Sidekicks

C’est devenu un rendez vous : tous les trois mois, la rédaction de l’Abcdr du Son se réunit pour discuter chaque trimestre de ce qui a fait le rap francophone et américain du dernier trimestre, entre analyse, débats, coups de coeur et (parfois) un peu de mauvaise foi. 

Un moment de réunion que l’Abcdr du Son va, comme ses derniers podcasts de fin d’année, faire à nouveau en public au début du mois prochain à Paris. Le dimanche 7 avril, la rédaction enregistrera en effet ses deux podcasts trimestriels sur le rap américain et francophone à l’étage de la librairie-galerie La Hune dans le VIème arrondissement parisien. C’est à cet endroit que le photographe Fifou tient en effet actuellement une résidence pour le lancement de sa nouvelle maison d’édition En Pire, résidence durant laquelle sont invités des collectifs et médias à organiser des événements comme celui que l’Abcdr du Son s’apprête à faire le mois prochain. 

La rédaction débattra dans un premier temps des derniers albums de ScHoolboy Q et Tierra Whack pour le rap américain, puis dans un deuxième temps du dernier album de Zamdane ainsi que de la musique de Femtogo (et aussi de baby hayabusa

L’entrée est libre et gratuite, sans billetterie au préalable. 

14h00 : Ouverture des portes 

14h30 – 16h : Le rap américain du premier trimestre 2024 (ScHoolboy Q et Tierra Whack)

16h30 – 18h : Le rap francophone du 1er trimestre 2024 (Zamdane et Femtogo)

Suivre les mouvements musicaux de Rico Nasty en solo ou en duo revient à entrer dans une nacelle de montagnes russes. Depuis ses débuts en 2017, la rappeuse du Maryland, remarquée pour sa voix perçante et sa radicalité, enchaîne en effet les apparitions avec des artistes aux univers souvent éloignés, sans jamais se perdre. Du rap le plus pur avec Juicy J ou A$AP Ferg à ses incursions dans l’électro avec Fred Again, en passant par ses collaborations R&B avec Mahalia, Jessie Reyez, ou Kali Uchis, Rico Nasty fait partie de ces artistes dont la personnalité dépasse aisément les genres musicaux. Une capacité d’adaptation qui a toujours fait le sel de sa musique (notamment sur son dernier album LAS RUINAS salué par l’Abcdr du Son dans son podcast trimestriel) et qui donnait forcément envie de connaître la suite. 

Début mars, la rappeuse faisait justement un retour remarqué dans deux univers totalement opposés : le même jour ou presque, l’Américaine apparaissait en effet sur un des albums de rap US les plus attendus du début de l’année, Blue Lips de Schoolboy Q, tout en dévoilant parallèlement une collaboration avec le producteur électro allemand Boys Noize. Deux mondes sans rapports et aux cadences bien éloignées, dans lesquels Nasty rappelait sa capacité à se fondre dans tous les habillages sonores. Placée en entrée d’album sur Blue Lips, la rappeuse entretenait d’abord le statut qu’elle a engrangé ces dernières années dans le monde du rap en s’alliant avec un des plus fins limiers du moment, Schoolboy Q. Sur une production rock lancinante où sa rage s’illustre autant que les couplets de son hôte, sa performance explosive montait ainsi encore d’un cran le morceau, déjà bien mis en marche par un Schoolboy Q acide sur les premiers couplets. 

Un symbole fort – le morceau est presque en introduction de l’album – qui n’a pourtant pas empêché la rappeuse d’aussi aller vers un terrain électro dansant le même jour. Le nom de cette collaboration : “Arintintin”, titre electro avec le producteur allemand Boys Noize aux basses 80’s survoltées que n’aurait pas reniée l’émission Gym Tonic. Un morceau annonciateur d’un EP commun avec Boys Noize – à paraître ce vendredi – qui souligne l’éclectisme de Rico Nasty, notamment par son timing de sortie. Rares sont les artistes à pouvoir sortir le même jour un titre avec l’un des artistes les plus légitimes dans la sphère rap, tout en dévoilant parallèlement un titre électro au kitsch rigolo assumé. C’est toute la qualité de la musique de Rico Nasty, et c’est aussi pour cela qu’elle perdure dans le paysage actuel : en faisant ce qu’elle veut, avec qui elle veut, sans jamais mettre un pied sur la pédale de frein

Perso nous avait laissé en 2020 avec l’EP Chambre Noire. Une pandémie plus tard, il continue son code couleur  monochrome en développant ses clichés dans Éminence Grise, toujours à l’abri des regards indiscrets, dans son refuge du Midi, entre Avignon et Marseille plus exactement. Une façon de faire dans l’ombre, avec le duo de producteurs Just Music Beats, qui suit le chemin tracé par ses pairs transatlantiques, The Alchemist en tête. La science de la boucle est maîtrisée, les batteries dépouillées, terriblement efficaces sur « Bang », produit par Perso lui-même, et magnifiquement effacées sur « Paradis », deux morceaux aux titres antinomiques dont l’un se perçoit comme la conséquence de l’autre : fuir la furie. Une paire de mots qui aurait pu rentrer dans « FF », introduit par un témoignage du Rat Luciano et en featuring avec Sat, ode à la Fonk Fam mais aussi un exercice de style brillant, mettant la sixième lettre au centre des assonances.

Éminence Grise est court mais les références sont nombreuses. Dans une écriture voisine de celle de Sameer Ahmad, Perso n’est pas avare en traits d’esprits, souvent prétextes à un égotrip ravageur. Ou vice-versa. Sur « Ravage et prodige »,  justement : « Rappeur de niche peut-être mais loin des chiens de la casse ». Sur «Unplugged» : « L’ancienne école c’est la classe, la nouvelle c’est en distanciel ». Ou encore sur « Porte Flingue » : « Tendre la main, ça peut coûter un bras / Ils entendent mais ils écoutent rien / Les principes n’ont pas de prix, ça ne veut pas dire qu’ils ne coûtent rien ». Parallèlement, ce sont aussi des extraits du Parrain, de L’Impasse ou de Boyz N The Hood en V.F, une déclaration de feu Prodigy en V.O, le fait qu’« Unplugged » reprenne l’instrumental de « Waterboarding » de Mobb Deep qui font de cet album une flatterie pour les auditeurs avertis ayant grandi dans les « 90’s », avant-dernier titre de cet Éminence Grise à la replay value indispensable pour en saisir toutes les subtilités.

Après l’ouverture des inscriptions en début d’année dans les onze régions pour l’édition 2024 du Buzz Booster, le dispositif a reçu plus de 1500 candidatures. Les comités d’écoute ont effectué leur sélection pour les différentes phases finales régionales, qui ont lieu de cette fin mars à mai, suite à certaines phases locales de qualification. Les concerts de sélection sont ouverts au public, qui pourra voir les sélectionnés se confronter à l’exercice de la scène pour convaincre en une quinzaine de minutes le jury sur la qualité de leurs productions musicales et de leur présence scénique. Les différentes dates et lieux pour ces demi-finales et finales sont indiquées sur le site du Buzz Booster, avant la finale nationale qui aura lieu au Flow, à Lille, les 19, 20 et 21 juin prochains.

Près de huit mois après la sortie de son dernier projet RARISSIME, thaHomey revient avec son nouveau morceau « ROSA PARKS ». Le clip monté en noir et blanc et réalisé à Brooklyn par Black Sword Creatives ajoute au morceau un grain différent dans la direction artistique habituelle de l’artiste, plutôt habitué à des couleurs vives. Mais pas que.

Au-delà de l’image, la musicalité de « ROSA PARKS » diffère de ce qu’a déjà pu faire thaHomey. Les notes de piano pensées par Jeune Don et la mélodie jouée au saxophone par Mihaly aux sonorités jazz se baladent sur le ground new-yorkais rappelant les sources et vecteurs qui ont fait le rap. Le beat et le flow presque murmuré de thaHomey, quant à eux, s’inscrivent plus dans la musicalité actuelle inspirée du scam rap de Detroit. Malgré le contraste évident entre tous ces éléments, l’ensemble fait parfaitement le pont entre les anciennes et nouvelles générations.

Avec son style d’écriture atypique empli d’images et jeux de mots, thaHomey est capable de donner plusieurs sens à des courtes phases comme quand il intègre son histoire dans la grande à travers son ascension sociale (« On prend plus le bus mais je remercie Rosa Parks »). Quand il vante sa joaillerie tout en citant un acteur important de la scène hip-hop américaine sudiste faisant comprendre qu’il connait sa culture (« Diamants sur moi brillent mieux que ceux de Johnny Dang », bijoutier vietnamien basé à Houston). Le jeune rappeur connaît aussi les coups durs mais garde les yeux rivés sur le futur, bien accompagné pour panser les plaies qui surgissent (« Plein de plaies mais ma bitch a appris la couture »).

À l’horizon, un potentiel futur projet qui se voudra peut-être un peu plus solennel textuellement dans la discographie du rappeur rémois et qui ira piocher dans certains fondements musicaux du rap, sans abandonner les sonorités actuelles avec lesquelles sa carrière se construit.

S’il existe plusieurs façons de prendre congé d’une année, KidFlash240, Joe Rem et Nairod ont tous les trois choisi de mettre un beau chassé dans la porte de l’année suivante. Révélés au milieu des années 2010, ces trois rappeurs de l’île de la Réunion se sont d’abord fait connaître par leur trap sombre, tout droit sortie de Saint-André et de la Possession, villes situées à l’Est et à l’Ouest de l’île. Une formule qu’ils ont remis en avant fin 2023, avec “Espèce Le Chien”, un morceau pour mieux terminer l’année. 

Dans le créole réunionnais, « Espèce le chien » fait figure d’insulte banale. Dans un tel contexte, elle n’est pas sans rappeler les envolées de Futur Crew, groupe pionnier du rap de rue réunionnais, originaire de Saint-Denis, qui s’était autoproclamé « Chien Denis Crew ». Sur une instrumentale drill, composée par KidFlash, les trois rappeurs vont en effet chacun donner vie à la même scène, en rivalisant par leur lexique : « Espèce le chien, ou aboy’ sort’ devan mon kour » (Kidflash240), « Tir’ ton museau devan mon clotur’ » (Joe Rem), « Sort’ devan mon portiyon » (Nairod). Chacune de ces phrases veut dire la même chose (« espèce de chien, dégage de devant chez moi »), mais la fantaisie des trois rappeurs renouvelle le plaisir de celui ou celle qui écoute. Cette émulation entre les artistes atteint un paroxysme dans le refrain, rappé à trois, et où les mots circulent d’une bouche à l’autre : « ton biatch embobinée » (Joe Rem), que Nairod fait rimer avec « zot kompran pa rembobiné » (« si vous ne comprenez pas, rembobinez » puis transforme en « Youpiyo youpiyé [il fallait la placer] zot rest’ pris dan bourbyé » (vous restez pris dans le bourbier), rime qui devient enfin chez KidFlash240 « Le flow pou gaspiyé » et « En concert laisse ton pétasse criyé ». 

L’émulation des rappeurs est donc le premier moteur du morceau. Les trois MCs font preuve d’une grande maîtrise, qui les autorise à plusieurs excentricités : Joe Rem parle de découper la prod’ comme du persil, Nairod de créer une distorsion “dans le cul de la concurrence”, la même concurrence que Kid Flash compare à Grominet, parce qu’elle essaie sans jamais réussir. Cette surenchère comique, qui donne  l’impression d’un morceau entre potes qui rapperaient sans temps mort, est contrebalancée par la force du clip et de l’instru, qui font monter peu à peu la pression. Aussi quand la rime de Nairod sur le Moonjor arrive en même temps que le Moonjor dans le clip (rappeur cagoulé de Saint-Leu connu pour ne jamais montrer son visage) l’effet galvanisant du morceau est à son comble.

Le noir et blanc du clip peut d’ailleurs faire penser à un nouveau ”Chien Denis Crew”, classique du rap 974 sorti en 2006 avec un rappeur sur fond blanc pour chaque couplet. Il est cependant tourné au parking du centre commercial Les Arcades à Noisy-le-Grand (93), là où Ninho rappait son couplet du « Grand Paris » de Médine. Jolie façon de s’inscrire dans deux histoires de rap, éloignées dans leurs sonorités et à la fois proches dans leurs esprits. 

Après de lourds problèmes de santé et d’addiction, la rappeuse Young M.A serait maintenant rétablie. Elle se confie à ce propos dans l’un de ses titres les plus récents « Open Scars »  : « Without the Henny / I see everythin’ clear now ». Comme dans une lettre à elle-même, la new-yorkaise fait aussi le point sur un éveil spirituel et les déceptions qui l’ont endurci : « No love lost / It was never love / I lost sight Found God / A more better love ». Après avoir évacué l’amertume, M.A remet les gants avec l’egotrip « Watch (Still Kween) », porté par une production de Mike Zombie, dans un style Dipset remis au goût du jour. Ici, l’artiste fait bien comprendre qu’elle laisse la concurrence au tapis, et s’amuse avec les clivages de genre : « I’m her, I’m him, I’m shim, not them. » Mais là encore, la fine brute fait comprendre qu’elle en a bavé, alors derrière les grillz, les bijoux sur la montre ou les lunettes Versace, elle laisse apparaître une part de vulnérabilité : « Been through a lot / I probably need a hug / So many scars / Man, it’s hard not to see the blood / Came from the mud / It’s kinda hard not to be a thug. » Tout ça à travers des placements de rimes de haut niveau. De quoi être bien attentif aux prochaines sorties de Young M.A, autant qu’au documentaire qui lui sera prochainement consacré.

Sur l’artwork de Mieux vaut tard…, un enfant pose à côté d’une BMW massive. Une E30 avec grille Taifun. Sûrement une de celle que le Booba de Lunatic évoquait à l’automne 2000 sur « HLM3 » ou « 92i ». Le jeune garçon, sourcils froncés, poings serrés, pose comme s’il partait en guerre. La plaque d’immatriculation d’un autre temps indique le département 92 avec au centre 2 lettres : MC. Si ce n’est pas un hasard, il fait ici bien les choses. Car tout au long des huit titres de cet EP, un rappeur va froisser des instrus. Des instrus qui, eux aussi, ramènent vers une époque et des disques, ceux de Pete Rock & C.L. Smooth, d’Artifacts ou des Beatnuts. Et l’énergie déployée par DOC X pour kicker ses couplets, où les rimes internes se bousculent, ressemble à celle d’un Redman chauffé par une basse lourde et une batterie sèche. Pas encore disponible en streaming, seulement en copie « en dur » et payante disponible sur le bandcamp de Franck Da Cockroach, Mieux vaut tard… compte tout de même quatre clips disponibles sur YouTube pour ceux qui n’auraient pas de quoi mettre la main à la poche. Parmi eux, « Le temps et la passion » en featuring avec Kohndo qui s’est également attelé à l’enregistrement et au mix du EP. Trempant dans une atmosphère cool et surtout salutaire, le dernier en date « Sparring » est un parfait teaser si vous n’avez pas encore pris son train en pleine tronche. Un morceau qui file à toute allure sous l’élocution élastique et précise du MC. Comme il le rappe si bien lui-même pour clôturer son deuxième couplet : « Le plus intéressant : se laisser porter par la vibe du morceau sans en chercher les sens ». Sans se prendre au sérieux, DOC X sort, en toute discrétion, un des EPs les plus sportifs de ces derniers mois.

Titre le plus marquant extrait du dernier EP de Che Noir, The Color Chocolate, « Junior High » dessine une ambiance douce-amère à travers un sample de piano et de voix en apesanteur qui se prête bien à livrer des souvenirs d’adolescence. Le talent de la rappeuse de Buffalo n’est plus à prouver, mais la force du morceau se trouve aussi dans le choix des invités, Evidence et Your Old Droog. Il est certain que les tranches de vie de Che Noir apparaissent plus extrêmes que ses comparses : « In junior high I went to school with kids who sell you crack / The 7th grade, I had a pistol pointed at my back. » Mais malgré les différentes expériences de ces trois protagonistes, on devine facilement un dénominateur commun, celui de ne pas se sentir tout à fait à sa place dans les couloirs du collège. Notamment dans cette phase de Your Old Droog : « A Jewish kid who hung with Puerto Ricans and Blacks […] A hero to all the weirdos and the antisocials ». On peut aussi relier ces trois artistes par cette rime d’Evidence : « Marathon runners don’t come up at a fast pace / Found my talent, head up in the clouds hands. » C’est bien dans leur pratique artistique que ces fines plumes ont réussi à trouver leur épanouissement, jusqu’à transformer des moments douloureux en récits cathartiques.

« Everyone’s keeping Secrets, for oiling / Have Ezekiel’s wheels gone squeaky ? »

Cette référence à l’ancien testament extraite du titre « Ezekiel’s Wheel » d’Erick the Architect, des Flatbush Zombies, semble dire que l’omniprésence de Dieu ne suffirait plus pour avancer dans l’existence, la roue d’Ezekiel symbolisant la providence divine sur laquelle on peut toujours compter. Et qui de mieux pour délivrer ce message que George Clinton dont la voix épaisse, semblable à celle d’un vieux sage, se place sur une composition au groove souple et enfumé. Une esthétique bien sentie (d’autant plus avec un tel invité) qui contraste quelque peu avec la musique des Flatbush Zombies et sa part de surenchère malmenée par l’épreuve du temps. Et pour souligner le propos, le lien entre le parrain du funk psychédélique et le rappeur-producteur de Brooklyn est présent dans les moindres détails. Dans le clip, ce dernier tient entre ses mains un ballon de basket orné du logo de Funkadelic. Enfin, si ce n’est pas la seule collaboration prestigieuse sur I’ve Never Been Here Before, le premier album de l’architecte (on y retrouve Joey Bada$$ et James Blake), celle-ci arrive à point nommé puisque Clinton a reçu son étoile sur le Hollywood Walk Of Fame en janvier dernier.