Dans un monde où Beyoncé et Drake sortent des albums de house, l’annonce d’un disque de musique downtempo entièrement instrumental, avec la légende André 3000 à la flûte solo, semblait plus à sa place sur le site parodique The Onion que sur Pitchfork. Jusqu’à la sortie de New Blue Sun le 17 novembre, l’incrédulité d’une partie du public a tenu bon, l’artiste de quarante-huit ans semant la confusion en dévoilant en amont une tracklist faite de titres à son image, quelque part entre affirmations new age et tweets débilo-cryptiques de dril, comme le Pixar-esque « Ninety Three ‘Til Infinity And Beyoncé » ou le linguistique : « The Slang Word P(*)ssy Rolls Off The Tongue With Far Better Ease Than The Proper Word Vagina. Do You Agree ? » En dépit des doutes de ses fans et de tous les mèmes le brocardant gentiment, la nouvelle passion du comparse de Big Boi est pourtant des plus sérieuses. Elle nait de sa rencontre avec la surfeuse Kassia Meador, qui l’initie à l’instrument. Piqué, André s’exerce dès qu’il peut, notamment dans les taxis new-yorkais où il s’enrichit du savoir des chauffeurs issus de toutes les régions du monde, nombreux à avoir une relation intime et particulière avec ce type de sonorités. Le tournant a lieu une fois l’artiste installé en Californie, par une rencontre fortuite avec le percussionniste et producteur de jazz expérimental Carlos Niño, qui l’invite à participer à une des jams qu’il organise dans son sous-sol. Révélation pour André, qui retrouve à quarante ans passés une énergie et une envie qui lui rappellent ses débuts dans la Dungeon Family. Mais cette fois sans ad-libs et sans rimes.
C’est de ces fêtes chez Niño que naitra New Blue Sun, dix-sept ans après Idlewild, dernier album d’Outkast. Outre Niño, André s’entoure de pointures du nu jazz et du deep listening, comme le multi-instrumentiste Nate Mercereau ou le claviériste Surya Botofasina. Si les sonorités et les textures propres à ces apôtres du spiritual jazz californien ne sont jamais loin, l’album s’en éloigne pour aller carrément vers l’ambient et une musique bien plus méditative qu’exaltante. Comme pour mieux faire briller André, le band compose un écrin à la fois discret dans ses choix d’accords et somptueux dans ses choix d’arrangements. Jamais virtuose mais toujours investi, le jeu parfois hésitant du co-auteur d’«Hey Ya !» n’a évidemment pas l’impact ni même le quart de l’intérêt de sa contribution inestimable au rap. Mais sa cohérence dans l’ensemble, le respect qu’on sent qu’il porte à la fois à ses patrons qui l’épaulent et aux grandes figures du genre qui l’inspirent (Harold Budd vient immédiatement à l’esprit), balayent d’un souffle l’idée que New Blue Sun puisse n’être que le trip narcissique d’un rappeur en panne d’inspiration qui aurait fait l’ayahuasca de trop. Interrogé par la NPR, la radio publique américaine, André 3000 se justifie sans le faire vraiment : « J’adorerais être dans le coup avec tout le monde, mais ce n’est pas ce qui s’est décidé. Tout ce qui arrive maintenant, c’est ça ma réalité. Je ne dis pas que je ne reviendrai jamais, mais ça n’est pas à l’ordre du jour. Et je me dois de présenter ce qui m’est offert, maintenant. » Même si le rap en fait les frais, il y a de la beauté et du courage à tout recommencer.