Chuck Strangers, rappeur et beat maker du collectif Pro Era a délaissé les hivers new-yorkais pour goûter au soleil californien. Mais l’heure n’est plus à l’euphorie de la blog era, et le jeune homme des rues de Flatbush a eu le temps de tomber, se relever et prendre du recul. Ainsi dès le début de ce deuxième album, le ton est donné dans le titre « Close Call » avec sa guitare aux accents blues et son roulement de batterie dramatique tel un générique de film à venir. C’est l’heure du bilan mais il s’agit de rester clair : « Time passed / My ashtray got wild cigarette / N****s in the crib tryna do the math / All I need is love and cash. » C’est ce mélange d’introspection et de franc-parler qui fait le mordant de ce second opus, mais aussi l’attachement aux origines et à une certaine idée de la musique rap.

Une proposition qui s’impose à l’auditeur sans trop d’effort, grâce à la voix épaisse de l’artiste parfaitement à son aise sur des samples jazz et soul cueillis avec soin et dépouillés d’apparats. Une approche similaire à celle de Roc Marciano ou du regretté KA. On retrouve d’ailleurs leurs comparses Alchemist et Animoss aux crédits des productions, en plus de Chuck Strangers lui-même et de quelques autres plus ou moins bien identifiés. Si ce style a son charme, il peut aussi atteindre ses limites, mais le titre « Ski’d Up » apporte rapidement un peu de contraste au milieu des tableaux monochromes, en plus d’être un billet d’humeur en même temps qu’un recueil de souvenirs assez savoureux : « I hit the spliff / This lil n***a yelling « Worldstar » / How different our worlds are / My first Gucci belt was my first car. » Cerise sur le ghetto, le morceau est porté par un clip drôle et piquant qui vient se moquer de l’appropriation culturelle et du rap de divertissement trop léger, au contraire de celui de Chuck Strangers plutôt radical, qui trouve peut-être son point culminant avec l’ego trip au ton mélancolique  « Sunset Park », référence au quartier de Brooklyn du même nom.

Parce que le borough de New York n’est jamais très loin ici, notamment à travers la présence des invités et des souvenirs évoqués via « Polish Jazz » rejoint par le comparse des débuts, le toujours très en forme Joey Bada$$ ou sur « Flatbush N***** », lettre d’amour au quartier d’origine de Chuck accompagné par Erick the Architect des Flatbush Zombies. Loin des cartes postales mais proche du cœur, le rappeur n’oublie personne :  « Don’t cry my n***a just bust back / I hit your Paypal trough the ruff track » dit-il sur « Count On My Love ». On peut aussi compter sur lui pour gratter des poèmes de hustler dès le petit matin, porté par une esthétique considérée comme illégale jusqu’à en faire le titre d’un de ses morceaux qui sent bon les années 80 et l’affirmation de soi, une sorte de clin d’œil aux débuts du hip-hop. Chuck Strangers le dit lui-même, trop gangster pour mettre genoux à terre, il a néanmoins tout donné à cette musique. Preuve à l’appui avec cet album.

– Hugues