Demi-torsion Le difficile équilibre de JVLIVS II de SCH
En 2018, SCH sortait avec JVLIVS l’équivalent, à son échelle, de son film d’auteur. Aux grandiloquences mafieuses et criminelles qu’il rappe depuis A7, en 2015, venaient se compresser encore plus qu’auparavant ses propres éléments biographiques et introspectifs. Si bien que derrière le personnage de JVLIVS, volontairement encore plus poussé (sans doute poussif, diront les pourfendeurs du rappeur), Julien Schwartzer montrait bien plus de lui-même dans ce qu’il a d’ambitieux, d’anxieux, de méticuleux sur cet album bien agencé – une denrée si rare que les plus enthousiastes parlent, à tort, d’un album concept. Depuis, la rage au ventre (Rooftop), le sens du single (« Haut standing ») et surtout l’accueil du S dans le microcosme du rap bucco-rhodanien avec 13 Organisé et son tube « Bande organisée » l’ont fait passé à une autre strate de popularité. Un nouveau paramètre dont le natif d’Aubagne a eu conscience pendant l’enregistrement de la suite de JVLIVS II et qui a créé un véritable enjeu pour lui. Comment perpétuer le caractère singulier de son magnum opus et satisfaire le socle de ses auditeurs pré-« oui-ma-gatée », tout en donnant des gages à un public qui a (re)découvert son rap depuis son rapprochement avec JuL ?
Un numéro de funambule qui s’est dévoilé le 19 mars dernier avec JVLIVS II. Comme d’autres rappeurs avant lui mais avec plus de soin, SCH mêlait dans le JVLIVS premier du nom l’idée de défendre son statut dans le rap à celui de son personnage dans le banditisme (« j’viens reprendre mon rain-té »). Comme toute bonne suite, JVLIVS II fait évoluer cette ambivalence avec un protagoniste conscient qu’il est maintenant dans le « Grand bain », voulant autant voir les vrais visages des rappeurs, ceux « pas étalonnés », qu’assez confiant pour laisser « la pharmacie en gérance » (« Marché noir »). Dans ce deuxième opus, JVLIVS a autant grandi en termes de rang social que d’âge, et exige le respect qu’il estime qu’on lui doit (« Met mon nom en haut de l’affiche, p’tit enculé j’ai plus vingt piges », « Fournaise » ; « J’ai pas honte de devenir adulte », « Zone à danger »).
Dans ce deuxième opus, JVLIVS a autant grandi en termes de rang social que d’âge, et exige le respect qu’il estime qu’on lui doit
Une réussite et une maturation qui ont aussi des pendants. La proximité de ses reufs chantée dans « Bénéfices » il y a trois ans fait place à plus de « Parano » et de méfiance (« Grande liste d’amis plus ou moins proche, y a des prénoms barrés », « Fournaise » ; « Parle a mes amis d’avant et je vais te dire les effets du temps », « Grand bain »). Une forme d’usure à cause de ce charbonnage intensif (« J’laisse un peu de santé à chaque titre, à peine sorti, ils veulent la suite »). En ce sens, « Marché noir » et « Loup noir », respectivement premier et dernier morceau interprété par SCH de l’album, fonctionnent comme des scènes d’ouverture et de fermeture idoines. « Marché noir », enragé, plante le décor narratif et géographique (sud de l’Espagne, après la Sicile dans JVLIVS). « Loup noir », peiné, résume les fêlures encore vives, autant amicales que familiales, essaimées par SCH pendant tout le disque. Même si la trame déroulée dans le JVLIVS II est assez libre, la mission est remplie du côté storyboard.
Là où les critiques ont parfois plu, dans la presse ou la vox populi des réseaux, c’est sur la direction musicale. JVLIVS a marqué par cet idéal réclamé depuis A7 d’un album entièrement réalisé et presque intégralement produit par l’équipe Katrina Squad. Le son y était au diapason du rap de SCH : baroque, penchant soit vers des instrumentations orchestrales (choeurs, mandolines, cordes), soit vers des sonorités froides qui pouvaient rappeler l’italo-disco à la Moroder, souvent sur des rythmiques trap avec ce son métallique typique de l’équipe de Guilty. Tout juste « Le Code » et son air mélodique signé Pyroman, trop proche de ses récents tubes (« Mwaka Moon »), donnait l’impression d’être une concession.
Sur JVLIVS II, SCH et Guilty se sont d’avantage ouverts à des contributions extérieures et transposent naturellement l’environnement musical vers les rives espagnoles. Hormis des filiations avec le JVLIVS premier du nom (« Marché noir », « Zone à danger », « Mannschaft » et son twist drill), les beats de cette suite sont plus dépouillés pour accompagner des sonorités arides, souvent portées par flutes et guitares (« Grand bain », « Assoces », « Corrida », « Akimbo »), parfois des influences rock dans les mélodies et textures (« Fournaise », « Mafia ») ou dans les rythmiques (« Crack »). Mais c’est parfois là où l’album pêche : en prenant cette voie des mélodies mélancoliques sous guitares moins originales, JVLIVS II ne ressort pas autant du lot que son prédécesseur avait pu le faire avec des titres dont SCH peine à leur donner une réelle vie dans l’album (« Assoces », « Corrida »). Et la présence de « Mode Akimbo » et son beat julesque, signé Zeg P, a attiré les foudres de tous les vilipendeurs d’une zumba aux contours de plus en plus flous, mais défendue plus tard par SCH – donnant, là encore, du grain à moudre à ses détracteurs.
S’il y a des concessions indiscutables sur JVLIVS II, elles ont néanmoins créé un effet de loupe injuste.
Ces concessions indiscutables ont néanmoins créé un effet de loupe injuste. D’une part parce que SCH n’a rien sacrifié à son style. Ni dans ses registres d’interprétation et ses superposition vocales, ni dans son écriture, de ses fulgurances (« La p’tite maison est en ruine, quand la faim pense, le cœur est en grève ») à ces instants où il étale ses tripes (« Zone à danger », « Raisons », « Parano », « Loup noir »). Et d’autre part parce que dans le lot des albums mainstream (y compris chez sa maison mère Rec. 118), ceux taillés pour les playlists des DSP, le S montre qu’on peut tendre la perche à un public plus large sans trop se standardiser. JVLIVS II est la confirmation que SCH est devenu un « baron » (rouge) contemporain du rap français sans tomber ni dans la facilité ni dans le cynisme ambiants, même s’il prend en compte ses réalités économiques et aurait pu se passer de titres dispensables. À l’échelle de SCH, cela peut être une demi-déception. À l’échelle du rap français, JVLIVS II reste une satisfaction. – Raphaël