Si les bouffonneries de Ye, anciennement Kanye West, étaient déjà compliquées à défendre il y a dix ans de ça, ses différentes propositions artistiques restaient à l’époque assez convaincantes et originales pour faire passer un peu plus facilement la pilule. L’une comme l’autre, elles sont aujourd’hui surtout insupportables à écouter et devraient encore moins être dignes d’un quelconque intérêt. Le début de l’année rap mainstream 2024 fût pourtant marqué par la sortie de sa nouvelle « trilogie » d’albums en collaboration avec Ty Dolla $ign après plusieurs mois de teasing : Vultures. On pourrait croire que le faiseur de refrain officiel de Californie est, au choix, le gars le plus patient au monde ou le meilleur pote qu’on a tous eu envie d’avoir dans notre vie. La réalité est bien plus sinistre. La présence de Ty Dolla $ign ne sert que d’excuse à Kanye West pour sortir officiellement ses albums car il est tout simplement devenu incapable de les finaliser par lui-même. 

Pire encore, il semble complètement désintéressé à l’idée même de proposer une idée musicale surprenante. De The College Dropout jusqu’à Donda, le principe de collaboration a toujours fait partie intégrante de son fonctionnement et n’a jamais empiété sur des propositions artistiques fortes ou l’expression exubérante de sa personnalité. Avec Vultures, Kanye West s’est transformé en fantôme sur son propre album. Le comble pour quelqu’un qui a son mot à dire sur tout et en permanence sans qu’on le lui demande. Chaque morceau sonne soit comme ceux des artistes en featuring, soit comme une version moins bien de ce que lui et Ty Dolla $ign ont déjà pu proposer avant :  « VULTURES » est une caricature d’un mauvais morceau de Lil Durk, « DO IT » aurait pu se retrouver sur le prochain album de Mustard ou YG, « BURN » donne l’impression d’être une chute de studio récupérée au dernier moment de The Life of Pablo, « PAPERWORK » est un pastiche outrancier de funk mandelão, « FUK SUMN » et « CARNIVAL » ne profitent que de l’aura actuelle d’un Playboi Carti au sommet de sa popularité. Il suffit de suivre les fameuses « listening parties » qu’il organise avant la sortie de chaque album pour s’en rendre compte. Les titres s’enchaînent et la voix de Kanye West n’apparaît à aucun moment, à part lors de certains passages marmonnés et incompréhensibles. 

On finit par regretter ces marmonnements une fois que l’on écoute les paroles de ses couplets, sûrement ghostwrités par son fils de dix ans. Les seuls singles potentiels plutôt réussis, « PAID » et « BACK 2 ME », sur lesquels Ty Dolla $ign et les invités donnent le meilleur d’eux-mêmes sont complètement gâchés par un Kanye West plus intéressé par l’envie de se faire marrer lui-même en reprenant honteusement « Roxanne » du groupe Police ou en répétant en boucle la même phrase prononcée par le personnage incarné par Jason Mewes dans le film Dogma. Le deuxième volume est à peu de chose près du même acabit, à la seule différence que les couplets de Kanye West auraient cette fois-ci été finis à l’IA après avoir compris que personne ne voulait l’entendre suite à sa tentative ratée de s’insérer dans le beef entre Drake et Kendrick Lamar avec sa reprise poussif du « Like That » de Future et Metro Boomin. 

Le troisième volume n’est jamais sorti et Kanye West a d’ores et déjà annoncé un prochain album solo qui ne sortira probablement pas non plus. Finalement, l’événement le plus intéressant et révélateur de tout ce bazar sans nom fût un live Instagram organisé par son ancienne manageuse dans un hôtel à la suite d’une « listening party » arrêtée par la police dans le désert de Las Vegas et pour laquelle des gens ont payé 2000 dollars. On aperçoit d’abord ce qui ressemble à une soirée dans une pièce bondée de monde avec un ingénieur du son qui essaye tant bien que mal d’enregistrer les couplets de Kanye West pour un album censé être déjà sorti depuis quelques heures. Puis, comme à son habitude, il prend en otage son audience avec un coup de gueule basé sur des théories de complot lunaire, la taille des Twix qui feraient grossir les gens et en profite pour annoncer son prochain slogan de campagne : « Jesus, Hitler, Ye ». Le nombre de spectateurs double, on entend des ricanements, personne pour le contredire ou le calmer. La définition parfaite d’être seul et entouré de vautours prêts à profiter des derniers morceaux de carcasses d’un homme en perdition depuis trop longtemps. Jamais un album de Kanye West n’aura aussi bien porté son nom. – Hugo