Fréquence star Rockin Squat – 432hz
En 1990, Mathias Cassel avait une formule secrète et s’inquiétait de ce que réservait le futur. Douze ans plus tard, il devenait une sorte de prophète qui prêche des convaincus que la vérité serait ailleurs, plus particulièrement dans ses disques. Dans sa série des Confessions d’un enfant du siècle, il était l’un des premiers à faire de l’actualité mondiale une grande soupe sortie de la cuisine des illuminatis. D’un rappeur qui avait su s’accaparer comme peu des thèmes parfois pas encore propulsés dans les consciences collectives (au premier rang desquels l’écologie), il s’était transformé en une sorte de confusianiste autoproduit, avec son système économique parallèle bien à lui et l’aura de sa gloire passée comme fonds de commerce pour dire « tout haut » ce que le politiquement correct ne dit (soit-disant) pas (ça ne vous rappelle pas la trajectoire déplorable d’un humoriste français ?). Alors de quel siècle Rockin Squat est-il réellement l’enfant ? Celui de la désinformation paranoïaque ou celui de la clairvoyance visionnaire ?
Si désormais Rockin Squat refuse de répondre aux questions interrogeant son conspirationnisme (comme le rapporte Olivier Cachin), l’album qu’il a sorti cette année donne enfin un semblant de réponse. Il permet même de réagencer un peu les cartes d’un Assassin qui avait perdu depuis quinze ans sa verve de sniper pour y préférer des habits de prophète dignes des illuminations d’un Maurice G. Dantec. Dans un disque apaisé et sûr de lui, Squat rappe un monde de polarité. Il est basé sur son usage du « je ». Sauf qu’il ne s’agit plus tant de vérité, mais de façon de vivre. C’est son quotidien contre celui des autres. Il y a lui d’un côté, avec la première personne du singulier. De l’autre, il y a la troisième personne du pluriel, les « ils » et les « eux » avec « leurs ». C’est-à-dire ? Le reste du monde, tous ces matérialistes qui ne l’écoutent pas avec leurs iPhones, leur vacuité, leurs réseaux sociaux, leur course à l’argent, leurs puissants et leurs valets les inspecteurs des impôts. « Je suis victime du Grand Capital et de sa mondialisation comme tous les petits artisans qu’on veut réduire au silence…« , dit-il en interview pour promotionner la sortie de 432hz. Si la déclaration a de quoi faire sourire, l’album est pourtant l’un des moins ennuyants de cette année. Il faut même prendre ses responsabilités : c’est l’un des plus accrocheurs. Quoi que Squat y dise, il s’y passe musicalement toujours quelque chose. Les beats sont appuyés par un batteur talentueux. Les atmosphères sont riches, passent de la bossa brésilienne à des guitares funk et des orchestrations tout droit sorties d’un concert de Ceux Qui Marchent Debout. Le chant corse posé sur « Omerta » est bouleversant de beauté, tout comme la voix de blues triste associée à un piano mélancolique jazz sur « Clown ».
Quoi que Squat dise dans 432hz, il s’y passe musicalement toujours quelque chose.
Quant à Squat lui-même, il a beau énormément se regarder le nombril ventripotent la plupart du temps que dure le disque, là-aussi, il se passe toujours quelque chose. Lorsqu’en intro, il marmonne avec brio sur le succès et la solitude du trône, c’est lapidaire. Lorsqu’il se souvient de New York, ça cogne. Lorsqu’il joue au coach de bien-être au point de faire rougir Sinclair de honte, il y a quelque chose de bienveillant qui s’en dégage. C’est que désormais, Squat économise ses mots. Il joue avec, parfois comme un enfant qui découvre la langue, et ne craint pas de préférer les gimmicks et assonances aux diatribes à rallonge auxquelles il était habitué. Le résultat ? Il met du groove et de l’âme dans tout ce qu’il dit. Lui attribuera le tonus et les formes (le « booty » dirait-il ?) de son disque à la fréquence sur laquelle il donne son la, cette fameuse 432hz. La réalité se rapproche sûrement plus d’une réalisation exemplaire et d’un entourage musical soigneusement choisi plutôt que d’un phénomène physique mal défini. Quoi qu’il en soit, c’est assez pour donner un minimum de cachet aux postures prétentieuses (« Vous êtes des rappeurs, je suis la révolution, vous êtes des candidats, je suis l’évolution » ), suffisant pour sublimer des recommandations dignes d’un programme de développement personnel écrit par M. Lapalisse (« La rose n’a d’épines que pour ceux qui veulent la cueillir » ), et assez pour donner du sens à des déclarations sur lesquelles il faudrait normalement s’étrangler (« J’ai le sang des esclaves dans un profil de colon« , impossible d’expliquer ici comment Squat a réussi à rendre une phrase pareille acceptable).
« Ce n’est pas du messianisme socialisme comme Zola mais ça s’en rapproche », disait-il sur le titre « Enfant du siècle » en 2001. Dix-neuf ans plus tard, il titre une de ses chansons « Rap de mon âge » et y déclare : « Ce monde obscur ne m’a pas déshumanisé« . Honnêtement, jusqu’à 432hz, il y avait un sérieux doute tant le rappeur d’Assassin était devenu un algorithme à théories du complot, dont la dernière gloire avait été de ne pas respecter les règles du divertissement lors d’un passage sur les plateaux de Canal+. S’il reste parfois toujours aussi démago dans la subversion, toujours engoncé dans ces certitudes, il semble accepter que son rap ne puisse pas exister dans une tour d’ivoire et que celle-ci mérite bien quelques fissures et une ouverture sur un monde de bien-être plutôt que la petite lucarne d’un écran où des rimes aigres finissaient la plupart du temps hors cadre. Il en sort un disque apaisé et riche musicalement, dont les quelques facepalms qui le peuplent n’arrivent pas à contredire un véritable plaisir auditif. Si les deux premières décennies des années 2000 ne sont pas parties pour en faire le nouveau siècle des lumières, il aura fallu vingt ans pour retrouver chez le rappeur d’Assassin une lueur intérieure qui depuis longtemps n’avait pas autant fait vibrer. Comme quoi, le futur réserve parfois de belles surprises. — zo.