S’il n’est pas tout à fait un rookie avec deux mixtapes à son actif, Lee Boma sortira le 22 novembre un EP aux allures de nouveau départ. Celui-ci s’appellera Moleelee et comptera sept morceaux essentiellement produits par MohCiss et Cortez. Ce dernier est justement derrière l’instru de « Cuisine », nouvel extrait de l’EP, en duo avec A’s, figure emblématique de Marekage Streetz et habitué des colonnes de l’Abcdr. Ce featuring symbolise quelque part la transmission de flambeau entre les différentes générations du rap genevois, toujours en ébullition : c’est la production du Batmobb Label et il faut surveiller ça comme le lait sur le feu. Pour accompagner ce titre, Lee Boma offre également un beau clip en noir et blanc laissant découvrir plusieurs éléments centraux de son univers, à commencer par le maillot du Servette FC dans les rues de La Jonction.
Sidekicks
Début Octobre, Radmo sortait Climax, son deuxième album intégralement produit par Dela (Butter Bullets). Si son premier opus Doloris Victoria comptait quelques beaux passages, ce nouvel effort du rappeur bisontin lui est supérieur en tous points. Relativement concis, Climax n’en demeure pas moins varié, du beat funky de « Lion solitaire » au très ensoleillé « Emilio » en passant par « Le Diable dab », trap glaçante. Radmo se fait plaisir sur des instrumentaux haut de gamme de son beatmaker attitré, auquel il faudra un jour offrir ses lauriers tant sa constance est impressionnante.
Parmi les treize titres qui composent Climax, « B.E.2.N.Y.B » et sa boucle parfaite constituent un sommet. Egotrip traditionnel, le morceau prend sa source dans les ténébreuses années 1990 de Besançon et Planoise, les cuirs Avirex, la maison de quartier et les 45 tours de Benny B. Autant de souvenirs sur lesquels Radmo reviendra d’ailleurs très prochainement sur l’Abcdr. En attendant l’interview, vous pouvez apprécier le flow du French Montagnard en parka les pieds dans le Doubs.
« Je suis tombé amoureux du hip-hop via la scène en réalité. On est à une époque où il n’y a pas de studio, mais il y a les fameuses guinguettes dans les quartiers nord – des plateaux à Font-Vert, la Castellane, la Savine. Un groupe comme Psy4 de la rime s’est fait comme ça, sur scène. » Après une scène partagée avec Guizmo et un court-métrage, il manquait encore quelque chose pour fêter la sortie de Rescapé comme il se doit – et pour, peut-être, préparer la suite. Le vrai maire de Marseille, dont l’amour du rap est précisément advenu sur scène, sera donc en concert ce mois de novembre, à domicile et à l’extérieur. Le 9 novembre à l’Affranchi (Marseille) et le 20 novembre au Nouveau Casino à Paris : dans les deux cas, il sera possible de crier en chœur et en live « One check one check nique la bac / Tractopelle de bon matin pour arracher un dab » au moment de l’interprétation de « Dans le block X », que l’Abcdr avait classé dans sa sélection des 25 morceaux du premier semestre 2019. C’est aussi l’occasion de relire notre interview du rescapé au grand cœur, et de voir que si quelqu’un mérite des salles pleines pour ses premières scènes, c’est bien lui. Pour l’accompagner, l’Abcdr offre des places.
Après avoir jovialement retourné le Bistro des Artistes l’an dernier lors du vernissage de son expo photo, toute la rédaction vous invite à venir célébrer la sortie du premier livre de L’Abcdr : L’Obsession Rap. Ce sera ce 7 novembre et la soirée se déroulera en deux temps, dans un bar de la capitale. Tout commencera avec la maniaquerie joyeuse qui caractérise L’Abcdr : la tenue d’un podcast en direct, avec des invités que nous vous dévoilerons ces prochains jours. Mais aussi la présence de la rédaction autour d’un libraire itinérant, pour vous présenter notre livre. Puis à 21h30, ce sera le temps de la fête avec l’éminent Slurg, notre incontournable Captain Nemo et DJ MNK qui prendront possession des platines. Ca se déroulera aux Marquises, dans le 11ème arrondissement, avec l’espoir qu’en plus d’être une belle soirée, ce sera le prélude à quelques visites de la rédaction en dehors de la capitale. Suivez les infos et mises à jour depuis la page de l’événement sur notre Facebook.
Programme de la soirée :
- 18h00 : présence d’un libraire et de l’équipe autour du livre L’Obsession Rap
- 19h30 : podcast en public et en présence de :
- Kohndo, Rappeur (La Cliqua et en solo)
- Loko, Producteur, ingénieur du son, et rappeur (Neoloko studio, ex Neochrome, ex ATK, ex Le Barillet)
- 404Billy, Rappeur
- 21h30 : DJs sets
- Slurg (Abcdr du Son, Edutainment, Rayon du Fond)
- Le Captain Nemo (Abcdr du Son, Konbini)
- MNK
« Dans son album, tu écoutais un morceau, tu te disais : « mais putain, Freko c’est une grosse caillera ». Puis tu écoutais un autre morceau et tu te disais : « hé mais Freko il est trop marrant ! » Et encore un autre et là tu te disais : « putain, le mec il réfléchit, il est loin d’être con. » Ainsi Cyanure parlait de l’album de Freko, prévu en 2004 chez Universal. Censé succéder à l’EP Mangeur de pierres, le disque n’est finalement jamais sorti. Depuis ? Freko a connu quelques fractures de vie supplémentaires et a navigué entre l’Association de dingos, la reformation d’ATK, et sa chaîne Youtube agrémentée de vidéos déjà entrées au panthéon des vlogs rap. Puis après un album sorti en 2019, le plus dingo des MCs français sort un Black Album. Dessus ? Des inédits, des titres déjà dévoilés sur sa chaîne Youtube et de merveilleux moments de complicité avec son pote Cyanure, sous le nom de Légadulabo. Mais aussi, à n’en pas douter, certains sons qui devaient figurer sur ce fameux album jamais sorti par Universal. L’indice ? La touche west-coast, voire sérieusement G-Funk qui se retrouve à l’écoute de plusieurs d’entre eux. En 2008, Freko le disait à L’Abcdr : « Universal m’avait présenté deux petits guitaristes, des jumeaux. ils ont rejoué l’instru de ‘Mangeur de pierres’ composée par Axis et c’était une tuerie. Mais je ne voulais pas faire que des morceaux comme ça. J’ai donc dit stop à Universal et j’ai rencontré Monk, le mec qui faisait la B.O du dessin animé Funky Cops sur M6. Monk de Bustafunk. Et lui m’a fait les morceaux plus ambiancés West Coast qui devaient être sur l’album. » Un disque fantôme qui éclaire ce qu’aurait pu être la carrière de Freko.
Il ne faut jamais croire un rappeur lorsqu’il dit qu’il arrête de pratiquer cette foutue musique. Après avoir annoncé il y a deux ans qu’il mettait fin à sa carrière d’indépendant farouchement solitaire, Scarz revient derrière le micro. Des signaux sur les réseaux sociaux avaient laissé entrevoir ce retour, puis un premier morceau en 2018 : « Tant qu’il est temps. » Cette fois, le Niçois passe à la vitesse supérieure et présente « Cœur brave », deuxième extrait d’un EP à venir. Il sera intitulé Mélancolie en eaux calmes. Un titre à l’image du rap de Scarz et de son évolution, vers une vie plus simple, plus humble et faite des leçons tirées de nombreux bilans. À noter aussi une chose rare ces dernières années : le Rapologist rappe sur un instru qu’il n’a pas produite. Elle est signée Boger et le rappeur y promet qu’il ne changera pas. Après plusieurs années de discrétion, l’auditeur ne pourra que le confirmer. « Cœur brave » est du Scarz pur-jus : déterminé, intègre, « méfiant et solitaire ».
1999, un groupe d’Aulnay-sous-Bois publie son premier maxi. Son nom ? La K-Bine. Skalpel en était et vingt ans plus tard, il est toujours derrière un micro. Avec le groupe Première Ligne évidemment, mais aussi en solo. Et chez Skalpel, la notion de solo est étroitement liée au partage. Que ce soit à travers le militantisme, ses concerts, les beatmakers qui l’entourent ou tout simplement les featurings qu’il partage sur ses disques, le collectif le motive plus que tout. Alors pour fêter ses 20 années de rap, le MC aulnaysien, désormais établi dans les Deux-Sèvres, sort un disque de 17 pistes dont 16 accueillent des invités. Pour avancer grouper, ils sont plus de trente à avoir répondu présent sur des productions de Raan, Many The Dog, Tideux, Kheyzine ou Slhigh Kut. Parmi eux, il y a évidemment la garde rapprochée : E.One, binôme de Skalpel au sein de première ligne, mais aussi VII, FL-How ou Sitou Koudadjé. Mais Billie Brelok, Mod Efok ou encore Kaïman l’Animal sont aussi à croiser au détour de la tracklist de ce disque sobrement intitulé #Featuring. Et si « réunir des gens derrière une cause est bien plus difficile que d’insulter des mères », nul doute que tout ce beau monde a répondu immédiatement présent pour kicker dans le plus pur esprit d’un cypher underground. « J’suis dans le game du sous-sol » comme le dit E.One sur « Splinter ».
Commençons par des listes. Ses pseudos d’abord : Monsieur Xavier, Frank Sinatrax, l’Abbé Xanax, Xanax tout court. Les groupes et artistes avec lesquels il a joué ensuite : Les Svinkels, évidemment. Le duo qu’il forme avec Fred Lansac : Les Professionnels. Le collectif de La Fondation Métisse, celui de Qhuit, et un début de carrière auprès de THC. Il y a aussi les featuring avec Chéravif, A2H, mais aussi Mozesli, Cosmo Vitelli ou Ark ; sans parler des connexions avec la Malka Family et la scène funk parisienne. Et pourtant, Xavier, de son prénom, a toujours été le plus discret et le moins mis en avant des Svinkels. Ce n’est pourtant pas le moins doué. Si ses prestations au micro, du genre de celles du « mec tellement aigri qu’il a fait pleurer le diable », ont toujours contrasté avec les jeux de mots et la folie de Gérard Baste et Nikus Pokus, celui qui tendait l’oreille savait que celle de Xanax était sûrement la plus musicale du Svink’. Xavier a un CV qui parle pour lui, parsemé de passages chantés qui cachent un sérieux potentiel, et un passif funk et house à lire entre les lignes du début de cette courte chronique. Et pour instiller cette touche chaude et funk qu’il cachait au sein du Svink, Xavier a travaillé son premier album solo avec Drixxxé. Adepte du sample chaud, probablement le plus grand fan parisien de Sly and the Family Stone, l’ancien producteur de Triptik est derrière une bonne moitié de l’album. Il s’appelle Sprayed Love. Xavier en fêtera la sortie ce 19 octobre au Café de la Danse à Paris, avec des sidemen de luxe pour l’accompagner, et au moins deux guests indispensables : A2h et les Svinkels. Des places sont à gagner sur nos réseaux sociaux, et promis, ce ne sera que de l’amour.
La carrière de Michael Troy est une fascinante énigme. Alors qu’il rappe depuis plus de trente ans, il est cantonné à un succès d’estime conforté par l’admiration de ses pairs. Microphone Mike, à ses débuts, a gravité autour de N.W.A. Il est cofondateur du groupe Freestyle Fellowship dont le second album participera à la déconstruction de la rime à 4 temps. Il brille au Good Life Café, faisant de ce lieu mythique de Los Angeles l’antichambre du Project Blowed et d’une école West Coast audacieuse et diablement inventive. L’an 1995 n’a pas encore sonné et Myka 9 est déjà un MC inimitable. Inimitable, mais aussi insaisissable. À l’image de son flow en somme, qui est une seconde structure rythmique à lui tout seul, une partition de soliste pouvant, pour une fois, être réellement comparée à la virtuosité jazz. Myka ne se privera pas de cette comparaison pourtant généralement galvaudée. Mieux, personne n’a jamais trouvé qu’il en faisait trop lorsqu’il la cultivait lui-même, avec sa voix caractéristique, capable de s’étendre comme la courbe d’une onde d’effet papillon autant que de s’avérer d’une douceur remarquable jusque dans son gimmick « it’s all love. » En bref, Myka 9 est un être musicalement à part. Mais il est aussi l’incarnation de ses talents tellement insaisissables qui, avec les années qui passent, sont de moins en moins exposés malgré une productivité sans égale. Mal distribuées, en binôme avec des artistes talentueux mais sans aucune exposition, les œuvres de Myka n’ont jamais eu la visibilité qu’elles méritaient, particulièrement ces dernières années. Chez lui, le chemin de carrière est évanescent. Mais peut-être est-ce bien cela qui préserve son talent ? C’est en tous cas son don pour les flows chimiquement purs que le label Rayon du Fond met en avant un travers un mix d’une trentaine de morceaux. Slurg, également DJ résident de L’Abcdr, y condense soixante-dix minutes durant le génie de Michael Troy. Un acte nécessaire pour figer dans le marbre ce qui est si difficile à décrire. Un disque redoutablement bien mixé, au packaging et à l’artwork magnifiques, pour un MC dont on avait dit que même s’il disperse son talent comme des poussières célestes, ses prouesses verbales défieront toujours la loi de Newton.
Voilà au moins cinq ans qu’un collectif – au sens fort du terme – indépendant, calé entre Marseille et Paris nord propose une musique singulière en France, notamment sur la plateforme préférée des diggers de moins de trente-cinq ans, SoundCloud. C’est le SUMMUM KLAN. Les blazes des uns et des autres suffisent à indiquer les influences : le K du Raider Klan, les $ de A$ap… La trap undergroud états-unienne parfois mâtinée de punk-rock et surtout de basses saturées, l’imaginaire et le style qui vont avec. Le titre, Blue Flame, convoque-t-il la flamme des drogues conçues au même endroit que ces musiques ? Le nom d’un stripclub sudiste ? Peut-être aussi, un feu différent des autres, à la couleur froide mais paradoxalement le plus chaud : les superlatifs font partie de l’imaginaire du Klan, le « 8848 » accolé à leurs pseudonymes, titre de leur première mixtape – suivant le goût pour les symboles et les chiffres ésotériques qui caractérise un pan de notre rap français souterrain – désigne la hauteur en mètres du plus haut sommet du monde, l’Everest. Mais n’y voir qu’un calque francisé de ces tendances outre-atlantique serait injuste, même si la fascination wannabe des rappeurs français pour l’attitude et la musicalité états-uniennes fait partie du jeu – ce n’est pas le fils d’Akhenaton qui dirait le contraire. Ce serait encore plus faux pour ce deuxième EP, sorti après SSR en 2018, celui-ci entièrement produit par Rolla (également à l’œuvre, entre autre, dans le très bon Le son d’après de Lala &ce). Blue Flame laisse place à plusieurs producteurs proches ou appartenant au groupe ; la première partie surtout, choque par sa douceur capitonnée, propre, l’usage « cloud » impeccable de l’auto-tune, des ritournelles en refrain qui restent gravées en tête dès la première écoute (« Dans le Koeur » particulièrement) et qui sonnent plutôt « rap français ». La deuxième renoue davantage avec la noirceur saturée des projets précédents. SUMMUM KLAN condense donc une connaissance pointue d’un des pans les plus originaux de l’indépendance états-unienne – et pas que, son goût pour l’insolence stylisée, avec une exigence de sonner unique qui pointe le bout du nez. Il a d’ailleurs fallu un an de travail pour que ce deuxième projet voit le jour. Là où les cousins de Lyonzon sur En attendant la popance (dont deux des membres, Azur et Jolly, « celui qui rappe en italien » pour les nouveaux, sont en featuring) s’affichaient résolument comme tenants du no-melody, le Klan fait coexister mélodies, chantonnements nerveusement chuchotés et certains titres plus fidèles à l’esprit banger, tels que « Klap Klap ». Etrangement, Blue Flame donne la sensation d’une musique innovante et familière à la fois, exigeante et accessible, souterraine et, par moments, faite pour briller.