Symba, le ciel au-dessus de Berlin

L’impact en Europe du cloud-rap des années 2010, celui de Clams Casino et FRIENDZONE, ne se limite pas à Yung Lean, Bladee et la scène suédoise. La nouvelle génération de rappeurs de Berlin-ouest s’est également accaparée ces sonorités éthérées, entre rêves et moments de pleine-conscience. Parmi ces héritiers berlinois, on compte le très productif collectif BHZ, qui célèbre l’insouciance sous substances, ou la superstar discrète Pashanim, qui fait le lien entre cette esthétique et un rap plus dur dans ses thèmes et son interprétation. Un peu à mi-chemin de ces deux approches, Sylvain Mabe aka Symba est tranquillement devenu une figure incontournable du rap de la capitale. Son deuxième album Liebe & Hass, sorti en octobre dernier, s’ouvre avec « Bundesliga » sur une production évoquant l’iconique « Summa Time » du duo californien Main Attrakionz. Si ces sonorités « cloud » sont présentes tout au long de l’album, le rappeur promène sa mélancolie sur d’autres terrains, que ce soit le rock façon Vampire Weekend sur « Liebe & Hass » ou la « mélo » ensoleillée, tiakolesque, de « Ferienjob ».

Une variété d’ambiances rendue cohérente par l’interprétation et les textes de Symba. Avec sa voix légèrement filtrée pour la rendre cotonneuse, sa manière de poser tout en flegme et en confiance l’autorise à se montrer vulnérable mais jamais larmoyant ou impudique. Ainsi sur « Keine neuen Freunde », l’arrogance d’un rappeur et la célébration sincère et solaire de l’amitié ne font plus qu’une : « Shawty, vor zwei Sachen hab’ ich Angst, nur / Vor Gott und dass es Team nicht gut geht » (Shawty je n’ai peur que de deux choses : de Dieu, et que l’équipe n’aille pas bien.) Si l’artiste ne fait pas mystère de la priorité qu’il accorde à ses proches sur le reste du monde, sa manière de retranscrire le psyché d’une certaine jeunesse berlinoise tend vers l’universel, comme sur « Bunte Farben » où il fait se rencontrer en une poignée de mots la fête et la dépression: « Du weißt, dass es mir zu viel ist, schau hin, es vergeht die Zeit / Meine Freunde sind auf Depris, tanzen traurig in ‘nem Kreis » (Tu sais que c’est trop pour moi, regarde, comme le temps passe / Mes amis sont en dépression, dansent et tournent en rond.) Petits trafiquants et gros consommateurs, fêtards no future ou rêveurs solitaires, tout le monde semble chercher un peu de lumière à travers les nuages dans le Berlin gris que Symba décrit avec chaleur. Porté par un amour salvateur pour sa vie, comme pour mieux tenir contre la haine avec un grand h, celle du titre de l’album, auquel l’artiste dans ses songes refuse de croire : « Hab’ letzte Nacht geträumt, dass dieses Land uns wirklich liebt » (J’ai rêvé la nuit dernière que ce pays nous aimait vraiment.)