Comment continuer à rapper passés quarante balais, dans une industrie où les artistes, les tendances, les projets se succèdent plus vite que des videos sur TikTok, s’enchaînent sans générique comme des séries Netflix ? Il fut un temps où le rap français respectait plus ou moins une forme de trêve estivale. Si celle-ci est définitivement rendue caduque par le rythme effréné des sorties, reste que de la fin juin à la fin août, l’actualité se fait un tout petit peu moins dense. C’est dans ce laps de temps que deux tauliers du rap des années 2000 ont sorti un EP, distribué sans grande communication, sans stratégie marketing – et probablement sans payer deux cents balles un influenceur/média pour en faire la promotion.

Après Don Choa et Flynt l’été 2023, c’est au tour d’Aketo et Unfamouslouie de livrer SPIRITIC fin juin, et à Nessbeal d’offrir l’oxymorique Black Summer le mois suivant. Les deux marquent par le parfum de liberté qui s’en dégage, en dehors des enjeux et contraintes de l’industrie. Fidèle à lui-même, Nessbeal raconte la rue et le passé, dans une maîtrise de la mélancolie rappée qui ferait pâlir n’importe quel fan de Zamdane. Le titre éponyme et le freestyle « Hanout » sont particulièrement appréciables, livrés sans autre arrières pensées que l’amour de l’art, et peut-être, le besoin de rapper, chevillé au corps. Quant à Aketo et Unfamouslouie, à l’exception du titre introductif, « Soir de gala », ils ont donné à tous les titres de SPIRITIC un nom de cocktail original : de celui de James Bond, le Vesper Martini, à la liqueur favorite de la Parisienne, le Spritz Saint Germain, en passant par le « Old Cuban », morceau dans lequel le rappeur renoue avec son affection pour les sonorités dirty south, notamment le chopped and screwed.

Aketo s’y présente en kiffeur de tise et de rap, pas la version jack da’ d’Hugo TSR : la version raffinée, multicolore, sucrée et acide. SPIRITIC raconte derrière le faste luisant des cocktails, la gueule de bois d’un artiste qui gère tant bien que mal son statut de vieille gloire, mais que sa passion pour la musique, jamais mourante, toujours alerte, fait sans arrêt progresser. Quelle que soit l’affection, mâtinée de plus ou moins de nostalgie, ressentie pour l’un des interprètes de Du rire aux larmes, il est impossible de ne pas voir que l’Aketo de 2024 est résolument un meilleur artiste que celui qu’il était vingt ans plus jeune, faisant mentir l’adage selon lequel un rappeur ne vieillit jamais bien. Ces EPs estivaux le montrent, il y a un moyen de bien vieillir dans le rap : c’est de continuer à toujours l’aimer avec lucidité. – Manue