L’année 2024 de SCH a été marquée par le prequel et la fin de sa trilogie JVLIVS, débutée en 2018. Mais aussi par un deuil douloureux, un de ses proches ayant été assassiné par, semble-t-il, l’autoproclamée DZ Mafia. Nombreux sont ceux à avoir perçu l’ironie tragique de la situation, donnant lieu à un énième débat sur la responsabilité des rappeurs dans la reproduction de comportements violents.

Ces débats millénaires ont-ils joué sur sa manière de clore la trilogie ? Il est probable que la plupart des titres aient été écrits avant l’événement, la conception de Giulio et d’Ad finem s’entremêlant. Pourtant, difficile d’écouter l’ultime volet sans y penser. Parfois par extrapolation ( « s’ils la voyaient comme moi, ils parleraient moins de la guerre », « c’est ma faute, si les gens disent que c’est ma faute » ), parfois parce qu’il y fait directement allusion ( « le personnage n’a pas de cœur, l’auteur aussi » / « j’marche avec un pétard (…) pas que dans la frontière invisible de ma fiction » ). La force du premier volet avait justement été dans ce bel équilibre trouvé, entre fiction et réalité, incarnant brillamment la notion de persona, sans jamais l’expliciter. La réalité a-t-elle conduit Julien Schwarzer à rompre cette « frontière invisible » ?

Cette dépendance au premier modèle fait qu’Absolu reste la matrice, le squelette, que tous les autres opus suivent (à l’exception peut-être du II, paradoxalement critiqué pour s’en être éloigné). Comme Giulio, il y a deux manières de voir ce volet final. Un énième album de SCH, réchauffant des idées qu’il n’aura plus jamais aussi intensément ; ou un hommage entre ombres et lumières, à l’homme et au rappeur qu’il a été – qu’il est devenu. JVLIVS, c’est toujours le même corps qui ne change que de vêtements : fourrure, costume puis chemise tachée de sang, grande ouverte. Ouverture qui suggère celle du cœur, rejouant la métaphore usée de l’artiste qui, en se livrant, devient vulnérable.

C’est sur ce point qu’Ad finem se distingue. Qu’il y soit contraint ou non, ce volet final s’affirme comme plus personnel, moins fictionnel. Là où il se veut une clôture, c’est dans cette sincérité, dans l’aboutissement de certaines idées personnelles (« Deux mille », bijou de rap-chanson-française, pendant de « La nuit » sur Deo Favente) puis dans le côté « apothéose » qui transparaît de la teinte musicale générale. Parfois avec un brin de mauvais goût : les solos de guitares électriques – peut-être que le père, en plus des vinyles d’Edith Piaf, écoutait Johnny ou s’extasiait sur « Stairway to Heaven ». De manière générale, les instrumentaux sont efficaces mais un brin génériques. Reste que l’écriture de SCH, appliquée et toujours insaisissable malgré les redites, sauve largement chaque titre de la banalité.

Enfin, c’est dans l’issue en suspens que le disque renoue le mieux avec la frontière invisible entre le personnage et l’auteur. Puisqu’il y joue avec les mots gréco-latins, « apothéose » en est un. Éloigné de son étymologie religieuse, il évoque un final éblouissant. La lumière blanche incarne précisément l’ambivalence très marseillaise au cœur de ce final : une voie ombrageuse dans l’expérience de la mort imminente, une voie lumineuse dans la spiritualité ou la gloire accordée aux poètes de la Cité. JVLIVS, Giulio, Julien, l’œuvre, le personnage et l’homme : connaîtront-ils l’apothéose d’Orphée ou seule la catabase aux Enfers ? – Manue