Ayo ! Le plan Griselda
Difficile de parler de l’exercice écoulé sans évoquer le quadrillage quasi-militaire de l’équipe Griselda en cette année 2020, extra-musicalement morne et annonciatrice d’un avenir plus que flou.
Une année pas perdue pour tout le monde néanmoins au vu de la teneur et de l’omniprésence de la clique de Buffalo. Au programme : trois albums pour Westside Gunn, deux EPs et un album (réédité le 18 décembre) pour son demi-frère Conway, qui n’a pas usurpé son nickname de The Machine, et un pour leur cousin Benny, lui aussi fidèle à son sobriquet de The Butcher, qui a également mis en orbite la Black Soprano Family avec la mixtape The Respected Sopranos.
Griselda agrandit aussi sa famille et signe la rappeuse Armani Caesar (de Buffalo également), le glacial Boldy James de Détroit et le jeune Atlantais YN Billy complétant un roster très grimey. Une expansion qui commence avec The Versace Tape de Boldy confirmant, si besoin en était, la direction street et gritty du label. Cet EP sera suivi de The Liz Tape, premier projet prometteur de la première MC du crew. Des projets dont la limite entre EPs, LPs, mixtapes ou albums n’est pas toujours évidente mais qui ont souvent pris le format un rappeur/un producteur pour dessiner un ensemble cohérent. Une fresque esquissée dans des nuances sombres qui prendra un bain de lumière bienvenue en octobre avec l’album Burden Of Proof de Benny The Butcher produit en intégralité par le Californien Hit-Boy.
L’équipe Griselda fait également l’unanimité parmi ses pairs.
Avant d’arriver à cette bouffée d’air importante et remarquable, The Alchemist avait pris soin de la production abyssale de l’EP Lulu pour Conway (on pourrait aussi parler de The Price Of Tea In China et d’Alfredo hors Griselda Records mais dans le même ADN, CF notre focus consacré à Alchemist ici-même). Big Ghost LTD a également bien servi le rappeur, dont la maîtrise de sa paralysie faciale a frigore reflète déjà en soi une victoire, avec un autre EP diabolique : l’excellent No One Mourns The Wicked. Jay Versace a lui aussi participé, pour Boldy, à la peinture de ce tableau obscur avec The Versace Tape. Des producteurs que l’on retrouve en compagnie d’autres pointures (DJ Premier, Erick Sermon, DJ Muggs, Havoc, Just Blaze) et des compositeurs maisons Daringer et Beat Butcha sur les albums des deux frères : Pray For Paris sorti en avril, Flygod Is An Awesome God II en juin, From King To A God en septembre et Who Made The Sunshine en octobre.
Outre ce calendrier chargé, l’équipe Griselda fait l’unanimité parmi ses pairs. Les featurings de Conway et Benny se sont multipliés par exemple chez Royce Da 5’9′, MC Eiht, Freddie Gibbs (quatre échanges la même année), Curren$y ou Juicy J. Dans l’autre sens, les invités sur leurs albums confondent toutes les générations et viennent des quatre coins du pays. Parmi les plus prestigieux : Busta Rhymes, Method Man, Black Thought, Jadakiss, Slick Rick, Joey Bada$$, Rick Ross, Lil Wayne, Dom Kennedy et Tyler The Creator. Sans oublier la signature en 2019 de Westside Gunn et Benny The Butcher sur Roc Nation, label de Jay Z.
Il y a tout de même des choses à redire sur Griselda.
Il y a tout de même des choses à redire sur Griselda, notamment sur son marketing et la vente – au regret de beaucoup d’auditeurs – de ses disques au compte-goutte à des prix souvent peu abordables. Une mercatique parfois questionnable, surtout chez Shady Records (où est encore signé Conway) qui n’a par exemple pas daigné sortir en version physique l’album WWCD (?), mais semble-t-il efficace. Leurs disques en édition (très) limitée partent comme des petits pains et la touche F5 du clavier est indispensable pour avoir droit au graal. Pas de ventes aux enchères encore comme pour les œuvres d’art mais sur cet aspect-là, Griselda (Westside Gunn principalement) est pionnier en ramenant l’art, mais aussi le catch, dans le sillon du rap. Les pochettes ont parfois un goût douteux (la série Hitler Wears Hermes ou Who Made The Sunshine) mais cette initiative, suivant celles de Kanye West et Jay Z, leur est imputable. Et même si leurs gimmicks sont encore un poil trop surabondants, ce sont aussi eux qui sont à l’origine, en prenant le relais de Roc Marciano, de ce revival street rap new-yorkais que nombre d’aficionados réclamaient à la fin des années 2000.
Une année 2020 ternie par le décès de leur parrain artistique DJ Shay (R.I.P.), durant laquelle les trois cousins ont régné en maîtres et qui, musicalement, rappelle le run du Wu-Tang de 1993 à 1997 en beaucoup plus concentré. Une prouesse. La décennie devant eux semble leur appartenir. — JuldelaVirgule