai vu du pays pendant ces années et ça m’a forgé. Aujourd’hui, je ne me fie plus aux apparences et j’essaie de connaître la personne avant de porter un jugement. Et j’essaie d’être calme ! Avant, j’étais toujours speed, je démarrais au quart de tour alors qu’aujourd’hui j’essaie d’analyser la situation.
Musicalement parlant, je n’ai jamais arrêté d’écrire. Même quand j’étais au bled pendant une pige, j’écrivais et je remplissais des tonnes de cahiers. Je suis Ivoirien et, bizarrement, l’armée peut sortir et tirer dans les rues… On va rester dans la rue. Alors que s’il se met à pleuvoir, on va tous se réfugier à l’intérieur. On a plus peur de la pluie que des balles [Sourire]. Quand il pleuvait, j’allais à l’intérieur et je n’arrêtais pas d’écrire. Il y avait une radio qui passait des sons cainris et j’écrivais par-dessus les morceaux. Je n’ai jamais arrêté de me prendre la tête.
A : Tous ces textes que tu as écris pendant des années, tu penses les ressortir ?
K : Pour la majorité, je ne sais même pas où ils sont [Rire]. On dit que c’est en forgeant qu’on devient forgeron et c’est vrai. Plus tu écris et plus tu vas devenir bon. Même si tu ne vas pas garder tes textes, tu progresses et, par la suite, tu vas avoir une facilité à sortir certaines choses. Des fois, tu écris une punchline que tu trouves un peu pétée et les gens vont la trouver dingue. Ce sont souvent mes textes les plus simples qui provoquent ce genre de réactions.
A : Contrairement à quelqu’un qui aurait explosé à dix-neuf ans grâce à un titre, tu as eu une vie avant le rap…
K : [Il coupe] Si j’avais explosé il y a dix ans, je serai peut-être has-been aujourd’hui. Peut-être que je sortirais des morceaux que personne ne calculerait… Si ça s’est passé aujourd’hui, c’est que ça devait se passer aujourd’hui. Peut-être que ça va durer deux ans et que ça s’arrêtera… Pour l’instant, je prends ce qu’il y a à prendre.
A : Justement, est-ce que tu penses que c’est important que tu aies eu cette vie à côté, que tu n’aies pas été uniquement un rappeur ?
K : C’est super important ce que tu viens de me dire. Je ne vais pas parler de star system à notre niveau mais quand on commence à te reconnaître un peu dans la rue, tu as des mecs qui vont péter des câbles alors qu’ils n’ont même pas sorti un seul tube. Les mecs deviennent fous, se mettent des tatouages partout… Bon, on peut se faire des tatouages et, moi-même, j’en ai un mais il n’est pas lié au rap. En tout cas, cette première vie fait en sorte que je garde les pieds sur terre. J’ai tellement galéré… Il y a cinq ou six ans, je voyais les mecs qui avaient des Planète Rap et je les enviais. Là, j’ai un Planète Rap dans quelques jours, c’est bien mais j’ai tellement galéré que c’est normal d’en avoir un. Tout ce qui est en train de se passer, c’est normal. Quelqu’un qui galère et qui va lire l’interview va me prendre pour un ouf mais je te jure, c’est normal. C’est le minimum. Je vais prendre encore plus.
« En Côte d’Ivoire, on a plus peur de la pluie que des balles. »
A : Il y a un travail visuel très soigné sur chacun de tes clips avec une vraie identité. On reconnait tout de suite le « personnage » Kaaris.
K : Tu sais ce qui est mieux dans tout ça ? Quand tu ne fais pas exprès. La caméra s’allume et je fais ce que j’ai à faire. Je ne cherche pas à ressembler à quelqu’un d’autre ou à bouger d’une certaine manière… Je fais mon truc. Après, on s’inspire tous de quelque chose et je peux avoir des idées en regardant d’autres vidéos mais je fais ce que j’aime. Ma seule direction, ce sont mes goûts et mon envie. Je ne cherche pas à faire autre chose.
En tout cas, c’est sûr que Chris Macari a été une rencontre importante. Même si j’avais fait quelques bons clips avant de le rencontrer. Après, Chris, c’est un autre niveau et, si tu veux faire un bon truc, il faut bosser avec les meilleurs. Ceci dit, il y a d’autres gens qui sont bons et je ne suis pas marié avec Chris. Aujourd’hui, on travaille ensemble parce qu’il est bon, qu’il a toujours répondu présent et que c’est la famille mais si quelqu’un d’autre nous propose quelque chose et que Chris n’est pas disponible, on bossera avec lui. En tout cas, j’ai senti que je passais un cap quand j’ai travaillé avec lui. Notre premier clip c’était « Le légiste » … et c’était quelque chose ! En plus, c’est toujours étonnant de voir Chris travailler : il tient la caméra avec une main, des fois il ne te filme même pas et tu ne comprends pas comment il a fait pour en arriver à ce résultat, il a toujours plein d’idées… On fait du bon boulot ensemble.
A : Tu as sorti plusieurs extraits avant l’album.
K : On a misé sur ce genre d’attaque, une frappe tous les trois-quatre mois avant un pilonnage avant la sortie de l’album.
A : Est-ce que tu as été surpris de l’impact de « Zoo » ?
K : Je me suis rendu compte de son impact quand je me suis retrouvé à Toulon en train de marcher sur la plage et que des petits de dix-sept ans sont venus me parler comme s’ils avaient vu un fantôme. D’ailleurs, c’est bizarre mais dès que les petits viennent me parler, ils sortent tous de prison et ont fait les trucs les plus dingues de la planète. Tous les petits que je rencontre se disent criminels [Rire] ! En tout cas, je les ai vus arriver, ils connaissaient le morceau « Zoo » et c’est là que j’ai compris que quelque chose se passait, même s’il y avait eu « Kalash » avant. Je sais que le couplet que j’ai fait sur « Kalash » a plu aux gens mais c’est vrai qu’il fallait frapper fort après et, surtout, il ne fallait pas attendre. En tout cas, on a été étonné par le résultat, comme tout le monde, mais on savait qu’il y avait un truc quand même. On ne savait juste pas si les gens allaient le comprendre. On se posait beaucoup de questions : il n’y a pas beaucoup de paroles, il y a beaucoup d’échos, on n’a pas beaucoup entendu ça en France… Finalement, les gens l’ont compris.
A : Ce morceau a dépassé le cadre du rap et a même été parodié par Willaxxx. Comment est-ce que tu as pris ça ?
K : Je n’ai pas trouvé la parodie spécialement drôle mais c’était logique. Le morceau a pris une telle ampleur qu’il y a forcément des mecs à côté qui vont essayer de se raccrocher au navire ou de la parodier. La plupart du temps, les gens qui font ça sont avant tout des kiffeurs. Là, Willaxxx savait que le morceau était bon et c’est pour ça qu’il a fait son truc. Après, très honnêtement, je m’en fous.
A : Est-ce que tu vois toi aussi « Kalash » comme un détonateur ?
K : « Kalash », ça a été un gros palier. Mehdi [NDLR : prénom de Therapy 2093] me disait « viens travailler avec moi, tu verras, on va faire un morceau de fou avec Kopp ». On le pressentait un peu [Sourire]. Il y avait déjà eu « Criminelle League » mais il n’avait pas été exposé de la même manière et n’avait pas eu le même impact. Au moment de « Criminelle League », les gens me découvraient vraiment. J’ai fait des morceaux avant et les afficionados qui suivent depuis 43ème Bima le savaient mais, sinon, j’étais encore un inconnu. Certaines personnes se sont même demandé pourquoi Booba faisait un feat avec moi. « Il sort d’où ce Kaaris ? » Plein de gens ne savaient pas. C’est quand ils ont écouté « Kalash » qu’ils ont fait le rapprochement avec les quelques morceaux sur lesquels ils m’avaient déjà entendu. Avant que « Kalash » sorte, il y a peut-être même des gens qui en regardant le tracklisting se demandaient pourquoi Booba faisait un feat avec ce type. « Pourquoi il fait ça ? » Il faut écouter avant de juger.
A : Finalement, tu as très peu de temps de parole sur « Kalash »…
K : J’ai fait un douze mesures. C’était voulu et on a essayé d’être le plus efficace possible. Comme pour « Zoo », je me posais beaucoup de questions et je me demandais si les gens allaient comprendre le couplet…
A : Quand tu écris ce douze mesures, ce ne sont que des choses récentes ou tu pioches dans un de tes cahiers ?
K : Non, ça n’était que des choses récentes. Il y a des morceaux que je mets du temps à écrire et il y a des choses que j’écris très vite. Celui-ci, je l’ai écrit extrêmement vite. Sur ce morceau, je rappais avec et contre Booba. Lorsque tu fais un feat, tu viens mais tu veux être meilleur que l’autre. Et c’est la même pour lui ! « On se connaît, il n’y a pas de problème entre nous mais sache que je ne vais pas te louper. » Il fallait que je sois au niveau sinon j’étais mort, comme ça a été le cas pour la plupart des rappeurs qui ont posé avec Booba. Je pense que lui aussi aime la compétition.
A : On parlait de ton écriture. Qu’est-ce qui peut t’inspirer ?
K : Je m’inspire de tout. Même toi, tu peux m’inspirer ! Sans t’en rendre compte, tu vas peut-être prononcer une phase que je vais trouver mortelle. Je regarde beaucoup de films, j’écoute beaucoup de musique et des choses super variées… J’ai une mémoire particulière. Quand je vais regarder un film, je ne vais me souvenir que d’une phrase. Je ne saurais pas te dire qui était l’acteur ou comment est-ce que le film s’appelait. Mais je me souviendrais de cette phrase.
A : Tu as parfois des références inattendues. Tu cites le couturier Yamamoto par exemple…
K : [Il coupe] Il est connu lui ! Après, c’est vrai que la jeunesse « je m’en bats les couilles » de dix-sept piges ne saura sûrement pas qui c’est. Par exemple, quand je tombe sur un film en noir et blanc, je ne vais pas zapper. Je vais regarder et je vais lui donner une chance. Je pense que les plus jeunes vont changer directement de chaîne et se mettre sur l’Ile de la Tentation… Je ne regarde pas ces conneries là [Sourire]. Je pense que ça dépend de la sensibilité de chacun.
A Tu cites très régulièrement Sevran également…
K : C’est normal, c’est mon quartier. Il faut que je rappelle aux gens que je viens de là. Sevran est la ville la plus pauvre de Seine-Saint-Denis. Et la Seine Saint-Denis est le département le plus pauvre de France. Je ne dis pas que Sevran est la ville la plus pauvre de France mais elle fait forcément partie des plus pauvres… Il n’y a rien ! C’est pour ça que je la représente, pour que les gens sachent où c’est.
A : Je sais que tu l’appelles aussi « La Pharmacie ».
K : Ouais, c’est un truc qu’on utilise entre nous [Sourire]. Dans tous les quartiers, tu entendras des mecs dire que c’est chez eux qu’on bicrave le plus… Tout le monde fait ça. Tu vas voir un mec arriver avec du pilon, il va te dire que le pilon est meilleur chez lui ! Tu as toujours l’impression que le tien est meilleur que celui des autres [Sourire].
A : Mais ça peut avoir un double sens aussi puisque le maire de Sevran, Stéphane Gatignon, est connu pour sa volonté de légaliser le cannabis…
K : Ouais mais il est complètement fêlé lui [Sourire]. Il veut niquer le business des gens et dit n’importe quoi. Il se prend pour le Major Colvin dans The Wire, celui qui a créé Hamsterdam… On a vu ce que ça a donné d’ailleurs. [Rire]
A : The Wire, c’est une série dont tu es fan ?
K : J’ai découvert très tard mais je kiffe ouais. En fait, j’avais regardé le premier épisode il y a longtemps mais j’avais trouvé ça lent, les mecs étaient habillés bizarrement, je venais de finir The Shield… Je trouvais ça chelou. Un jour, Mehdi m’a dit « Regarde !« . Et, franchement, c’est un truc de fou, c’est incroyable. Même Omar, malgré ses fréquentations douteuses, tu le kiffes ! Attention, il a le droit de faire ce qu’il veut mais, généralement, c’est pas le genre de personnage auquel tu vas t’identifier. Ils ont réussi à tout bien faire dans cette série.
A : Il y a des gens parmi les plus jeunes qui peuvent faire des raccourcis : ils t’ont vu rapper avec Booba, rapper sur du Therapy qui travaillait déjà avec Booba, dans des clips de Chris Macari qui est le réalisateur attitré de Booba… Est-ce que tu n’as pas peur d’être vu comme le petit de Booba ?
K : Je n’aime pas cette expression et je l’ai déjà dit dans une autre interview. Je ne suis pas le petit de Booba et je pense que même Booba ne me considère pas comme son petit. Il ne pense pas comme ça. Il sait très bien que, dans une cité, tout le monde est grand maintenant. Maintenant, c’est clair que les gens me perçoivent comme affilié à Booba. Je suis arrivé via « Criminelle League » et « Kalash », le mec m’a donné un coup de main qu’il n’a jamais donné à personne. Même pour les mecs avec qui il rappait avant, je ne pense pas qu’il ait fait autant…
« Si tu veux du hardcore, viens nous écouter. »
A : Je pense qu’il avait déjà donné des coups de pouces similaires mais ça n’a jamais eu le même impact.
K : Ouais, tu as peut-être raison là-dessus, il y a aussi de ça. En tout cas, il a toujours parlé de moi en interview et ça contribue à augmenter le buzz, ça fait plaisir. Je pense que ça a été très simple et qu’il s’est dit la chose suivante : « j’aime bien ce que fait cet artiste. Pourquoi est-ce qu’il n’est pas dans les mixtapes et les compilations qui se font ? » Parce qu’il y a eu énormément de compilations qui se sont faites et on ne m’a jamais appelé. Pourtant, j’avais déjà fait le feat avec Despo et même Z.E.R.O si ma mémoire est bonne. Du coup, il a cherché à me donner de l’exposition. Mais, même en se disant ça, je pense qu’il se dit aussi que je vais devenir un concurrent… Mais il aime ça, la compétition. Ceux qui disent que je suis son petit se trompent complètement. De toute façon, ça se voit. Tu regardes mes vidéos, tu ne peux pas dire que je suis un petit.
A : On parlait de ton exposition grandissante et on peut t’entendre dans le générique de Clique, l’émission de Mouloud Achour. Quelque part, tu rentres dans la culture populaire avec de genre de collaborations.
K : Ouais, par la petite porte mais j’y rentre tout doucement, je rentre le petit doigt, je rentre mon gland, je rentre quelque chose quoi [Rire]. Mouloud, je l’ai rencontré lors d’un de mes concerts à la Machine du Moulin Rouge. Il a apprécié ce que je faisais, je l’aime bien, il est fun, il est jeune, il est cool… Tranquille. Il m’a proposé d’apparaître sur le générique de son émission, on a vu avec Mehdi que c’était un bon truc. En plus, ça fait rire les gens qui me connaissent et qui regardent l’émission, ça fait plaisir. Si plus de personnes peuvent entendre mon « Ohhh Clique » fétiche grâce à ça, ça fait plaisir. En plus, c’est un gimmick que j’ai depuis 43ème Bima. Je me souviens, à l’époque, un DJ m’avait dit qu’il ne fallait surtout pas que je fasse ça, qu’il fallait le retirer du morceau… C’était un fou celui-là.
A : Je ne sais pas si c’est voulu mais il y a parfois des mots presque anodins que tu vas prononcer et qui vont vraiment marquer les esprits. C’est le cas quand tu dis « Sevran » sur « Kalash » par exemple. C’est presque devenu un gimmick que les gens ont envie de dire alors qu’ils n’ont rien à voir avec la ville.
K : On a fait une quinzaine de dates et je me suis retrouvé dans des coins de la France où les mecs passaient devant moi dans la rue et disaient « Sevran ! » [Rire] J’étais à Metz et j’entends un mec qui me crie ça… « Qu’est-ce qui se passe ? » Après, c’est bien moi qui le dit dans mes morceaux mais ça n’était même pas mon idée de le mettre en avant. Je crois que c’est Mehdi ou Kopp qui ont voulu qu’on l’entende aussi bien.
A : Or Noir sort le 21 octobre. Quelles attentes as-tu vis-à-vis de ce premier album ?
K : Franchement, j’ai envie que l’album soit apprécié à hauteur du travail fourni. Et je ne parle pas uniquement du travail effectué sur Or Noir mais du travail effectué depuis mes débuts. Je pense que cet album est un aboutissement, le résultat de toutes ces années dans le rap. Comme tout artiste, j’ai envie de faire un bon score… On verra ce que ça va donner, on ne connait pas l’avenir.
A : Tu penses aux ventes, au fait qu’il est plus difficile de vendre des disques aujourd’hui ?
K : Déjà qu’il est plus difficile de vendre des disques aujourd’hui, c’est encore plus le cas quand il s’agit d’un artiste comme moi. Je ne fais pas de la musique pour les petits… Même si les petits me connaissent à cause de leurs grands frères. Quand je me fais accoster dans la rue, les grands me reconnaissent mais les petits me prennent pour quelqu’un d’autre, pas pour un rappeur dont ils vont acheter le disque. J’ai l’impression de faire de la musique alternative par rapport aux autres. Même si ça reste toujours du rap, il n’y a pas de soupe, pas de banane… Je pense que je vais faire le score que je mérite et j’espère qu’il sera bon. En tout cas, on a travaillé pour.
A : Est-ce que tu es d’accord pour dire qu’il y a un vrai travail d’équipe avec Therapy et que Or Noir est presque un album réalisé à deux ?
K : Oui, on peut totalement dire ça. Il a produit tous les instrus, il a réalisé l’album et il y a même deux ou trois titres sur lesquels il m’a donné la mélodie. Il a une sacrée oreille et, quand il fait l’instru, il a déjà une mélodie qu’il veut entendre. Sur certains titres, il m’a conseillé de faire le refrain d’une certaine manière. Après, j’ai écrit toutes les paroles, j’ai ramené tous les flows, le kickage c’est moi… Mais bien sûr que c’est un travail d’équipe. J’arrive, il fait ses instrus, il me demande si ça me va, on teste le truc… Il y a une alchimie, il y a quelque chose qui se passe et je pense que les gens le ressentent.
Parfois, j’ai aussi envie de prendre un instru et il va me dire « non, celui-là, tu ne peux pas le prendre. On va trouver meilleur que ça ». Alors que c’est vraiment sur ce beat que j’ai envie de rapper. C’est ce qui s’est passé pour « L’Hôte funeste ». Immédiatement, j’ai dit que je voulais l’instru. « Mais non, personne ne prend cet instru ! ». Moi, je la prends. Au final, je pense que c’est un des meilleurs morceaux de Z.E.R.O.
C’est le premier CD que Therapy produit entièrement et c’est mon premier album. On fait le premier ensemble, jusqu’à ce que Dieu nous sépare.
A : Est-ce que Booba est intervenu sur la direction artistique de l’album ?
K : Bien sûr, sur les premiers titres notamment. Il venait, on faisait une écoute et il me donnait quelques indications : « là, peut-être que tu devrais faire un refrain sur quatre mesures, là un refrain sur huit mesures, ce morceau a l’air d’un hit et il faudrait plus le mettre en avant ». Jusqu’à aujourd’hui, Mehdi parle encore avec lui de l’album. On va dire qu’il aime bien ce que je fais. Ceci dit, je pense que ce sont des conseils qu’il a dû donner à d’autres artistes avec qui il a travaillé dans le passé. Il aime bien faire ça, donner des conseils. Après, libre à toi de les écouter.
A : Tu as décidé de n’inviter aucun rappeur sur Or Noir. Pourquoi ?
K : J’ai décidé de centrer l’album sur moi. C’est un peu égoïste vis-à-vis des rappeurs qui sont moins connus et qui auraient voulu que je les appelle, voire même vis-à-vis du public qui voulait peut-être me voir rapper avec d’autres gens… Mais j’en avais besoin. Il fallait que ce soit mon CD. J’aurais pu inviter des artistes et j’espère que si je les avais appelé, ils auraient dit oui mais c’était un vrai choix de n’inviter personne sur Or Noir. On n’entend que moi sur ce disque et ça suffit.
A : Il y a beaucoup de rappeurs français qui disent n’écouter que du rap américain. Est-ce que c’est ton cas ?
K : On dit tous ça [Sourire]. J’écoute du rap français mais c’est surtout pour voir le niveau. Bien sûr qu’il y a des mecs qui rappent bien mais j’essaye toujours de faire mieux. Bien sûr qu’il y a des albums de rap français que j’ai écoutés, comme tout le monde, mais je n’ai même pas envie de citer de noms. Je n’aime pas ça.
A : Une séance de studio entre Therapy et toi, ça ressemble à quoi ?
K : Je suis dans la cabine, torse nu, les pecs bien gonflés, Therapy est de l’autre côté… et il kiffe sur moi [Rire]. Non, je suis dans le studio en train de rapper et il écoute. Avant de faire les refrains, je finis mes couplets. Je reviens, on fait une écoute, on regarde quel couplet conserver. Je retourne dans la cabine faire le refrain, je reviens, on fait une grosse écoute, ça bounce… On fait comme tout le monde.
On écoute aussi beaucoup de sons, on se fait découvrir des trucs. D’ailleurs, ça m’arrive de lui faire découvrir plus de sons, j’ai plus de puissance que lui [Sourire]. C’est toujours une fierté quand j’arrive avec quelque chose qu’il ne connait pas. Therapy n’a pas fait de solfège, c’est un autodidacte donc il a été obligé d’être curieux et de connaitre un maximum de choses. Je ne dis pas qu’il connait forcément plus de choses qu’un mec qui est allé à l’école, chacun son parcours. Mais il a un truc que les autres n’ont pas.
A : Quels sont les derniers morceaux qui t’ont fait kiffer ?
K : « It’s over » de Chief Keef. J’ai beaucoup aimé Finally Rich mais je trouve qu’il fait des trucs un peu chelous ces derniers temps. Je pense qu’il met un peu trop de sirop dans son Sprite là [Sourire]. C’est vrai que la scène de Chicago m’intéresse mais il n’y a pas que ça. J’écoute beaucoup Freddie Gibbs aussi… Il y a tellement de kickeurs. L’équipe Maybach Music, même Young Money… Mais là, ça n’est même plus comparable, c’est pas la même puissance. Si tu regardes bien, j’ai parfois plus de clics sur mes videos YouTube que certains sons de Chief Keef. Aux États-Unis, Chief Keef est encore petit… alors que les gros sont très très loins. Nous, on écoute ceux qui sont cachés mais il y aussi des mecs incontournables. Lil’Wayne reviendra toujours avec de nouvelles tueries.
A : « Libérez Lil’ Boosie ». C’est une référence franchement pas commune en France.
K : Il y a peut-être deux mille personnes en France qui connaissent Lil’ Boosie mais ces deux mille personnes ont su que je faisais partie de leur cercle très fermé [Sourire]. Je le connais donc je le cite. J’aime bien son histoire, j’aime bien sa musique. Après, je ne kiffe pas Lil’Boosie parce qu’il est incarcéré hein ! C’est vraiment l’artistique qui prime.
A : Booba a sorti un morceau avec Young Chop. Tu pourrais avoir envie de bosser avec de gros producteurs américains ?
K : Il a pris une prod de Young Chop, c’est bien mais, franchement, je préfère les instrus de Therapy. Young Chop, c’est le producteur qui commence à monter là-bas mais on ne sait pas encore combien de temps il va durer. Il y en a eu d’autres avant lui qu’on a oubliés depuis. De toute façon, je ne suis pas à ce niveau-là pour le moment. Booba fait des morceaux avec Rick Ross, je n’en suis pas là. Je travaille avec Therapy et ça me suffit. Et franchement, les instrus de Therapy sont amplement suffisants. Ceci dit, Young Chop, c’est du lourd et personne ne peut le nier. Encore faut-il le connaître… Booba a balancé le morceau et il y a plein de personnes qui l’ont écouté parce que c’est un morceau de Booba, sans savoir qui produit quoi.
A : On a parlé de tes gimmicks sonores mais tu en as un qui est visuel également et que tu fais dans tous tes clips. Il y a une signification à ça ?
K : C’est la force. Je ne peux même pas te dire d’où ça vient. C’est le feeling, ça tombe tout seul. D’ailleurs, j’ai vu Anelka et Teddy Tamgho qui l’ont repris. C’est bien, ça fait plaisir et ça veut dire qu’ils m’ont écouté. Quand les gens voient Anelka faire ça, il y en a plein qui ne vont même pas savoir que ça vient de moi… Mais c’est pas grave, Anelka sait, c’est tout ce qui compte [Sourire]. Je ne l’ai jamais rencontré mais c’est un footballeur qui a une carrière incroyable. C’est le Cantona noir. J’aimerais bien le rencontrer un jour. Même s’il ne me connait pas, il sait que je l’ai vu. Et, maintenant, je sais qu’il m’a vu.
A : Tous mes extraits de l’album sont des morceaux durs. Est-ce qu’il faut s’attendre à avoir des morceaux moins hardcores dans l’album ?
K : C’est sale poto [Sourire]. Franchement, c’est sale. Il n’y a pas de bal musette. C’est sale du début la fin, pas de compromis. Les compromis, ça n’existe pas. J’ai mes idées et mes propres limites mais je dis ce que j’ai envie de dire. L’album est hardcore. Si tu veux du hardcore, viens nous écouter. Sinon, tu vas voir les autres. Même s’il y a des morceaux plus mélodieux, ça reste toujours dans le domaine du Parental Advisory, PG 18 [Rire].
A : Est-ce qu’il y a quelque chose que tu souhaiterais ajouter ?
K : Je suis content que vous soyez venus et l’interview s’est bien passée. J’espère que ce sera ce que j’ai réellement dit qui sera retranscrit… Sinon, je vous retrouverai [Sourire].
Les rappeurs hexagonaux ont pris l’habitude de fustiger les médias généralistes, leur reprochant légitimement de passer sous silence la plupart des sorties de rap français. En ce début d’année 2013, c’est presque le reproche inverse qui pourrait leut être fait, tant les journaux, les magazines et les émissions de télé ont pris un malin plaisir à commenter les différents événements entourant le clash Booba/La Fouine qui a littéralement phagocyté les nombreuses bonnes surprises survenues récemment. Mise en lumière sur quinze morceaux qui ont particulièrement retenu notre attention au cours de ce premier trimestre.
Hype ft. Roro - « Pierre tombale »
Hype, qu’on a l’habitude d’entendre avec son compère Sazamyzy, décide ici de se lâcher complètement sur la prod de Roro, autre membre de l’entité GB Paris. Rappeur incisif, Hype est le genre de MC dont on guettait toujours avec intérêt la prochaine rime mais auquel on pouvait parfois reprocher un manque de prise de risques. Reproche complètement obsolète avec ce « Pierre tombale », morceau halluciné au cours duquel le rappeur de Bondy menace l’intégralité du rap français avec un sourire narquois. Épatant. (La mixtape Charles Pasqua Money Vol 2 est disponible en téléchargement gratuit sur le blog Fusils à pompe.)
Kaaris - « Zoo »
En à peine une année, Kaaris s’est imposé comme le Bill Butcher du rap français : un mec grossier à outrance, sans pitié et capable de fulgurances inouïes. Si la sortie de Z.E.R.O avait alimenté les comparaisons avec Booba l’année dernière, le temps indique clairement que Kaaris n’a rien d’un énième ersatz du Duc de Boulogne. « Zoo », dont on imagine qu’il est le premier extrait de son album à venir, impose un univers et un lexique à part. Morceau phénomène, il a déjà été brillamment parodié par Willaxxx.
Wilow Amsgood - « Sale négro »
S’il était un projet de qualité, porté notamment par des productions rigoureuses et appliquées, Marchand de rêves, le premier EP de Wilow, voyait parfois les textes du rappeur Picard tomber dans la facilité et casser l’effet de certains morceaux. 2013 l’a vu prendre une bonne résolution puisque son écriture est désormais plus épurée, preuve en est avec ce « Sale négro » entêtant. (La mixtape collégiale #NoCracks est disponible en téléchargement sur le site de Wilow.)
Aelpéacha - « En avance sur moi-même »
Pendant que 80% des rappeurs français sortent un album tous les trois ans, Aelpéacha, sans prévenir personne, a décidé de livrer un énième album pour débuter l’année. Déroutant par son appellation mais également par certaines de ses orientations, Ride hivernale est un disque aux accents mélancoliques, à des années-lumières des hymnes ensoleillés aux barbecues auxquels le rappeur de Splifton nous avait habitués. Il n’empêche qu’avec l’album de Rocé, il s’agit de la meilleure sortie 2013 à ce jour, portée avec brio par « En avance sur moi-même », sorte d’egotrip second degré au groove imparable.
Ride hivernale est disponible en écoute sur le bandcamp de Aelpéacha.
Rocé - « Assis sur la lune »
On aurait pu choisir « Actuel », morceau phare du dernier album de Rocé qui le voit collaborer avec succès avec le mystérieux JP Manova (anciennement connu sous le nom de JP Mapaula). Après réflexion, le choix d’avoir clipé « Assis sur la lune » est presque évident tant il fait parfaitement le lien entre les derniers albums plus expérimentaux du rappeur et ce Gunz N’ Rocé qui le voit revenir avec brio à ses premières amours.
Maître Gims - « Meurtre par strangulation »
En 2008, comme beaucoup d’autres spectateurs du paysage rapologique français, nous avions été impressionnés par l’arrivée de la Sexion d’Assaut, la fraîcheur du groupe s’inscrivant dans un cadre inédit et presque anachronique à l’époque. Deux albums en major plus tard et nous nous sommes fatalement éloignés du groupe parisien, ayant parfois des difficultés à nous remémorer ce qui nous avait tellement séduits dans Le Renouveau. Avec « Meurtre par strangulation », l’autre premier extrait de l’album solo de Gims avec le mitigé « J’me tire », le phénomène de la Sexion nous rappelle qu’il est incontestablement un des rappeurs hexagonaux les plus doués. Naviguant entre le chant et le rap, flirtant avec les flow irrités de Meek Mill ou d’Eminem post-Relapse, Gims a su immédiatement regagné notre intérêt. C’était franchement pas gagné.
Hyacinthe - « Cheveux rouges »
« Rien à foutre de la tradition littéraire en France ». Plus qu’un simple effet d’annonce, la phrase fait figure de carte de visite pour Hyacinthe qui s’échine pendant 14 morceaux à déformer l’amour sous toutes ses formes, à commencer par son orthographe qu’il malmène dès le titre de son projet. Sur la route de l’Ammour succède à Des Hauts, des Bas et des Strings et retrouve le rappeur parisien là où on l’avait laissé l’an dernier. Obscène, irrévérencieux et arrogant à l’extrême, Hyacinthe continue de chanter la légèreté et de célébrer l’immaturité, en profitant au passage pour élargir considérablement sa palette de rappeur. (Sur la route de l’Ammour est disponible en téléchargement sur le bandcamp de Hyacinthe.)
Sadek ft. Meek Mill - « Pay Me »
Les Frontières du Réel est un album contrariant. En même temps qu’il voit Sadek confirmer le potentiel qu’on avait déjà deviné chez lui, il est trop largement pollué par des morceaux qui lorgnent maladroitement vers le grand public. Étonnamment, le moment le plus naturel de l’album intervient lorsque le rappeur du 93 invite Meek Mill à l’occasion d’un « Pay me » surprenant. Alors que la plupart des collaborations franco-américaines ont généralement débouché sur des morceaux ordinaires, « Pay me » voit naître une véritable complémentarité entre les deux MC’s qui ont en commun le même côté gueulard et remuant. Dommage que le reste de l’album ne partage pas la même spontanéité.
Joke - « PLM »
Kyoto, EP sorti l’an dernier chez Golden Eye Music, a presque vu Joke renaître, lui qu’on avait un peu oublié depuis son passage chez Institubes et la sortie de Prêt pour l’argent. Une signature chez Def Jam France et quelques centaines de milliers de vues plus tard, le rappeur de Montpellier fait presque déjà figure de valeur sûre. « P.L.M » s’inscrit exactement dans le chemin tracé par « Triumph » et « Scorpion remix » et sert de parfait teasing pour Tokyo, le nouvel EP à venir.
Starlion - « Danse ou j’tire »
Lorsque nous avions rencontré Grems fin 2011, celui-ci nous avait dit le plus grand bien de Starlion, rappeur originaire de Reims et dont le nom faisait lui aussi partie de la liste des innombrables membres composant le collectif la Fronce. Peu étonnant que Starlion se soit par la suite greffé à l’entité PMPDJ et qu’il ait participé à l’excellent Haterville sorti l’an dernier. C’est désormais en solo qu’il refait son apparition avec Jailbreak, un EP de très bonne facture. Le premier extrait, « Danse ou j’tire », montre l’étendue de son potentiel et démontre que, lui aussi, se situe musicalement entre les codes rap traditionnels et un penchant assumé pour les sonorités électroniques. (Jailbreak est disponible en téléchargement sur le site de Starlion.)
Bandit ft Metek & Wacko - « Elle »
L’instrumental lancinant et vaporeux de Myth Syzer, le flow aérien de Bandit, les placements Time bombesques de Metek et les références improbables de Wacko (Kierkegaard, Houellebecq et Doc Gyneco dans le même couplet, ça force le respect). Autant d’éléments qui font de « Elle » un succès et une pièce assez unique dans le rap français tant sont rares les morceaux hexagonaux qui auront réussi à retranscrire cette atmosphère planante si prisée de l’autre côté de l’Atlantique depuis quelque temps.
Infinit - « Building »
Depuis les percées neurasthéniques de Sako, peu de rappeurs issus du 06 étaient parvenus à réellement faire parler d’eux. Si on devait miser sur un poulain pour inverser la tendance, Infinit serait indiscutablement celui-là. Il est en effet assez rare de voir un jeune rappeur tenir facilement la distance sur plus de vingt titres comme c’est le cas sur Ma vie est un film, sa mixtape sortie en début d’année. Mieux, les nombreux invités (parmi lesquels on compte Alpha Wann, Veust Lyricist ou encore Aketo) ne réussissent jamais à lui faire de l’ombre. Un mec à suivre. (Ma vie est un film est disponible en téléchargement sur le site de Denbasfondation.)
Seth Gueko - « Dodo la Saumure »
Sur Neochrome Hall Stars game, le projet réunissant Zekwé Ramos, Al-K Pote et Seth Gueko, on avait trouvé notre gitan favori un peu en dedans, comme si la présence de ses deux compères l’avait empêché de se dépasser. Bad cowboy, son troisième album solo, devrait le voir sous un meilleur jour si l’on en croit « Paranoiak » et surtout « Dodo la saumure » qui, dans l’esprit, nous renvoie quasiment à l’époque Barillet plein. Bonus coquin : la sympathique Anna Polina fait une apparition remarquée dans le clip.
Mala - « Première sommation »
Si vous êtes un fan de rap de longue date, vous avez forcément été déjà confronté à cette étrange situation où une de vos connaissances néophyte vous demande de lui donner quelques clés d’entrée. Une chose est sûre et certaine : Mala ne sera jamais une de ces « clés d’entrée ». Pour l’individu lambda qui pense souvent que le rap est avant tout une histoire de mots, difficile d’expliquer ce qu’il peut y avoir d’aussi jouissif chez un rappeur aux tournures de phrase aussi invraisemblables. Maintenant, on aimerait une suite à Himalaya s’il vous plaît.
Georgio ft Hologram Lo’ - « Saleté de rap »
L’an dernier, Georgio s’était fait remarquer avec « Homme de l’ombre », habile tirade cafardeuse dont « Saleté de rap » pourrait être la deuxième partie. Premier extrait de Soleil d’hiver, EP conçu en commun avec l’ultra-productif Hologram Lo’, le morceau annonce la couleur d’un projet qu’on imagine partagé entre espoir de grandeur et désenchantement amer. On vous reparle très rapidement de Georgio avec qui on a récemment eu l’occasion d’échanger quelques mots.
La concurrence toujours à la traîne, l’argent qui n’en finit plus de pleuvoir, le succès ininterrompu et une solitude encore plus renforcée par la disparition de Bram’s, voilà de quoi il est essentiellement question dans Futur, sixième album solo de Booba. Ces quatre thématiques sont abordées dès le morceau d’ouverture, sobrement intitulé « G5 (Intro) », qui résume fugacement le disque en l’espace de huit lignes (« Ils me donnent des coups que je ne sens pas, sur les champs de bataille dans mes veines coule du champagne, dans ma tête plein de billets font les cent pas, on ne fait que me prêter de l’amour que je ne rends pas » puis « Contre vents et marées, de quelques frères malheureusement je suis séparé, évitons les sujets qui fâchent, l’important c’est pas la chute mais l’atterrissage »). Les quinze autres morceaux composant le projet ne sont rien d’autre qu’une imposante variante autour de ces sujets. Cette propension à tourner en rond, qui flirte parfois dangereusement avec le remplissage, rend le disque étonnamment intrigant.
Pour l’auditeur qui suivait déjà le MC boulonnais quand celui-ci faisait équipe avec Ali sous la bannière Lunatic, Futur marque un tournant critique. Pour la première fois, l’absence d’une véritable direction artistique se fait cruellement sentir. Pire, on se retrouve parfois face à quelques surprenantes fautes de goût qui laisseraient presque penser que Booba n’a plus l’oreille aussi alerte que dans le passé. Tout d’abord, il y a cette embarrassante habitude d’avoir régulièrement recours à l’autotune. Si Future – le rappeur – a récemment réinventé d’une manière inattendue un outil que même T-Pain n’osait plus utiliser, Booba semble lui encore prisonnier de l’emploi qu’on en faisait en 2008. L’exemple le plus criant est « 1.8.7 », la collaboration tant attendue avec le croque-mitaine Rick Ross. Là où l’auditeur lambda était en droit de s’attendre à une déflagration sonore propice à déchaîner les fosses en concert, Booba se contente de livrer un morceau paresseux et fait rapper Rozay sur des sonorités qui ne semblent déjà plus l’intéresser, sans exploiter au maximum le caractère grandiloquent du personnage. Abusif, le refrain autotuné crée un trop grand décalage avec le reste du morceau que les considérations ethniques de Booba (« Paraît que j’suis juif, j’t’enfonce une grosse bite ashkénaze ») ne permettent pas de résorber.
Cette paresse pèse sur un disque qui voit trop souvent le rappeur en pilotage automatique, poussant ainsi l’auditeur à regretter qu’une autre oreille que la sienne n’ait pas été autorisée à émettre un avis sur le disque avant sa sortie. Dans Futur, Booba se permet des facilités inédites et balaye d’un revers toute exigence d’exactitude. Peu importe qu’il ait pris Astérix pour Obélix, il fallait bien trouver une rime avec « à tes risques » sur « Maki Sall Music ». Peu importe la confusion entre le personnage de Val Kilmer et celui de Robert de Niro dans Heat sur « Caramel ». Peu importe qu’il faille se forcer pour se convaincre qu’il mentionne bien le nom de Charles Pasqua et non pas celui d’un hypothétique Gérard Pasqua sur « Kalash ». A ce titre, « Maître Yoda » est probablement la piste la plus symptomatique de ce manque d’inspiration. Dedans, on y trouve une pique gratuite à un confrère rappeur (ici, c’est au tour de Don Choa d’encaisser), une phase sur l’esclavage, un hommage à Bram’s, un clin d’œil à son avocat, des références à Star Wars et à Tony Montana et une auto-citation renvoyant à un de ses anciens morceaux. La routine.
En 2013, Booba évoque presque les personnages de vieux briscards régulièrement interprétés par Clint Eastwood au cinéma. Isolé et acariâtre, l’homme semble blasé et n’a plus vraiment de raison de se dépasser. A moins qu’on ne lui mette un jeune partenaire dans les pattes pour le pousser dans ses retranchements. C’est précisément ce qui se produit sur les quelques sommets de l’album qui, malgré leur rareté, devraient suffire à assurer une postérité au disque. « Kalash », morceau phare du projet, le voit faire équipe avec un Kaaris survolté. Tout en confirmant qu’il est une valeur sûre après la mixtape Z.E.R.O., le MC de Sevran entraîne Booba dans sa déraison. Entre références loufoques (« J’ai des gros bras, la chatte à Popeye ») et violence gratuite (le gilet fluo, l’orteil de Kaaris), les deux rappeurs partagent une véritable alchimie. Il en va de même sur « O.G » et « Rolex », des titres qui le voient respectivement collaborer avec les habitués Mala et Gato, tous deux garants d’une énergie bienvenue. A chaque fois qu’il est épaulé, l’auteur de Temps Mort est capable de fulgurances qui rappellent ses plus grandes heures (« J’ai du poulet yassa, de la me-ca dans le tupperware » sur « O.G »). Même « 2pac », autre grande réussite de l’album, n’est pas tout à fait une expérience solitaire tant Bram’s, auquel deux couplets sont dédiés, habite les quatre minutes du morceau. Comme si, malgré des années à œuvrer tout seul, Booba avait aujourd’hui besoin de retrouver les sensations du groupe pour retrouver pleinement ses moyens.
Fort d’une carrière de près de vingt ans, il semble presque convenu que Booba est tout seul sur le trône du rap français. On pourrait lui contester cette position, lui qui n’est probablement pas l’artiste le plus épatant du paysage rapologique et dont les ventes sont distancées par celles de la Sexion d’Assaut. Pourtant, Booba déchaîne les passions plus que n’importe quel autre de ses confrères et le souci, justement, réside dans le fait qu’il en est parfaitement conscient. A observer Booba sur le toit du rap alors qu’il est encore en activité, on ne peut s’empêcher de se demander s’il s’y amuse toujours autant. Le rappeur est en effet arrivé au bout du chemin qu’il avait emprunté en 2008 avec 0.9 et dont Lunatic était la concrétisation la plus éclatante. Au lieu de regarder dans le futur, peut-être pourrait-il se souvenir de ce qu’avait fait Michael Jordan en 1993. Une fois sa soif de conquête assouvie par les successions de titres remportés avec les Chicago Bulls, Michael Jordan s’était octroyé une incursion dans le base-ball pour mieux revenir par la suite. Au vu du plaisir qu’il a l’air de prendre avec le chant, Booba aurait presque intérêt à faire la même chose. A l’image d’un Michael Jordan qui avait dû se faire violence pour faire bonne figure dans un sport qu’il ne maîtrisait pas, Booba est un chanteur encore approximatif et tributaire de l’autotune. Pour autant, « Tombé pour elle » et « Jimmy » ne manquent pas de personnalité et confirment que le chant est devenue sa nouvelle marotte. Là où la plupart des rappeurs s’aventurant sur ce terrain ont régulièrement mis de l’eau dans leurs vins, Booba continue de servir son Jack pur. Il chantonne les mêmes vulgarités qu’il a l’habitude de rapper (« les niquer, tous les niquer, c’est ça l’idée » côtoie « fils de chiens » et « enfants de putes » sur « Tombé pour elle ») et raconte les mêmes histoires (celle de Jimmy fait fatalement penser à la sienne). Modifier la forme pour mieux rebondir ? C’est ce qui pourrait sauver Booba du combat de trop, et ses auditeurs de l’ennui.