Après le père, le fils, vient le Saint-Esprit. Dans l’ordre établi, cela donne : Conway, Benny et WestSide Gunn. Pour saisir l’influence de ce dernier sur toute sa clique, Griselda, il faut dépasser les schémas de réflexion, aller au-delà de la notion cartésienne, de la logique, et alors imaginer le natif du Buffalo comme une force mystique venue pour le bien des autres. L’auteur de l’album FLYGOD n’a alors pas de visage. La lumière ne l’intéresse pas. Il est une force abstraite animée par un désir de faire briller les autres. Une envie de nous remettre sur la bonne voie, nous guider et nous aider à faire notre travail de curation. D’ailleurs, sa présence derrière le micro n’est due qu’à un malheur. Dans un dernier sursaut d’orgueil, il décide de lancer sa série Hitler Wear Hermès après que son frère – Conway – s’est fait tirer dessus. Et dans les trois premiers volets de cette anthologie, toute l’ossature est dessinée.

Des résidus de cracks. Des extraits d’interviews télévisées qui racontent le taux de criminalité de sa ville. Et des producteurs de maisons disciplinés (Daringer, Camoflauge Monk, Tha God Fahim), assez malins pour piocher dans les samples de musique de films appréciés par les cratediggers ou dans des bribes de la scène jazz de Buffalo. Les croisements sont aussi improbables. Catch, haute-couture et poésie. Et le carcan sonore est minimal avec des intentions nettement inspirées de deux manifestes du renouveau de la scène indépendante de New York en 2012 : Grief Pedigree de Ka et Reloaded de Roc Marciano. Mais Alvin Worthy – son vrai nom – est un messager. Une fois de plus, sa présence n’est pas essentielle. Il est une représentation d’idées venue éclairer les siens.

WestSide Gunn est un connecteur de sphères, de cultures, l’architecte d’un succès invraisemblable de rappeurs quasi-quadragénaires.

Conway, Benny, Armani Caesar, et dans une moindre mesure Mach-Hommy et Tha God Fahim : tous marchent dans sa lumière. Benny lors de ses premiers essais sur « Shower Shoes Lords » dans FLYGOD ou encore « Pissy Work » dans There’s God and There’s Flygod, Praise Both. Conway qui s’en va toucher le fantôme de Christopher Wallace – et nous tirer une larme à l’œil – dans l’ouverture de « The Cow ». Mach-Hommy qui affiche son propre référentiel de « rappeur élitiste » dans un de ses couplets les plus éblouissants sur « Easter Gunday 2 ». Proposition après proposition, WestSide Gunn étire sa créativité jusqu’à l’épuisement – nous sommes, à la date de publication, au dixième volet de HWH – mais trouve toujours de nouvelles nuances pour ne pas figer le son Griselda. Notament lorsqu’il enregistre avec des producteurs affiliés et discrets comme Conductor Williams ou Denny Laflare qui amènent une esthétique abstraite. Ou bien avec le compositeur anglais Beat Butcha qui s’amuse avec les textures analogues pendant que Daringer se plaît à les découper jusqu’à réaliser dans la totalité l’album du groupe Griselda, WWCD, sans l’utilisation du moindre sample, voire même avec The Alchemist, qui peaufine à son paroxysme cette ambiance moite et poisseuse de Buffalo – et qui pourrait être même crédité comme membre officiel de l’écurie.

WestSide Gunn est un connecteur de sphères, de cultures, l’architecte d’un succès invraisemblable de rappeurs quasi-quadragénaires dans une ère où les plateformes sont accusées de standardiser l’offre et la diversité culturelle. Avec ses apôtres, ils manifestent l’existence et la valeur des niches dans ces systèmes encodés – Pray For Paris sera le premier album de l’écurie à entrer dans la charts du Billboard à la 67ème place. Les schémas du succès ne sont plus nécessairement « playlistés » et les trois compères sont projetés sur le plateau du célèbre Late Night Show de Jimmy Fallon à crier « Told Virgil, write « Brick » on my brick ! » Rien n’est logique dans cette dernière phrase. Aujourd’hui, si vous écoutez du rap, Griselda est un passage obligatoire. – ShawnPucc