Diablotin en quête de rédemption Slowthai – Tyron
Slowthai est une voix reconnaissable entre toutes. Rarement l’accent anglais a sonné si tranchant sur un disque de rap. Le débit est nerveux, la diction appuyée à l’extrême, et les origines populaires transpirent par tous les pores de ses mots. Son Angleterre, c’est les quartiers gris et ouvriers de Northampton, ville plantée dans les terres, au milieu du pays. Ciel bas, misère sociale, familles accidentées. C’est le cadre qu’il dépeignait dans Nothing Great About Britain, son premier album sorti en 2019, carte de visite très réussie qui mélangeait les influences punk, grime et trap. On y faisait la connaissance d’un rappeur tourmenté, volontiers provocateur, avec une sensibilité aiguë derrière le sourire narquois et les frasques auto-destructrices.
C’est le deuxième « disque », celui mélancolique et intimiste, qui rend Tyron exceptionnel
TYRON transforme l’essai et va plus loin. Slowthai s’y ouvre davantage et, tout en gardant son style brut, fait preuve de plus de profondeur et de maîtrise. L’album se présente virtuellement comme un double album, même s’il est ramassé sur quarante minutes. La première moitié ouvre les hostilités en cassant la porte. Les abrasifs « Cancelled » et « Mazza » accueillent respectivement Skepta et A$AP Rocky pour des singles tonitruants. C’est du slowthai pur jus, qui fait plonger tête la première dans une énergie bouillonnante et inquiétante. Mais c’est le deuxième « disque », mélancolique et intimiste, qui rend cet album exceptionnel. Le rappeur y montre une facette plus humaine et vulnérable une fois que les coups de folie de l’ouverture retombent et que l’ambiance s’apaise. Evitant le poncif de la dualité morale, slowthai explore sur ce deuxième volet celui qu’il aspire à devenir. Il ne s’y montre pas nécessairement assagi, mais lucide. L’instabilité est toujours là, mais il cherche à sortir la tête de l’eau.
La production est également plus fouillée et subtile sur cette deuxième moitié. Kwes Darko, déjà en charge d’une bonne partie du précédent album, est encore responsable de l’ossature de TYRON mais fait place aussi à Kenny Beats et surtout Dom Maker pour les morceaux plus doux. Ce dernier, moitié du duo électro Mount Kimbie, a été dans tous les bons plans cette année en produisant sur l’album de Maxo Kream et celui de James Blake, qu’on retrouve d’ailleurs ici sur l’excellent « Feel Away ». Deb Never est également dans les parages, complétant la palette des invités de choix qui participent à cette atmosphère fragile qui tranche avec la rudesse habituelle de slowthai. Avec TYRON, le rappeur anglais a accouché d’un album fort, équilibré, et a su faire preuve d’une retenue et d’une délicatesse d’autant plus touchantes de la part d’une tête brûlée. – David