Il y a quelques jours de cela, la chaine Youtube Flood Namek (qui compte parmi les meilleurs détecteurs de talents issus de Soundcloud) mettait en ligne un morceau intitulé « Tel Aziz », signé Lokman. Intense, le titre est intrigant. Sur un beat puissant, des basses agressives, une voix déroule un style brut trois minutes durant. D’apparence linéaire et monocorde, le ton s’avère plein de ruptures après quelques écoutes attentives. Il tape dans le mille à chaque chute, et elles sont nombreuses. Derrière un son aux allures de direct du droit, il y a bien des intentions à déconstruire. Libération de la Palestine, crackhood, présence diabolique, violence d’un flingue, tristesse, mépris, le propos est cryptique, les émotions s’entremêlent.
Le morceau en question s’avère être issu d’une playlist de six titres mise en ligne par Lokman sur sa page Soundcloud à la mi-août, à écouter ci-dessous. Le tout dure un quart d’heure et laisse entendre un fort potentiel, et un talent déjà mûr. Beaucoup d’idées se croisent et se recroisent, des sentiments troubles se contredisent. Il y a l’ascension vers un sixième étage fait de plénitude face au « coucher des chagrins », puis il y a des moments de redescente, d’angoisse. Empreinte de solitude, cette playlist intitulée Au 6ème étage est une belle pépite d’or dans une mine de charbon.
Cela faisait un bout de temps qu’on n’avait plus eu de nouvelles de Piroksen ; depuis début 2017 précisément et la sortie de son quatrième album, le plus personnel et le plus abouti, Entre rêves et désillusions. Celui-ci laissait entendre une certaine lassitude de l’Antibois installé à Londres vis-à-vis du rap. Mais Piroksen n’en a pas fini avec la musique et ça nous fait plutôt plaisir. Simplement, il a décidé de laisser le micro de côté, au moins provisoirement, pour davantage se concentrer sur l’activité de beatmaker sous l’alias Ortist Music. Fruit de cette reconversion toute relative et de ce changement de blase, un EP, All Good, sortira prochainement. Le projet contiendra quatre titres rappés et leurs instrumentaux. Ont été conviés à poser sur les productions d’Ortist des artistes plutôt prestigieux : Chino XL, Celph Titled, Pacewon ou encore Eto, co-auteur avec DJ Muggs de l’excellent Hell’s Roof en début d’année. En attendant la livraison complète, voici un premier extrait, « All Good » avec Eto, Milano Constantine et Ransom.
Encore tout jeune, le Demi Festival créé par Demi Portion à Sète est désormais un rendez-vous incontournable de l’été des festivals. La quatrième édition se tiendra du 7 au 10 août 2019 et réunira du beau monde : Vîrus, Ol Kainry & Dany Dan, Seth Gueko, Nakk, ATK, pour ne citer qu’eux. Quatre jours durant, le hip hop sera à la fête dans l’Hérault, mais aussi sur nos écrans, puisque Arte diffusera en direct des captations de concerts chaque soir, via sa plateforme Arte Concert. Un flux de diffusion permettra ainsi de profiter des prestations scéniques de Davodka et L’Animalerie (le 8 août), de Neg’Marrons et Ol Kainry & Dany Dan (le 9 août), enfin de Demi Portion et ATK (le 10 août). Pour l’occasion, L’Abcdr s’associe à la chaîne franco-allemande et proposera sur ses réseaux sociaux d’accéder au direct pour tous ceux n’ayant pas la chance d’être sur place. Chose qui est encore possible par ailleurs, puisque nous vous faisons également gagner un lot de deux pass quatre jours sur Facebook !
Issu des quartiers huppés de Beverly Hills, rien ne prédestinait le producteur Alchemist à acquérir le respect des plus grandes crapules du milieu rap. Compositeur de renom, plus les années s’allongent, plus sa légende s’étire. Les pages associées à son curriculum vitæ sont devenues longues, très longues, au point qu’il ne fraye dorénavant plus qu’au sein d’une rare caste : l’élite. Pour ajouter encore une ligne, ALC a annoncé via son Instagram la sortie de Yatch Rock 2 avec ses fidèles amis (Action Bronson, Meyhem Lauren, Willie The Kid, Roc Marciano, Benny The Butcher, Westside Gunn, Conway, Big Twins…). En attendant cette prochaine fournée, le premier volet est toujours disponible et Alchemist atterrira sur les terres françaises le 8 août au New Morning. Pour l’occasion, 2 x 2 places sont à gagner sur notre page Facebook.
Du 18 au 20 juillet, 13ème Art Events organise un festival en plein cœur de la Castellane, quartier vieux de cinquante ans du 15ème arrondissement de Marseille. Lieu important de l’histoire de la ville, et de celle du rap français. Fianso l’avait d’une certaine manière bien senti en y tournant le premier épisode de la série de freestyle qui le fera sortir de l’ombre, #JeSuisPasséChezSo, aux côtés de Graya. L’an dernier, le festival avait renoué avec la tradition des fêtes de quartier, absentes depuis dix ans, sans aucune subvention de la mairie. L’Algérino, Ninho, Ghetto Phénomène avaient participé. Cette année, le Castellival se clôturera par six heures de concert mêlant jeunes artistes locaux et rappeurs déjà célèbres tels YL, Hooss, MOH, Graya, Dika, Révolution Urbaine, Elams, Bayssou, Scridge, Krilino, Youss, Akim et bien sûr, Soso Maness. Soso qui déplorait justement dans cette interview la disparition des centres sociaux et l’animation, les départs en vacances qu’ils permettaient. Avec « Castellival », 13ème art, accompagné des habitantes et habitants de Marseille prennent en main à leur échelle ce que des années de politiques de la ville orientées vers la gentrification du centre et le tourisme ont détruit.
Après avoir sorti RAR. l’an dernier, Norsacce 667 poursuit le plan de la secte et dévoile « Dans la tête », nouveau titre aux sonorités plus ou moins surprenantes pour qui suit le rappeur. C’est une franche réussite. Moins sombre qu’à l’accoutumée, plus mélodieux, ce morceau produit par Navyan sonne comme une douceur estivale, sans être inconsistant pour autant. Les thématiques du jeune Berlusconi demeurent en prise avec le piège, l’inspiration venant plus de dehors que de Netflix. « L’auditif attentat » que propose Norsacce est par ailleurs mis en images par le brillant Luchino Gatti, auteur des court et moyen métrages Bois d’Argent et Pe$o. Une collaboration à la hauteur de ce très plaisant « Dans la tête » qui n’assoit que davantage l’autorité du collectif 667 sur la scène rap française en cette fin de décennie.
« Le rap game nous fait perdre la tête restons lucide / C’est vrai derrière chaque grand homme se cache une femme » rappait récemment Alonzo dans un featuring avec Amel Bent. Mais si ce proverbe – à moitié appréciable, comme dirait l’autre – est autant paraphrasé par les rappeurs (Médine, Kery James, Despo Rutti…) c’est que la place des femmes dans un genre décrié à souhait pour son sexisme ne se limite pas aux refrains R’n’B. Outre les artistes, le rap français n’existerait pas sans ces « femmes cachées », attachées de presse, manageuses, directrices de label. Capacités d’organisation parfois hors du commun, entretien sans relâche des sociabilités nécessaires avec les autres acteurs de l’industrie, soutien émotionnel, voilà autant de compétences avec lesquelles certains hommes ne se prennent pas trop la tête, mais qui font très concrètement naître et durer les artistes, les albums, les belles interviews… Par ailleurs, elles n’ont rien à envier à leurs confrères puisqu’elles témoignent souvent d’une vision d’ensemble, d’un sens de la direction artistique, d’une inventivité tout terrain, et surtout, une passion pour la musique et un goût pour le travail acharné. Autant de qualités et de besognes quotidiennes peu mises en avant en général, et encore moins lorsqu’il s’agit des femmes de l’industrie de la musique censée être la plus sexiste de l’univers – comme si dans le rock ou la variété française les directrices de label couraient les rues.
C’est pourquoi notre merveilleuse rédactrice Ouafa Mamèche organise le 22 juin avec sa maison d’édition Faces Cachées, une conférence qui leur donnera la parole à partir de 17h à The Family (25 rue du Petit Musc, 75 004 Paris). Netta Margulies, attachée de presse indépendante dont le professionnalisme et la gentillesse ont permis de nombreuses interviews, notamment sur ce site ; Pauline Duarte, directrice de Def Jam France (rien que ça) et Daphné Weil, productrice et manageuse de longue date d’Ärsenik, reviendront sur la réalité de leur métier et les idées reçues qui vont avec. L’occasion d’entendre ces femmes peu visibilisées mais sans lesquelles notre musique préférée ne vivrait pas aussi bien – voire pas du tout.
Caché dans un pavillon à quelques encablures de l’université Paris 8 – Saint-Denis, le Dojo, quartier général de la 75e session, est devenu une véritable pépinière d’artistes. Le documentaire « 75e Session, La Famille du Dojo » raconte l’histoire de cette nébuleuse, toute à la fois maison créative et collectif informel, et son épicentre, devenu depuis 2012 un véritable lieu d’enregistrement. La série en cinq épisodes, réalisée par Yveline Ruaud de Les Gros Sourcils, avec l’appui de Radio Nova, raconte l’histoire de cette famille musicale, intimement liée à l’émergence de la nouvelle scène des kickeurs parisiens et franciliens du début des années 2010, en particulier l’Entourage. Du clip de « Dans ta réssoi » à Yë de Sopico, en passant par les freestyles John Doe et les résidences de Di-Meh et Georgio à la maison dionysienne, le documentaire raconte un bout du rap français de cette décennie bientôt écoulée, dont la 75e et le Dojo ont constitué un centre de polarité dans l’ombre, mais essentiel.
Le 6 janvier dernier, le label Dreamville, co-fondé par J. Cole, a lancé sur les réseaux sociaux des invitations à de nombreux artistes pour participer à l’enregistrement du troisième volume de Revenge of the Dreamers, compilation maison de son label Dreamville. Les sessions studio se sont tenues à Atlanta du 6 au 16 janvier, et ont eu des airs de véritable « production camps », très à la mode des deux côtés de l’Atlantique. Les premiers résultats de who’s who du rap et r’n’b américains ont enfin été sortis par le label, en binôme.
Côté yin, le secouant « Down Bad », réunissant J. Cole, Bas, J.I.D, Johnny Venus du duo Earthgang, et conviant Young Nudy. « Down Bad » est un pur morceau de kickage, sur un instru donnant l’impression d’entrechoquer « Like a Pimp » de David Banner et « Rebel Without a Pause » de Public Enemy. Côté yang, la ballade romantique « Got Me ». Ty Dolla $ign et Ari Lennox (auteure du très bon Shea Butter Baby sorti en mai dernier chez Dreamville) sérénade sur l’engagement sentimental, avant d’être rejoints par Omen, autre rappeur du label, et la chicagoane Dreezy. Les deux titres sont efficacement exécutés, et offrent de belles perspectives pour la future compilation, qui pourrait confirmer la santé du label après son très bon cru 2018.
Salle sombre, regard vide, respiration lourde. C’est sur ces images que démarre Les Étoiles Vagabondes, film documentaire sur la conception du troisième album de Nekfeu du même nom. Le visage marqué juste avant de monter sur scène, Nekfeu sort de sa loge et avance inexorablement vers la scène de la Fête de l’Humanité en compagnie du S-Crew durant l’été 2017, dans un – superbe – plan séquence du réalisateur Syrine Boulanouar qui retranscrit ici tout ce que ce film s’apprête à raconter en l’espace de deux minutes : le stress et l’anxiété en loge, l’excitation dans les couloirs, les amitiés increvables en coulisses, l’amour face au public et… la solitude. « Ce soir j’ai joué devant 80 000 personnes, et je ne me suis jamais senti aussi seul ». Noir. Les Étoiles Vagabondes, le film,raconte la solitude et la perte de repères. Celle qui fait perdre la tête, encore plus avec le succès et l’argent. Et il le fait plutôt bien. Durant une heure et demi Nekfeu tente de redevenir peu à peu Ken Samaras, ou autrement dit une personne normale, anonyme, humaine. D’abord en retournant en Grèce, sur l’île de son père pour revenir aux racines de son sang, ensuite au Japon, pour explorer ses rêves d’adolescence forgés dans les rayons bandes dessinées des supermarchés, et enfin à Los Angeles puis à La Nouvelle Orléans, terre de naissance de sa véritable passion : la musique. Alors que l’on observe d’abord le rappeur seul dans sa chambre parisienne, les yeux face à une page blanche qui se remplit de noir à l’écran, l’exil aux quatre coins du monde qu’il s’offre va peu à peu remettre du carburant dans la machine. Et lui redonner goût à la conception d’un nouvel album. Soyons clair : le film pêche par excès de sentimentalismes lorsqu’il tente d’évoquer la solitude et la souffrance (malgré de bonnes intentions, notamment sur la crise migratoire) mais rattrape ses défauts quand il se concentre sur ce qui compte le plus : la musique. Des scènes passées en studio à discuter avec Alpha Wann de leur amour du sample jusqu’aux échanges sur son obsession du détail avec Damso à Bruxelles, on retrouve ici tout ce qui fait la force du rappeur parisien : un goût pour l’art qui l’amène à tester ses limites sur chaque disque malgré les attentes populaires. Et qui l’envoie jusqu’à La Nouvelle Orléans pour collaborer avec le musicien de jazz Trombone Shorty, dans une des meilleures séquences du film : loin des lumières, Samaras rencontre dans la ville américaine plusieurs musiciens, qui racontent leurs histoires, desquelles il puise ensuite son inspiration. De retour en studio, il laisse ensuite Shorty longuement improviser à la trompette sur sa propre musique, et ferme les yeux en l’écoutant. La caméra n’existe plus dans sa tête, et la musique remplit la pièce autant qu’elle donne naissance en direct au morceau « Ciel Noir » sur son album. On y voit alors ce que l’on préfère dans ce documentaire : un Nekfeu vrai, qui ne joue aucun rôle. C’est dans ces moments là qu’il est le meilleur. En image comme en musique.