Album de l'année SCH – Autobahn
Par Manue
« Shifter pro. » Depuis l’été 2020, SCH fait chanter à toute la France le nom d’un levier de vitesse pour moto, spécial sensation forte. Plus qu’un clin d’œil appuyé à Kraftwerk, sa troisième mixtape apparaît comme une version sponsorisée Formule 1 d’A7. Esthétique beauf à souhait, mais cohérente. La vitesse, le dépassement, la sensation de se perdre et de pouvoir mourir à la seconde qui suit, le côté populaire et masculin : tout colle. SCH est fils de routier et rappeur de son temps. En plus d’un terreau métaphorique pour sa musique, le délire lui permet dans la foulée d’esthétiser le virage « placement de produit » qui caractérise les clips de rap mainstream du début de la décennie. Le choix de la langue réfère autant aux origines paternelles qu’il annonce un rap Deutsche Qualität, slogan tiré d’une célèbre publicité à la gloire de l’industrie automobile allemande. Une musique-marchandise mais qui a bien conscience de l’être.
Et en effet, SCH démontre une nouvelle fois qu’il est un excellent rappeur. Particulièrement lorsqu’il allie la fidélité à son écriture profonde, la nervosité technique, une froideur un brin démoniaque (« Magnum », avec le très solide BBP à la prod), et son coming out marseillais, identité vaguement refoulée à ses débuts – et que le succès de « Bande Organisée », puis la bromance avec Soso Maness, ont définitivement scellée au grand jour. En ce sens, les morceaux qui le placent ostensiblement sous le patronage de la Fonky Family, dressant au passage un pont entre plusieurs générations de rap phocéen, sont des réussites. « LIF » (encore du jargon du monde des deux roues, le LIF étant, en gros, ce qui empêche de cabrer) est un très bon choix de single. Le morceau est une « masterclass » en tout point comme disent les jeunes – tant pis pour ceux qui n’aiment pas le côté sec, certains diront cheap, de la batterie : c’est précisément ce qui lui permet de rapper aussi bien. Quant à « Marginaux », il a un seul défaut, et ce n’est ni la prod eighties, ni SCH. C’est un couplet qui s’ouvre sur ce qui se voulait un clin d’œil habile au classique de son hôte mais ressemble plutôt à un tweet de Booba ; contient des phrases digne d’un Skyblog d’ado gothique, prononcées avec un sérieux plombant telles que « si j’ai l’air fou c’est que j’en suis un » et autres réflexions profondes sur les conditions d’utilisation sur Internet. Reste une accélération sympathique au milieu – l’invité sait rapper quand même – mais sinon, admettons (avec un brin de mauvaise foi) qu’une version de « Marginaux » ne gardant que ce SCH ressuscitant le Marseille des années 2000, ne ferait de mal à personne.
Tout est cependant pardonné parce que l’autre invité est une belle surprise. Et elle en dit long sur l’amour de l’hôte pour la musique. C’est pas parce que, « ça y est, on est une tête d’affiche » qu’il ne faut pas parfois la pencher vers le rap en train de se faire. Le deuxième featuring laisse entendre la voix (si singulière) de celui qui partage le mieux avec le jeune SCH l’aspect insaisissable et torturé, l’art des mélodies en plus. C’est d’ailleurs le So La Lune mélodiste plus que rappeur pur qui chante sur « Transmission automatique ». Leurs deux voix si contrastées, leur manière d’écrire comme personne, font toutefois rêver à de la musique encore jamais entendue. Ces deux repousseront probablement les limites du rap français ; mais la fusion n’est pas encore arrivée.
Autobahn est plus maîtrisé, mais moins fulgurant.
Autobahn témoigne d’ailleurs sur d’autres plans que le presque trentenaire prête des yeux curieux au rap autour de lui. Le choix pas dégueu d’adapter son écriture à des prods 2-Step façon rap français ; celui, plus dispensable, de reprendre la concordance des temps louche de Freeze Corleone (« j’suis fier comme si j’ai aucune thune »), bien qu’à tout prendre chez ce dernier il vaille mieux s’inspirer de la forme que du fond. Enfin, si l’on se passe des hystériques hurlant que Jul « a du sang sur les mains », le titre éponyme est raté, non pas parce qu’il est mauvais, mais parce qu’il donne l’impression de vouloir décalquer le succès de « Mode Akimbo » (dont la boucle a, en plus, été créée par un artiste non crédité, Manso Beats. Pas une première chez les beatmakers du S). Or, sur ce point l’Aubagnais n’est pas « comme tous ses semblables » (Jul, Naps) : il ne lui suffit pas de le vouloir pour donner naissance à un tube.
SCH est tout sauf un rappeur à recette, il en avait déjà bien conscience en 2018. Autobahn est peut-être son projet le plus homogène. Aucun titre n’est en-dessous d’un autre. Mais quelqu’un qui marche à ce point sur l’eau voit son talent plus dur à saisir, sans aspérités pour s’y accrocher. De SCH, le public attend des claques. De nouvelles façons de voir le monde, de voir le rap, en un gimmick criard, un proverbe détourné, une phase d’enfant dans un décor de cauchemar. Qu’il s’agisse des « mille millilitres slaves » d’un ado maigri par le shit vociférés à travers des dents écartées, des « quatre syllabes qui ont retourné la France » sur une prod-Jul où on ne l’attendait pas, ou de l’émotion déchirante de « Loup Noir », les fulgurances ont depuis toujours fait sa réputation d’artiste. Or Autobahn est plus maîtrisé, mais moins fulgurant. Si la mixtape se clôt sur une formule qui a fait ses preuves, avec un triptyque de titres torturés et tristes, l’émotion n’envahit pas. Il faut plus de temps et d’effort pour l’attraper. L’exception ? Le cri, au premier degré désarmant, de « Comme avant » et la nostalgie de « King », deux titres bonus qui ramènent, avant même la FF, quelque part vers la mélancolie napolitaine d’Akh : « je regarde ta tombe comme mes 20 ans / et je n’apprends plus rien des savants / Les années passent comme des instants / et je vends ces rimes comme un savon. »