Chaque matin, même routine : Chief Keef s’envoie un gros blunt, se regarde vite fait dans le miroir et se contente simplement d’être lui-même. Rien de plus, rien de moins, pas d’artifices, que du vrai. À seulement 28 ans, avec une confiance en soi inébranlable et déjà une carrière de vétéran derrière lui, le rappeur de Chicago a sorti cette année avec le très attendu Almighty So 2 une œuvre grandiose, qui réussit brillamment à remettre en perspective tout le chemin parcouru par son auteur, qu’il soit artistique ou personnel, sans tomber pour autant dans l’écueil souvent facile de la rétrospective fan service.

Avant tout, c’est bien Chief Keef dans son rôle de producteur qui semble illustrer le mieux cette progression. Il y a dix ans, si ses premières productions en solo sur Back From The Dead 2 trouvaient leur charme dans l’excitante naïveté de leur composition, elles semblent être ici devenue le produit final de plusieurs années d’expérimentation en tout genre d’un producteur accompli et qui se connaît désormais par cœur. Nombreux sont les morceaux fourmillant d’idées inattendues (les samples de morceaux de soul classique sur « Runner » et « 1,2,3 ») et créatives (la synchronisation des snares avec les bruits de frappement de porte dans l’intro) qui ne demandent qu’à être appréciés après plusieurs écoutes attentives. Mieux encore, l’ambiance globale du disque profite du soin tout particulier mis sur sa composition et ses arrangements pour la rendre théâtrale en permanence, donnant l’impression de se voir projeté, au choix, dans un combat de boss d’un jeu vidéo ou dans la scène de fin émouvante d’un film d’action. En somme, de la musique de motivation parfaite. Malgré tout, Almighty So 2 parvient à conserver un équilibre authentique entre ce son raffiné jusqu’au-boutiste et le chaos instinctif du premier volume.

Chief Keef le rappeur, lui, continue d’évoluer seul sur sa propre orbite, enchaînant des flows toujours aussi uniques, sans être non plus les plus inventifs de sa carrière. En revanche, son interprétation en devient de plus en plus convaincante et lui permet d’appuyer efficacement un contenu textuel plutôt inédit et en totale adéquation avec cette idée de motivation impulsée par la musique. Jamais larmoyant, on ressent tout de même beaucoup d’émotions et un certain esprit de revanche dans son discours : celui d’un homme originaire du sud de Chicago passé par des épreuves traumatisantes, revenant de loin et désabusé d’avoir déjà vu plus de culs qu’un chirurgien esthétique et acheté toutes les voitures de ses rêves à son jeune âge. Aujourd’hui, il a l’air d’avoir trouvé sa paix intérieure, fier de s’en être sorti et plus que jamais déterminé à soulever des montagnes. Almighty So 2 n’est sûrement pas le disque le plus innovant de Chief Keef et encore moins celui qui va avoir le plus d’influence à l’avenir, mais c’est peut-être le plus important pour lui-même. S’il en fallait véritablement une de plus, c’est bien la preuve qu’en tant qu’artiste, être authentique peut suffire à vous emmener loin. Certains rappeurs devraient prendre des notes. – Hugo