Smino ou le gospel de Saint Louis
Gospel. Le terme n'a jamais été aussi utilisé dans le milieu du rap qu'en cette année 2016. Au premier abord pour une raison assez simple : Kanye en avait fait le leimotiv de Life of Pablo, son nouvel album, toujours un jalon indispensable, un mètre étalon. Le résultat sera finalement foutraque et paranoïaque mais le mot est là : Gospel, flottant dans l'air du temps, une litanie réelle forgeant une énergie commune, une nouvelle génération à l'unisson dans un dernier chant avant la longue nuit.
Le gourou ne sera donc pas Kanye, un peu en dérangement, mais un de ses disciples, Chance The Rapper, qui sort avec Coloring Book le manifeste du gospel rap, un mélange choral et spirituel entre incantation jazz et méthode Coué globalisée. Dans le sillage de Chance, la foi se disperse, surtout parmi les jeunes de Chicago et du Midwest, héritiers musicaux du vieux Kanye, mais gardant toute la folie du nouveau Kanye. Parmi cette faune bigarée se détache Smino et son équipe Zero Fatigue.
Smino vit à Saint Louis, complètement immergé dans la musique. Son père joue du clavier, sa mère chante et son grand père est une des légendes du Blues de la ville. Lui est complètement dans le rap mais avec toutes ces influences familiales intégrées. Pour poursuivre ses études, il passe par Chicago, rejoignant son cousin, Drea Smith. Lui aussi est chanteur et il a réussi à faire sa place. Signé dans l'écurie de Lupe Fiasco, Drea a tourné avec Kanye et baigne dans le microcosme très actif de la ville du vent. Par ce biais, Smino développe ses connexions et fait une rencontre déterminante avec son producteur, Monte Booker.
Monte Booker est de la génération Soulection, des touches-à-tout de génie, connus pour leurs remixs et edits de qualité, mélangeant jazz, funk, hip hop et house filtrée. Ils ont le vent en poupe depuis que l'un des leurs, Kaytranada est devenue une star planétaire. Le style de Monte Booker est subtil, fait de collages millimétrés de batteries saccadées et d'une multitude de petites notes assemblées comme un LEGO. Ses productions épousent parfaitement la voix mélodieuse de Smino, paré à toutes les expérimentations.
Car Smino a son propre gospel, alliant facilement rap et chant, distillant son héritage comme un bon whisky au clair de lune. L'année 2016 est son véritable lancement avec le EP BlkJuptr ainsi que de nombreux morceaux disséminés au gré des tempêtes. Gravissant une marche à chaque mesure, Smino prend de l'envergure et participe aux meilleurs projets de son entourage, de Saba à Mick Jenckins en passant par la fusée NoName. Il devait même apparaître sur le fameux Coloring Book mais le morceau est coupé au montage alors qu'il invitait aussi Big Sean et Jeremih, la fine fleur du Chicago populaire. Smino n'est pas passé loin et continue en attendant d'envoyer ses chants dans toutes les directions de la boussole, représentant l'arche de Saint Louis dans son dernier excellent "blckswn", cette fois-ci produit par Sango.
En 2016, tout est gospel. Comme dans chaque période sombre, la musique sert de baume réparateur, de grog salvateur. Et vu le climat, Smino et sa bande risquent de mettre les bouchées doubles positives, entamant les mêmes c(h)oeurs.
- LeCaptainNemo