Reconquête honorable La trilogie « Reda » de Lacrim
Persona non grata, le dernier album de Lacrim, a été une belle surprise en cette fin d’année tant la réalisation et la production y sont précises et dosées﹣ce qui n’a pas toujours été le cas sur tous ses albums. Le rappeur y est moins fougueux, cadré et dirigé à la fois par des anciennes expériences musicales non réussies et par la direction professionnelle de Kore. La ligne artistique est droite, une ligne de conduite à appliquer et à ne surtout pas franchir. L’album débute d’ailleurs par le titre « Kanun », mot arabe signifiant « loi » / « droit »/ »règlement », remontant aux codes de lois édictés sous l’Empire ottoman. Certains codes traditionnels portent toujours ce nom aujourd’hui, comme en Albanie, ce même pays où Lacrim a shooté des clips et la cover de l’album. Coïncidence historique ou réflexion préméditée, ce kanun est le fil conducteur d’un disque placé sous le signe de l’honneur. Et quoi de plus universel et ancestral qu’un homme qui lave son honneur bafoué dans le sang ? C’est le récit de cette reconquête que développe le rappeur dans les morceaux « Reda l’Égyptien », « Reda – Partie 2 » et « Reda – Partie 3 ».
Construite autour d’une histoire de vol d’argent, de prison et de vengeance, la trilogie « Reda » n’est pas sans rappeler celle de Tandem (« Un jour comme un autre », « Frères ennemis » et « Le Jugement »). Seize ans en arrière, les rappeurs du 93 avaient imaginé une narration autour d’un personnage principal qui, sortant de prison, s’en va déterminé récupérer son dû auprès d’un ancien ami avant de finir condamné pour tentative d’assassinat sur ce dernier, le tout sur fond de magouille policière. De son côté, le triptyque de Lacrim débute par une narration d’une escroquerie financière qui envoie le protagoniste-victime en prison. S’ensuit une discussion avec un ami retrouvé en maison d’arrêt. Et termine avec un règlement de comptes orchestré par téléphone avec différents interlocuteurs.
Ces deux trilogies se rejoignent dans leur développement : un premier titre rappé en solo par le protagoniste, un second sous forme de dialogue et un troisième qui regroupe plusieurs intervenants dont la participation accélère le dénouement. Point fort : le duo avec Mister You sur le deuxième titre constitue le cœur de l’intrigue car la présence du personnage joué par le Parisien apporte des informations précieuses qui déclenchent l’acte de vengeance﹣en plus de nous faire sourire avec son jeu d’acteur très convaincant. L’alchimie entre les deux comparses n’est clairement plus à prouver et apporte ici une belle fluidité à la narration.
L’écriture de ce storytelling n’a rien de novatrice, les qualités de cette trilogie sont ailleurs
Pour la troisième partie de « Reda », ce sont Mister You, Niro, Le Rat Luciano et Koba LaD qui aident Lacrim à atteindre son objectif. Point faible : cette troisième partie manque de clarté quant aux caractéristiques et utilité de chaque personnage, offrant un déroulé flou ﹣même si la conclusion est nette﹣cependant occulté par une morale de fin du Rat Luciano (« C’qui compte, c’est les faits et on l’a fait, il est dans l’fer / Faire ses affaires sans s’laisser faire… »).
L’écriture de ce storytelling n’a rien de novatrice, elle est linéaire et descriptive, sans prise de risque. L’unique sortie de route originale de Lacrim, « j’ai fait confiance à un dromadaire qui avait quatre bosses », n’est pas fulgurante mais a le mérite d’avoir été tentée. Heureusement, les qualités de cette trilogie sont ailleurs…
Sa présence inattendue est en elle-même une réussite, dans une époque où ce genre d’exercice se fait rare. On y retrouve toute la personnalité d’un Lacrim impétueux et impulsif. Le personnage principal joué par ce dernier avoue avoir eu ses torts et apprend de ses erreurs. Il fait le choix intelligent de s’entourer d’hommes de main de confiance avec lesquels le travail se passe bien (le quatuor Lacrim, Niro, You et Le Rat fonctionnait déjà très bien sur « Loi de la calle », se démarquant des autres participants). Il écoute alors les plus expérimentés dans le but d’aboutir à un résultat final précis et satisfaisant (merci Kore).
Finalement, Persona non grata est un condensé de toutes les qualités de cette trilogie : c’est l’album d’un artiste qui a su regarder en arrière, analyser son parcours, faire les choix les plus stratégiques, s’entourer des bonnes personnes, tout en gardant l’essence de ce qu’il est. – Ouafae