Macabre requiem pour 2021 La litanie de deuil du rap américain
Les disparitions tragiques et violentes qui ont émaillé l’année qui s’achève nous l’ont cruellement rappelé : aimer sincèrement le rap revient toujours à accepter de se faire une place dans sa vie à la violence et à la mort. Les nouvelles tombent les unes après les autres, par une notification WhatsApp tard le soir – Virûs disait : « flippe des coups de fil la nuit ou très tôt le matin ». Par un tweet qu’on lit en refusant de comprendre, jusqu’à ce que les premiers articles de presse viennent briser le déni, oblitérer les doutes. Lui aussi. Toujours sans prévenir, et le choc reste toujours aussi abrupt. Comme une litanie morbide qui jamais ne s’arrête.
Repose en paix DMX. Repose en paix Black Rob.
En accueillant ces artistes dans sa vie, en laissant son pouls battre au rythme de leur musique, l’auditeur ou l’auditrice y laisse entrer ce fardeau de souffrance. Les sociologues Donald Horton et Richard Wohl ont forgé en 1956 l’expression de « relation parasociale » pour désigner le lien qui s’établit entre un artiste ou une personne publique et celui ou celle qui, en l’écoutant, les fréquente au quotidien. Mais comment un terme aussi aride pourrait-il capturer le réconfort de sentir quelqu’un d’autre chanter ses propres émotions ? Le parfait unisson entre une voix et une âme quand la musique nous transporte ? La douleur de la perte quand la sinistre nouvelle vient scintiller sur l’écran ?
Repose en paix Young Dolph. Repose en paix Slim 400. Repose en paix Drakeo the Ruler.
L’année a été particulièrement noire mais ce cycle de deuils n’a rien de nouveau. Il fait partie des privilèges de l’auditeur et de l’auditrice que de l’oublier et de simplement profiter de la musique, mais le rap émerge de contextes urbains et sociaux sur lesquels le système en place pèse de toute sa violence. Les voix qui le composent sont issues de larynx rongés par l’addiction et la maladie, les poumons qui lui insufflent son énergie essoufflés des courses poursuites avec les forces de l’ordre, les cœurs qui lui prêtent vie marqués par le deuil et transpercés par les balles. Chaque assassinat d’un artiste, chaque décès auquel 2021 nous a confrontés, vient immanquablement rappeler la violence raciale, sociale et économique qui l’a engendré. Il fait partie du devoir de mémoire que de ne pas l’oublier.
Repose en paix Daunte Wright. Repose en paix Atatiana Jefferson. Repose en paix George Floyd.
Quand bien même ce serait la préoccupation première d’un magazine rap, ce constat n’est pas cantonné aux frontières nord-américaines. Toutes les musiques des damné.es de la terre pour reprendre l’expression de Rocé qui l’empruntait à Frantz Fanon, sont empreintes de cette violence. Les consommer sans en avoir conscience reviendrait à se comporter en pilleur de tombes. Porter le deuil d’un artiste qu’on a aimé est une occasion de s’en rappeler – ça ne devrait pas être la seule. Les disparus méritent qu’on leur érige des mausolées, celles et ceux qui restent méritent qu’on n’attende pas leur fin pour recevoir les fleurs qu’ils méritent.
Repose en paix Double K. Repose en paix Gift of Gab. Repose en paix Shock G. Repose en paix Biz Markie. Repose en paix Daddy U-Roy. Repose en paix Bunny Wailer. Repose en paix Tonton David.
Les années passent et il faut à toute force lutter contre l’oubli. Que reposent en paix tous les pionniers et les activistes qui ont fait de cette culture ce qu’elle est. – Beufa