Depuis Sion, petite ville montagneuse du sud de la Suisse, Jeune Hustler charbonne, comme son nom l’indique. Le Suisse est dans le rap depuis ses jeunes années en foyer, soit près de 10 ans, et sortait début mai son projet le plus abouti avec CHF, le symbole du franc suisse. Malgré ses origines bien éloignées de la mer, il ne cesse de convoquer l’imagerie pirate, et a donc monté un équipage de beatmaker pour composer ce projet (Abel31, J1 gtb, Nappy, Le tigre, Wask, Brak, Lazyy) tout en invitant M le Maudit en featuring pour lui prêter main forte. Jeune Hustler, sans dire beaucoup sur sa personne, embarque l’auditeur sur son navire : sur « Grand Line », en ouverture de l’EP, il semble posté sur la proue, traversant la brume, comme sur la pochette de CHF. La production aux sonorités épiques, agrémentée de bruits de chalumeaux, accompagne son flow plein d’énergie et d’assurance. « Là je suis sur le haut du mat, j’ai trop souvent goûté l’eau de mer », rappe-t-il avec sa voix particulière, à la croisée de Nusky ou Khali, dans un timbre propre à lui. À mesure que les morceaux se suivent, des destinations lointaines apparaissent, de Mogadiscio en Somalie (la piraterie toujours), à l’Albanie, de Bora-Bora aux Pays Bas, comme sur « Doc » où le Suisse convoque Magellan pour imager ses envies de voyage. Jeune Hustler aspire à voir le monde, et à porter des marques de luxe. Dans son monde, l’argent et les addictions sont les maîtres mots, à l’image d’une vie de pirate. Sa musique transpire la motivation, le travail comme en témoigne le morceau « Jeune Charbo » ou même les paroles de « L’anorak » (« Ne fais pas de rap si t’as rien à nous rac »). Si à la première écoute de CHF, son propos paraît peu étoffé, sa musique au global raconte qui il est. Jeune Hustler, 27 ans, sait où il va à travers sa longue-vue.
Sidekicks
Pendant longtemps, le monde du rap avait tendance à associer Doja Cat avec humour et autodérision. Qu’elle soit déguisée en vache, coupée en deux comme une pastèque, ou grimée en petit homme vert, Amala Zandile Dlamini rappelait d’une manière toute personnelle qu’on pouvait à la fois prendre les choses à la légère et régner sérieusement sur les charts, dans le rap comme dans la pop. Et puis, il y a eu un rasage de crâne. Des photos inspirées de l’univers de la sorcellerie sur Instagram. Et surtout, cette déclaration : fin 2021, la Californienne affirmait en live sur les réseaux sociaux avoir envie de revenir au rap, notamment avec les producteurs 9th Wonder et Jay Versace. Une sortie publique étonnante, étant donné la carrière toute tracée de Doja Cat, popstar issue du rap à l’univers rose bonbon sucré. Seulement, comme beaucoup d’artistes conçu(e)s pour durer, la rappeuse aux nombreux hits semble avoir une autre obsession : celle de se renouveler.
Depuis plusieurs mois, Doja Cat sème la confusion chez ses fans, en reniant par exemple ses deux derniers albums pop dans un tweet provocateur entre temps supprimé, ou en annonçant (à nouveau) en mars dernier au magazine Variety avoir envie de revenir au rap, tout en évoquant son désir d’expérimenter du côté de la musique punk. Quid de la musique ? « Attention », dévoilé le 16 juin dernier, répond parfaitement à cette question : porté par une guitare et une harpe à la fois envoûtante et menaçante, le premier single du nouvel album de Doja Cat – attendu cette année – semble faire un doigt d’honneur à la pop bubblegum teintée de rap de ses débuts pour mieux ouvrir un nouveau chapitre dans sa carrière. Dès les premières secondes, une rythmique boom-bap entre ainsi dans la danse, pour laisser Doja Cat répondre à ses détracteurs à coup de couplets rappés sans jamais presque reprendre son souffle. Des inquiétudes autour de sa santé mentale à la superficialité de certains suiveurs du rap, en passant par les vices de l’industrie musicale, la rappeuse fusille en deux couplets ceux qui voudraient la voir tomber, tout en enrobant le tout dans refrain R&B aux airs d’incantation ensorcelante, pour adoucir un peu sa rancoeur.
Si jusqu’ici la musique de Doja Cat avait tous les traits du pont parfait entre l’univers coloré de la pop et la technicité du rap, l’Américaine semble aujourd’hui vouloir renverser la tendance, et casser radicalement son image. En assombrissant sa musique, l’autrice de « MOOO! » se permet même de tourner une nouvelle page de sa carrière, qui, si elle ne durera peut être qu’un album (ou plus ?) semble la ramener à la première musique qu’elle a aimée. Le rap, et plus particulièrement celui qui contient des bars. Ce n’était pas le move le plus attendu de 2023, mais « Attention » a de quoi laisser de beaux espoirs pour l’album. Qu’ils soient sombres, ou colorés.
Depuis sa rencontre avec Chief Keef au tournant des années 2010, la carrière de Lil Durk a suivi une trajectoire digne des grandes success stories. Rassemblant rapidement un noyau de fans dévoués autour de ses premières mixtapes, le rappeur de Chicago a grimpé un à un les échelons de l’industrie, parvenant dix ans plus tard à fédérer autour de lui la quasi-totalité du milieu, sans compromettre son style ou son message, ancré profondément dans la réalité psycho-sociale d’une ville éprouvée par la violence et l’injustice. Perséverance, posture oecuménique, véritable « voix » du peuple : la « recette » Lil Durk est celle d’un American Hero. Ainsi, fort d’un premier numéro un au Billboard avec l’album 7220, celui qu’on surnomme « The Voice » revenait en force en mai avec Almost Healed, un album blockbuster destiné à lui ouvrir les portes des radios internationales et des cérémonies de récompense.
« All My Life », single ambassadeur de l’album, a su devenir instantanément le tube qu’il devait être, consacrant symboliquement deux rappeurs au sommet de leur popularité, aux publics différents par aspects, mais tout aussi engagés. Le morceau s’inscrit dans la continuité des thèmes défendus par les deux artistes : Lil Durk y porte un regard tranché sur son statut de superstar, contrebalancé par la façon dont le système n’a cessé de le « rappeler à l’ordre » et de le renvoyer à son passé, terni par l’amertume qu’il a à s’en sortir alors que le chômage, la prison et les tribunaux sont encore le quotidien de millions d’âmes. J. Cole, si il ne renonce pas à son style d’écriture appliqué, qu’on aime ou qu’on déteste (la rime sur Jordan Peele pourra faire lever quelques yeux au ciel), profite de cette tribune pour livrer un couplet puissant, dans lequel il détaille avec clarté la manière dont l’industrie se nourrit des morts tragiques et trop nombreuses de jeunes rappeurs, dont les réseaux sociaux et autres plateformes de streaming tirent un sordide profit, avec la complicité d’un public atone et moteur lui aussi de cette boucle macabre.
Il y a quelque chose de galvanisant à entendre une telle parole émaner d’un tube populaire destiné à une exploitation intense – sans que celui-ci n’ait l’air d’une « contre-proposition ». Mais si l’honnêteté de la démarche des deux artistes n’est pas à remettre en cause, « All My Life » n’échappe hélas pas à son lot de concessions. D’abord dans l’interprétation de Lil Durk, moins animée que sur ses précédents tubes, comme une sorte de compromis pour faire passer son message. Concession aussi, et surtout, dans l’ossature même du morceau, structurée autour d’un refrain-comptine immédiatement mémorisable, chanté par un choeur d’enfants synthétique. Compressé à la manière des tubes proto-EDM de la fin des années 2000 (qui devaient pouvoir être joués sur les haut-parleurs de téléphones pas encore complètement smarts), ce refrain évoque davantage Empire of the Sun ou l’étoile filante Keedz que celui qu’on imagine avoir été l’inspiration du producteur au moment de rendre sa copie : le grand Kanye West des années 2000, celui de Graduation et de Be, album intemporel de Common à jamais gravé dans l’histoire musical de Chicago.
Du gospel de ces illustres modèles il ne reste qu’un simulacre, presque une parodie, dont les paroles égo-centrés semblent même en léger décalage avec le propos des deux rappeurs. Ultime ombre au tableau, l’homme à la manœuvre n’est autre que le producteur de pop Dr. Luke, embourbé depuis plusieurs années dans des démêlés judiciaires sordides – compte tenu de ce contexte, la ligne « All my life / They been tryin’ to keep me down » perd sa coloration émancipatrice pour renvoyer à la posture revancharde du producteur, lequel a relancé sa carrière en investissant le rap. Étrange occurence de « fond sans la forme », le succès de « All My Life » peut avoir un goût amer pour les fans de rap, confrontés à un nouvel exemple de compromis décevant venant de deux de ses héros. Les succès des uns devenant une petite défaite pour les autres.
L’an dernier, l’Abcdr du Son organisait pour la première fois dans l’histoire du site une rencontre en public avec un rappeur français. C’était le 28 juin 2022, en compagnie de Médine, qui avait longuement raconté son parcours, ses choix artistiques, à travers tous ses albums et sa musique, et vous pouvez réécouter le podcast juste ici. Forcément, cet événement a donné envie à la rédaction de prolonger l’expérience.
Près d’un an jour pour jour après ce premier événement, l’Abcdr est très heureux d’inviter les rappeurs belges Caballero & JeanJass à participer à cette nouvelle rencontre dans le cadre de Trajectoire, notre podcast de discussion avec des rappeurs et rappeuses sur leurs carrières à travers toute leur musique. Le duo évoquera pendant plus d’une heure leur carrière en duo – mais aussi en solo – de Double Hélice 1 à High Et Fines Herbes Vol.2 en passant par leurs sorties en solo.
L’événement sera le mercredi 28 juin à Paris, à FGO Barbara à 19h.
Entrée gratuite, sur billetterie.
Après les phases finales régionales, la finale, la vraie. La dernière étape de l’édition 2023 du Buzz Booster aura lieu à partir de 19h le samedi 24 juin au Paloma, à Nîmes, où chacun des onze rappeurs finalistes pourra faire ses preuves devant le public et le jury. Cléon, Docmé, Gonzy, Good Bana, Muchos, Noham, Paulvitesse!, PHLP, Samir Flynn, Snej, Yeuze Low sont donc les derniers candidats en lice pour cette quatorzième édition du dispositif de découverte et d’accompagnement d’artistes. À la clé pour le gagnant : 15.000 euros et une tournée de onze dates de concerts dans les différentes régions. Le concert de la finale, dont l’entrée est gratuite, sera également diffusé sur Twitch. Toutes les infos sur les finalistes et sur la soirée sont disponibles sur le site du Buzz Booster.
E.Blaze célèbre les beatmakers
Avant de livrer le dernier volume de sa série For The Luv’ Of It Vol.1 Reloaded part II à la rentrée 2023, le beatmaker E.Blaze fêtera la sortie d’un premier single « Form », ce vendredi 9 juin. Pour la première édition de la soirée Beat Tape Session, E.Blaze convie d’autres producteurs aux CV solides, parmi lesquels Kool M Da Loop Digga (ex-DJ de La Rumeur), Le Chimiste (La Cliqua, C.Sen), Shar The Analog Bastard, qui a collaboré avec Masta Ace, et enfin Azaia, auteur de l’album Translating The Zone (avec, entre autres, Kyo Itachi et Mani Deiz) mais également derrière le très efficace « Joker » de Jazzy Bazz. Machines en main, toute cette équipe aura l’occasion de démontrer ses talents en direct, l’ambition de cette soirée étant de mettre en avant les beatmakers dans un contexte live. La première partie sera assurée par la chanteuse Bblü, dont l’esthétique mêle électro et pop des années 90, façon Air. Les lives seront suivis d’un DJ set de Ness Afro, et des invités surprises seront également de la partie. Démarrage à partir de 19h30, chez Les Disquaires au 6 rue des Taillandiers, 75011 Paris, entrée à 5€.
Du rap qui fusionne avec de la pop, ce n’est pas nouveau. Est-ce un mal ? Est-ce un bien ? Chacun se fera sa propre réponse. Preemo a bien produit pour Christina Aguilera, Snoop et Redman ont bien rappé respectivement avec Katy Perry et Pink! Les Neptunes et Timbaland ont même fait du crossover pop une marque de fabrique produisant pêle-mêle pour Justin Timberlake, Britney Spears, Gwen Stefani ou Nelly Furtado.
Anderson .Paak a souvent été à la limite des deux genres musicaux. Sans compter sa collaboration avec Bruno Mars pour An Evening With Silk Sonic et ses apparitions sur Compton de Dr. Dre, il est souvent le pendant « popu » de featurings bien rap. Busta Rhymes, Rick Ross, ScHoolboy Q, Kendrick Lamar ou Freddie Gibbs ont tous eu l’heureuse opportunité de briller avec l’artiste aux multiples talents, ramenant au passage une fraîcheur irrésistible. Ses deux dernières sorties avec Hailee Steinfeld pour un « Coast » au goût de bonbon acidulé et avec Cordae pour un « Two Tens » aux allures de revival J-Dillesque en attestent encore : même après dix ans dans cette musique, le panache du natif d’Oxnard fait encore mouche.
En 2016, son album Malibu était un disque délicieux qui allait être suivi quelques mois plus tard par Yes Lawd!, album collaboratif avec le producteur Knxledge. Avec leur dernier single « Daydreaming », le duo remet le couvert. Guitare et basse électrique, batterie puissante, mix éthéré et eighties. Dans un clip à l’esthétique Gran Theft Auto, NxWorries continue de proposer sa formule charmeuse à laquelle coller une étiquette est bien difficile.
Au début des années 2000 et notamment avec les productions Soulquarians, le terme de Neo Soul s’est installé. En 2023, la musique que propose Anderson .Paak et Knxledge, plus évanescente et dotée d’un grain analogique différent, dépasse ce néologisme. Tout comme les noms des différents albums d’Anderson .Paak ancrés dans le territoire californien, c’est peut-être cette zone géographique qui définit le mieux leur musique. Une musique douce et chaude, parfois aride, regardant le Pacifique à l’Ouest et des grandes plaines désertiques à l’Est, coincée dans une mégapole sortie de nulle part après la ruée vers l’or. C’est en tout cas l’impression que produit ce deuxième single de leur deuxième album à venir (l’occasion de s’apercevoir que le label Stones Throw est toujours vivant), derrière une banale histoire d’amour fantasmée. Un morceau qui rejoindra peut-être d’autres hymnes californiens qu’ils soient rock, pop, folk, blues, soul, funk ou rap.
En s’envolant pour déguster son butin, une mouette survole une route de bord de mer sur laquelle passe « des arabes aux têtes cassées dans une voiture allemande ». Dans son morceau « Ma réalité » paru le 18 avril, Zamdane compare sa faim à celle de l’oiseau au chant rieur, et parle de ses « démons » qui l’habitent sur des notes de guitares mélancoliques. Le rappeur franco-marocain fait de nombreuses fois références à « sa tête », une façon de se livrer sur sa santé mentale, un thème récurrent dans sa musique. Et s’il trimballe toujours le même spleen qu’à ses débuts, sa façon de l’exprimer est devenue plus précise.
C’est toute la force de ce morceau récemment sorti par le Marseillais : Zamdane tient le fil du morceau et le déroule avec fluidité, sans se perdre dans des phases dispensables, qui pouvaient apparaître auparavant dans sa discographie. Si jusque-là le rappeur aux cheveux bouclés maîtrisait deux formules, l’une chantonnée, plaintive et planante, (« Poussière », « Triste mais elle aime ça » et « Bataille »), l’autre kickée, arrogante et désenchantée (« Conditionnés à décevoir », « Angels ») il fait l’alliage de ces deux facettes sur dans « Ma réalité ». Sa mère le compare à « un diamant » et à l’image de ce matériau, le plus dur au monde, sa musique s’est solidifiée. Encore plus que sur son dernier album, Zamdane apparaît plus libéré dans ses derniers « Affamé » et montre qu’il est encore capable de faire évoluer sa musique. Pour autant, le fond ne change pas vraiment. Une mouette reste une mouette, dans une déchetterie ou sur une plage paradisiaque (à l’image du clip de « Ma réalité » le montrant devant un bâtiment ou les calanques) et Zamdane reste Zamdane. Un rappeur qui rend sa noirceur plus lumineuse, comme un oiseau blanc perçant la grisaille du ciel.
Début des années 2010, alors que Drake marque la différence de par sa posture vulnérable et consciemment maladroite, Nicki Minaj révolutionne les codes de la pop en assumant le grand écart entre une technique imparable, un sex-appeal conquérant et un univers loufoque et coloré. Marchant sur l’eau à chaque apparition, l’autre protégée de Lil Wayne devient rapidement incontournable, célébrée aussi bien dans les forums pointus que dans les pyjama-partys des pré-ados du monde entier. La seconde moitié de la décennie coïncide avec la fin de la lune de miel pour la rappeuse de New York, toujours pertinente musicalement mais chahutée dans son statut d’icône pop incontestée. Rivalité stérile avec Cardi B, relations sentimentales polluées par la presse à scandale, prises de position polémiques : si l’artiste continue d’être sous le feu des projecteurs, c’est au détriment de sa musique, son album Queen se voyant retardé à plusieurs reprises, pour un résultat final honorable mais en deçà des attentes de ses fans. Après une longue phase de transition marquée par une série de drames personnels, c’est en 2022 que Nicki revient le couteau entre les dents, prête à reprendre sa place sur le trône : elle collabore avec les phénomènes Coi Leray et Lil Baby, tout en posant en patronne sur des singles de YoungBoy Never Broke Again et Ice Spice, prince et princesse du rap US actuel, adoubés par la reine de retour.
Retour en grâce qui doit sans doute beaucoup au succès récent et retentissant de « Super Freaky Girl », premier numéro 1 au Billboard pour Nicki Minaj en solo. Construit comme une énième mise à jour du tube intergalactique « Super Freak » de Rick James, le morceau convoque une triple nostalgie : celle du funk « FM » des années 80 ; de sa version rajeunie par le hip hop grand public des années 90 ; et celle de la pop sous perfusion d’EDM du tournant des années 2010, celle de Flo- Rida et de Ke$ha, avec laquelle Minaj a flirté sans s’y abandonner tout entière. Fainéant et racoleur, le morceau porte la marque des productions de Dr Luke, hit-maker cynique qu’on comparerait volontiers à une IA s’il n’était pas l’objet de graves accusations d’agressions sexuelles et de harcèlement. En dépit des sourcils froncés d’une partie du public et des médias, c’est avec lui que Nicki Minaj collabore à nouveau pour « Alone », single porté par la pop-star allemande Kim Petras. Basé sur le sample implacable mais usé jusqu’à la corde du tube d’euro-dance « Better Off Alone » de Alice Deejay (déjà repris entre autres par David Guetta, autre faiseur de tubes pour Nicki Minaj), le morceau apparaît comme le symbole supplémentaire d’une industrie pop occidentale en perte de sens, de moins en moins capable de toucher le public autrement qu’en allant chatouiller son inconscient esthétique à base de grosses ficelles et de mélodies éprouvées. À la manière d’un Drake reprenant « Stayin Alive » dans l’espoir d’en faire un tube à lui, Nicki Minaj cherche ici à rester pertinente sans prise de risques, capitalisant sur son héritage et celui de la pop mondiale pour rester dans la course aux hits. Ainsi, lorsqu’elle assène « I set trends from Queens to Beijing / I’m not the one that do the imitating» dans son couplet, la rappeuse semble autant chercher à se convaincre elle-même que l’auditeur. Cultivant comme son comparse canadien l’étrange ambiguïté entre refus de vieillir et sclérosante nostalgie.
« Partons sur la mer car c’est trop dark ici » dit la rappeuse/chanteuse Mutha Madiba sur son single « Anémone », sorti en décembre dernier, comme une échappatoire à la torpeur hivernale. Pourtant, le message n’est pas délivré sans contraste, une certaine mélancolie transpire de l’interprétation, ainsi que de l’instrumentale, signée Late, sur laquelle notes de kora et de piano s’entrelacent avec une rythmique chaloupée. C’est via ce titre que Mutha Madiba (« fille de l’eau » en Douala, langue camerounaise) commence à communiquer autour de sa musique, un avant-goût séduisant de son premier EP, Advienne que pourra, disponible depuis le début du printemps.
Sur ce cinq titres, l’artiste, tout en aisance, étire ses mots pour mieux souligner leur importance, et emmène dans des brèches intimes de son existence. Habillée par des musiques aux influences jazz, trap, et afro, Madiba explore des réflexions personnelles et des récits, qui laissent entrevoir ses doutes et ses déceptions. La rappeuse s’affirme avec style, et parle de la musique comme d’un « plaisir purgatoire » dans une interview accordée au média Maze. Un oxymore qui définit bien son approche.
Mais c’est dans un extrait du titre « Corsaire », que l’on se rapproche plus encore semble-t-il, de ce qui fait la force de cet EP : « Tout se forme et se déforme, c’est vrai, tout se coupe et se recoupe, mais rien ne se perd », l’expression d’un regard lucide, autant qu’un champ des possibles pour cette jeune artiste qui se joue des étiquettes.