Événement 4 juin 2022, Jul au Vélodrome
Par Manue
Photo : Roxane Peyronnenc
Il est 15h, le 4 juin 2022, et le bitume de l’avenue a suffisamment de pastis imbibé pour que même si vous ne buvez pas, vous soyez un peu joyeux. Le boulevard Michelet et les bars en face du stade ressemblent à ce qu’ils ressemblent avant un match de l’Olympique de Marseille. Sauf qu’à la tension avant-match fait place à davantage de joie. Des groupes de jeunes éméchés ou enthousiastes chantent, ou plutôt hurlent, par groupes dans les bars. Aucun serveur ne bronche, occupé à faire passer les plateaux « 20 pastis pour 30 euros » : « CE SOIR J’OUBLIE TOUUUT J’CHERCHE MON CHEMIN J’FAIS DES DETOURS CE ZOIR J’OUBLIE T… » C’est horriblement faux, mais c’est beau. Bam, le huitième Ricard tombe sur le téléphone qui passait le son. Pas grave, un autre met « Wesh alors », avec des grésillements encore pires. Le bordel est presque digne d’une finale de LDC. Chacun a pris soin de sortir son plus beau maillot de l’OM, son t-shirt D’or et Platine préféré, assorti à un large sourire. Une bousculade ? « Pas grave mon tchikito (!), bon concert ! ». Les briquets se prêtent et se rendent avec un « eh merce hein ! » Les signes pouces bien écartés se multiplient, même aux fenêtres des taxis. La bonne humeur, le côté à l’arrache : tout est contagieux.
À l’intérieur, le Vélodrome se remplit. Presque soixante mille personnes à la fin, alors que le concert était initialement prévu le 6 juin 2020. En gros, les familles en gradin, les jeunes en bas. L’un des virages habituellement réservé aux supporters est remplacé par une large scène, sobre. Sur deux écrans géants les 20 clips d’Extraterrestre, son dix-septième album, s’enchaînent. Les lumières s’éteignent enfin, une voix robotique répète « Indépendance. Indépendance. » Jul rentre alors en Y sur « En Y » : c’est le Johnny 2.0, descendu du ciel en T-Max, les mains qui font le signe. Mais là, c’est une catastrophe. De la fosse, le son est horrible, vraiment horrible. Heureusement que l’on connaît les paroles par coeur : presque aucune n’est déchiffrable à l’oreille. Vaguement, on identifie « JCVD », « Wesh alors », « Ibiza » avec le saxophoniste Jimmy Sax. Rien n’y fait, le son (depuis la fosse en tout cas) ne s’améliore pas. Pas grave, la fête est toujours au rendez-vous. Les tubes s’enchaînent : « Ma Jolie » (avec un supplément pétales de rose partout), « C’est pas des lol », « La Miss ». Jul dédicace les supporters et enchaîne sur une démonstration de jongles, rappelant qu’il aurait presque pu avoir une carrière à l’OM. Plus inattendu, le J interprète l’émouvant « Comme les gens d’ici » et se fait cette fois le Francis Cabrel de 2022. En guise de pause, il déclare vouloir faire un son avec le Vélodrome, en live. En à peine une dizaine de minutes, il réalise alors « 4 juin 2022 », un titre qui sortira le 16 juin avec la voix unanime de la team Jul, et dont le refrain est littéralement écrit en trente secondes : « en claquette dans la zone, j’fais chanter tout l’Vélodrome. Dans ma ville ma voix résonne… » Tout un symbole : c’est artisanal, rapide, à l’arrache, mais touchant, collectif, spontané.
Si le mauvais goût et le côté bordélique font de Julien Marie une incontestable icône franchouillarde, reste qu’il sait mieux que beaucoup d’où il vient et de quelle musique il tient.
À la fin, Alonzo vient interpréter le culte « Comme d’hab », puis avec Naps « La Seleçao ». Les invités sont locaux – on regrette l’absence du Rat ou d’autres tauliers du rap de Marseille, venus pourtant pour son Bercy il y a quelques années. À la place, une deuxième mini-catastrophe scénique, qui ajoute à la légende : le moment tant attendu de « Bande Organisée. » Quelques heures auparavant, SCH quittait le festival parisien We Love Green sous la pluie et l’orage, en jet. Une story le laissait voir bruncha avec Soso Maness. Mais ils arrivent bien à l’heure. En revanche, pas pour rapper dans les temps. Une cacophonie se met en place alors que résonnent les premières notes du plus gros tube de ces dernières années, malgré un public qui lui, connaît tout par coeur et arrive à se caler sur le beat. Souci technique apparemment. Bref la performance est objectivement ratée, mais étrangement, tout le monde s’en fout.
Jul finit sur « J’oublie tout », avec facile une centaine de personnes sur scène. Puis surtout, sur une multiplication de dédicaces. Et c’est là où s’arrête net la comparaison avec Johnny. Étrangement, personne ne l’a trop souligné, mais Jul a fait la part belle au personnel soignant (rappel, son concert a été reporté en raison de la pandémie) ; à des ouvriers en gilets jaunes (une tenue pas anodine) ; et surtout, aux détenus, dont il répète à plusieurs reprises l’hommage. Si le mauvais goût et le côté bordélique font de Julien Marie une incontestable icône franchouillarde, écouté des campings aux cités de France, reste qu’il sait mieux que beaucoup d’où il vient et de quelle musique il tient. Il faut le répéter: aucun article de presse n’a insisté sur le sujet, mais l’auteur de « Tchikita » clôt le concert le plus emblématique de sa carrière par un hommage à tous les détenus de France. Sans en faire un chantre de la pensée anticarcérale (loin de là), le fait mérite d’être rappelé, surtout face au silence dans lequel ces multiples références aux working class heroes ont été laissées. Elles marquent justement parce qu’elles n’ont rien de forcé, rien d’une posture. Bref, le 4 juin 2022 restera ancré dans les mémoires, pas pour les raisons attendues. C’était un très mauvais concert, mais une sacrée belle fête.