Quelques vidéos à regarder pendant le confinement
En cette morne période, voici quelques suggestions de vidéos en accès libre à voir ou à revoir, dans différents registres (documentaires, interviews, concerts, etc.) et sur des thématiques larges, allant du rap français du début des années 1990 à la foisonnante scène marocaine actuelle, en passant par le deejaying et la trap.
The Making Of Netflix & Deal
Fin 2019, 03Greedo sortait par surprise l’un des meilleurs albums de l’année du rap américain (présent dans notre bilan annuel) en compagnie du producteur Kenny Beats. Détail important : au moment de la sortie du disque, Greedo était depuis un an et demi en prison, pour possession d’armes et de drogue. Comment créer en courant après le temps ? C’est exactement ce que raconte The Making Of Netflix & Deal, mini documentaire sur la conception de l’album quelques mois avant l’incarcération de Greedo, suivi de la finalisation du projet par Kenny Beats seul avec les invités en featurings. Durant les mois précédant son incarcération, Greedo a ainsi passé des nuits entières à enregistrer des morceaux (3 000 selon ses dires) pour continuer à sortir de la musique durant ses années derrière les barreaux. The Making Of Netflix & Deal raconte ce marathon musical : réalisé par l’équipe créative de Kenny Beats, le documentaire utilise des images enregistrées au caméscope en studio, ainsi que des appels téléphoniques avec Greedo depuis sa prison, pour revenir sur un disque réalisé dans des conditions inhabituelles. Avec, en toile de fond, un discours politique : celui qui pointe l’absurdité du système judiciaire américain, notamment à l’égard des populations les plus démunies comme l’évoque Greedo en fin de documentaire. Un témoignage autant musical que politique. – Brice
Paris 8, la fac hip-hop
Parmi les lieux légendaires de la genèse du hip-hop en France, il y en a un, jusqu’alors inconnu et insoupçonné : la très gauchiste Université Paris 8. De 1989 à 1992, avant même les États-Unis, elle fut le théâtre d’une expérimentation hors norme et devint rien de moins que la première faculté au monde à introduire le hip-hop dans une enceinte universitaire. Sous l’impulsion de quelques professeurs soixante-huitards – pour certains maoïstes – DJs, breakers, b-boys, graffeurs, rappeurs et rappeuses avaient la possibilité d’exercer leur art au sein de l’université, et pour certains même d’y enseigner, sans même avoir le bac. Sous conseil de Cristina Lopez, directrice artistique du café culturel de Saint-Denis, Pascal Tessaud sauve de la destruction un dernier carton d’archives vidéos du service audiovisuel. En les entrecroisant avec des interviews actuelles des acteurs de l’époque (le rappeur M’Widi, l’enseignant Jacky Lafortune, les Ladies Night, Driver, Sear), il documente, en dix épisodes de huit minutes, trois ans de parenthèse – loin d’être uniformément enchantée. La force du résultat est qu’il laisse percevoir toutes les tensions, les espoirs et les contradictions portés par une telle initiative. Le documentaire ne cède jamais à la nostalgie hagiographique : il aide à interroger encore aujourd’hui le statut des cultures populaires en France, leur enseignement, la démocratisation du savoir. Et laisse entrevoir la possibilité d’une tout autre université que celle qui se profile. – Manue
Comment Kanye est devenu une star du rap ?
Avant que Kanye West ne devienne un monstre de musique et de médias dont chaque parole est disséquée, il a été un gamin passionné, un étudiant dilettante puis un homme de l’ombre persévérant. Ce documentaire minutieux retraçant son ascension regorge de pépites. Même si vous êtes fan du bonhomme, il y a fort à parier que vous découvrirez des images et des extraits d’interviews ressortis des fonds d’Internet. Avec un travail de fourmi, cette vidéo de Majiim se penche sur les débuts de Kanye, entre les occasions manquées, les premiers placements d’instrus et les rencontres cruciales. En somme, ça pourrait être l’illustration du monologue à la fin de « Last Call », le morceau fleuve qui clôt The College Dropout, ce qui devrait suffire à vous donner envie de regarder. – David
Lost in Traplanta
Moitié du binôme Gasface – qui avait déjà réalisé un documentaire remarquable et à regarder sur le compositeur Galt MacDermot -, Mathieu Rochet en solo a réalisé une mini-série fictionnelle intitulée Lost in Traplanta. L’histoire est simple. Larry, jeune garçon bien intentionné, se fait larguer par sa copine. Pour la retrouver, il doit, à la demande de la jeune fille, reformer le duo le plus iconique d’Atlanta : OutKast. Dans sa quête quasi insurmontable, Larry se retrouve baladé dans l’esprit, la verve, la ferveur d’une ville bouillonnante et rythmée par les battements par minute de la trap musique. De scène en scène, Larry nous traîne dans les locaux de la Dungeon Family, revisite les fantômes de la crunk music, se frotte à l’énergie juvénile de la métropole sans oublier de faire un coucou à DJ Toomp, producteur de l’incroyable titre « U Don’t Know Me » du rappeur T.I.. Lost in Traplanta est un portrait drôle, touchant et respectueux d’une ville trop souvent mal comprise. – ShawnPucc
Get Busy : Solo, B-boy Madness
Ça commence par des réponses lapidaires et des silences un peu gênants de Solo après l’introduction de Muzul. Là, on se dit que les cinquante minutes d’émission peuvent être longues et qu’il va falloir tout l’esprit et le sens de la vanne acerbe de Sear et de son collègue pour donner de la vie à tout ça. Mais Solo, certes pas vraiment en proie à l’incontinence verbale, se détend au fur et à mesure et revient avec précision et humilité sur son CV très fourni : la danse dans H.I.P. H.O.P., le terrain vague de La Chapelle, le mannequinat, Assassin, La Haine, NTM, le jujitsu brésilien… Des éléments connus séparément mais qui, mis bout à bout, dessinent une trajectoire exceptionnelle. Et révèlent par la même une mentalité assez rare dans le milieu : plutôt que de jouer des coudes pour trouver une place sur le devant de la scène et capitaliser ensuite sur cette position, Solo a préféré vivre différentes expériences au gré de ses envies, quitte à souvent œuvrer dans l’ombre. Mettre ce parcours en lumière était nécessaire, merci à Get Busy de l’avoir fait. Mais ça ne s’arrête pas là : Solo annonce notamment un livre retraçant ses presque quarante années passées dans la culture hip-hop. Pour finir : il s’agit ici de Solo, mais nous aurions très bien pu vous parler des émissions de Get Busy avec MC Jean Gab’1, Stomy et Passi, David Dufresne ou Angelo Gopée. Tout ce que Sear et son équipe font vaut assurément le coup d’œil et d’oreille. – Kiko
Scratch
Si le documentaire sorti en 2001 s’intitule Scratch, il balaie en réalité un spectre beaucoup plus large et touche toutes les branches du deejaying. Certaines scènes sont devenues mythiques pour les turntablistes, qu’il s’agisse du monologue perché du patron du label Asphodel, ou encore DJ Shadow entouré de milliers de disques à la recherche de la perle rare. Scratch, c’est aussi l’occasion de revoir des grandes légendes de cette discipline, tel que le regretté Roc Raida d’X-Men, homme de battles et poseur de scratches sur des disques d’anthologie. Mais la vrai star de ce documentaire reste Grand Mixer DST pour son apparition sur « Rock It » d’Herbie Hancock, qui semble avoir été l’élément déclencheur pour nombre de DJs. Avec Scratch, Doug Pray a rendu hommage aux grandes figures du deejaying, mais a surtout souhaité raconter une histoire qui était alors en plein mouvement. En 2001, les tutntablistes étaient encore des stars. C’était juste avant que tout ceci ne devienne une niche pour connaisseurs : les dernières heures de l’apogée. – Bachir
Vince Staples Gets Real & Uncensored
Vince Staples est-il actuellement le meilleur rappeur américain en interview ? Cet entretien de 2017, réalisé dans le cadre de la promotion de son second album Big Fish Theory dans les studios de Hot 97 peut laisser penser que oui. Complètement décomplexée, la discussion entre le rappeur de Long Beach et la bande d’Ebro Darden (qui porte un hoodie du label parisien Don Dada Records, c’est à noter) dérive très vite du cadre de la promo pour parler de l’état du rap américain, du sens à donner à sa vie et de l’impact de la ségrégation sur les artistes afro-américains. Vince Staples y parle de manière libérée, drôle et piquante, classant cet entretien parmi les meilleurs de sa carrière. Une discussion libre et intelligente, à l’image de toutes les prises de parole de Staples, sur Twitter ou en interview. – Brice
Je rap donc je suis
À vrai dire, il est un peu difficile de comprendre où Philippe Roizès a voulu nous emmener avec Je rap donc je suis, diffusé en 1999 sur Arte. Il n’y a pas vraiment de fil rouge ou de continuité claire entre les différents segments. Mais il s’agit peut-être là d’une vision a posteriori, à une époque où les documentaires sur le rap foisonnent. Au tournant des siècles, c’était très certainement déjà une fin en soi de donner la parole à de jeunes artistes qui vendaient beaucoup de disques mais n’avaient que peu d’exposition médiatique. Et, une fois ces questionnements sur la finalité de tout ça laissés de côté, c’est un grand plaisir d’entendre ces témoignages d’époque de La Rumeur, de la Fonky Family, d’Imhotep et d’autres. Mais aussi de voir les premiers faits d’armes de Keny Arkana dans des ateliers d’écriture ou d’écouter des acteurs alors importants du rap français qui ont un peu disparu depuis, tels Yazid, le Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB), Mystik ou Namor. Voilà une pièce d’archive précieuse : merci à la personne qui l’a mise en ligne. – Kiko
I Was in The Black Eyed Peas. Then I Quit.
Avant que le groupe The Black Eyed Peas ne devienne un tsunami, un raz-de-marée, une tornade de niveau 5 avec deux touches de piano bien senties par David Guetta à la fin des années 2000 – et aussi beaucoup de travail et de persévérance -, l’équipe était à son origine composée de quatre membres : will.i.am, apl.de.ap, Taboo et Kim Hill. À l’époque, la demoiselle n’est personne, simplement une jeune femme pleine de vie, d’envie, qui sur un coup de tête achète un billet direction Los Angeles afin de poursuivre le rêve américain. Débrouillarde, elle monte dans le bus chaque jour à quatre heures du matin dans l’espoir de nouvelles opportunités. Elle s’essaye à des séances photos, décroche des apparitions furtives dans des séries télévisées pour cinquante dollars… Mais tous les soirs même constat : son assiette est vide. Un jour, par pur hasard, sa route croise celle de will.i.am. Les planètes s’alignent et Kim Hill vient compléter le cercle pour former le groupe The Black Eyed Peas. Les quatre lurons se mettent toute la scène indé de Los Angeles dans la poche. Toute l’industrie commence à s’intéresser au phénomène mais au moment où tout s’apprête à décoller, Kim Hill disparaît. Dans ce documentaire haletant du New York Times avec une construction narrative adroite, Kim Hill est restée aux portes du succès mais son parcours méritait quelques éclaircissements. Modeste, honnête et sincère, avant Fergie, il y eut Kim Hill. Un bout d’histoire passionnant. – ShawnPucc
Why Zaytoven’s Legacy Will Live Forever
À lui tout seul, il représente une grande partie de la trap d’Atlanta : Zaytoven et ses pianos sont devenus en une dizaine d’années une référence dans la construction sonore du son rap des années 2010, aux côtés de Southside et de MetroBoomin quelques années plus tard. Une bonne occasion de se pencher sur le parcours atypique de ce fils de prêtre, qui a d’abord fait ses armes au piano le dimanche à l’église. Avant de faire une rencontre décisive qui va changer sa vie : alors qu’il est encore coiffeur dans la banlieue d’Atlanta, il fait la connaissance de Gucci Mane. Xavier Lamar Dotson va alors tout lâcher pour changer le son rap de l’époque. Toute une histoire que raconte Noisey, dans ce documentaire retraçant les origines de Zaytoven et son influence sur le rap américain. – Brice
Grünt Tour #1 : Casablanca & le rap marocain
Mise en lumière ces dernières années à l’international notamment grâce à des featurings avec des rappeurs hexagonaux – le collectif NAAR ayant grandement participé à cette exposition –, la scène rap du Maroc n’a dévoilé qu’une infime partie de ses talents. C’est au cœur de la capitale économique du Royaume que l’équipe de Grünt est allée à la rencontre de ces nouvelles voix, plus ou moins connues, mais tout aussi porteuses. Tagne, Shobee, SnowFlake, Damost, El Grande Toto et les autres, chacun de leur parcours est guidé par la passion et construit par la débrouille. Car si les millions de vues accumulées sur les chaînes YouTube de ces artistes marocains peuvent laisser croire à une industrie bien établie, il n’en est rien. C’est avec persévérance, structuration et originalité que les rappeurs casaouis ont réussi à faire reconnaître la richesse musicale de leur scène, imposant ainsi le darija (littéralement « usage courant ») comme une langue de rîmes et de flows, à l’instar de l’anglais et du français. À voir également : c’est avec la même curiosité et bienveillance que Jean Morel continue sa tournée à Bamako puis à Abidjan. – Ouafa
Jurassic 5 au Cabaret Vert
Rien ne paraît plus éloigné du contexte actuel qu’un moshpit dans une fosse surchauffée. La période est néanmoins propice à se construire une connaissance plus large du rap côté scène, d’autant que ce maudit COVID-19 risque également d’impacter la sacro-sainte période des festivals. Arte Concert a fait un sacré boulot au fil des années, diffusant des shows d’artistes très divers. Certains sont accessibles sur sa chaîne, d’autres non. Parmi les captations trouvables ailleurs, il y a celle de Jurassic 5 au festival Cabaret Vert en 2015. Les Californiens sont de véritables références en matière de performances live, à défaut de l’être sur disque diront les mauvaises langues. Leurs prestations scéniques révèlent un gros travail en amont et sont de formidables propositions quant à ce qu’un concert de rap peut être : l’enchaînement des morceaux est optimal, les interactions avec le public sont toujours dans le bon ton, les chorégraphies et les jeux autour des timbres de voix des MCs parfaits. Et puis il y a cet incroyable interlude mettant en scène les deux pointures que sont les DJs du groupe, Cut Chemist et Nu-Mark : une expérience en soi. Un véritable de shoot de bonne humeur. – Kiko