Production Des beats sans pieds, ça marche
Était-ce avec Pi’erre Bourne ? Avec Wheezy ? Il est sans doute trop tôt pour faire de l’archéologie musicale comme certains s’y sont pliés pour aller chercher l’origine de la Young Chop snare. Partons plutôt du constat : de plus en plus de productions de rap voient disparaître leurs kicks, compensés par des basses familièrement appelées 808 poussées au maximum de leur saturation et de leur impact. Pour un genre musical qui s’est construit en quarante ans sur la dualité d’une grosse caisse et d’une caisse claire nettes et puissantes, voilà une nouvelle torsion de ses règles qui prouvent que le genre est toujours en mutation. Une évolution qui trouve peut-être sa source dans une cause pragmatique et une autre créative. D’abord parce qu’elle est adaptée aux modes d’écoute sur des systèmes audio (haut-parleurs de smartphones et laptops) qui valorisent peu les coups de pression des grosses caisses. Ensuite parce que les ambiances développées particulièrement par les deux producteurs suscités – distordues façon jeux vidéo pour Bourne, feutrées pour Wheezy – se prêtent mieux à ces rythmiques moins contrastées, dans une « architecture aux fréquences medium« , comme le disait notre collègue LeCaptainNemo en 2017. Encore circonscrit à quelques producteurs audacieux ces dernières années, le phénomène se démocratise de plus en plus, au point d’être cette année adopté par nos producteurs hexagonaux. Hypnotic Beatz sur « But en or » de Kalash Criminel, JayJay et LamaOnTheBeat sur certains instrus de la don dada mixtape vol. 1, le travail de Kosei sur le KOLAF avec La Fève : autant de nuances dans l’application de cette tendance. Une sorte de réponse trap aux instrus drumless instigués par Roc Marciano il y a une dizaine d’années, et dont on perçoit également des inspirations chez nous. En cette année de drillite aiguë du rap français, voilà une réadaptation plus mesurée qui amène un contre-point subtil et bienvenu. — Raphaël