Un parallèle peut être établi entre la mode récente des albums communs dans le rap, et celle des films de superhéros crossover au cinéma. Dans les deux cas, cette mode en dit long sur les attentes des auditeurs.ices ou spectateurs.ices, et sur la paresse d’une industrie qui plonge ses stars dans le formol pour mieux les vendre.
Depuis décembre 2023, quatre albums communs ont été au centre de l’attention : LA MELO EST GANGX (Tiakola et Gazo, le 01/12/23), Bitume Caviar (Vol.1) (Isha et Limsa d’Aulnay, 01/12/23), Frères Ennemis (Koba LaD et Zola, le 09/02/24) et GOAT (Ninho et Niska, le 25/10/24). À l’exception de Bitume Caviar (Vol. 1), tous ces projets communs réunissent des poids lourds de l’industrie, qui drainent sur leurs seuls noms des millions d’auditeurs. Sur son compte Instagram, Nico Colombien explique en partie la déception liée à ces projets par le fait que les auditeurs ont en mémoire les feats des deux artistes : par définition, un feat. est un morceau exceptionnel, et les deux artistes ne pourront pas reproduire l’énergie d’un morceau à l’échelle de douze ou quinze titres. L’album qui s’en sort le mieux de ce point de vue est le Koba LaD et Zola qui bénéficie d’un (petit) effet de surprise.
En revanche, c’est à l’industrie qu’il faut imputer le matraquage marketing qui a précédé chacun de ces projets. Intituler un album GOAT est une chose, c’en est une autre que les deux protagonistes s’auto-célèbrent à longueur d’interview parue sur la seule chaîne d’un des artistes. De ce point de vue, l’album commun en revient toujours au péché originel américain Watch The Throne : une technique de triche, grâce à laquelle un artiste qui ne souhaite plus s’auto-célébrer de façon trop cramée en appelle un autre… pour être célébré par lui, et le célébrer en retour. C’est aussi ce qu’il y a derrière le storytelling des frères ennemis Koba et Zola, ou derrière la mise en scène sur le plateau de Yann Barthès du bon garçon Tiakola et du bad boy Gazo. Rien n’oblige ces artistes à faire sobre, ou à dire la vérité, mais le discours est trop emphatique comparé à la musique livrée, qui se résume souvent à deux ou trois bons morceaux entourés d’une collection de gimmicks déjà vus (mention spéciale à Gazo qui « Diiiiiee » dès le deuxième morceau de LA MELO EST GANX). Le storytelling de Koba et Zola est le plus soigné, notamment avec l’annonce de l’album en plein concert. Mais là encore, difficile de ne pas y voir du vent, puisque les deux protagonistes ont reconnu après coup que leur rivalité avait été créée de toute pièce sur les réseaux sociaux. Bref, beaucoup de bruit pour rien.
Bitume Caviar (Vol.1) paraît, en comparaison, à taille humaine. Il aurait été possible de citer aussi un EP trois-titres tels que La solution (Mairo et H JeuneCrack, 15/02/2024). Un album et un EP où il ne s’agit pas d’aligner deux noms de marque pour vendre un produit. – Paul