Au tournant des années 2010, un phénomène étrange se produisait dans le rap français : pris d’une nostalgie sortie de nulle part, de jeunes imberbes se mettaient à rapper comme la génération précédente, voire comme celle qui précédait la précédente, alors même que tout le reste de la scène effectuait joyeusement son bond en avant vers la trap. Dans la nébuleuse de collectifs qui se réclamaient de cette tendance conservatrice, L’Entourage régnait en maître, mais il fallait aussi compter sur le Panama Bende, doublon du premier cité, en plus jeune, et LTF, pour Les Tontons Flingueurs (difficile de faire plus « jeunes vieux »). 

Lesram vient de ce vivier – il a été membre de LTF et l’est encore de Panama Bende – et il est peut-être celui qui est resté le plus fidèle à cette esthétique old school. La prouesse de Lesram sur la mixtape Wesh Enfoiré, parue en 2022, tenait cependant à deux paradoxes : il ne faisait aucune concession à la nostalgie ou au passéisme, le son de Mehsah, parmi d’autres, était un hybride parfait d’hier et d’aujourd’hui ; et son art de la rime, ciselée à l’extrême, était pour lui, la façon la plus simple de dire ce qu’il avait à dire.

Deux ans plus tard, que reste-t-il de cette éclatante simplicité ? Sur son premier album Du peu que j’ai eu, du mieux que j’ai pu, la liste des producteurs s’est diversifiée. Mehsah côtoie 2K, Tarik Azzouz, Boumidjal, ou encore Junior Alaprod, pour ne citer qu’eux. Des noms qui ont contribué à façonner la scène trap française. Pourtant c’est avec le même naturel que Lesram enchaîne les rimes croisées ( « Poto j’suis dans la street j’clope / tu me verras pas dans un strip club / et si je fais pas de streams j’floppe / je retourne chercher un p’tit plug » sur « Bernabeu » produit par 2K). Et avec nonchalance, il peut lâcher un double-sens qui résume parfaitement sa place dans le rap actuel : « Je suis dans l’ère [air] du temps / sens contraire du vent » , sur « Question » produit par Mehsah.

Son art de la rime n’est donc qu’un préalable. En interview, le rappeur du Pré-Saint-Gervais revendique une étiquette tombée en désuétude, celle de ghetto reporter ou de rap caméra. Dans son freestyle Booska-P, il s’y résignait, « la vérité, je peux pas rapper sans ». C’est là qu’il excelle. ZKR ne s’y trompe pas quand il cite le morceau produit par Rosalie, « Histoire du quartier », pour une interview à l’Abcdr du Son. Dans sa concision, le morceau reste un des sommets de l’album, où Lesram fait coïncider son exigence esthétique et son besoin de vérité. 

L’album souffre de la comparaison avec Wesh Enfoiré. La mixtape ménageait des morceaux où l’émotion culminait : « Cnn », « Cris des mômes », « Avec le temps » en feat. avec PLK. L’album paraît au contraire rater tous les moments programmés pour l’émotion : le feat. avec Josman est trop lisse, et la présence de PLK ne fait pas ressortir la connivence qui existait sur « Avec le temps ». Du peu que j’ai eu, du mieux que j’ai pu est un album plat, de l’aveu même de Lesram. Il reste à l’image de son auteur : humble et brillant, extrêmement travaillé dans la forme et brut dans son message. – Paul Huot