La madeleine boom-bap de Skalpel
Il y a en France des gens qui derrière le micro sortent des disques durant des années de carrière, comme s’ils ne pouvaient jamais être à cour d’énergie. Au-delà de leur constance, ce qui est bluffant chez ces rappeurs, c’est leur aptitude à être hermétique aux courants du moment : ils sont solidement ancrés dans la réalité mais ne craignent pas d’être face aux vents contraires. Leur boulimie de productivité est la transposition d’une conviction chevillée au corps. Parmi ces rappeurs, il serait possible de citer Lucio Bukowski, Donkishot (oui, il sort encore des disques !), Alpha 5.20 dans ses grandes années, mais ici, il s’agit de Skalpel. Comme tous les rappeurs précités, il ne dévie jamais de sa ligne – qu’il se fait un devoir de mettre en première. Pour cette énième disque (généralement, pour ce genre de rappeurs, il y a un moment où toute personne raisonnable arrête de compter), il ne s’agit évidemment encore de convictions politiques et de portraits sociétaux, mais pas uniquement. Car si avec humour, Skalpel reconnaît faire du « Rap de vieux » – un peu à la manière dont la Scred dirait qu’elle n’est jamais dans la tendance, mais toujours dans la bonne direction -, il fait avant tout une déclaration d’amour au boom-bap de son enfance, celui des 90s. Pour ce faire, il s’est associé avec Raan. Le Finistérien ingénieur du son talentueux, producteur au sein du collectif Tamahagané Beats et complice régulier de Skalpel et de Première Ligne, est sur la même longueur d’ondes que le rappeur originaire de La Courneuve. Ensemble, ils ont donc réalisé un disque où les scratches, les phases, les refrains, les samples, et même le mix et les structures de chaque titre, portent toujours un clin d’œil passionné au rap qui bounce de la grosse pomme. Entre ambiances à la Necro et à la Group Home, Skalpel et Raan mélangent rap d’hier et préoccupations d’aujourd’hui. À ce titre, le salvateur « Sales gosses » vaut à lui seul l’écoute de ce disque. Comme l’aurait dit le C.Sen : « Ils comptent tous sur la police, chialent, puis chaque jour de nouvelles milices / Ils s’pissent dessus et s’enfuient devant des enfants, j’me demande dans le fond pourquoi ils en font. » Voilà un condensé de la pensée de Skalpel, dans ce disque qui mélange admirations musicales héritées de l’adolescence et vécu d’adulte désormais vétéran.