Abcdr du Fond Jameel Na’im X, pour les siens
Par Raphaël
Cypha. JNX. Cyph. Jameel Na’im X. À l’image de ses différents noms de scène depuis dix ans, l’homme est difficile à saisir, autant que sa musique. À la première écoute, on pense pouvoir le ranger dans la case des rappeurs nonchalants à voix basse, adeptent du drumless aux boucles hypnotiques – il a d’ailleurs rappé avec Roc Marciano, eto et Flee Lord. Puis des titres avec une rythmique synthétique sèche ou un Auto-Tune réglé sommairement ébranlent la première impression, en rappelant le rap sudiste de la première moitié des années 2000 ou la musique du chicagoan Tree. Si Jameel aime les clins d’oeil à son modèle néo-orléanais Lil Wayne (une de ses sorties il y a deux ans s’appelait 06’ WEEZY), c’est davantage pour ce détachement à des traditions locales qui rend sa musique à la fois de nulle part en particulier, et de plusieurs endroits sans être déracinée.
Il suffit d’écouter ses trois derniers disques sortis en l’espace d’un an, 12:29 in Boston (décembre 2021), Caravaggio Is Alive (avril 2022) et HE DIED TRYING (décembre 2022). La référence au Caravage dans le titre d’une de ces sorties n’est sans doute pas anodine : Jameel Na’im X parfait depuis trois ans une formule naturaliste, sans artifice. Pas de back ou effets poussés sur sa voix, ni arrangements surdéveloppés sur ses instrus, ni d’esbroufe dans ses textes, même si les images sont peaufinées (« Street lights are so bright, I can’t see the stars. The pain is so deep, you can’t see the scars »). Il se dégage de ses disques des effluves presque blues, où des boucles de soul côtoient des sonorités qui semblent sortir de vieux disques d’Asie du sud-est (« Meech », « Rightnow », « Konichiwah »). Il s’essaie pourtant aussi parfois, à sa façon, à des formes plus modernes : « REPEAT » et son instru simili-rage, ou le flow Carti-esque sur le refrain de « IGNANT SHIT » posé sur un sample ultra cramé mais toujours plaisant de Michael MacDonald.
Entre quelques egotrip puissants (« Bleek & Beans ») ou doux (« Kanye Confident »), Jameel Na’im X rappe souvent les contours du charbon. Il en dessine le pragmatisme de survie économique plutôt que les rêves de grande fortune, les impacts sur les familles et les proches. « Watugondo », ouvrant Caravaggio Is Alive, débute ainsi par une question : « How do I know it’s a real blessing ? I just put the whole 100k in the safe and somehow I’ll be still stressin’ ». Sur « FISHPLATE », il se demande combien de ses plats faits-maison une mère doit vendre pour payer la caution de son fils. Sur “Prayalone”, il mesure la satisfaction modeste de remplir son frigo pour sa fille, tout en redoutant de lui dire qu’un jour ou l’autre il ne rentrera peut-être pas à la maison. « SHAKIR », en clôture de HE DIED TRYING, est un hommage touchant à son défunt père où il mesure les sacrifices et les enseignements que lui a transmis son vieux. Sur « Miseducationofjnx », il favorise la fraternité à l’individualisme (« I like to stunt with my niggas and share the progress ; you like to stunt on your niggas and start a contest. It’s a whole different mindset »). Jameel Na’im X est ainsi riche de ces petits mantras auto-évalués ou partagés par les siens. Autre temps, autre continent, mais son rap résonne comme une application d’une fameuse phrase de Kool Shen : « trop sophistiqué, c’est péché ».