Dans la famille Griselda, Benny the Butcher est longtemps resté le plus en retrait. Moins expansif que Westside Gunn, moins saisissant que Conway. Mais à la manière de Ghostface au sein du Wu-Tang, il est sans doute le plus doué des trois dans le sens où il est le plus constant, et le plus consistant. Avec un œil pour le détail, une oreille affûtée (Alchemist, Daringer, Hit-Boy, Harry Fraud, ses affinités démontrent un certain raffinement) et un vrai sens de la structure, il s’est bâti au fil des ans une solide discographie qui culmine dans les séries Tana Talk et The Plugs I Met. Et s’il fallait démontrer un peu plus l’étendue de son talent, il a même sorti J. Cole de sa léthargie le temps d’un « Johnny P’s Caddy » mémorable.

Pour ses débuts en major chez Def Jam, le boucher de Montana Avenue semble faire le choix de la sécurité. Seulement voilà, un album assuré de Benny vaut mieux qu’un album osé de la part de pas mal de monde. Rien de nouveau sous le soleil donc mais Everybody Can’t Go, son quatrième long format, est ainsi d’une remarquable efficacité en plus de ne souffrir d’aucun compromis. Le terrain est balisé, puisque les pistes sont alternativement réalisées par Hit-Boy et Alchemist. L’album opère une synthèse habile entre le son sale et humide des Tana Talk, et celui faste et triomphant de Burden of Proof. Les deux producteurs stars ne se contentent pas de cohabiter dans leur zone de confort, ils mélangent volontiers leurs ambiances. Ainsi dans « Jermanie’s Graduation », Benny évoque sa route tortueuse vers le succès sur un piano luxuriant d’ALC ; tandis que dans le claustrophobe « One Foot In » produit par Hit-Boy, Stove God Cooks est invité à raconter comme il inonde les rues de cocaïne sur une nuée de cordes qui prennent à la gorge, et que n’aurait pas reniée Daringer. Les invités reflètent cette dualité puisque les familles Griselda et Black Sopranos côtoient Snoop Dogg (simple figurant sur le réjouissant « Back Again » mais qui, en tant que consultant créatif, a aidé à l’entrée de Benny chez Def Jam) ou Lil Wayne.

Au milieu d’une architecture aussi solide, Benny est comme un coq en pâte et peut laisser libre court à son éclatante habileté au micro. Si tout le monde ou presque sait correctement rapper en 2024, le boucher le fait mieux que les autres. Son flow limpide et malléable en fait d’abord un interprète de premier ordre. Hanté par son passé de dealer, sa soif de succès et le goût amer qu’elle lui laisse dans la bouche, Benny est ensuite de ces artistes qui se racontent en se la racontant. Adepte de métaphores sportives (« BRON ») et habile story-teller (« TMVTL »), le MC de Buffalo brosse des textes qui, sans avoir une immense hauteur de vue, sont rendus intéressants par leurs schémas de rimes complexes et leur dimension personnelle – à ce titre, le refrain de « Pillow Talk & Slander » (« I could have made my brother rich, that nigga died before I got home » ) est réellement touchant. Everybody Can’t Go, c’est Benny qui fait son tour d’honneur en balançant des cartes de visite dans le public. – David²