Opinions publiques Trump et les rappeurs
Avant qu’il n’entame sa carrière politique et ne devienne président sous le regard médusé du monde entier, Donald Trump était cité à tour de bras par les rappeurs au cours des décennies précédentes. Il incarnait la richesse ostentatoire et l’esprit de domination, le conquérant qui s’est fait tout seul (bien que né dans le luxe). Autant de traits qui le rendaient fascinant et facile à invoquer au détour d’un couplet. Un nom efficace en une syllabe, un symbole d’argent connu de tous, il n’en fallait pas plus. Une fois élu, celui qui était perçu au début comme un candidat peu crédible n’a pas ralenti son flot de déclarations consternantes. Le doute n’était plus permis sur ce qu’il était et ce qu’il représentait. Alors le monde du rap a changé son fusil d’épaule. Trump est devenu l’ennemi et les comparaisons simplistes à l’homme d’affaires ont pris un coup de vieux.
Pour sa campagne de réélection, Trump a cherché à grappiller des points auprès d’un électorat qui lui était majoritairement hostile : la communauté noire. Pour y parvenir, il s’est assuré le soutien de têtes d’affiche du rap. La manœuvre était grossière et l’impact de tels ralliements assez marginal. Toutefois, les motivations de certains de ces artistes interrogent. Le cas de Kanye West est à part. Il a été le plus fervent défenseur du président Trump et s’est réellement impliqué en sa faveur, quitte à mettre son image en péril. Sa vision de la politique apparaît floue et déconnectée de la réalité et il est difficile de savoir ce qui relève chez lui de l’ignorance, de la provocation ou de la conviction sincère, sans parler de sa santé mentale inquiétante. Sa candidature folklorique de dernière minute aura fait hausser quelques sourcils, mais restera anecdotique et n’aura pas siphonné beaucoup de voix pour ceux qui y voyaient la main de Trump.
Toutefois, les motivations de certains de ces artistes interrogent.
Du côté du peu politisé Lil Pump, venu montrer sa tête à un meeting, c’est semble-t-il l’opportunisme qui a prévalu. D’autant que ce genre d’apparition se monnaie d’après 50 Cent, qui affirme avoir décliné (après quelques hésitations) une somme à six chiffres en échange de son soutien public. En millionnaire qui ne plaisante pas avec son argent, 50 voyait d’un mauvais œil la perspective d’une hausse des taxes par Biden et a failli se laisser séduire. Mais, toute considération morale à part, il y avait peut-être plus à perdre qu’à gagner. Lil Wayne, qui n’en est pas à son coup d’essai en matière de déclarations étonnantes, a reçu une volée de bois vert d’une part de son public pour son soutien affiché à Trump. Pas de quoi ternir durablement son héritage, sans doute, mais assez pour écorner son image.
Quant à Ice Cube, la situation a pu prêter à confusion dans les médias. Il a mis sur pied un contrat économique pour lutter contre les inégalités (le Contract With Black America) qu’il a proposé aux deux partis politiques. Les Républicains y ont répondu favorablement en intégrant quelques éléments à leur programme et en ont profité pour se targuer de collaborer activement avec le rappeur. Ice Cube a dû clarifier sa position, expliquant qu’il ne soutenait pas Trump (dont il réclamait encore l’incarcération sur son single de 2018 « Arrest The President »), mais qu’il était prêt à travailler avec n’importe quelle administration pour des enjeux aussi importants. Une ligne délicate à tenir pour celui qui rappait « Fuck the Police » en 1988 et a incarné une facette militante du gangsta rap toute sa carrière. À trop vouloir faire avancer les choses, le risque de se faire manipuler n’est pas loin.
Ces appels du pied vers les rappeurs n’auront pas suffi à faire basculer le scrutin, mais ils sont la preuve que le rap a infusé partout et revêt désormais toutes les formes et toutes les opinions puisqu’on peut s’en servir pour promouvoir un personnage aussi controversé que Trump. La défaite de ce dernier aura aussi eu pour mérite de faire remonter en haut des charts « FDT » (pour Fuck Donald Trump), le brûlot de YG et du regretté Nipsey Hussle sorti en 2016, et ça n’est pas pour nous déplaire. — David