Sidekicks

L’histoire est maintenant connue : Pone, ancien architecte sonore de la Fonky Family, vit alité depuis quatre ans, atteint par la maladie de Charcot. Le Toulousain d’origine a fait preuve d’une sagesse hors du commun pour accepter de vivre avec cette maladie, qui ne lui a laissé que ses yeux pour pouvoir communiquer avec sa famille et le monde. Équipé d’un ordinateur grâce auquel il a pu, dans un premier temps, écrire son histoire et raconter des tas d’anecdotes sur sa page Facebook et son compte YouTube, il a ensuite entrepris de se remettre à composer des productions. Kate & Me est le fruit de ce travail. Un album instrumental composé et mixé uniquement grâce à ses yeux, dans lequel il reprend des samples de Kate Bush, chanteuse qu’il admire (cela lui fait un point commun avec Big Boi d’OutKast). On y retrouve en filigrane son goût dans la découpe des samples, ici par moment étirés ou inversés, créant un univers onirique qui rappelle presque celui de Kno des CunninLynguists. Les titres sont parsemés de micro-samples de rap US, des bribes de voix, comme des rappels de son bagage musical. Album dédié à son ami DJ Mehdi, alors qu’il a sorti cet album le jour de l’anniversaire de sa disparition, c’est aussi pour lui, dit-il sur le site consacré à l’album, l’occasion de « montrer aux gens en grande difficulté physique comme moi que tout est possible ». L’album Kate & Me est disponible en téléchargement gratuit sur son site et sur les plateformes de streaming. Et on se met à imaginer Big Boi ou le Rat Luciano rapper dessus.

Olu et WowGr8, les deux rappeurs d’EarthGang, avaient déjà fait forte impression en premières parties de leurs collègue Bas et J.I.D. ces dernières années lors de leurs passages à Paris. Cette fois, le duo de Dreamville viendra seul défendre sa musique, sur la scène du Trabendo, ce vendredi 20 septembre. Le timing est idéal : ils viennent de sortir Mirrorland, leur premier album officiel sur le label de J. Cole, après des premières sorties remarqués en indé depuis 2013. Mirrorland n’est pas un disque déformant : il présente fidèlement le tandem, héritier de la pluralité musicale d’Atlanta, de la ferveur de la Dungeon Family à la douce folie de Young Thug, présent en featuring. Une musique foisonnante et sautillante, qui devrait trouver une belle résonance en live. Profitez-en : les places sont toujours en vente.

Décidément, le nord-est parisien a un faible pour les matriarches du rap US estampillé East Coast jusqu’aux os. Après un concert en 2018 pour l’une au Bizzart café, et en mars au New Morning pour l’autre, la rappeuse de Philly Bahamadia et la membre du Flipmode Squad Rah Digga sont mises à l’honneur, cette fois à la Bellevilloise. Un conseil : venir tôt, puisque les artistes en première partie valent le coup. Elle sera assurée par Amanda Joy et Le Juiice, qui avait invité Assa Traoré lors d’un passage sur Skyrock, puis par la rappeuse locale Ryaam, déjà présente le 9 mars, et en plein lancement d’une série de freestyle intitulée Yaralé (« femmes » en soninké). Du rap et des femmes sans concession, dans le fond comme dans la forme. Rendez-vous donc rue Boyer le vendredi 20 septembre, à partir de 19h. Évidemment, des places sont à gagner avec L’Abcdr du Son. Ça se passe sur nos comptes Twitter et Facebook.

Les émissions spé de Radio Nova, les après-midis au terrain vague de La Chapelle, la compilation Rapattitude… Autant de moments mythiques du rap français qu’EJM a connus et auxquels il a participé. L’équipe So Fresh a donc eu la riche idée d’aller voir Jean-Michel Émilien pour lui faire raconter son parcours dans la musique, qui s’étale du milieu des années 1980 à nos jours. De cette initiative est né le documentaire EJM, l’élément dangereux, témoignage lucide et pertinent d’une quarantaine de minutes entrecoupé de précieuses images d’archives. L’avant-première aura lieu le samedi 28 septembre à la salle Olympe de Gouges (Paris 11ème), à partir de 15 heures, en présence d’EJM. La projection sera suivi d’un débat. Une opération louable en tout point que So Fresh souhaite reproduire dans d’autres villes. À bons entendeurs, donc.

Membre éminent du collectif suisse Marekage Streetz, Beniblanc se faisait appeler Mr White jusqu’à présent. La dernière mise à jour du rappeur genevois donne lieu à un EP cinq titres : Selfie Mobile. Produit par le jeune label Milfranc Suisse, ce projet est disponible sur toutes les plateformes ainsi qu’en format physique, sous la forme d’une carte USB s’assimilant à une prepaid card téléphonique. L’EP est une promenade sombre dans les rues de Genève et dans la vie de White, jeune ancien de la ville. On le retrouve tantôt dans le lobby d’un bel hôtel près du lac, tantôt dans le hall d’un sale bâtiment du 1205. Qu’il soit côté passager dans une classe A en deuxième vitesse ou à fond sur un vélo, Beniblanc arpente les recoins de sa ville et en propose un quart d’heure musical fait de scènes de vie, entre routine et ambition. Pour promouvoir cet EP, le rappeur vient de clipper « Faire un tour », parfaite introduction à son univers. Épiceries afghanes, alcool cubain, drogue colombienne, argent suisse, voitures allemandes, chaussures américaines, tout se passe dans le centre ville, à deux pas du lac Léman et de ses vagues.

Au printemps 2018, Muun se faisait un petit nom au delà des rues de Montreuil en sortant son premier EP Dopamuun. Il posait alors son identité musicale : une voix grave nappée dans les brumes de l’autotune, des sonorités empruntées aux musiques maghrébines mêlées au son cloud de Momo Spazz, qui produisait l’essentiel du projet. Lors de son interview dans les colonnes de l’Abcdr, Muun disait s’essayer lui-même à la composition mais ne pas se sentir prêt pour rendre public son travail de beatmaker : « Cela fait longtemps que je compose, mais tant que ce n’est pas au niveau que j’attends, je garde ça pour moi.  Je préfère travailler en amont, entrer dans la salle du temps et revenir avec quelque chose de lourd. » Il semblerait que l’année écoulée fût profitable à l’artiste, puisqu’il est non seulement interprète mais également compositeur de son nouveau morceau, « 3afia Mafia ».

Le titre s’inscrit dans la lignée de ce que proposait Muun l’an passé, en plus organique peut être, de par des percussions omniprésentes. Doux titre, « 3afia Mafia » se distingue notamment par son refrain très plaisant, entraînant certes mais en rien racoleur. Le rythme n’est pas reposant mais demeure apaisant, délicat, c’est un beau cœur bleu qui bat fort, plein de vie. À l’image du clip d’ailleurs, réalisé par Ordell-B et accompagné d’une intro en dessin animé, due à Kitsuneken (dessin) et Rosrows (colorisation et montage).

Un après la sortie de son album Livingston, Iraka en propose quatre titres remixés. Ou plutôt trois plus un pour être exact, puisque « Le Gris » était issu d’un EP préalablement sorti et intitulé Satie. Diamétralement opposés aux originaux, ces remixes répercutent les textes de l’ancien membre d’Olympe Mountain dans des atmosphères interlopes (« Insul-X » feat. Grems), et parfois bien plus dures et violentes, à la hauteur du tourbillon de mots que propose l’artiste. Dépeint à la fois comme slameur et comme rappeur, à la verve sans complaisance et aux complaintes froissées dans le verbe (« au diable le pessimisme de cette musique sans espoir quand j’y pense »), Iraka a été chercher quatre réalisateurs sonores qui ont transformé en répliques dévastatrices les secousses émotionnelles de Livingston. Avec une mention spéciale pour « Le Gris » et son superbe final remis en musique par le fidèle Miosine, ainsi que « Soleil » et sa version revisitée par Zedrine, de feu le groupe Enterré sous X. Des remixes à écouter « fort, d’ici jusqu’aux Baumettes ».

Deux talents mis en valeur dans Le Rugissant, livre paru en cette fin de mois d’août aux Éditions Marchialy. Le premier est celui de son auteur Raphaël Malkin, cofondateur du feu magazine Snatch, opérant désormais pour Society. Déjà auteur de Musics Sounds Better with you chez Le Mot Et Le reste qui retraçait l’évolution de La French Touch, le Montmartrois retrace cette fois le parcours d’un personnage légendaire du rap français : Marc Gillias, plus connu sous le nom de RudLion ; notre deuxième talent donc. En tant que producteur, il a marqué la deuxième moitié des années 90 avec notamment deux-trois classiques d’Expression Direkt : « Mon Esprit part en Couilles », « Dealer pour Survivre » et le featuring avec Big Red « 78 » sur leur premier album Le Bout Du monde. Big Red pour qui il produira une belle moitié de son premier album, Big Red-emption, notamment l’enfumé et hypnotique « Spliff », le funeste et magnifique « El Dia de los muertos » en compagnie de Rocca ou encore le chaud-froid envoutant de « Riz-la ». Un album qui restera comme son dernier fait d’armes derrière les machines puisqu’il décédera d’une mort violente la même année. Ses productions étaient à l’image du personnage : complexes, rudes et brutales, teintées de funk et de basses grasses. « Le Boucan » se rapprochait d’un son californien avec la rudesse du son new-yorkais. Une tête brûlée à l’origine de tout un pan du rap français, d’Expression Direkt à la Mafia K’1 Fry, passant aussi par le reggae (Tonton David, Nuttea) et même la chanson française. Pour ne rien gâcher, la plume de Raphaël Malkin est délicieuse. Simple et sans esbroufe, elle décrit avec une justesse précieuse l’environnement du Rugissant. Entre milieu du banditisme parisien et industrie musicale française, Raphaël Malkin dresse un portrait sans-fard du Grand Paris des années 80-90 avec un souci du détail (David) Simon-esque.

Pour lire des extraits de Le Rugissant, rendez-vous sur  Google Books.

La filiation artistique entre le Roi Heenok et Freeze Corleone est évidente depuis les débuts de ce dernier, qui intitulait déjà un titre « Pute nègre » sur sa première mixtape et samplait le roi pour l’occasion. Il réitéra d’ailleurs en introduction de son morceau « 16 Pains », et plus récemment encore le chef de file du 667 offrait un hommage appuyé à Heenok avec « Sacrifice de masse », un titre faisant clairement écho à « Nibiru ».  Quand ,il y a quelques mois de cela une photo des deux artistes en studio apparaissait sur la toile, cela suffit à alimenter rêves et fantasmes quant à un éventuel morceau commun. Le suspens fut d’ailleurs de courte durée puisque le rappeur québécois montra rapidement son amour pour la musique de Freeze et annonça dans la foulée avoir enregistré deux titres avec.

Le premier vient de sortir en ce 11 septembre et s’intitule « 38 Spécial », sur une production de Flem et Congo Bill. Les deux rappeurs n’ont pas tellement d’effort à fournir pour réunir leurs univers, tant ceux-ci se rapprochent naturellement. Un pas vers l’adoration divine, un pas vers le blasphème, égotrip de rappeur et mépris de grand bandit, ils marchent sur un fil au dessus des loges occultes qui décorent toujours leur écriture. De quoi satisfaire les amateurs du genre, en attendant la sortie d’un nouvel album du Roi, et l’éventuel pressage physique de Projet Blue Beam, dernière sortie en date de Freeze.

“Ecrire sur les chansons revient à les ramener au sol” dit Arm dans le texte qui accompagne Codé, son futur album. Puis il ajoute : “Elles sont juste les lueurs d’espoir au bout des tunnels.” C’est le cas de “Deux”, premier extrait de ce disque qui sortira le 11 octobre. Il est l’un de ces titres sans beat dont Arm a la maîtrise parfaite. Une fausse berceuse, peuplée de nappes synthétiques et de caresses de cymbales, pour un véritable interstice émotionnel dans lequel se faufilent les vies des auditeurs. Une secousse de chair de poule dans la tracklist parfois lumineuse, plus souvent extrêmement rugueuse de Codé. Encore une fois, l’univers d’Arm sous ses abords cryptiques et futuristes permet (et permettra) à celui qui écoute sa musique d’y transposer sa propre existence. Son vécu y chemine à sa guise, dans les silences et observé par “les grands yeux noirs croisés sur ton parcours.” Privilège rare et précieux que peu de rappeurs savent à tel point offrir à ceux qui les écoutent. Et comme écrire plus sur cette chanson reviendrait effectivement à la ramener au sol, qu’elle reste ce moment suspendu. Avant de prendre Codé de plein fouet dans un mois. À décrypter avec le cœur et l’âme.