D’abord signalé sous le pseudo de Lil Herb, devenu G Herbo en 2015, Herbert Randall Wright III pourrait justifier sa présence dans cette sélection pour une simple raison : il a quasiment créé, avec son comparse Lil Bibby et le producteur DJ L, un sous-genre qu’on entend partout depuis 2020, de New York à Londres en passant par la France. Ce qui est résumé aujourd’hui par abus de langage à la drill, dans sa forme popularisée quelques années plus tard par le défunt Pop Smoke, est un dérivé autant rythmique qu’en termes de flows des morceaux « Kill Shit » et « Gangway » dès 2012. Des titres suffisamment singuliers et puissants pour être remarqués à l’époque par Drake et Nicki Minaj – la « Queen » ayant en 2014 sorti son « Chiraq (Remix) » avec Lil Herb, dans lequel elle reprend les cadences du rookie sur une rythmique drill, marquée par ces contretemps militaires de caisses claires explorés par DJ L. Rien que pour cela, au gré des adaptations de ces sonorités dans des scènes locales, Lil Herb est un des artistes les plus influents de cette décennie écoulée.

Ces deux morceaux précoces contiennent aussi la spécificité de Herbo. Dans le vocabulaire, dans la thématique générale, ils réunissent ce qui a pu être difficile à appréhender il y a une dizaine d’années : l’aspect démesurément violent et nihiliste de la drill. Mais Lil Herb a déjà alors une forme de recul sur son environnement et une écriture plus poussée. Il rappe dès ses débuts ses expériences de vie comme dans un cypher, cherchant l’image percutante et le soin de la rime, là où ses confrères issus de la même scène (Chief Keef, Lil Durk, Fredo Santana) épousait déjà des formes d’écriture plus abrasives et proches de la trap d’Atlanta. Sortant tout juste de l’adolescence, Herb avait un côté jeune vétéran avec ses choix de références musicales à Roc-A-Fella et son goût pour un storytelling saisissant, parfois sur des morceaux complets, souvent dans des instants resserrés. En témoignent sa série de « 4 Minutes of Hell », qui lui permettent au fur et à mesure de poser sa griffe et de se démarquer du reste de la meute.

Mélodies épiques médiévales et samples de soul permettent à G Herbo, dans les tropismes de la drill, de développer aussi un rap de la douleur.

Sur sa première mixtape Welcome to Fazoland (2014) supervisée par MikkeyHalsted, taulier de Chicago, Herb allie les sons de tocsins typiques de la drill originelle à une musique qui rappelle le Dipset du début des années 2000, entre mélodies épiques médiévales et samples de soul. Un écrin qui lui permet, dans les tropismes de la drill, de développer aussi un rap de la douleur comme le faisait Beanie Sigel. Bien plus tard, en 2020, dans son titre « Gangstas Cry » avec BJ the Chicago Kid, titre qui reprend le lieu commun des gangsters-qui-chialent-aussi, il rappe ainsi que, adolescent, il suppliait à chaudes larmes sa mère parce qu’il voulait coûte que coûte sortir faire ses conneries dans la rue. Un vrai moment de faiblesse avouée, presque pathétique, mais qui montre un Herbo assez lucide pour se dévoiler derrière son flow de faux-lent, où tout se précipite en fin de mesure. G Herbo a tellement de choses à dire qu’il lui est difficile de rester entièrement dans les temps.

Dans le premier arc de sa discographie, allant de 2012 à 2017, Herbo explore jusqu’où il peut aller dans ce rap sur le vif posé sur un son cathédral. Avec en point culminant Humble Beast, album dense, composé de morceaux longs, difficile à appréhender mais nécessaire à G Herbo pour aller au bout de sa démarche artistique. En témoignent des titres emblématiques produits par DJ L comme « Crown » et le récit haletant de « Malcolm ». Ce n’est pas un hasard s’il enchaîne ensuite deux albums avec l’un des architectes de la trap 2.0., Southside. Swervo et Still Swervin sonnent beaucoup plus récréatifs, plus tournés vers les systèmes audio des SUV et des clubs. Ces deux disques libérateurs lui ont permis d’ouvrir le deuxième pendant de sa discographie en bascule avec la décennie 2020, et amorcé avec PTSD – le fameux trouble de stress post-traumatique.

Sur la pochette de PTSD, Herbo tient un drapeau américain où les cinquante étoiles sont remplacées par autant de visages de ses amis décédés, dont Juice Wrld, étoile montante de Chicago dans une veine plus emo-rap, fauché par l’autre drame de sa communauté : la surconsommation de stupéfiants. Même en étant solo, G Herbo porte ainsi la mémoire d’autres personnes et la voix de ceux restés à Chicago – en 2022, un de ses albums s’appellera ainsi Survivor’s Remorse. Il demeure chez lui une forme de conscience de classe, terme sans doute un peu fort et pourtant prégnant même jusque dans un de ses morceaux pour la B.O. du film Judas and the Black Messiah, « Revolutionnary » (avec l’une de ses grandes influences de Chicago, le rappeur Bump J), dans lequel il parle du et pour le « peuple ». Et pour continuer à être ce héraut, G Herbo garde dans son rap une forme de vérité pour raconter son parcours, similaire à ses semblables. Parce qu’il n’a pas été surexposé au succès, Herb a entamé lors de la décennie dernière une discographie monstre, dense, profonde. Si certains rappeurs ont plus marqué les récentes années par un succès commercial et populaire, à terme, l’œuvre de G Herbo laisse beaucoup de pistes à explorer dans ses motifs récurrents, sans en cacher les côtés plus sombres ni surjouer ses traumatismes gobés sous antidépresseurs. – Pap’s