Issam Krimi réorchestre « Tonton du bled »
Pour la quatrième édition du projet Hip-Hop Symphonique, Issam Krimi a invité Chilla, Ninho, SCH et Rim’K à venir interpréter plusieurs morceaux de leur répertoire accompagnés de l’Orchestre Philharmonique de Radio France et de son groupe The Ice Kream. Profitant de la présence du rappeur du 94 et des vingt ans de l’album Les Princes de la ville du 113, le chef d’orchestre a revisité le tube « Tonton du bled » – qui a été rejoué une deuxième fois pour clore la soirée –, en ajoutant un derboukiste à la formation. Une réorchestration pas si simple que ça pour le musicien mais remplie d’émotions :
La problématique de « Tonton du bled » original et du magnifique boulot de feu DJ Mehdi est que répéter indéfiniment un même motif de quatre mesures peut s’avérer rapidement très désagréable pour un musicien. Il y avait nécessité pour moi de le réorchestrer avec un retravail d’écriture me permettant d’éviter cette répétitivité ennuyeuse à jouer. Je suis donc resté longtemps devant ma feuille blanche sur ce titre, et un jour j’ai eu un déclic en allant chercher le sample original d’Ahmed Wahby, « Harguetni Eddamaa ». Le morceau dure presque sept minutes en réalité, il se joue dans un esprit de musique traditionnelle de mélodies par cycle. En l’occurence, il n’y a pas qu’une seule mélodie, il y en a cinq ou six. Je les ai toutes relevées. Dans la musique oranaise de Wahby, toutes les mélodies sont construites sur des cycles de trois mesures. Cycles qui ne sont pas du tout adaptés aux musiques pop et occidentales, construites sur quatre mesures. Alors, pour que ça tombe sur un beat de rap (basé sur une structure pop occidentale), DJ Mehdi a à chaque fois doublé la première mesure, puis ajouté les mesures deux et trois de l’original : on retrouve ainsi notre cycle à quatre mesures. J’ai repris ce principe et fait exactement pareil sur toutes les autres mélodies d’Ahmed Wahby que j’ai relevé. Par petites retouches, et variations, j’ai fait ma sauce. C’est comme cela que s’est créée cette version « extended » à partir du troisième couplet. Avec cette version, ce qui me plaît aussi, c’est de m’être rapproché un peu plus de l’original dans la dramaturgie, tout en gardant la carrure hip-hop que Mehdi a inventée. Les mélodies et le développement musical ont pris sens en s’inspirant de là où Mehdi avait laissé le travail. Malgré les apparences, j’ai une très mauvaise culture des musiques arabes, j’ai donc passé beaucoup de temps sur Internet à chercher sur des blogs des traités d’harmonies et des références, j’ai vraiment fait un taf musicologique de préparation. Les petits rajouts de variations que j’ai faits respectent normalement pas mal de codes. La réorchestration de « Tonton du bled » n’était pas facile mais quand j’ai trouvé la clé, ça m’a ému, de me retrouver 20 ans après dans ce même état jubilatoire de composition que Mehdi.
Photo © Florent Drillon – Adami