Après avoir sorti RAR. l’an dernier, Norsacce 667 poursuit le plan de la secte et dévoile « Dans la tête », nouveau titre aux sonorités plus ou moins surprenantes pour qui suit le rappeur. C’est une franche réussite. Moins sombre qu’à l’accoutumée, plus mélodieux, ce morceau produit par Navyan sonne comme une douceur estivale, sans être inconsistant pour autant. Les thématiques du jeune Berlusconi demeurent en prise avec le piège, l’inspiration venant plus de dehors que de Netflix. « L’auditif attentat » que propose Norsacce est par ailleurs mis en images par le brillant Luchino Gatti, auteur des court et moyen métrages Bois d’Argent et Pe$o. Une collaboration à la hauteur de ce très plaisant « Dans la tête » qui n’assoit que davantage l’autorité du collectif 667 sur la scène rap française en cette fin de décennie.
Sidekicks
« Le rap game nous fait perdre la tête restons lucide / C’est vrai derrière chaque grand homme se cache une femme » rappait récemment Alonzo dans un featuring avec Amel Bent. Mais si ce proverbe – à moitié appréciable, comme dirait l’autre – est autant paraphrasé par les rappeurs (Médine, Kery James, Despo Rutti…) c’est que la place des femmes dans un genre décrié à souhait pour son sexisme ne se limite pas aux refrains R’n’B. Outre les artistes, le rap français n’existerait pas sans ces « femmes cachées », attachées de presse, manageuses, directrices de label. Capacités d’organisation parfois hors du commun, entretien sans relâche des sociabilités nécessaires avec les autres acteurs de l’industrie, soutien émotionnel, voilà autant de compétences avec lesquelles certains hommes ne se prennent pas trop la tête, mais qui font très concrètement naître et durer les artistes, les albums, les belles interviews… Par ailleurs, elles n’ont rien à envier à leurs confrères puisqu’elles témoignent souvent d’une vision d’ensemble, d’un sens de la direction artistique, d’une inventivité tout terrain, et surtout, une passion pour la musique et un goût pour le travail acharné. Autant de qualités et de besognes quotidiennes peu mises en avant en général, et encore moins lorsqu’il s’agit des femmes de l’industrie de la musique censée être la plus sexiste de l’univers – comme si dans le rock ou la variété française les directrices de label couraient les rues.
C’est pourquoi notre merveilleuse rédactrice Ouafa Mamèche organise le 22 juin avec sa maison d’édition Faces Cachées, une conférence qui leur donnera la parole à partir de 17h à The Family (25 rue du Petit Musc, 75 004 Paris). Netta Margulies, attachée de presse indépendante dont le professionnalisme et la gentillesse ont permis de nombreuses interviews, notamment sur ce site ; Pauline Duarte, directrice de Def Jam France (rien que ça) et Daphné Weil, productrice et manageuse de longue date d’Ärsenik, reviendront sur la réalité de leur métier et les idées reçues qui vont avec. L’occasion d’entendre ces femmes peu visibilisées mais sans lesquelles notre musique préférée ne vivrait pas aussi bien – voire pas du tout.
Caché dans un pavillon à quelques encablures de l’université Paris 8 – Saint-Denis, le Dojo, quartier général de la 75e session, est devenu une véritable pépinière d’artistes. Le documentaire « 75e Session, La Famille du Dojo » raconte l’histoire de cette nébuleuse, toute à la fois maison créative et collectif informel, et son épicentre, devenu depuis 2012 un véritable lieu d’enregistrement. La série en cinq épisodes, réalisée par Yveline Ruaud de Les Gros Sourcils, avec l’appui de Radio Nova, raconte l’histoire de cette famille musicale, intimement liée à l’émergence de la nouvelle scène des kickeurs parisiens et franciliens du début des années 2010, en particulier l’Entourage. Du clip de « Dans ta réssoi » à Yë de Sopico, en passant par les freestyles John Doe et les résidences de Di-Meh et Georgio à la maison dionysienne, le documentaire raconte un bout du rap français de cette décennie bientôt écoulée, dont la 75e et le Dojo ont constitué un centre de polarité dans l’ombre, mais essentiel.
Le 6 janvier dernier, le label Dreamville, co-fondé par J. Cole, a lancé sur les réseaux sociaux des invitations à de nombreux artistes pour participer à l’enregistrement du troisième volume de Revenge of the Dreamers, compilation maison de son label Dreamville. Les sessions studio se sont tenues à Atlanta du 6 au 16 janvier, et ont eu des airs de véritable « production camps », très à la mode des deux côtés de l’Atlantique. Les premiers résultats de who’s who du rap et r’n’b américains ont enfin été sortis par le label, en binôme.
Côté yin, le secouant « Down Bad », réunissant J. Cole, Bas, J.I.D, Johnny Venus du duo Earthgang, et conviant Young Nudy. « Down Bad » est un pur morceau de kickage, sur un instru donnant l’impression d’entrechoquer « Like a Pimp » de David Banner et « Rebel Without a Pause » de Public Enemy. Côté yang, la ballade romantique « Got Me ». Ty Dolla $ign et Ari Lennox (auteure du très bon Shea Butter Baby sorti en mai dernier chez Dreamville) sérénade sur l’engagement sentimental, avant d’être rejoints par Omen, autre rappeur du label, et la chicagoane Dreezy. Les deux titres sont efficacement exécutés, et offrent de belles perspectives pour la future compilation, qui pourrait confirmer la santé du label après son très bon cru 2018.
Salle sombre, regard vide, respiration lourde. C’est sur ces images que démarre Les Étoiles Vagabondes, film documentaire sur la conception du troisième album de Nekfeu du même nom. Le visage marqué juste avant de monter sur scène, Nekfeu sort de sa loge et avance inexorablement vers la scène de la Fête de l’Humanité en compagnie du S-Crew durant l’été 2017, dans un – superbe – plan séquence du réalisateur Syrine Boulanouar qui retranscrit ici tout ce que ce film s’apprête à raconter en l’espace de deux minutes : le stress et l’anxiété en loge, l’excitation dans les couloirs, les amitiés increvables en coulisses, l’amour face au public et… la solitude. « Ce soir j’ai joué devant 80 000 personnes, et je ne me suis jamais senti aussi seul ». Noir. Les Étoiles Vagabondes, le film, raconte la solitude et la perte de repères. Celle qui fait perdre la tête, encore plus avec le succès et l’argent. Et il le fait plutôt bien. Durant une heure et demi Nekfeu tente de redevenir peu à peu Ken Samaras, ou autrement dit une personne normale, anonyme, humaine. D’abord en retournant en Grèce, sur l’île de son père pour revenir aux racines de son sang, ensuite au Japon, pour explorer ses rêves d’adolescence forgés dans les rayons bandes dessinées des supermarchés, et enfin à Los Angeles puis à La Nouvelle Orléans, terre de naissance de sa véritable passion : la musique. Alors que l’on observe d’abord le rappeur seul dans sa chambre parisienne, les yeux face à une page blanche qui se remplit de noir à l’écran, l’exil aux quatre coins du monde qu’il s’offre va peu à peu remettre du carburant dans la machine. Et lui redonner goût à la conception d’un nouvel album. Soyons clair : le film pêche par excès de sentimentalismes lorsqu’il tente d’évoquer la solitude et la souffrance (malgré de bonnes intentions, notamment sur la crise migratoire) mais rattrape ses défauts quand il se concentre sur ce qui compte le plus : la musique. Des scènes passées en studio à discuter avec Alpha Wann de leur amour du sample jusqu’aux échanges sur son obsession du détail avec Damso à Bruxelles, on retrouve ici tout ce qui fait la force du rappeur parisien : un goût pour l’art qui l’amène à tester ses limites sur chaque disque malgré les attentes populaires. Et qui l’envoie jusqu’à La Nouvelle Orléans pour collaborer avec le musicien de jazz Trombone Shorty, dans une des meilleures séquences du film : loin des lumières, Samaras rencontre dans la ville américaine plusieurs musiciens, qui racontent leurs histoires, desquelles il puise ensuite son inspiration. De retour en studio, il laisse ensuite Shorty longuement improviser à la trompette sur sa propre musique, et ferme les yeux en l’écoutant. La caméra n’existe plus dans sa tête, et la musique remplit la pièce autant qu’elle donne naissance en direct au morceau « Ciel Noir » sur son album. On y voit alors ce que l’on préfère dans ce documentaire : un Nekfeu vrai, qui ne joue aucun rôle. C’est dans ces moments là qu’il est le meilleur. En image comme en musique.
Connu surtout pour son statut de membre unique du Klub des Loosers, Fuzati est également un grand collectionneur de disques. Alternant soirées « Très Groove Club » et « Très Jazz Club », il profite d’une résidence mensuelle à La Petite Halle pour partager un peu de son érudition dans des domaines musicaux qui lui sont chers, tels que le Jazz West Indies, les bandes originales italiennes ou le Jazz-Funk. Pour le mois de juin, le thème choisi est de ceux qui nous tiennent particulièrement à cœur : c’est en effet une spéciale 90’s Indie Rap qui sera proposée aux participants. Un sujet qui demeure une source quasi-inépuisable de bons moments, tant la deuxième moitié des années 1990 a vu une foison de maxis de qualité sortis par des groupes obscurs disparus dans leur large majorité depuis bien longtemps. Et s’il y a une personne idoine pour exploiter ce merveilleux gisement, c’est Fuzati. Un excellent moment en perspective, d’autant que le Versaillais masqué a souhaité inviter à cette occasion des gens qu’on connaît plutôt bien par ici, Mehdi Maïzi et l’équipe de No Fun. Pour plus d’informations sur cette soirée qui se tiendra le 12 juin, rendez-vous ici. En attendant, voici une playlist spéciale 90’s Indie Rap proposée par Fuzati, histoire de bien vous mettre dans l’ambiance.
Partout où il y a des grands coeurs, Soso Maness est chez lui. Après avoir clippé à la Grande Borne, il accomplit un rêve de gosse en jouant « Minuit c’est loin » devant le virage nord du stade Vélodrome. Et le 8 juin, il sera en concert aux côtés de Guizmo dans le dix-huitième arrondissement de Paris. Si leur musique et leurs accents diffèrent, les deux rappeurs partagent peut-être plus que ne suggèrent les apparences : un amour du rap classique, de leur famille, un passé hanté, un côté autodestructeur qu’on espère repenti ou dilué dans une musique salvatrice, une gouaille et une sincérité contagieuses. Quels que soient les motifs de cette heureuse rencontre, cette connexion Font-Vert / Les Polognes / Barbès, à l’occasion du concert de lancement du double-album de Guizmo, ne sonne pas forcée, et fait plaisir à voir. C’est au FGO Barbara, ce samedi.
L’été s’ouvrira par trois jours de fête et de musique du côté du Lac de Montendre en Charente maritime. Du vendredi 21 juin au dimanche 23 juin se déroulera là-bas l’édition 2019 du Festival Freemusic, auquel l’Abcdr s’associe cette année pour vous offrir quelques pass. Des artistes de tous styles s’y succéderont durant trois jours, parmi lesquels plusieurs rappeurs dont quelques habitués de nos colonnes : Orelsan, 13 Block, Al Tarba x Senseï, Ninho ou Josman. La programmation complète et le déroulement du week-end sont à retrouver sur le site web du festival, et des invitations sont à gagner au fil de la semaine sur les pages Facebook et Twitter de l’Abcdrduson pour profiter de trois jours sur place.
On ne cesse de le dire, Memphis et la Three 6 Mafia laissent encore aujourd’hui planer leur influence sur l’intégralité du rap américain. Et si leurs morceaux et leurs flows ne cessent de se faire réutiliser ad libitum par les plus gros vendeurs du moment, c’est au Texas que l’on trouve leur meilleur héritière. Depuis deux années déjà, Megan Thee Stallion, 24 ans, s’affaire à reprendre le flambeau armée d’une insolence folle : première femme signée sur le label 300 Entertainment (Gunna, Young Thug, Tee Grizzley, etc.), la rappeuse originaire de Houston remplit toutes les conditions pour s’imposer – à son niveau – dans la catégorie des artistes à retenir en 2019. Biberonnée par la musique de Pimp C, de DJ Screw et de la bande de DJ Paul, Megan Pete de son vrai nom est de celles qui arrivent à associer une technique exemplaire avec une attitude dingue (confiance multipliée par mille, référence constantes au hustle et aux mecs à ses pieds). C’est tout le bien que l’on pense de Fever, premier album récemment sorti et dont les 14 morceaux ressemblent à un TGV de 40 minutes que l’on prend plaisir à se prendre en pleine gueule. Chaperonné par Juicy J, qui produit plusieurs titres du disque et apparait même en featuring sur un morceau, et par LilJuMadeDaBeat, Fever est une superbe leçon de rap brut, un disque qui, s’il ne révolutionne rien, rappelle toute la folie furieuse du sud des États-Unis dans le rap. Surtout, cette sortie devrait enfin permettre à son auteure de continuer à faire parler d’elle dans le milieu : déjà présente sur plusieurs featurings judicieux depuis le début de l’année (Young Nudy, Maxo Kream, Khalid), la jeune femme vient ainsi de s’offrir la cover du prestigieux magazine The Fader, dans lequel elle raconte son amour du rap et son parcours tortueux dans l’industrie de la musique. Retenez bien Megan : c’est sur elle qu’il va falloir compter dans les prochains mois.
Le festival niortais En Vie Urbaine qui prenait traditionnellement place à l’automne fait peau neuve, et se tient cette année sur la deuxième quinzaine de mai. Comme en 2017 et en 2018, l’Abcdr est partenaire de l’événement qui durant les prochains jours accueillera des artistes tels que Nusky, Kobo, Youv Dee ou Coelho, parmi d’autres. Le festival propose également une exposition des photographies de Coralie Waterlot, devant l’appareil de qui sont passés un certain nombres de rappeurs, notamment Busta Flex et Némir pour des interviews publiées sur notre site. Le tout commence ce jeudi 16 mai et dure jusqu’au 25, la programmation complète et le détail de l’organisation étant à retrouver sur le site de l’association organisatrice. Des places pour le concert du 24 mai (Nusky, Coelho, Odor et Edyne Recording) au Camji sont également à gagner sur les réseaux sociaux de l’Abcdr !