Un sourire crispé au coin des lèvres, Vince Staples raconte son quotidien : les noms des rues, des blocks et des personnages de North Long Beach sont fidèlement relatés, tandis que son constat s’entrecoupe de traits d’esprits noirs et parfaitement vrais. En décidant de documenter son quotidien avec une prise de recul teintée d’humour noir ou parfois de fatalisme, Vince Staples a réussi à développer un univers et une réflexion : le déterminisme social qui mine le quartier de Vince Staples et l’Amérique toute entière doit être raconté, sous différentes formes et dans des détails crus s’il le faut. C’est ainsi que le rappeur, proche du collectif Odd Future en début de décennie, a réussi à s’imposer dans sa propre case. Loin des gros chiffres, mais au plus près de la réalité.

Né à Compton puis élevé à Long Beach à une trentaine de kilomètres de L.A., Vince Staples fait partie de cette catégorie de gamins mutiques qui observent le monde qui les entoure pour ensuite mieux le dépeindre dans leur musique. Attiré par la musique, le jeune Staples aiguise d’abord sa plume acide au sein du collectif Odd Future (notamment avec Earl Sweatshirt) au début des années 2010, alors qu’il fait partie d’une sous-division du gang des Crips à Long Beach. Peu à peu, il prend ses distances avec la rue pour la décrire en studio dans ses morceaux : d’abord sur ses premières mixtapes, dont la remarquée Stolen Youth en compagnie de Mac Miller, ScHoolboy Q ou Ab-Soul puis sur un premier EP urgent et acclamé, Hell Can Wait. Le rap américain découvre alors véritablement la noirceur et la justesse du rap de Staples, qui enfonce le clou avec son autre œuvre référence un an plus tard : Summertime ’06.

Vince Staples tente de raconter les différents visages de son quartier et de sa propre existence, sans jugement mais avec un seul principe : garder son humour noir en bandoulière.

Alors que l’on associe généralement Los Angeles et ses alentours à une forme de chaleur accueillante, Staples va montrer sur son premier (double) album le versant sombre de la Californie. Celui qui tue et isole les plus démunis sur le goudron brûlant des quartiers mal famés de la ville. “Ce n’est pas une question de couleur de peau, c’est une question de culture. La culture repose sur ce qui t’entoure. La culture qui régit certains endroits mène effectivement à vendre de la drogue et finir en prison. Uniquement parce que c’est la culture à laquelle tu as accès”, expliquait-t-il à l’Abcdr du Son en 2015. Pochette noire et blanche, productions suffocantes de No ID et DJ Dahi, le disque impose d’entrée la singularité du garçon : Vince Staples n’est pas là pour représenter qui que ce soit, mais plutôt pour parler de tout ce qu’il voit.

Un constat qui pourrait s’appliquer à l’ensemble de sa discographie jusqu’à présent : dans toute sa musique, le Californien donne l’impression de vouloir documenter son quartier de Ramona Park. Les rues, les restaurants, et les personnes sont précisément nommés tandis que les faits relatés et les réflexions qu’il développe respirent la gamberge interne. Notamment sur Big Fish Theory, deuxième album réalisé avec des producteurs électro (Flume, SOPHIE, Jimmy Edgar) dans lequel Staples semble prendre encore plus de recul sur sa condition, entre attachement au quartier et déroute du succès à l’ère des réseaux sociaux. Impertinent et cynique (son compte X est une mine d’or dans ce registre), Vince Staples marque en fait son temps parce qu’il respire le rap de la Californie tout en l’observant d’un œil détaché. Comme un sociologue de la rue, il tente de raconter les différents visages de son quartier et de sa propre existence, sans jugement mais avec un seul principe : garder son humour noir en bandoulière. – Brice