IAM Ombre est lumière Les 25 ans
Ça n'aurait pas dû marcher. Le 9 novembre 1993, le groupe IAM sort son deuxième album, Ombre est Lumière. Les six Marseillais reviennent après un succès d'estime, ...De la Planète Mars, et un changement de label soudain. La discographie complète du rap français, à l'époque, peut encore tenir dans une boîte à chaussures. Ça n'empêche pas IAM de voir les choses en grand. Réalisé entre Marseille, Aix-en-Provence et New York, Ombre est Lumière comptera deux volumes, vingt-neuf titres, onze interludes. Durée totale : 2 heures 28. Et ça va marcher, bien au-delà de leurs espérances.
Ce double album, le premier de l'histoire du rap, est un incroyable attelage de références et d'idées. Sa variété témoigne de la curiosité débordante du groupe, dont la moyenne d'âge est alors de vingt-six ans. Quand IAM rappe, c'est pour parler de pleine conscience, d'hypocrisie religieuse, de géopolitique, de numérologie ou de bikers marseillais – et on ne mentionne là que la première partie du premier disque. Le langage puise dans l'argot, la science et les livres d'histoire : si vous avez la trentaine et connaissez les mots batiscaphe ou caligæ, vous le devez sans doute à Akhenaton et Shurik'N.
Deux ans plus tard, dans son album Métèque et Mat, le même Akhenaton évoquera l'imagination grand angle qu'il a développé dès sa petite enfance. Il racontera notamment sa capacité à “transformer une pièce aux dimensions d'un univers.” C'est précisément ce qu'accomplit IAM dans Ombre est Lumière. Le groupe n'est pas seulement inventif, drôle et érudit : il ouvre des portes. Des portes qui orienteront la destinée du rap français (que se serait-il passé si “Je danse le mia” n'avait pas été choisi comme single ?), mais qui auront aussi le pouvoir de transformer le jeune auditeur, seul devant son poste-cassette. Écouter Ombre est Lumière en 1993, c'est visiter un musée, arpenter les rues de Marseille, penser la multiplicité du monde, contempler la voie lactée, le tout entrecoupé de sketchs dignes d'un best-of des Inconnus (c'est bien sûr un compliment). Ce disque, à lui seul, offrait des perspectives infinies.
Fourre-tout miraculeusement cohérent, Ombre est Lumière ne ressemble à aucun autre album de la scène française. Propulsé par “Le mia”, il s’écoulera à 450 000 exemplaires. Plus tard, IAM ordonnera ses idées de manière plus limpide et moins légère, mais le moment Ombre est Lumière représente le groupe dans toute sa richesse, son esprit de camaraderie, son humour gras et ses idées hautes. C'est ce qui nous donne aujourd'hui envie de lui rendre hommage, avec une circumambulation en sept titres autour de cet album double et unique. Peut-être pas le plus grand, ni d'IAM, ni du rap français, mais certainement le plus grandiose. -JB
Je danse
le mia
À la question inévitable du premier single, IAM songe d’abord à répondre par “Harley Davidson”, grande moquerie à destination des motards du dimanche adeptes de la drague bien grasse et des grosses machines américaines. Devant le refus des ayants droit de Serge Gainsbourg, auteur du texte chanté par Brigitte Bardot, le groupe penche finalement pour “Je danse le mia”. Le morceau est un hymne aux soirées en boîte des années 80, qui en raconte avec beaucoup d’humour et un vrai sens de la mise en scène les rituels (“Le ballet des Renault 12 sur le parking”), les codes vestimentaires (“Pour les plus classes des mocassins Nebuloni”) et les confrontations, avec les pieds (“Des concours de danse un peu partout s’improvisaient”) ou avec les mains (“Tête à tête, je vais te fumer derrière les cyprès”). Bien leur en a pris finalement, tant ce choix par défaut va changer à jamais la destinée du sextuor phocéen.
La première version du “Mia”, présente sur le double CD original d’Ombre est Lumière, existe en réalité depuis 1990 et est régulièrement jouée sur scène. Quelques mois après la sortie de l’album, IAM met au point une nouvelle version, celle que tout le monde connaît, basée sur une boucle de guitare groovy du “Give Me the Night” de George Benson. Le clip, le premier réalisé par Michel Gondry, est particulièrement novateur et composé uniquement de brusques travellings avant ou arrière en guise de transitions entre les plans. Le résultat est immédiat : ce “Terrible Funk Remix”, plus dansant et entraînant, est diffusé sur toutes les radios, le clip de Gondry tourne en boucle sur M6, le single atteint le million d’exemplaires vendus en quelques mois et booste les ventes d’un album autrement moins avenant. “Je danse le mia” devient un phénomène, le deuxième grand tube rap après “Bouge de là” de MC Solaar et le premier succès public d’IAM, qui dissuadera Akhenaton de raccrocher à une époque où le groupe vivote entre cachets des concerts, Assedic et minces avances. Encore vingt-cinq ans après, on peut entendre des gens dire “IAM, ils dansent le MIA”. -David2
Je danse sur leurs figures
Si le succès international du “Mia” a peut-être sauvé IAM d’une fin de carrière prématurée, il laisse aussi un arrière-goût doux-amer dans la bouche de ses membres. Le groupe est vite dépassé par l’enthousiasme que suscite le morceau et ne supporte plus de voir son travail réduit à ce seul tube, loin d’être représentatif de la richesse thématique d’Ombre est Lumière. De plus, le milieu rap voit d’un mauvais œil ce triomphe populaire qu’il considère comme une trahison et conspue “Le Mia”, pourtant fort apprécié quand il était encore confidentiel. Ni une ni deux, Shurik’N et Akhenaton dégainent l’abrasif “Reste Underground” dans lequel ils égratignent, sévèrement mais toujours avec humour (“J’explique, pourtant c’est logique, j’entame une carrière mais je ne veux pas vendre un disque”), les “petits juges de l’underground” ingrats et jaloux de leur réussite commerciale. Le morceau sera intégré dans le volume unique de l’album sorti en 1995. Le “Mia”, quant à lui, ne sera plus joué sur scène pendant treize ans une fois terminée la tournée Le Dragon s’éveille. -David2
L'aimant
Écrit à la première personne du singulier, “L’Aimant” est en réalité un portrait croisé d’Akhenaton et de son ami D., tel qu’il est nommé dans son autobiographie La Face B. Dealer et braqueur, D. est un malfrat par nécessité. Mal dans sa peau, malheureux de ne pas pouvoir être autre chose, il se confiera à Akhenaton et lui demandera plusieurs fois d’écrire une chanson à son sujet pour laisser une trace de son passage.
“L’Aimant” fonctionne à la fois comme un cliché hybride de ces deux personnalités et une peinture des quartiers difficiles de Marseille. Dans ce qui est l’une de ses premières incursions introspectives, Chill s’attache à retranscrire presque littéralement le récit de sa vie et celle de D., fondant l’une dans l’autre la galère d’être un artiste et la galère d’être un bandit. Leur personnage alterne constamment entre ces deux situations, ramené à la seconde par l’impossibilité de la première à fonctionner correctement, et par la force d’attraction de l’argent facile. Avec son rythme trépidant et sa métaphore magnétique du quartier qui ramène à lui ceux qui veulent en réchapper, “L’Aimant” est aussi le récit d’une impossible fuite en avant.
Mais ce qui frappe encore aujourd’hui dans ce texte d’écorché vif demeure l’exhaustivité et l’intimité de ses détails, aussi soignés que glaçants de sincérité. Akhenaton livre son histoire et celle de D. au-delà de tout sentiment de honte ou de fierté, n’hésitant pas à partager son propre embarras (“Mes parents étaient si fiers que je n’ai pas eu la force de dire combien je gagnais à ma mère”) autant que les moments de vulnérabilité de son ami (“J’allais regarder le ciel sur le toit du supermarché, je ne sais pas pourquoi, tout à coup je me mettais à chialer”). Une franchise rare et précieuse, qui connaîtra son apogée dans une carrière solo riche de ces moments auto-analytiques. –David2
Les prémices de Métèque et Mat
Premier album solo d’Akhenaton sorti deux années après Ombre est Lumière, Métèque et Mat est un immense morceau d’introspection dans lequel Philippe Fragione se livre plein et entier. Parfois gravement, parfois avec humour, il y raconte ses racines italiennes, s’y moque de son physique ou encore y chante sa nostalgie du temps de l’innocence, allant jusqu’à dévoiler dans une conclusion métaphysique et hallucinée un enregistrement audio de lui-même à dix-huit mois récitant La Fontaine. Dans “Lettre aux hirondelles”, il donne une suite à “L’Aimant” sous la forme d’un récit épistolaire écrit par D. depuis sa cellule de prison, après le braquage qui lui coûta quatre années de sa vie. Celui-ci se pose en observateur et dresse le portrait d’une jeunesse perdue qu’il voit faire des allers-retours au ballon, écartée comme lui du droit chemin par les mauvais tours de l’aimant. -David2
Mars contre attaque
Avec “Contrat de conscience” et “Je lâche la meute”, “Mars contre attaque” appartient au noyau énervé d'Ombre est Lumière – et il en est le pic d’intensité indépassable, comme un coda furieux de “L’aimant”, situé juste avant lui en clôture du premier disque.
Manifeste anti-centralisation autant qu’un appel au sursaut phocéen, le morceau est presque une anomalie dans le répertoire d’IAM : après lui, on n’entendra plus jamais Akhenaton et Shurik’N balancer un tel déferlement de hargne sur un seul titre, comme si le duo s’était imposé, pendant cinq minutes et seize secondes, d’être plus NTM que NTM. Traversé de colère et de clairvoyance désespérée (“Tu ne pourras jamais comprendre ce texte en isolant les mots de leur contexte”, prévient Akhenaton), “Mars contre attaque” voit les deux rappeurs pousser les curseurs dans le rouge avec une abnégation admirable, de l’entrée héroïque de Shurik’N au deuxième couplet ulcéré d’Akhenaton.
Est-ce la nostalgie qui fait qu’on reste tant attaché à ce morceau ? Puise-t-il sa véritable puissance dans les souvenirs ébahis de notre adolescence ? Un quart de siècle plus tard, les mots ont peut-être perdu de leur portée, mais le frisson originel demeure : “Mars contre attaque”, c’est IAM qui arrête de tirer la sonnette d’alarme, l’arrache du mur et la jette à la figure de l’immobilisme politique. C’est viscéral, brutal, irraisonné. Et putain, qu'est-ce que c'était beau. -JB
Marseille désabusée
À bien des égards Où je vis, album d’un Shurik’N tout en retenue et en noirceur sorti en 1998, ressemble au négatif d’un Ombre est Lumière exalté et pharaonique. Pour s’en convaincre, on peut juger de la différence de ton entre “Fugitif” et “Fugitif”. Mais on peut surtout voir, dans le Manifeste qui vient clore le disque, le pendant triste et désabusé de “Mars contre attaque”. Au lendemain des élections législatives de 1997 qui voient le FN atteindre les 30% de suffrages à Marseille, Akhenaton et Shurik’N n’ont plus la force de crier leur indignation. À ce moment précis, leur dépit est sans doute trop grand pour laisser la place à autre chose qu’une colère froide glaçante de lucidité. Sur un sample beau à pleurer du “Love Theme” de Spartacus, le duo rappe, tête basse et cœur atteint, leur constat alarmant (“20% de mes potes aujourd’hui se cament, y’a plus de révoltes en vue”) mêlé d’une profonde humiliation (“Sur Mars pendant dix ans j’ai porté ce nom avec fierté maintenant, j’hésite à le prononcer”). -David2
Le dragon sommeille
Disons-le : le meilleur sample d'Ombre est Lumière est ici. Ce n'est pas vraiment une mélodie, pas vraiment une percussion non plus. C'est un bruit hanté, comme une épée qui tomberait au fond d'un puits infini. C'est un son parfait, dont l'espérance de vie est pourtant réduite à une poignée de mesures, derrière le premier couplet de Shurik'N dans “Le dragon sommeille”.
Voici la beauté du son IAM en 1993 : les arrangements sont si foisonnants qu'un sample remarquable peut être un simple ornement passager. Créditée a posteriori – le livret de l'album étant à l'époque avare en détails – la trinité AKH-Shurik’N-Imhotep produit un instrumental mouvant qui change de peau une douzaine de fois, comme une incarnation de ce dragon “souterrain et céleste” qui traverse le morceau.
D’une certaine façon, Ombre est Lumière contient trois projets d’IAM : un album de seize titres et deux EP solo, l’un pour Shurik’N (six titres), l’autre pour Akhenaton (sept titres). Par son thème et sa structure, “Le dragon sommeille” leur permet de se faire face le temps d'une performance miroir. L'insert d'une citation loufoque (“Un dragon !”) et la radicalité des scratchs achèvent de faire du “Dragon sommeille” une synthèse de la vision artistique du groupe.
L’allégorie du dragon met aussi en scène un motif essentiel de la carrière d’IAM : la dualité nécessaire à l’équilibre universel. Le ciel et la Terre, le yin et le yang, l’esprit et la matière. Cette dualité est présente dans “Cosmos”, elle réapparaîtra dans “Pharaon Reviens”. “Le dragon sommeille” occupe donc logiquement le centre de l’album, après le brûlot “Mars contre attaque” et avant la comédie “Attentat II”, tel un point de rencontre entre des forces contraires. -JB
Le Dragon s’éveille
Si la réputation scénique d’IAM n’est plus à faire aujourd’hui, Ombre est Lumière est le premier projet qui leur a permis de déplacer les foules et de travailler un véritable show, décoré avec colonnes et statues égyptiennes. Dans la réédition format livre sortie pour le vingtième anniversaire de l’album, un DVD montre des images du Dragon s’éveille tour au Zénith de Montpellier et à Vitrolles. L’occasion de constater que le groupe y joue majoritairement les morceaux qui seront intégrés au volume unique d’Ombre est Lumière (à la pochette rouge), best-of en quinze pistes dont quatre remix et deux inédits. Des titres davantage taillés pour la scène, à l’image du “Feu” version Prodigal Mix ou du mystique “Ombre est Lumière”, sorte de “L’École du micro d’argent” avant l’heure, qui introduit leur entrée sur scène et que Shurik’N et Akhenaton interprètent habillés en moines médiévaux. -David2
Attentat II
Avec “Harley Davidson”, “Les je veux être” et “Achevez-les”, “Attentat II” s’inscrit dans la veine humoristique d’Ombre est Lumière. Il est aussi l’un des morceaux les plus drôles du rap français dans lequel IAM, au lendemain d’une première soirée mémorable station Perrier (“Attentat” sur ...De la planète Mars), se retrouve à foutre le boxon dans un vernissage d’art contemporain à Aix-en-Provence.
Forcément, l’occasion est trop belle pour ne pas tirer à vue sur tout ce que le groupe déplore dans cette volée de quatre titres : les fausses gens, les usurpateurs qui se donnent un genre en public mais sont réellement incapables de penser par eux-mêmes. Ainsi derrière le comique pur (Shurik’N dégomme absolument tout ce qui se mange et ça plus rapidement qu’un Son Goku affamé) se cache la raillerie acerbe de tous ces superficiels, qu’ils soient artistes en carton ou spectateurs idiots. De sa voix la plus caricaturale possible, Akhenaton enchaîne les imitations des convives crédules ébahis devant la beauté des tâches de ketchup et autres coups de stylos faits par Shurik’N sur les œuvres exposées. Les peintres eux-mêmes en prennent pour leur grade, leurs tableaux comparés au travail d’une fillette de dix ans ou d’un individu sous influence.
Une attitude que l’on qualifiera volontiers de conservatrice, alors que le but de ces moqueries était paradoxalement de bouleverser un certain ordre établi, en persiflant la jeune population branchée pour qui le rap représentait au pire un phénomène passager, au mieux une bête sous-culture. Sans doute qu’une fois installé dans le paysage français, la nécessité pour le groupe de s’affirmer par la critique et la parodie a disparu. De telles saillies satiriques, IAM n’en refera jamais plus par la suite (si l’on excepte peut-être “Éclater un type des Assedic” d’Akhenaton) lui préférant, changement d’époque aidant, le ton sérieux et la couleur noir ébène de L’École du micro d’argent. Ce qui n’empêchera pas Mathieu Kassovitz de se souvenir de “Attentat II” au moment de tourner, deux ans plus tard, une certaine scène de La Haine. -David2
Des échantillons de vitriol
Sur le modèle des premiers albums de De La Soul, Ombre est Lumière intègre dans son tracklisting onze interludes, dont une bonne demi-douzaine sont destinés à moquer les artistes pop, rock ou new wave à la mode. Si le groupe a depuis pris de la bouteille et calmé ses ardeurs (“[...] Dans les faits, sans le rock, IAM n’aurait simplement pas existé” dira Akhenaton dans La Face B), en 1993, son but est identique à celui rappelé par NTM dans “La Révolution du son” : tuer le rock vieillissant pour laisser place à une nouvelle culture rap, plus jeune et plus pertinente. Décidément doué pour les imitations cocasses, c’est Akhenaton qui se charge de pousser la chansonnette pour parodier à coups de textes niais et inoffensifs toute une frange de la musique de France, celle-là même qui considère le rap comme une mode vouée à disparaître, et qui se fera allégrement niquer par un autre groupe marseillais quelques années plus tard. Mais ça, c’est une autre histoire. -David2
Sachet blanc
L'un des grands talents de Shurik'N est la capacité à faire vivre une histoire entière à partir d'une brève description : la rue sombre dans “Un cri court dans la nuit”, le passage clouté dans “Sûr de rien”, la boîte en fer dans “Y'a pas le choix”. Parmi tous ces détails visuels qui parsèment ses couplets, il faut bien sûr compter “les pas d'un pauvre mec pressé” qui ouvrent et ferment “Sachet Blanc”, morceau emblématique d'IAM comme groupe observateur des délitements sociaux.
“Sachet Blanc” correspond à ces années où, à l'intérieur du rap français, la question de la drogue a pu être un thème pensé en plusieurs dimensions. IAM, mais aussi Expression Direkt, Assassin ou NAP éclaireront le sujet de leurs points de vue respectifs, avant que celui-ci ne s'étiole progressivement pour laisser le champ libre à l'archétype du dealer résigné (l'image du toxicomane s'évaporant quant à elle dans le néant absolu.)
Avec sa rythmique étonnamment épurée au regard des breaks puissants qui soutiennent Ombre est Lumière, la production de “Sachet Blanc” semble annoncer les futurs crépuscules d'IAM, ceux de “Comme un aimant” et “Mon texte, le savon”. Mais le personnage central de l'avant-dernier titre de l'album n'est ni trafiquant, ni consommateur, ni narrateur : non, l'élément qui fait de “Sachet Blanc” un vrai film noir reste ce saxophone lancinant, suggéré par le producteur Nick Sansano et joué par son acolyte Franck Rivaleau. D'abord refusé par le groupe, déjà ancré dans son conservatisme, c'est bien cet instrument qui transcende le morceau et dessine, autour d'un pauvre mec pressé, une ville endormie où se nouent tous les drames. -JB
Les singles anti-Mia
Devant l’ampleur inattendue et démesurée du succès de “Je danse le mia”, IAM est rapidement confronté à un problème de taille : comment faire comprendre au public qui les découvre que leur répertoire ne se limite pas à ce seul tube dansant qui fera le bonheur des organisateurs de soirées camping et anniversaire ? Afin de casser leur image de déconneurs nostalgiques des années 80, le groupe choisit de sortir en maxi et single les deux morceaux les plus tristes, et peut-être les plus exigeants de Ombre est Lumière. Remixés pour l’occasion et bénéficiant chacun d’un clip, les storytellings poignants de “Remix Sachet Blanc” et “Une femme seule”, s’ils connaîtront un certain succès, ne suffiront pas à enrayer la machine “Mia”. À tel point qu’IAM devra faire le forcing pour pouvoir, quitte à casser un peu l’ambiance, jouer “Sachet Blanc” en live lors des Victoires de la musique 1995. -David2
Pharaon reviens
Il est difficile de définir le centre thématique de “Pharaon Reviens”, tant le morceau opère constamment des changements d'angle, à la fois par sa scénographie et par le lyrisme effréné d'Akhenaton, seul en scène pour le grand final d'Ombre est Lumière.
Opéra mystique de près de neuf minutes, “Pharaon Reviens” est sans doute la culmination du style IAM. La séquence d'ouverture, avec son crescendo parfaitement orchestré, est une leçon de mise en scène : l'explosion de cuivres (0'15), les percussions orientales et les narrateurs d'outre-tombe (0'34), le breakbeat furieux (0'55), l'instant suspendu – “J'ai commencé à parler au milieu du silence” (1'11) – puis l'entrée d'un Akhenaton en vitesse de croisière, porté par une ligne de basse qui semble traverser les étoiles. À elle seule, cette intro témoigne d'une des grandes ambitions formelles du groupe : utiliser le rap comme le point de convergence des époques, des cultures et des disciplines artistiques.
Cours accéléré sur le monothéisme, célébration du savoir, exégèse du Coran, méditation sur les forces de l'esprit… Le titre dispatche une multitude d'idées à un rythme haletant. Akhenaton joue avec la puissance évocatrice des nombres – 1700 cm3, 3 275 ans, 144 000 prophètes – pour composer l'un de ses titres définitifs, quitte à frôler l'abstraction complète. “Pharaon Reviens” révèle aussi l'une de ses facettes-clé : chez Akhenaton, la spiritualité apparaît comme une expérience unificatrice qui scelle l'Histoire et la science autour d'un grand dessein éternel. De ce point de vue, “Pharaon Reviens” est l'un de ses titres les plus personnels, bien qu'il convoque une armée de masques égyptiens.
La résilience de l'esprit face à la décrépitude matérielle, autre motif central d'Ombre est Lumière, constitue l'une des dernières paroles entendues sur le disque : “On ne peut détruire au cours du temps que les œuvres humaines, mais l'esprit qui a conçu ces monuments, lui, est impérissable.” Juste après commence cet improbable générique de fin, qui pourrait être ridicule si l'énergie accumulée jusque-là ne le rendait pas automatiquement sublime. Dans ces derniers instants, il y a tout IAM – la hauteur de vue, la conscience de l'Histoire, le sens du spectacle – mais ce qui transparaît le plus, c'est le plaisir enfantin de la création. -JB
Son et lumière
Vinyle-addict notoire et grand dénicheur de samples, DJ Kheops a contribué à forger une partie de l’identité d’IAM par son utilisation d’extraits de spectacles son et lumière sur la grandeur de la civilisation égyptienne. Deux enregistrements notamment, déjà entendus sur certains titres de Concept et ... De la planète Mars, constituent la colonne vertébrale d’Ombre est Lumière : “Pyramides et sphinx” (Ici a commencé l'histoire, 1961) et “Temple de karnak” (Thèbes aux cent portes, 1972). Interprétés par différents acteurs égyptiens ou européens, mis en musique par Georges Delerue, ils sont réalisés en Egypte pour les spectacles des sites du Caire et de Luxor avant d’être édités en France sur vinyle. Ces discours écrits à la gloire des monuments égyptiens et de ses architectes participent, par leur gravité et leur apparat, à cette majestuosité décomplexée si unique à Ombre est Lumière. -David2