Cineman Laylow – L’Étrange Histoire de Mr Anderson
Comment confirmer lorsqu’on a connu le succès avec un objet rap non identifié ? En allant encore plus loin. Après avoir obtenu son premier disque d’or avec TRINITY, Laylow avait deux options : rentrer dans le rang ou encore plus se distinguer. Il faut croire qu’il aura opté pour la deuxième solution. Sur L’Etrange Histoire de Mr Anderson, le Toulousain met de côté le numérique et les histoires d’amour pour revenir sur son passé, dans une histoire racontée sous forme de film audio, entrecoupé d’interludes avec des doubleurs de cinéma. Et si jusque là on saluait énormément l’esthétique sonore et visuelle de Laylow, on en savait assez peu sur son parcours et sa personnalité, au risque de l’enfermer dans son personnage romantico-triste porté par le digital. C’est sans doute pour cela que Laylow a décidé de tout faire à rebours – ou presque – de TRINITY sur son second album : plus aucune référence au digital, moins de sonorités électroniques, aucun morceau parlant d’amour, et, surtout, un changement total d’univers. Du vert fluo de Matrix, on passe ainsi à l’esthétique jaune sombre des contes modernes de Tim Burton des années 90, allant même jusqu’à appliquer un grain proche de ceux des films de cette époque dans le court métrage qui accompagne l’album.
Derrière tous ces choix, un objectif clair : raconter les origines de Laylow, de ses années d’errance et de galère à sa porte de sortie trouvée à travers la création, tout en rendant aussi hommage à ses premiers émois. Très nostalgiques par endroits, L’Etrange Histoire de Mr Anderson réveille à de nombreuses reprises des figures musicales, sportives, ou cinématographiques des années 90 et 2000 pour mieux cerner la jeunesse du Toulousain, qui ramène même des scratchs sur un album certifié disque de platine en 2021 (réalisés par DJ Idem au début de « VOIR LE MONDE BRÛLER »). On croise ainsi sur LEDMH 50 Cent le temps de deux morceaux (« WINDOW SHOPPER PART.1 et 2 »), NWA sur un sample bien senti (« LOST FOREST »), Salif au détour d’une phrase (« En sous-marin, c’est la Navy, Boulogne Boys dans la playlist ») la légende des parquets de NBA Allen Iverson (« IVERSON ») ou le cinéma des années 90 à travers la voix de Maïk Darah. Figure phare du doublage français et voix officielle de Whoopi Goldberg, sa présence n’est pas anodine : on a notamment pu entendre le grain de sa voix grave dans des films cultes des 90’s (Sister Act, Ghostbusters, Le Roi Lion) mais aussi dans le monde du rap comme Boyz n the Hood ou New Jack City. Ce qui motivera d’ailleurs Laylow à la choisir pour « interpréter » sa mère comme il l’expliquera au Monde, dans une volonté de retranscrire l’ambiance des hood movies de cette époque.
L’Etrange Histoire De Mr Anderson est un album qui tente d’humaniser Laylow
L’Etrange Histoire De Mr Anderson est en fait un album qui tente d’humaniser Laylow. Alors qu’il dépeignait dans sa musique un constat assez glacial sur les émotions humaines (déceptions amoureuses, pas d’attachement aux autres, sexe sans sentiments) – jusqu’à devenir un cyborg sur la pochette de .RAW-Z – le Toulousain donne ici à l’auditeur quelques clés sur sa vie qui le rendent plus attachant. On découvre ainsi le temps d’un album ses relations tumultueuses avec sa mère (« VOIR LE MONDE BRÛLER »), la déception causée par des amis qui n’en étaient pas vraiment (« Tu comprends maintenant? »), son manque d’argent, et ses rêves de jeunesse. Une volonté de remettre de l’humanité qui s’exprime aussi dans les choix musicaux du disque : plus organique, le rappeur s’écarte un peu des VST pour laisser plus de place à des instruments enregistrés (pianos, violons, synthétiseurs) couplés à des rythmiques rap, afin de donner plus de grain et de souffle à sa musique. C’est particulièrement prégnant sur ses collaborations avec des producteurs aussi instrumentistes, à l’image de Selman à la guitare (« FALLEN ANGELS », « UNE HISTOIRE ÉTRANGE ») ou Loubenski et Sofiane Pamart aux claviers (« VOIR LE MONDE BRÛLER », « IVERSON », « UN RÊVE ÉTRANGE »). Comme s’il voulait donner plus d’âme, de chaleur à sa musique, jusque-là très portée sur les technologies, pour y remettre plus d’intimité.
L’Etrange Histoire de Mr Anderson franchit le cap difficile du second album parce qu’il ne se repose pas sur les acquis de TRINITY, tout en conservant ce qui en faisait son charme : un concept fort pour raconter une histoire, sans jamais mettre la musique au second plan. En poussant encore plus la cinématographie de sa musique et en se distanciant du digital, Laylow s’est finalement mis en danger. Forcément, cette prise de risque débouche sur certains ratés : le disque est parfois un poil bavard et les discussions entre Laylow et Mr Anderson manquent de profondeur, tout comme l’album n’est pas facile à réécouter dans son intégralité sans être vraiment concentré dessus. Mais la multitude d’idées musicales, artistiques, et visuelles qu’il présente font de cet album la proposition créative la plus forte et ambitieuse du rap français en 2021. Un nouveau chapitre pour Laylow qui impose de plus en plus sa vision dans le paysage musical français, tout en revendiquant aujourd’hui sa différence. Un fardeau aujourd’hui devenu force. – Brice